CHAPITRE
10 : Soleil bleu d'Amakna
Les petites lampes d'extérieur étaient allumées,
disposées de part et d'autre du chemin.
Ils marchaient lentement, main dans la main, quand Amara s'arrêta
soudain.
- J'ai entendu quelque chose.
Ils se turent, essayant de percevoir un bruit anormal dans la
nuit.
- J'ai du me tromper...
Ils repartirent, mais Amara s'arrêta une seconde fois, un
instant plus tard.
- Ca vient de par là !
Elle
contourna un grand bâtiment et longea le mur arrière.
Misugi la suivit, intrigué.
En effet, quand ils se trouvèrent derrière le bâtiment,
les deux jeunes gens entendirent clairement de petits couinements
plaintifs venant du sol.
Amara scruta l'obscurité, à la recherche de l'origine
du bruit. Elle aperçut au loin un empilement de caisses
en bois dont certaines étaient renversées. Amara
tendit l'oreille, les couinements reprirent de plus belle, ils
venaient précisément de l'une des caisses qui étaient
retournées, sur le sol. La jeune fille s'agenouilla près
de la caisse de bois d'où émanait une forte odeur
de poisson frais.
Elle posa son oreille sur la caisse, écoutant un instant
les cris et halètements d'un petit animal qui semblait
terrorisé.
La
jeune fille souleva la caisse et posa les yeux sur une petite
boule de poils bleutés, toute tremblante.
Elle murmura à son ami.
- Regarde c'est un petit chat. Ca sent le poisson, il devait être
en train de chercher à manger quand la caisse est tombée
sur lui, pauvre petite bête... Je me demande depuis quand
il est prisonnier là.
Elle approcha sa main du minuscule animal qui essaya de reculer,
apeuré. Il boitait.
La jeune Osa le prit délicatement dans ses mains. Le pauvre
animal n'avait pas la force de se débattre, il poussa un
petit miaulement de douleur quand Amara essaya de le poser sur
sa main.
- Il a mal à la patte, la caisse l'a peut-être écrasée
en tombant.
Elle était triste pour le chaton. Elle le posa délicatement
contre sa poitrine, le maintenant contre elle d'une main.
- Il ne doit même pas avoir deux mois... supposa Misugi,
je me demande comment il est arrivé là.
La fourrure du petit chat de couleur bleu pâle brillait
au clair de lune, elle était douce et soyeuse sous les
doigts de la jeune fille qui le caressait pour le rassurer.
-
Les fées peuvent soigner les animaux ?
- Oui, bien sûr.
- Tu crois que quelqu'un acceptera de le soigner ? Je ne peux
pas le laisser tout seul ici !
- On peut aller demander à Loulou si on la trouve, ça
m'étonnerait que toutes les fées soient déjà
couchées, de toute façon.
- Oui, allons-y.
Ils rejoignirent le chemin. Amara marchait lentement, berçant
toujours le chaton qui semblait somnoler.
Arrivés aux dortoirs, les jeunes gens se rendirent jusqu'à
la chambre d'Amara. Loulou n'était pas là.
- On peut aller voir Romanas, c'est un de mes amis.
- Je ne voudrais pas déranger.
- Suis-moi.
Ils s'arrêtèrent devant l'une des portes du dortoir
et Misugi frappa. Une voix les invita à entrer.
A l'intérieur, un garçon qu'Amara ne connaissait
que de vue les reçut.
- Salut. Excuse-nous de te déranger, on cherche Romanas,
avança Misugi.
- Oh, je crois qu'il est toujours en train de s'entraîner
dans les salles de magie.
- Merci, encore désolés, le salua Amara.
- Pas de problèmes, ciao.
Amara
et Misugi sortirent de la chambre et montèrent jusqu'aux
salles de magie. Dans l'une d'elle, Romanas, Loulou et d'autres
fées s'entraînaient. Ils regardèrent le couple
entrer avec le petit animal.
Un garçon s'avança et voulut caresser le chaton
endormi contre la poitrine d'Amara. Cette dernière recula
d'un pas et se mit hors de portée de ses mains.
- Doucement.
Toutes les fées avaient cessé de s'entraîner
pour observer la scène. Loulou s'approcha.
- Qu'est-ce que tu nous amènes là ?
