Le Totem des
4 Eléments
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CHAPITRE 1 : L’enfant trouvée
Il y a une vingtaine d’années, dans le port d’Amakna,
accosta un navire de pirates sanguinaires. Les marchands du port reconnurent le
bateau à sa voile noire.
Les pirates écumaient les mers depuis de nombreuses années, pillant les ports
et tuant les marins. Il était même raconté qu’ils possédaient les connaissances
d’autres mondes, d’îles lointaines et inconnues.
Un messager
fut envoyé au roi d’Amakna afin d’annoncer la décision des pirates de s’installer
dans un petit village du bord de mer.
Il annonça
mystérieusement que si le village n’était pas désert d’ici la fin de la soirée,
quelqu’un serait sacrifié…
Le roi, ne
comprenant pas les paroles du messager, convoqua les habitants de ce petit
village maritime, afin de discuter avec eux de la situation.
Après une
longue discussion, une décision fut prise : les marins firent leurs
bagages et allèrent s’installer dans les diverses auberges du village.
Peu après,
un homme apparut à l’entrée du village. Des
chuchotements effrayés se faisaient entendre sur son passage. En effet, on
reconnaissait les démons a la tunique noire et a la marque significative de
leur cape… Or, de grandes ailes rouges étaient brodées au dos de la cape de
l’inconnu...
Peu à peu,
les rues du village se vidèrent, les volets et les portes se refermèrent sur
les habitants effrayés.
L’homme
portait dans ses bras un étrange tas de tissus, la couleur orangée de l’étoffe
contrastait avec les vêtements sombres du démon.
Ce dernier
continua sa marche, progressant lentement dans le village. Sa démarche, à la
fois lourde et majestueuse, imposait le respect et la terreur… sentiment
étrangement mêlé d’une sorte d’admiration…
Un silence total s’était installé dans le village. Les Pious ne chantaient
plus, même le clapotis de l’eau de la fontaine semblait muet…
L’homme
avança lentement jusqu’à la fontaine. Certains affirment avoir entendu, sous la
capuche recouvrant d’ombre le visage de ce sombre personnage, une voix froide
et dénuée de sentiments qui murmurait des mots, dans une langue étrangère.
Comme une effroyable prière, ou plutôt une incantation… D’autres affirment
avoir vu une lumière rouge, symbole de la magie tirée des Portes de l’Enfer,
magie capable de faire surgir de nulle part les pires flammes de cet Enfer,
entrer dans le paquet que le démon tenait dans ses bras.
Après avoir
déposé délicatement le mystérieux objet, l’homme quitta la place, continuant à
marcher dignement, regardant droit devant lui.
De longues
minutes passèrent, le silence, épais, lourd, comme empli d’une menace, ne se
dissipait pas. Personne n’osait bouger.
Quelques
instants plus tard, des pas se firent entendre. Le claquement de sabots de bois
sur les pavés de la place se rapprochait. Puis, à la surprise des habitants,
une voix enfantine s’éleva, claire et joyeuse, raisonnant gaiement dans le
silence impénétrable du village.
Les
habitants écoutaient, retenant leur souffle. A leur plus grande surprise,
regardant entre les lames de leurs volets, ils aperçurent une fillette qui marchait, sautillant
joyeusement dans la rue, son petit panier se balançant au bout de son bras.
Elle chantait, ses cheveux volaient autour de son visage innocent, entraînés
par la bise printanière, sa robe légère tournoyant au rythme de sa joyeuse
marche.
Les
habitants la connaissaient comme étant la fille unique d’un couple vivant dans
une ferme, retirée dans la forêt, un peu à l’écart du « centre ville ». La
fillette avait six ou sept ans et venait régulièrement jouer dans le village. Elle
avait acquit le surnom d’Oeil-de-loutre après qu’un groupe de loutres sauvages
s’en soient pris à elle et l’aient blessée. L’enfant avait une discrète
cicatrice près de l’œil droit.
Elle était
aimable et polie, très bien élevée. Ceux qui la connaissaient pouvaient dire
que c’était une petite fille curieuse, résolue et têtue. Elle n’était pas
capricieuse, loin de là, mais quand elle avait une idée en tête, rien ni
personne ne pouvait plus la détourner de son but. Elle était très intelligente
et son esprit était vif pour son âge. Tous ces détails faisaient d’elle une
enfant adorable, aimée de tous.
La fillette
s’installa près de la fontaine, à genoux par terre et sortit ses jouets :
une poupée et de minuscules récipients en porcelaine. Alors qu’elle se levait
pour remplir une petite tasse avec l’eau de la fontaine, son attention fut
attirée par le long paquet d’étoffe orangée.
Dans les maisons, les habitants retenaient leur respiration, ils étaient
plongés dans une sorte d’excitation euphorique. Admirant l’insouciance
d’Œil-de-loutre, ils étaient comme envoûtés par la scène qui se déroulait sous
leurs yeux.
Elle
s’approcha lentement et s’agenouilla près du paquet. Celui-ci, sur toute
sa longueur, mesurait un peu plus d’un mètre, ce que l’on avait du mal à
distinguer dans les bras de l’homme Sombre. La fillette défit avec soin le
paquet, déroulant soigneusement le morceau de tissus.
