CHAPITRE
14 : Prisonnière des démons
Quand
Amara se réveilla, elle était allongée sur
un vieux matelas. Elle avait la tête lourde et douloureuse.
Elle ouvrit les yeux et regarda autour d'elle, il faisait sombre
mais la jeune Osa estima qu'il devait faire jour. La pièce
était petite, la jeune fille tandis la main hors du matelas
et toucha le sol, le parquet de bois était humide et froid.
Il émanait du matelas et d'ailleurs de la pièce
toute entière une forte odeur de moisi et d'humidité.
Elle
essaya de s'asseoir mais fut prise de vertiges et fut forcée
de se rallonger. Elle ferma les yeux et se força à
réfléchir. Pendant plusieurs minutes, rien ne lui
vint à l'esprit mis à part la douleur lancinante
qui lui vrillait la tête. Puis peu à peu, les souvenirs
affluèrent dans son esprit. Elle revit le caveau sombre
et les démons avançant vers son ami. La dernière
image qui apparut devant ses yeux était le démon,
annonçant d'une voix froide que Misugi était mort.
Amara gémit à cette pensée, la douleur lui
serrait le cur, des larmes coulaient sur ses joues. Elle
porta la main à son visage et ne put réprimer un
cri en la voyant : sa main était toujours recouverte du
sang de Misugi
ses jambes et le bas de sa robe étaient
elles aussi tachées de sang. Amara en eut l'estomac noué
et du se concentrer pour ne pas vomir.
Elle
rouvrit les yeux et tenta de se concentrer sur ce qu'elle avait
autour d'elle. Elle s'assit au milieu du matelas au prix d'un
effort considérable et d'une violente douleur qui sembla
exploser dans sa tête. Elle se sentait fiévreuse,
et tremblait de tout son corps.
La jeune fille sursauta en sentant le sol bouger au dessous d'elle.
Elle voulut mettre cette impression sur le compte de son état
de santé, mais un coup plus violent la fit tomber en arrière.
Amara se sentait faible et lasse, elle avait peur. Elle s'allongea
sur le dos, les mains croisées sur son ventre et ferma
les yeux. Le sol, qui bougeait réellement de droite à
gauche, la calmait. Elle perçut un bruit sourd et irrégulier
qui raisonnait contre les murs comme
de l'eau ! Amara venait
de comprendre qu'elle se trouvait dans la cale d'un bateau
ce qui n'eut aucun effet rassurant sur elle, bien au contraire.
Elle
résuma la situation : elle était seule dans une
petite pièce sombre et moisie, dans le fond d'un bateau
plein de démon qui naviguait vers une destination qui lui
était inconnue. Par-dessous tout ça, elle n'était
pas en mesure de faire quoi que ce soit, rien que le fait de marcher
lui aurait été extrêmement difficile.
La jeune fille avait la gorge sèche, elle avait besoin
de boire. Toute son attention fixée sur cette idée,
Amara se rendormit.
Les
heures passaient au berceau, l'endroit était comme transformé
par les récents évènements. Chacun ne parlait
qu'à voix basse, les salles d'entraînement et jardins
étaient déserts.
L'atmosphère, pesante, était insoutenable. La plupart
des membres de l'ordre n'avaient qu'une envie, se réveiller
le lendemain matin pour s'apercevoir que tout cela n'ait été
qu'un affreux cauchemar.
Keazou
et Loulou furent convoqués au Temple. Maître Tsongor
et la Prêtresse Samilia les y attendaient.
Le maître prit la parole :
- Je ne vais pas passer par quatre chemins et vous expliquer ce
que j'attends de vous. Inutile de vous dire que la situation est
très grave. Je suis allé au village ce matin pour
prévenir les parents d'Amara, et des marchands m'ont affirmé
avoir vu un navire prendre la mer, cette nuit. Il y a toutes les
chances pour qu'Amara soit séquestrée à bord
de cette embarcation.
- Il faut aller la chercher ! Je
- Du calme Keazou, cette mission est très délicate.
Les démons ne doivent en aucun cas se douter de ce que
nous préparons. Nous savons qu'une île au large d'Amakna
abrite un nombre important de démons, c'est en quelque
sorte une base pour leurs marins qui leur permet de se ravitailler
s'ils viennent de loin. La ville principale des démons
se trouve au Sud-Ouest d'ici, on peut y accéder par la
terre, mais il faut traverser d'immenses landes hostiles et dangereuses.
Les démons préfèreront probablement s'y rendre
par voie maritime. En effet, ils y parviendront plus rapidement
que par la terre, et il sera plus difficile pour nous de les localiser.
C'est sûrement là qu'ils emmènent votre amie.
Ce que nous savons aussi, c'est qu'ils ne lui feront aucun mal,
ils doivent l'amener jusqu'à leur ville, saine et sauve,
et en pleine santé.