- Je l'ai trouvé dehors, coincé dans une caisse.
Il a mal à la patte.
- Je peux regarder ?
Amara posa délicatement le chaton sur une table. Il couina,
regardant autour de lui, les yeux écarquillés.
- Il est mignon, et il a de très jolies couleurs. Regarde
le bout de ses petites pattes est rose et le reste d'un très
joli bleu, complimenta une toute petite fée aux joues rougies
par l'effort que demandait son entraînement.
- Essaye de le mettre sur le dos s'il te plait Amara, demanda
Loulou.
La jeune fille s'exécuta.
- Je crois que c'est la patte arrière gauche qui est blessée.
Loulou regarda les petites pattes du chaton, il miaula plaintivement.
- Ca n'a pas l'air cassé. Par contre... je crois que tu
peux lui dire "elle". C'est pas facile à voir
à cet âge là, mais je crois que c'est une
femelle, annonça Loulou avec un sourire.
Amara accueillit joyeusement la nouvelle.
- Tu vas la garder ? Demanda Loulou en examinant la patte blessée.
- Oui, je pense.
La jeune fée fronça les sourcils.
- Qu'est-ce que c'est ? Fit-elle en montrant une petite zone sombre
dans la fourrure du chaton.
Loulou écarta les poils bleus à cet endroit.
- On dirait un tatouage.
En effet, un minuscule soleil était tatoué au creux
de la cuisse droite du chaton.
- Comment dit-on "soleil" en ancien Amaknéen
?
- Souarelle.
- Ce sera son nom, déclara Amara avec un sourire.
Loulou murmura quelques formules de soin.
-
Les Eniripsa doivent savoir soigner par la magie, mais quelques
connaissances en médecine ne sont pas superflues. Et puis
si la médecine n'existait pas, tous les gens viendraient
se faire soigner par les Eniripsa qui seraient débordés.
Ils oublieraient la médecine classique et viendraient pour
des choses de moindre importance. Les Eniripsa referment les blessures,
réduisent les fractures, retirent la fatigue des corps...
Mais nous ne pouvons par exemple rien faire contre les maladies,
les poisons, les infections graves, expliqua Loulou à son
amie en bandant soigneusement la patte de Souarelle.
- Laisse-lui le bandage quelques jours, je pense qu'elle n'a rien
de grave. Elle ne doit plus avoir mal, mais reviens me voir si
la douleur réapparaît.
La
petite chatte était assise sur la table et regardait les
gens autour d'elle avec des yeux ronds. Amara la prit, ses deux
mains autour des flancs de l'animal.
Son pelage était bleu sur tout son corps sauf le bout de
ses quatre pattes qui étaient rose clair. Des reflets roses
parcouraient sa queue, ses yeux étaient d'un bleu profond
virant parfois sur le gris, comme il était habituel de
le voir chez les chatons. Amara la porta au niveau de son visage,
elle avait une expression intriguée. La jeune fille déposa
un baiser sur le bout de son museau puis l'allongea au creux de
son bras comme elle l'aurait fait pour un nouveau né humain.
Le chaton ferma les yeux et se mit à ronronner.
- Merci Loulou.
- Elle est mignonne, prends-en soin.
- C'est promis. Je vais aller me coucher, c'est ce que j'allais
faire avant de la trouver, je tombe de fatigue.
- Bonne nuit, et... encore félicitations pour la cérémonie
d'initiation.
- Merci, bonne nuit !
Peu
à peu, les Eniripsa reprirent l'entraînement. Misugi,
Amara et Souarelle redescendirent.
Le jeune homme raccompagna son amie à sa chambre et lui
souhaita bonne nuit avant d'aller se coucher.
La jeune Osa regarda sa nouvelle compagne qui ronronnait dans
ses bras. Elle la posa sur le lit.
- Pauvre petite, tu dois avoir faim !
Souarelle poussa un petit miaulement, comme si elle comprenait
qu'on s'adressait à elle.
- Je ne sais pas si je vais pouvoir te trouver quelque chose ce
soir, il faut que j'aille voir aux cuisines.
Un nouveau petit miaulement lui répondit.
- Tu ne bouges pas d'ici, d'accord ? Fit Amara d'un air faussement
sévère.