Ce que l’on
découvrit produisit un tel effet de surprise que l’on accouru de toute part,
déverrouillant les portes et les volets.
Bientôt une
masse compacte de curieux s’était assemblée autour de la fontaine. On poussait
des soupirs de soulagement et d’émerveillement.
En effet,
enroulée dans la grande cape orangée, une petite fille était allongée. Toute
mince, elle était vêtue d’un simple pagne fait d’une fourrure de couleur blond
clair. Sa peau était claire et ses cheveux blancs brillaient d’un éclat
argenté. Un minuscule Tofu dormait, blotti contre son cou. L’oiseau et l’enfant
dormaient tous les deux d’un sommeil profond et paisible. Le soleil éclairait
la scène, lui donnant un aspect presque magique, merveilleux.
L’enfant pouvait
avoir deux ou trois ans.
Les parents
d’Œil-de-loutre, voyant que cette dernière ne rentrait pas, se rendirent au
village… Une fois sur la place, ils se faufilèrent dans la foule et poussèrent
un petit cri de surprise en découvrant la scène. Leur petite fille allongée sur
la cape, près de « l’enfant trouvée ».
Dispersant
l’attroupement de badauds, le couple se pencha sur l’enfant. Quelque chose
était accroché autour de son cou ; en s’approchant, on distinguait trois
petites clés de formes bizarres. Sur chacune des trois clés, la même
inscription revenait : Amara.
La femme,
en saisissant les petites clés, réveilla le Tofu endormi. Celui-ci, en
piaillant avec entrain, mordilla légèrement l’oreille de la petite fille. Elle
se réveilla. Elle s’assit sur la cape et prit l’oisillon dans ses mains. Elle regarda les gens penchés
au dessus d’elle avec des yeux ronds. Elle se frotta les yeux et posa le Tofu à
coté d’elle. Lorsqu’on lui demanda si Amara était son prénom, la fillette hocha
la tête affirmativement.
Une femme
voulut s’approcher d’Amara mais celle-ci s’accrocha au cou de la fillette qui
était assise à côté d’elle. Une personne demanda qui allait s’occuper de
l’enfant trouvée. Le couple déclara qu’ils allaient l’habiller et lui donner à
manger, ils la conduiraient ensuite au roi.
C’est ainsi
que la petite Amara rejoignit la ferme.
Alors
qu’ils se rendaient au château afin de présenter Amara au roi, la famille
rencontra une femme. Vêtue d’une longue cape bleue, elle paraissait avoir une
soixantaine d’années. La femme s’approcha d’Amara et la dévisagea. Elle regarda
tour à tour Amara et sa famille adoptive. Puis tout en regardant les parents,
elle posa la main sur la tête d’Amara et leur annonça : « L’enfant
aura un grand avenir… » Puis elle se retourna et partit en marmonnant des
paroles incompréhensibles.
L’entrevue
avec le roi fut brève, ayant d’autres soucis en tête il leur conseilla
l’orphelinat du village dans le cas où ils ne voudraient pas garder la
fillette.
Amara entra
donc dans la ferme en tant que membre de la famille.
Le lien qui
s’était créé entre les deux fillettes à leur rencontre se renforça, elles
s’aimaient comme deux sœurs et ne se quittaient plus. Amara et Œil-de-loutre
grandirent, heureuses.
La famille
n’était pas très riche mais vivait avec une immense joie de vivre. La ferme
résonnait de rires et de bonheur. Les deux fillettes jouaient, aidaient parfois
leur père dans les champs ou leur mère dans la cuisine, à faire des gâteaux, ou
du pain.
•
CHAPITRE 2 : Les Chasseurs-Pèlerins
Mais Œil-de-loutre grandissait, elle avait cinq ans de plus
qu’Amara. Sa grande curiosité la poussait toujours plus loin dans sa découverte
du monde qui l’entourait. Elle restait de moins en moins à la maison, passant
ses journées dehors, en forêt ou au village à discuter avec les artisans.
Elle rentrait, le soir, et ramenait un peu d’argent à la maison, gagné en
effectuant quelques travaux que lui confiaient les villageois. Les soirs, assis
dans le salon, la famille écoutait les récits que racontait la jeune fille.
Parfois elle racontait ce qu’elle avait fait ou ce qu’elle avait
vu, d’autres fois elle se lançait dans l’explication des métiers auxquels
elle s’intéressait. Le reste du temps, elle racontait les légendes et les
vieilles histoires d’Amakna. Œil-de-loutre, le soir, chantait des chansons à sa
jeune sœur qui les apprenait par cœur. Et pendant les longues soirées d’hiver,
elles chantaient en chœur après le dîner, devant la cheminée.
Une belle
matinée de printemps, alors qu’Œil-de-loutre allait vers ses treize ans, une
rumeur circulait dans le village : les Chasseurs-Pèlerins allaient revenir
dans les contrées. Des fêtes prestigieuses avaient été données, onze ans
auparavant, quand les pèlerins avaient planté leur campement près du village.
Les hommes avaient aperçu l’un des chasseurs entrer dans le château du roi.