Les
démons sont nombreux et possèdent la force maléfique
avec eux. Les créatures de la nuit sont leurs alliées.
Nous aurons besoin de courage, mais aussi de beaucoup de volontaires.
Nous devons mettre toutes les chances de notre côté.
J'ai prévenu ce matin, une vieille femme du village. Elle
avertira l'ordre des Sages du Lac. Nous aurons besoin de toutes
les formes d'énergie magique.
Toi, Keazou, il faudra que tu alertes l'ordre des Chevaliers de
la Terre.
Loulou, je te charge simplement de le dire à ton ami Guitou,
je sais que le passage vers le berceau des Brigands du Désert
et près d'ici, il n'aura aucun mal à les informer
de ce qui se passe. Nous déciderons dans les jours qui
suivent de la manière dont nous nous organiserons.
Le prêtre les congédia. Loulou et Keazou sortirent
dans le jardin.
Loulou
semblait gênée, personne n'avait pensé à
prévenir son petit ami, Guitou, et il ne savait sûrement
pas ce qu'il s'était passé. Keazou sembla contrarié,
ça faisait longtemps qu'il n'avait pas vu Guitou. En d'autres
circonstances il aurait été heureux de revoir son
ami, mais lui annoncer la terrible nouvelle de la mort de Misugi
allait être dure. Guitou et Misugi étaient de très
bons amis ; Guitou aurait beaucoup de peine.
Keazou savait que Loulou n'aurait pas la force de raconter l'évènement
à son ami, et il savait que cette tâche lui revenait.
Des larmes avaient recommencé à couler sur les joues
de la jeune fée. Keazou la serra tendrement contre lui
:
- Tu veux aller voir Guitou ? Tu devrais passer la soirée
avec lui.
- D'accord, allons-y, répondit Loulou d'une voix faible.
Mais elle ne bougea pas et resta serrée contre Keazou.
Des larmes perlaient aux yeux du grand jeune homme dont le cur
se serrait en voyant la détresse de son amie. Il caressait
doucement les cheveux de Loulou, ravalant ses propres larmes.
Il
connaissait Misugi et son décès lui avait fait de
la peine, mais plus encore, il ne supportait pas de voir souffrir
ceux qu'il aimait.
Il comprenait la douleur de Loulou, Misugi était son meilleur
ami et ils passaient beaucoup de temps ensemble. Elle appréciait
aussi beaucoup Amara et son absence accentuait encore plus le
vide qu'avait laissé Misugi en elle.
Keazou
eut une pensée pour Amara. Elle venait de perdre son petit
ami qui était sûrement mort sous ses yeux alors qu'il
essayait de la protéger. Et elle était emprisonnée
dans un bateau avec une bande de brutes. Révolté,
le grand Iop se jura d'aller la sauver coûte que coûte.
Il ne trouvait pas les mots pour consoler son amie, il passa la
main sur la joue de celle-ci, essuyant quelques larmes, et y déposa
un baiser.
Loulou lui sourit tristement et se leva.
Keazou la regarda, il la trouvait très jolie malgré
ses cheveux en désordre, du à son réveil
un peu brutal et les larmes qui continuaient à couler sur
son doux visage.
- Viens.
Il lui rendit son sourire et la prit par la main.
La
jeune fille le suivit à l'intérieur, le long du
couloir jusqu'à sa chambre. Ils entrèrent et elle
s'assit sur le lit d'Amara. Elle regarda les affaires de son amie
d'un air malheureux.
Keazou alla chercher un peigne dans la salle de bain et vint s'asseoir
derrière Loulou. Il entreprit de démêler les
longs cheveux bouclés qui tombaient sur les épaules
de son amie. Il y passa un long moment, ses gestes doux et appliqués
semblaient calmer la jeune fille qui avait cessé de pleurer.
Quand il eut fini, il entraîna Loulou dans la salle de bain
afin qu'elle puisse passer un peu d'eau sur son visage.
- On y va ?
Loulou acquiesça d'un léger signe de tête
puis ils ressortirent. Ils marchèrent en silence, côte
à côte, jusqu'au passage. Loulou l'activa, ils le
traversèrent. Ils marchèrent ainsi jusqu'à
arriver devant la maison de Guitou. La belle Eniripsa frappa.
Ils entendirent du bruit à l'intérieur et le jeune
homme leur ouvrit. Il les invita à entrer, l'air heureux
de les voir. Il allait leur demander s'ils allaient bien mais
se ravisa en voyant le visage triste de Loulou. Ils s'assirent
tous les trois autour de la table. Loulou lança un regard
suppliant à Keazou. Comme personne ne parlait, celui-ci
prit la parole :
- Guitou
L'intéressé leva la tête vers Keazou qui continua
:
- J'ai une très mauvaise nouvelle à t'annoncer
Keazou, gêné, ne savait comment dire à l'homme
qui le regardait d'un air inquiet que son ami était parti
- Tu as entendu parler des démons qui rodaient aux alentours
du cimetière ?