Le chaton fit un tour sur lui même et se recoucha sur le
lit, Amara sortit et se rendit dans les cuisines du bâtiment.
Arrivée dans la grande pièce, elle regarda autour
d'elle.
" Que peut bien manger un petit chat ? "
Elle fouilla les divers garde-manger et dénicha une bouteille
de lait frais.
" Voilà qui fera l'affaire. "
Elle prit un verre et une soucoupe sur l'une des étagères
et retourna dans sa chambre.
Souarelle
n'était plus sur le lit.
- Eh ! Où te caches-tu ?
Amara s'approcha du lit, le chaton surgit de sous la table de
chevet et vint se frotter à la cheville de sa nouvelle
maîtresse en ronronnant.
- Te voilà, tu as fini de visiter ?
Souarelle sauta et parvint à monter sur le lit en s'agrippant
à la couverture. Elle s'assit.
- Non non, on ne mange pas au lit ! Dit Amara en prenant l'animal
dans ses mains. Elle le posa sur le bureau et remplit la soucoupe
de lait. Le chaton lapa joyeusement pendant qu'Amara buvait son
verre qu'elle avait aussi rempli de lait.
Une fois ce "dîner" terminé, Amara étala
sa cape sur le bureau et le chaton s'y pelotonna.
- Voilà ton lit.
La jeune fille se déshabilla et se coucha, elle souffla
la bougie.
- Bonne nuit petit chat.
Quelques minutes plus tard, Amara sentit quelque chose lui chatouiller
la joue.
- Roooh !
Le chaton se faufila sous les couvertures. Amara le rattrapa et
le reposa par terre.
- Non non !
Un instant plus tard, même scénario.
Epuisée,
Amara finit par s'endormir malgré les assauts répétés
du chaton.
Au petit matin quand elle se réveilla, Souarelle dormait,
blottie à côté d'elle au milieu des couvertures.
Amara se tourna vers le chaton et le réveilla d'une caresse
sur le flanc, elle chuchota :
- D'accord, tu as gagné.
Souarelle s'étira et se frotta contre la jeune Osa en ronronnant.
Cette dernière bailla et jeta un coup d'oeil à l'horloge,
9h.
Loulou dormait toujours.
Elle se leva et se prépara en silence sous les yeux de
la petite chatte, puis elle sortit, laissant la porte entrouverte.
La jeune fille se rendit à la ménagerie. Elle entra,
quelques personnes s'occupaient de leurs animaux.
Un petit museau bleu se montra dans l'entrebâillement de
la porte. Amara s'agenouilla et appela Souarelle qui entra timidement.
Elle s'avança ensuite vers la zone réservée
à ses animaux.
Le Bouftou, comme à son habitude, dormait tranquillement
dans son panier. Le Tofu quant à lui n'avait pas l'air
d'être là.
A ce moment, Amara se demanda si le pouvoir d'Osa allait se manifester
avec ses animaux, elle espéra que oui. Mais elle ne savait
même pas ce que le livre voulait dire par "communiquer"
avec les animaux, elle espérait juste qu'elle ne se mettrait
pas à pousser des cris d'animaux à chaque fois qu'elle
leur "parlerait". Elle sourit en imaginant la scène.
Soudain, elle entendit du bruit derrière elle et se retourna.
Elle
dut séparer Souarelle qui crachait et faisait le gros dos,
du Tofu qui venait d'entrer, attiré par la présence
d'Amara, et qui piaillait d'un air tout aussi effrayé que
celui du chaton.
La jeune fille s'interposa.
- N'ayez pas peur, leur murmura-t-elle.
Souarelle faisait face au Tofu qui courut se réfugier derrière
les jambes d'Amara.
Elle s'agenouilla entre les deux animaux.
- Je suis désolée, mais il va falloir vous entendre
tous les deux.
La jeune chatte remise de sa peur posa ses deux pattes sur les
genoux d'Amara et essaya de regarder derrière elle d'un
air joueur. Le Tofu sautilla vers elle mais resta à bonne
distance.
La jeune fille sourit et attrapa Souarelle, elle la souleva jusqu'à
hauteur de son visage.
- On ne mange pas ses amis, hein ? Même s'ils sont jaunes
et pleins de plumes !
Le chaton se débattit et tendit les pattes vers les mèches
de cheveux qui tombaient devant le visage d'Amara.