Les
Chasseurs-Pèlerins voyageaient à travers le monde entier, ils pratiquaient avec
ferveur l’art de la chasse et étaient pourtant si proches de la nature qu’ils
ne tuaient jamais les animaux capturés. Ils chassaient à l’arc, mais leurs
flèches faites d’un bois fin et léger, étaient prolongées par de fines
aiguilles qui ne pénétraient que légèrement sous la peau des animaux. Ces
aiguilles étaient enduites d’une mixture que seuls les pèlerins connaissaient.
Le produit endormait les animaux. Les chasseurs capturaient les animaux
endormis.
Le trophée
qu’ils ramenaient de leurs chasses était des dessins. En effet, chaque fois
qu’un chasseur capturait un animal, il en faisait un dessin avant de le
relâcher. Aucun des dessins n’était identique. Il fallait dessiner l’animal
endormi dans son environnement, choisir avec soin les couleurs. Lorsque c’était
possible, les chasseurs joignaient quelque chose à leur dessins, par
exemple : quelques poils, un morceau de laine, une écaille, une plume.
Hormis la
majorité de chasseurs, on trouvait aussi, dans la troupe des
Chasseurs-Pèlerins, quelques artisans, tailleurs, cordonniers… Les plus beaux
des dessins étaient reproduits sur une partie de leur production, tels que des
vêtements, capes, chapeaux, chaussures et bandeaux, du linge de maison,
rideaux, draps, nappes et tapis. Il y avait aussi de petites statuettes, des
flûtes et d’autres instruments de musique. Ces produits étaient destinés à être
vendus dans les villes et villages où les pèlerins s’arrêtaient. C’étaient des
produits rares et chers, ils étaient longs et difficiles à réaliser. L’argent
de la vente permettait aux Chasseurs-Pèlerins de continuer à voyager dans de
bonnes conditions et de continuer à exercer leur passion. Les pèlerins
organisaient, pendant deux semaines, une grande foire où ils vendaient leurs
marchandises. Ils restaient environ pendant deux mois au même endroit, chassant
dans les environs, selon la période de l’année.
Œil-de-loutre
apprit la nouvelle et partit au village pour se renseigner. A la bibliothèque,
elle lut tout ce qui parlait des chasseurs. Puis ils arrivèrent au village. Les
grands archers étaient un peu impressionnants, ils portaient des combinaisons
souples aux couleurs parfois sombres, parfois plus claires, se mariant
parfaitement avec la nature qui les entouraient. Leurs arcs peints et sculptés
étaient tous plus magnifiques les uns que les autres. Les archers portaient à
la taille une grande sacoche destinée à abriter leurs dessins, leurs biens les
plus précieux mis à part leur arc.
La jeune
fille, fascinée par ces hommes, les observa. D’abord de loin. Puis elle
s’approcha un peu plus. Chaque jour elle rentrait chez elle avec de nouvelles
choses à raconter, ce qu’elle faisait avec entrain et excitation.
Les
chasseurs s’installèrent dans une clairière, non loin du village. L’enfant se
réjouit de les savoir si proches de chez elle.
Leur
campement était fait seulement de toiles de tente tirées par des piquets de
bois. Un peu en retrait, on trouvait le bâtiment principal de la troupe :
une grande roulotte de bois qui contenait les objets destinés à être vendus, la
nourriture et le matériel utilisé pour le campement, toiles de tentes,
couvertures, ustensiles de cuisine…etc.
Celui qui
semblait être le chef des chasseurs était un grand homme d’une quarantaine
d’années, ses vêtements de couleur vert pâle reflétaient la couleur de ses
yeux, verts et pleins de sagesse. Ses cheveux, longs, blanc argenté comme ceux
d’Amara, étaient attachés et lui arrivaient un peu en dessous de la nuque. Ses
bottes de cuir rouge ne faisaient aucun bruit quand il marchait. Le chef avait
dressé sa tente au centre du campement. Les autres, par habitude, avaient
planté la leur en cercle autour de celle-ci.
La troupe
comportait une centaine de personnes, essentiellement des hommes, mais
Œil-de-loutre ne pouvait s’empêcher d’admirer les grandes chasseuses. Habillées
comme le reste de la troupe, leurs vêtements serrés mettaient en avant leur
corps, parfaitement entretenu par un entraînement physique quotidien. Les
chasseuses laissaient leurs longs cheveux tomber sur leurs épaules.
Trois jours
plus tard, une grande agitation régnait dans le village, on installait des
tables le long des rues, on installa quelques banderoles aux murs des maisons.
La grande foire était sur le point de commencer. Les pèlerins vinrent installer
leurs marchandises. Vers midi, la foire fut déclarée officiellement ouverte.
Les festivités commencèrent.
Œil-de-loutre
et sa famille se rendirent au village, parcourant les allées de la foire. La
jeune fille dévorait tout des yeux. Curieusement, on n’entendait pas de grands
cris des marchands et acheteurs, on admirait les produits exposés sur les
tables. Certains chasseurs avaient sortis leurs instruments de musique. Ils
jouaient tous le même air, on entendait seulement le changement de l’instrument
d’un étalage à l’autre. Ils jouaient en même temps avec un parfait accord.
D’autres artisans peignaient ou sculptaient.