Le jeune homme répondit par un signe de tête affirmatif.
- Misugi et Amara étaient au cimetière hier soir
Malheureusement, il est apparu que les démons cherchaient
Amara. Et
Misugi voulait protéger Amara
mais
ils y avait quatre démons
ils ont
Misugi est
il est
Keazou, la gorge serrée, n'arrivait pas à finir
sa phrase. Loulou se leva et alla se blottir contre Guitou.
- Il est mort ? demanda-t-il. Keazou, Misugi est mort ?
- Oui
Je suis désolé.
Keazou baissa la tête. Loulou avait recommencé à
pleurer. Guitou ne réagissait pas, il semblait encore sous
le choc de la révélation.
- Je vais vous laisser, tous les deux, avança Keazou. Vous
devez avoir des choses à vous dire.
- Merci Keazou. C'est gentil de t'être occupé de
Loulou et d'être venu jusqu'ici, répondit Guitou
d'une voix blanche.
Le
jeune homme s'avança vers la porte avec regret. La perspective
de se retrouver seul ne l'enchantait guère. Il sortit.
La nuit était belle, aucun nuage, le ciel étoilé.
La lune éclairait les pavés de la rue. Keazou se
promena un moment sur la plage puis rentra au berceau et se coucha
immédiatement. Il n'avait pas faim.
Il
faisait chaud, Amara était entourée de flammes,
elle transpirait. Au milieu du cercle de feu, elle discutait avec
Misugi. Soudain, les griffes jaunâtres qu'elle avait déjà
vues sur la poitrine de Keazou apparurent sur celle de Misugi.
Quand elle voulut s'approcher pour le soigner, il recula d'un
pas et tomba dans les flammes. Quand la jeune fille voulut le
suivre et traversa le mur de feu, le monde bascula autour d'elle,
elle se retrouva dans un caveau sombre, éclairé
par la lune. Misugi tombait en arrière et heurtait le mur,
la scène se déroulait indéfiniment devant
les yeux d'Amara. Elle cria.
La
jeune fille se réveilla, elle criait. Elle regarda autour
d'elle et éclata en sanglots. La soif lui brûlait
la gorge et elle revoyait sans cesse les images de son rêve.
Quand elle entendit des bruits de pas derrière la porte,
elle se tut et se recroquevilla au bord du matelas sur lequel
elle était allongée. Elle ferma les eux et attendit,
tremblante et effrayée comme un petit animal pris au piège.
La porte s'ouvrit dans un grincement, quelqu'un entra. Amara n'osa
pas ouvrir les yeux. Elle resta immobile et attendit encore. Elle
sentait le regard du démon braqué sur elle. La jeune
fille l'entendit poser quelque chose. Une nouvelle fois, la porte
s'ouvrit et se referma.
Amara
resta ainsi de longues minutes, guettant le moindre bruit, le
moindre mouvement anormal. Quand elle fut certaine que le démon
était parti, elle se risqua à ouvrir un il.
Se voyant en sécurité, elle se rassit. Son mal de
tête persistait mais il s'était atténué.
Au début, elle ne remarqua rien de différent autour
d'elle, jusqu'à ce que son regard soit attiré vers
le coin de la pièce. Elle y aperçut un grand récipient
de bois. La jeune fille avança vers l'objet, marchant à
quatre pattes sur le sol froid. Quand elle s'en approcha, Amara
ressentit un élan de reconnaissance pour le démon
; le récipient était plein d'eau douce. A côté,
un morceau de pain frais était posé à même
le sol.
La jeune fille étancha sa soif, buvant avidement. Mais,
l'estomac noué, elle ne toucha pas à la nourriture.
Avec le reste de l'eau, Amara nettoya tant bien que mal le sang
sur ses mains et ses jambes.
Elle retourna ensuite sur le matelas. Elle se sentait un peu mieux
mais la fièvre persistait. Amara tremblait de froid.
Elle
tenta de se mettre debout mais sans succès, elle se sentait
encore trop faible. Elle s'interrogea sur son état de santé.
Pourquoi était elle malade ?
Elle se souvint avoir déjà ressenti des symptômes
similaires lorsqu'elle avait aidé Loulou à sauver
Keazou. C'était dû à l'énergie qu'elle
avait dû fournir. Mais elle ne se souvenait pas avoir utilisé
de magie récemment.
Amara se demanda ce qui allait lui arriver à présent
et si quelqu'un viendrait la délivrer.