La
jeune fille posa le chaton devant le panier du gros Bouftou. Ce
dernier, très sociable même après avoir été
réveillé par la bataille entre le chaton et le Tofu,
poussa un petit bêlement amical à l'adresse de la
boule de poils bleue qui recula prudemment. Amara la poussa en
avant.
Souarelle s'assit et lova sa queue autour de ses pattes. Le Bouftou
se posta devant elle et s'assit à son tour.
Amara entendit une voix derrière elle, elle se retourna.
- Oooh, c'est mignon, qu'est-ce qu'ils font ?
- Coucou Dain, fit Amara, reconnaissant l'alchimiste. Je pense
qu'ils font connaissance.
- Il est adorable ce chaton !
- Elle, c'est une demoiselle, rectifia Amara en regardant les
deux animaux immobiles.
Dain
était accompagné de deux chats, l'un était
noir et blanc, l'autre gris. Ils se tenaient assis près
de lui.
- Les miens sont plus âgés.
- Je l'ai trouvée hier, elle était blessée.
- Oh
la pauvre !
Le jeune homme s'agenouilla et dit quelques mots aux deux gros
chats. Après quelques frottements de tête affectueux,
ils s'éloignèrent, côte à côte.
- Ils te comprennent ?
- Je suis Osa.
- Moi aussi, mais je ne le sais que depuis hier. Je ne sais pas
si j'ai ce pouvoir.
- On ne peut pas l'apprendre. Soit tu l'as, soit tu l'as pas.
De plus, on ne peut " forcer " ce pouvoir à se
déclencher. Et on ne peut communiquer avec les animaux
que s'ils le veulent bien.
Amara
s'agenouilla à son tour et appela :
- Viens par là Souarelle.
Le chaton tourna les yeux vers elle et vint se frotter à
ses jambes.
Elle appela ensuite le gros Tofu qui la regarda de loin. Elle
tendit la main vers lui.
- Allez viens.
Il sautilla jusqu'à elle et lui mordilla gentiment le doigt.
Le Bouftou accourut aussi, curieux.
- Apparemment eux te comprennent, je ne sais pas si ton pouvoir
agit ou si c'est par habitude de vivre à tes côtés.
Les animaux sont souvent méfiants au début. Ton
pouvoir est nouveau pour eux aussi. Et puis, les animaux ne raisonnent
pas comme nous, ils seraient incapables de tenir une vraie conversation,
ils ne transmettent que des informations simples comme : "
J'ai peur ! Où es-tu ? Je suis heureux. "
etc.
Tu comprends ?
- Oui, je vois. Mais tu as l'air persuadé que mon pouvoir
fonctionne
tu crois que c'est le cas ?
- Je ne sais pas. Peut-être.
Elle
se releva et nourrit ses animaux, pensive, puis retourna à
l'endroit où Dain se trouvait. Elle s'assit sur un ballot
de paille.
- Je commence mon entraînement aujourd'hui.
- Dans une des écoles ?
- Non.
- Mais nous n'avons même pas de maître Osa
- Misugi est mon maître.
- Misugi est maître ? Fit Dain, pas certain d'avoir bien
compris.
- Depuis hier
Maître Tsongor dit qu'il doit s'occuper
seulement de mon entraînement.
- J'ai entendu parler de la prophétie sensée raconter
ton histoire. Tu y crois toi ?
- Je ne sais pas trop. Je pense qu'il y a du vrai dans la prophétie.
Peut-être pas tout, seulement certains points.
- Moui
c'est possible.
- De toute façon, j'ai envie d'apprendre à me défendre.
- Tu sais, même avec un bon entraînement tu risques
d'avoir du mal, si tu dois affronter plusieurs démons à
la fois.
- Merci de me remonter le moral, répliqua la jeune fille
d'un ton sarcastique.
- Ben, mieux vaut que tu sois prévenue, que tu n'attends
pas que les démons soient près de toi pour courir.
Je disais vraiment pas ça méchamment.
- T'inquiètes pas va. En attendant, je vais aller prendre
mon petit déjeuner.
- Ok, à la prochaine.
- Bonne journée !
Amara se dirigea vers la sortie et lança aux trois animaux
qui mangeaient :
- Ne faites pas de bêtises !