Œil-de-loutre s’arrêta devant un des étalages et effleura les petites
statuettes du bout des doigts. Les petits animaux étaient sculptés dans un bois
sombre, presque rouges. Elles étaient polies et vernies avec soin, tous les
détails apparaissaient. Certaines même étaient peintes, avec des couleurs vives
et réalistes.
La jeune
fille s’agenouilla devant l’étalage afin d’être à la hauteur des objet. Elle
n’osait les toucher, de peur d’abîmer de si jolies choses. Un long moment plus
tard, l’homme qui était assis de l’autre côté de la table
parla : « Eh bien mademoiselle ? »
Œil-de-loutre
sursauta. Elle se releva et s’excusa. L’homme, le visage joyeux, la regarda. Il
lui dit d’approcher. La jeune fille, de nature réservée et prudente, hésita un
moment. Puis la curiosité l’emporta. Elle contourna la table et s’approcha de
lui. Il la dévisagea et lui dit : « Je t’ai aperçue plusieurs fois
cette semaine, autour du campement. » L’enfant s’excusa encore, assurant
qu’elle ne voulait pas espionner. Mais le sculpteur ne semblait pas offensé. Il
lui demanda ce qu’elle pensait des petites statues, elle répondit que c’étaient
de véritables œuvres d’art, qu’elles étaient magnifiques. Pendant qu’ils discutaient,
Œil-de-loutre s’était assise sur une marche, à quelques mètres de l’homme,
distance qu’elle jugeait raisonnable, on n’est jamais trop prudent, comme lui
disaient sans cesse ses parents. Il lui posa quelques questions sur elle-même
auxquelles elle répondit sincèrement mais sans trop donner de détails. Elle lui
parla de sa jeune sœur, racontant leur rencontre. Elle raconta aussi l’attaque
des loutres telle que lui avait raconté sa mère. L’homme semblait réfléchir. Il
lui dit de partir et lui donna rendez-vous le lendemain, au même endroit.
Elle prit
congé et le remercia vivement.
Elle
continua à flâner longuement le long des allées, écoutant la douce musique
qu’ils jouaient, elle état si belle, si calme. Elle lui faisait penser à la
fois à l’eau d’un ruisseau qui coulait dans une forêt endormie, et à la beauté
des fleurs dévoilant leurs pétales au printemps. La musique était lente et
joyeuse.
Œil-de-loutre
leva la tête et aperçut Amara et ses parents, ils l’appelèrent. Une odeur
sucrée parvint aux narines de la jeune fille : sur la place, les boulangers du
village avaient étalé un large choix de pains, gâteaux et viennoiseries. Amara,
qui était barbouillée de chocolat, finissait une gaufre.
Sa grande
sœur rit en la voyant comme ça, sortit un mouchoir de sa poche et frotta le
menton de la fillette. Puis elle s'acheta elle aussi une gaufre au chocolat
qu'elle dégusta assis sur le rebord de la fontaine.
Le Tofu
d'Amara, qui avait grandi, était maintenant gros comme le point d'Œil-de-loutre
; il se tenait sur son épaule. Alors qu'elle portait la gaufre à sa bouche,
l'oiseau sautilla le long de son bras et se mit à picorer le chocolat. Toute la
famille rit de bon coeur devant le spectacle.
Puis la
nuit tomba et ils rentrèrent à la ferme.
Ce soir-là,
Œil-de-loutre rêva de voyages, de chasse et de statuettes de bois.
Le
lendemain matin, elle se leva tôt, excitée par les évènements.
Ne sachant
pas quoi faire, elle sortit sans bruit et alla se promener en forêt. Elle
cueillit un gros bouquet de fleur pour sa maman puis rentra, ouvrit les volets
de la cuisine et se lança dans la préparation d’une tarte aux myrtilles. Amara
et ses parents furent tirés du lit par la bonne odeur de la tarte qui cuisait
dans le four.
Ils prirent
ensemble un gros petit déjeuner puis Œil-de-loutre et Amara embrassèrent leurs
parents et sortirent.
Les deux
jeunes filles marchaient joyeusement, se tenant par la main. En chemin,
Œil-de-loutre raconta sa rencontre avec me sculpteur. Amara écouta
attentivement.
Quand elles arrivèrent devant l’étalage, le sculpteur était déjà là. Il
sculptait une statue plus grande que les autres, elle lui arrivait aux genoux,
on n’en distinguait que la tête qui faisait penser à un dragon. L’homme les
salua, Œil-de-loutre reprit sa place sur la marche de pierre et Amara s’assit à
côté d’elle. Tout aussi réservée que sa sœur, elle ne dit rien, se contentant
d’écouter. Il leur proposa de leur raconter la légende qui était à l’origine
des statuettes ; les filles approuvèrent d’un vif signe de tête. Il raconta
que, intérieurement, chaque personne était habitée par l’âme d’un grand animal,
que l’animal donnait le caractère de la personne, ses goûts, ses choix et ses
émotions, c’était en quelque sorte, un totem personnel, lié à chaque personne.
Œil-de-loutre
ne put s’empêcher de penser aux livres qu’elle avait lus a la bibliothèque,
ceux qui parlaient d’indiens et de leurs totems.