Keazou
dormit mal cette nuit là, les griffes sur sa poitrine étaient
encore douloureuses, rouges et brûlantes. Mais il savait
qu'après les prochains soins des fées il n'y paraîtrait
rien. Il se leva de bonne heure, ne supportant plus de rester
inactif, et alla jusqu'au temple. Le grand prêtre ne dormait
pas non plus, il l'invita à entrer. Le jeune homme s'avança,
dans la pénombre. La flamme vacillante des bougies rendait
l'endroit étrange et mystérieux. Le jeune Iop ressentit
un certain respect pour ce lieu, ne possédant pas l'énergie
du feu en lui, il s'y sentait étranger. On distinguait
le ciel étoilé entre deux colonnes, le silence était
total. Intimidé, Keazou n'osait parler, de peur de déranger
le prêtre Tsongor. Celui-ci semblait épuisé,
il était assis sur un siège de pierre, au milieu
du temple.
Il
baissa les yeux sur Keazou.
- Pourquoi es-tu venu jusqu'ici Keazou ?
- J'ai été envoyé par mon maître pour
vous prévenir de ce qu'il se passait. Mais vous semblez
être déjà au courant depuis plus longtemps
que lui
Sûrement parce qu'A
l'enfant de la prophétie
était parmi vous.
- Oui, en effet. Misugi est venu m'avertir qu'Amara avait un pouvoir
particulièrement puissant. C'est lorsqu'il m'a raconté
son histoire que je leur ai parlé de la prophétie.
Je la connaissais depuis longtemps, mais pensais qu'elle n'était
que balivernes. J'ai beaucoup étudié pour en venir
à la conclusion qu'Amara était cet enfant, et il
était bien trop tard
Je n'avais pourtant jamais autant
souhaité me tromper
Nous devons agir, pas seulement
pour Amara mais aussi pour le monde entier. Si le maître
des forces maléfiques la retrouve, le monde sera transformé
en un véritable enfer.
La solution la plus facile serait de
d'empêcher à
jamais que le mal s'empare de l'enfant. Voyant l'air alarmé
de Keazou, le grand prêtre s'empressa de continuer : Méthode
que je refuse d'appliquer tant que nous pourrons faire autrement.
Le plus urgent est de récupérer Amara. Pour ce faire,
nous réunirons les meilleurs éléments de
chaque ordre afin qu'ils partent la secourir. Les démons
sont très forts et il faudra être prudent. Ils se
trouvent actuellement à l'est d'Amakna, ils voguent assez
loin des rivages et des îles pour ne pas être aperçus.
Si nous sommes rapides et efficaces, nous les rattraperons avant
qu'ils n'aient contourné le port de Sufokia. Pendant ce
temps, nous commencerons à constituer une " armée
", ici, à Amakna. Il faudra se battre, et si nous
devons aller jusqu'à détruire le maître du
mal, nous le ferons. Les démons, en enlevant Amara, ont
déclaré la guerre, il nous faudra contre-attaquer.
Des éclaireurs seront envoyés près des villes
et des îles regroupant une majorité de démons.
Ici, les meilleurs recevront une formation adaptée à
l'épreuve qui se prépare. Nous ferons venir la milice
de la ville de Bonta afin de donner un entraînement intensif
à tous ceux qui le souhaitent. J'ai prévenu quelques
personnes, tu partiras avec eux dès le levé du jour.
Tu les guideras jusqu'à ton maître. Revenez immédiatement
jusqu'ici avec les meilleurs des Chevaliers de la Terre. Explique
en détail la situation à ton maître et dit
lui de se mettre en route avec un maximum de volontaires.
- Bien, qui partira avec moi ?
- Les Eniripsa Loulou, et DrouVirus. Les Féca Djahil et
Beothien qui ont spécialisé leur apprentissage vers
la création d'armures et de boucliers extrêmement
puissants, et Globox, une Osa qui a réussi à former
ses animaux au combat. Vous devrez sûrement vous battre,
faites attention à chaque animal que vous croiserez, restez
tout le temps ensemble, ne faites confiance à personne.
Vous promettre que la mission est sans danger serait vous mentir,
je ne puis qu'espérer que vous ne rencontriez pas trop
de difficultés. Reviens ici dans une heure environ, je
vais prévenir tes compagnons, vous devrez être partis
quand apparaîtront les premiers rayons du soleil. Tient-toi
prêt.
Le
jeune homme acquiesça d'un air sérieux et se dirigea
vers le réfectoire, il devait manger et prendre quelques
provisions pour avoir l'énergie d'entreprendre cette expédition.
Il sortit ensuit dans les jardins des alchimistes et cueillit
quelques plantes utiles pour ses potions et médicaments,
il jugea utile d'emporter sa sacoche d'alchimiste, il l'accrocha
à sa ceinture à côté de son épée
puis se rendit devant le temple. Quelques personnes y étaient
rassemblées, le berceau commençait à s'éveiller,
on entendant de toute part bruits de pas et chuchotements.