Le
sculpteur poursuivit, son symbole à lui était le crabe. Leur chef, lui, portait
le totem du Dragœuf éveillé… qui symbolisait la puissance, la sagesse,
l’agilité mais aussi un esprit jeune et enfantin, curieux et peu prudent.
Le chef,
par son autorité et la puissance qu’il inspirait, pouvait défendre à lui seul
le campement. Les chasseurs, bien que pacifiques, savaient se défendre en cas
de danger. Ils se servaient de leurs
arcs qui avaient autant d’effet sur de gros animaux que sur des humains, plus
le nombre de flèches envoyées est élevé, plus le somnifère est puissant et
durera longtemps, laissant a la troupe le temps de partir avant de subir une
nouvelle attaque.
Midi sonna
au clocher du village. Le sculpteur finit de parler et demanda aux deux sœurs
de tendre la main. Elles s’exécutèrent et il déposa un petit paquet sorti de sa
grande sacoche dans la main de chacune des deux jeunes filles.
Elles
regardèrent les cadeaux, étonnés puis les ouvrirent. Œil-de-loutre, en voyant
l’objet remercia le sculpteur en rougissant. Elle caressa la statuette de bois.
C’était un petit animal, une loutre… l’animal de la statuette dormait
paisiblement sur un rocher. La jeune fille fut interrompue dans sa
contemplation par l’exclamation d’Amara. Sa statuette était faite d’un bois
plus clair, ce qui lui permettait d’être peinte. Elle représentait un oiseau
aux ailes de flammes, il était représenté sur une branche, les ailes le long du
corps, les yeux fermés. De jolies couleurs rouge-orangé coloraient l’oiseau, la
branche était brun sombre avec de grandes feuilles vertes. L’homme leur
expliqua que le kwak était le symbole de la magie des quatre éléments. Amara,
qui ne croyait pas à la magie, quelle qu’elle soit, se mit à rire. Elle
s’approcha du sculpteur et lui colla un gros bisou sur la joue pour le
remercier.
Le
sculpteur se remit à travailler en sifflotant, les jeunes filles regardaient le
dragonnet prendre forme dans le gros bloc de bois. Un peu plus tard, les deux
sœurs se retirèrent, remerciant encore le sculpteur.
La journée était chaude, elles s’arrêtèrent devant une petite fontaine et
jouèrent, s’arrosant et riant.
Amara
rentra pour se sécher tandis qu’Œil-de-loutre continuait à observer ces
étranges personnages. La jeune fille alla s’asseoir sous un arbre, sur la place
et sortit un livre de sa sacoche. Elle se mit à lire, séchant au soleil,
écoutant le bruit de l’eau à la fontaine, celui des instruments qui jouaient.
Vers 13h ce
jour là, Œil-de-loutre se dirigea vers l’étalage de la boulangerie et s’acheta
de quoi manger. Elle retourna sur la place et vit qu’une nouvelle table avait
été installée. On pouvait lire sur la banderole : « Chaque année, des
chasseurs nous quittent. Si nous ne les remplaçons pas, la troupe des
Chasseurs-Pèlerins pourrait cesser d’exister… Venez assister aujourd’hui à la
confection d’un nouvel arc. Nous chasserons toute cette saison sur les terres
d’Amakna. Chaque personne est libre de venir nous trouver afin d’apprendre
l’art de la chasse et, qui sait, la vie de pèlerin. »
Œil-de-loutre,
le cœur battant, observa longuement la banderole, la relut plusieurs fois et se
mit à rêver.
Elle
s’imaginait en train de courir dans la forêt, son arc sur l’épaule, sa sacoche
autour de la taille. Ses yeux brillaient, elle se mit à rire légèrement, un
désir puissant la submergea lorsqu’elle effleura du doigt la statuette, dans sa
poche : elle voulait vivre cette vie, chasser et voyager, découvrir le
monde.
La foule se
massait autour de l’étalage et Œil-de-loutre dût se rapprocher pour regarder à
son aise.
Le chef des
chasseurs arriva. L’enfant, impressionnée, pensa qu’il était grand et
majestueux, sa ceinture de cuir rouge serrait sa taille, des muscles délicats
saillaient sous ses vêtements.
Il se
présenta et sortit son matériel : un long bâton de bois souple, légèrement
recourbé ; une ficelle de lin, fine, résistant et un peu élastique ;
de nombreux couteaux, pour sculpter le bois ; et de la peinture.
Œil-de-loutre admira l’archer qui travaillait le bois, elle se concentrait,
observant chaque geste qu’il effectuait. Quand l’arc fut fini, plus de deux
heures plus tard, Elle resta là, regardant pensivement l’objet qui était né des
mains du chasseur. Puis elle rentra chez elle. Ce soir-là, elle ne raconta pas
sa journée, son rêve de devenir chasseuse était trop récent, trop incertain
pour être mis à nu devant d’autres personnes. Œil-de-loutre voulait le garder
pour elle jusqu’à ce qu’elle soit sûre de sa décision et surtout, sûre d’être
admise parmi les chasseurs…
Le reste de
la semaine, la jeune fille ne se montra guère au village, elle restait avec sa
famille ou dans la forêt, à observer les animaux, les plantes. Le soir, elle se
rendait à proximité du campement et se postait sur une branche basse, cachée
par les feuillages. Elle observait les pèlerins quand ils rentraient de la
foire. Certains rangeaient pendant que d’autres allumaient un grand feu au
centre du camp. Puis ils s’installaient autour du feu et mangeaient. Toujours
calmes, ils parlaient doucement.
A la fin du
repas, ils chantaient, comme un rituel, une prière quotidienne.
La première
fois qu’elle les entendit Œil-de-loutre fut impressionnée par leur timbre de
voix, ils chantaient avec un parfait accord, on aurait pu dire que leur voit
montait directement du feu de camp, au centre du cercle.
Puis, au
fur et à mesure, l’enfant s’intéressa aux paroles du chant. C’était le même air
que les pèlerins jouaient sur leurs instruments mais ils ne l’avaient jamais
chanté à la foire. La chanson était longue. La jeune fille entendit 6 couplets
différents, chaque soir, la troupe chantait trois couplets et trois fois le
refrain. Œil-de-loutre, à force de l’entendre, retint la chanson, les
paroles s’inscrivirent dans son esprit et ne la quittèrent plus. Elle
fredonnait la chanson régulièrement.
Quand elle
retourna à la foire, celle-ci était presque finie. Il restait trois jours, et
les produits se faisaient plus rares. Les chasseurs, comme à leur habitude,
jouaient leur chanson. Quand ils entamèrent le refrain, Œil-de-loutre se lança
et se mit à chanter… sa voix était claire et juste. Tous les regards se
tournèrent vers elle. Le refrain terminé, elle se tut. Une sorte de
pressentiment l’empêchait de continuer. Le chef des chasseurs la regarda
longuement puis il partit. Œil-de-loutre regarda autour d’elle et rougit
légèrement en voyant que tout le monde la regardait. Elle leur sourit calmement
et continua à parcourir la rue ; elle alla s’asseoir près de la fontaine
et reprit son livre. La jeune fille lut une grande partie de l’après-midi et
rentra dans la soirée. Elle ne sortit pas et chanta la chanson à sa famille,
sans leur dire pour autant d’où elle provenait.
Quelques
jours passèrent, la foire se termina sur l’ouverture de la saison de chasse. Le
soir, comme à leur habitude, les chasseurs s’installèrent près du feu.
Œil-de-loutre, heureuse, ne put s’empêcher de fredonner la chanson en même
temps qu’eux. Comme hypnotisée par le chant, elle s’approcha lentement. Le
sculpteur l’aperçut et l’appela. La jeune fille prit peur et ne bougea pas. Il
l’appela encore. Œil-de-loutre songea a s’enfuir mais une fois de plus la
curiosité l’emporta. Elle s’avança lentement vers le groupe. De près, elle vit
qu’une bonne partie des chasseurs et chasseuses était très jeune.
Impressionnée, elle ne parla pas. Le sculpteur s’écarta et la pria de
s’asseoir. Œil-de-loutre, toute timide, s’exécuta. Elle chercha des yeux le
chef et l’aperçut, de l’autre côté du feu, elle croisa son regard qui
l’observait. A côté de lui, un jeune garçon. Il semblait avoir une dizaine
d’années, et était le portrait exact du chef des chasseurs. Ce devait être son
fils. Malgré son jeune âge, il arborait un air sérieux et concentré. Ses
traits, fins et bien dessinés, ne laissaient paraître aucune émotion.
Les
chasseurs se remirent à chanter, les arbres encerclant la clairière faisaient
légèrement résonner les voix, donnant plus de force au chœur. Au bout de
quelques phrases, Œil-de-loutre prit un peu d’assurance et mêla sa voix à
celles des chasseurs. La chanson résonnait dans sa tête alors qu’elle chantait.
Ils chantèrent la chanson en entier, la jeune fille ne se trompa pas une seule
fois. Une fois la chanson finie, le chef se leva et contourna le feu, il lui
fit signe d’approcher. Celle-ci s’avança et leva les yeux vers cet homme qui
l’impressionnait. Le grand chasseur lui sourit et lui demanda pourquoi elle
s’intéressait tant à eux ; Œil-de-loutre lui répondit maladroitement, elle
lui dit qu’après avoir lu tout ce qui se disait sur eux et après les avoir
observés, elle les admirait. Elle aimait l’art, chanter, dessiner, peindre…, et
les animaux, les voyages…
Le chef
prit la parole :
« Je
t’ai vue lire et relire la banderole… ça te plairait de participer à cette
saison de chasse, n’est-ce pas ? Il faudra t’entraîner beaucoup, ce n’est
pas facile. Tu pourras rentrer chez toi chaque soir, tu décideras à la fin de
la saison si tu désires rester avec tes parents ou venir avec nous. Je te
préviens, la vie sur la route n’est pas toujours facile. » Œil-de-loutre
resta un moment silencieuse. Elle dit avec hésitations qu’en effet ça lui
plairait beaucoup mais qu’il fallait qu’elle en parle avec ses parents. Le chef
lui demanda de revenir le lendemain dans la soirée, les chasseurs allaient
passer l’après-midi à déterminer le terrain de chasse et le type d’animaux du
coin.
La
jeune fille le remercia respectueusement et rentra chez elle. Quand elle
arriva, Amara était déjà couchée.
Ses parents s’inquiétaient de l’heure tardive à laquelle leur fille rentrait.
Œil-de-loutre leur raconta tout, du début, quand les chasseurs étaient arrivés,
jusqu’à la fin, cette soirée si particulière. Elle dit qu’elle avait vraiment
envie de vivre cette aventure. Ses parents, comprenant qu’elle considérait ça
comme l’occasion pour sa vie de changer, lui accordèrent de la laisser partir
si elle le désirait. Elle avait encore deux mois pour y réfléchir, mais ils
savaient tous les trois qu’Œil-de-loutre avait pris sa décision, elle partirait.
Quand
elle alla se coucher, tard dans la nuit, Amara dormait dans son lit.
Œil-de-loutre se glissa sous les couvertures tout contre sa petite sœur et la
prit dans ses bras. Amara gémit dans son sommeil et se blottit contre la
poitrine de sa sœur. Elles se réveillèrent ainsi enlacées, le lendemain matin.
Œil-de-loutre raconta toute l’histoire des Chasseurs-Pèlerins à Amara et la
serra fort contre son cœur en lui annonçant qu’elle allait partir. Amara fondit
en larme et serra encore plus fort sa grande sœur, tout en sanglotant… elle se
calma peu à peu et se rendormit sans rien dire… Il était encore tôt,
Œil-de-loutre se rendormit à son tour, le cœur gros.
Le
soir, après le dîner, Œil-de-loutre sortit et se rendit au campement. En la
voyant arriver, le chef se leva et l’invita à les rejoindre. Elle lui dit que
ses parents étaient d’accord et qu’elle passerait la saison de chasse avec eux
s’ils le voulaient toujours. Les chasseurs applaudirent poliment puis firent le
silence. Le chef se présenta et invita la jeune fille à faire de même. Ensuite,
chacun des chasseurs et des artisans se présentèrent brièvement.
Le
chef lui demanda ce qu’elle savait faire et ce qu’elle aimerait apprendre. Il
lui expliqua que tous étaient à la fois chasseur et artisan.
Œil-de-loutre,
mis à part la chasse, voulait apprendre à sculpter le bois, afin de se
confectionner un arc et un instrument de musique. Elle savait peindre et
dessiner, jouer de la flûte.
L’entraînement
dura trois semaines durant lesquelles elle apprit les bases de ce qu’elle
devait savoir. Le chef fut son « instructeur » ainsi qu’à trois
hommes du village.
Elle
commença par apprendre les bases de la chasse, elle se perfectionnerait avec le
temps et beaucoup de pratique. Elle commençait à sculpter avec plus de précision
de jolis motifs sur des planches en bois. Elle apprit que pendant les saisons
de chasse, la chasse s’effectuait le matin, l’artisanat l’après-midi. Elle se
perfectionnait avec le maître sculpteur qui lui enseignait patiemment son art.
Elle devait acquérir une parfaite connaissance de chaque bois, de chaque outil,
de chaque couleur. L’après-midi, Œil-de-loutre s’entraînait pendant plusieurs
heures sur des cibles mouvantes, immobiles, agressives, calmes…etc. puis elle
s’appliquait à reproduire un dessin qu’on lui montrait avant de confectionner
son propre dessin à partir d’animaux empaillés. La jeune fille maîtrisait
aussi bien l’arc que le crayon et le
pinceau. Elle était habile et visait juste. Elle ne ratait que rarement la
cible qu’elle visait. Les travaux dans les champs avaient musclé ses bras,
aussi arrivait-elle parfaitement à manier le grand arc qui lui avait été donné.
Œil-de-loutre, étant plus jeune, lisait beaucoup et s’amusait parfois à copier
les illustrations des livres, s’habituant ainsi au dessin, elle prenait
beaucoup de plaisir à dessiner minutieusement chaque détail des animaux qu’on
lui proposait.
Le
soir la jeune fille racontait avec entrain ce qu’elle faisait de ses journées.
Amara devenait plus triste au fur et à mesure que le temps passait…
Au
bout des trois semaines d’entraînement, Œil-de-loutre commença à partir à la
chasse. Elle captura et dessina plusieurs petits animaux qu’elle relâcha
ensuite toujours avec douceur, Bouftons, Larves, Araknes et Tofus… Chaque
animal était différent et elle dessinait différemment chacun d’eux, dans un
autre lieu, une autre position. Elle commença aussi la confection d’un arc de
bois taillé et sculpté. Elle y travaillait soigneusement, avançant millimètre
par millimètre choisissant avec soin chaque motif qu’elle reproduisait à la
lettre. Elle confectionna ensuite deux simples flûtes en bois, identiques,
qu’elle peignit d’un bleu égalant la couleur du ciel, la couleur préférée
d’Amara…
Puis
vint le jour du départ… Œil-de-loutre passa le week-end chez elle avec sa
famille. Elle offrit la deuxième flûte à sa jeune soeur, lui disant de penser
fort à elle quand elle en jouerait, elle lui apprit ensuite la chanson des
chasseurs. Puis elle partit, s’efforçant de ne pas se retourner, malgré les
larmes de la fillette.
Amara
pleura beaucoup le départ de l’être qui était pour elle le plus cher au
monde : sa grande sœur qui occupait toute la place dans son cœur.
Œil-de-loutre, bien qu’étant heureuse d’enfin pouvoir vivre son rêve, était triste et culpabilisait un peu d’avoir abandonné sa famille et sa toute jeune sœur. Elle écrivit souvent chez elle, de longues lettres, envoyant sa nouvelle adresse à chaque fois qu’elle s’arrêtait pour une saison de chasse. Elle détaillait ses activités, ses progrès, et demandait des nouvelles de sa famille et du village.
•
CHAPITRE 3 : Une étrange découverte
Six ans passèrent. Amara, qui resta
beaucoup plus longtemps à la ferme que sa grande sœur, grandissait. Elle avait
alors quatorze ans et devenait une très jolie jeune fille. Elle aidait beaucoup
aux champs et, afin de gagner un peu d’argent, se fit embaucher comme apprentie
boulangère au village. Au cours de ces six dernières années, Amara avait acquis
une parfaite connaissance des champs, de chaque graine, de chaque épi, de
chaque sorte de farine. Elle fauchait les épis avec une grande dextérité et
travaillait rapidement, sans trop se fatiguer. Il en fut de même à la
boulangerie. Amara acquit son diplôme de boulangère, connaissait par cœur
chaque recette, chaque ingrédient, chaque pain et pâtisserie.
Amara, lors
d’une visite en forêt, trouva un jeune Bouftou, qui paraissait seul et
abandonné. Elle le recueillit et « l’éleva » auprès de son Tofu,
compagnon de toujours. L’animal, très jeune, aimait s’amuser ; il faisait rire
Amara en se roulant par terre ou en mangeant des fleurs, à même la tige.
La
jeune fille aimait les animaux et la nature.
C’est
au cours de l’année où Amara allait avoir quinze ans que sa vie changea.
Alors
qu’elle se promenait dans la forêt, pendant une belle soirée de printemps,
Amara fit une étrange et dangereuse rencontre. Elle fut attaquée par une chose
maléfique… Elle n’en crut pas ses yeux, jusqu’alors, elle avait cru que les
Abraknydes n’existaient que dans les contes pour enfants… L’arbre était méchant
et puissant, Amara n’arrivait pas à fuir, elle n’avait aucun moyen de se
défendre…
Son
bouftou, la voyant en danger, se jeta courageusement sur l’Abraknyde. Il fut
blessé et jeté à terre. Amara avait peur, elle ne savait pas quoi faire pour
échapper au monstre. Celui-ci s’approchait du bouftou blessé… Soudain,
l’adolescente sentit une douce chaleur envahir son corps, elle sentait une
énergie puissante qui brûlait en elle.
Elle
jeta un regard sur le monstre ; l’Abraknyde poussa un cri de douleur, les
fines branches qui le recouvraient fumaient et se consumaient, il se retourna
et partit en « courant » à toute vitesse.
Amara
ressentait un sentiment étrange, comme du plaisir mêlé à la peur qu’elle venait
de ressentir. Les émotions la submergèrent et elle se mit à pleurer. Elle
s’approcha du bouftou et s’agenouilla à côté de lui. Le bouftou lui lécha
affectueusement le visage, il était très faible mais ne semblait pas grièvement
blessé, elle caressa sa douce laine et… elle en était sûre, l’animal lui souriait.
Amara
ne croyait pas à la magie, pourtant l’évènement l’intriguait et lui faisait un
peu peur. Elle se rappela ce que lui avaient raconté ses parents à propos du
jour où elle avait été découverte, devant la fontaine… Elle redemanda à ses
parents de lui expliquer encore une fois comment cela c’était passé. Elle leur
raconta l’aventure de l’Abraknyde et leur demanda si ça pouvait être lié à la
lumière rouge que les habitants avaient vue lorsque le démon l’avait déposée
près de la fontaine… Ses parents n’avaient pas la réponse à cette question.
Comme toujours lors qu’elle ne comprenait pas quelque chose, Amara se rendit à
la bibliothèque et lut de nombreux ouvrages qui parlaient de la magie, légendes
et histoires vraies. Elle tomba par hasard sur un petit livret recouvert de
cuir noir. Sur la couverture on pouvait lire : « Le Dragon des
Flammes ».
La jeune paysanne ouvrit le livre, sur la première double page, un grand Dragon
aux couleurs du feu ouvrait ses ailes, sous lesquelles on distinguait de petits
œufs rouges et noirs. Amara tourna la page, à gauche une illustration
représentait un étrange bâtiment. Un signe était gravé au sol et deux statues
représentaient des Dragonnets étaient positionnées de part et d’autre de
l’entrée. Amara avait déjà vu l’endroit non loin du village. Sur la page de
droite, un long paragraphe présentait l’Ordre du Dragon des Flammes. Les propos
tenus étaient étranges, les « membres » étaient adorateurs de la
nature et des animaux, ils maîtrisaient tous la magie du feu qui, disaient-ils,
permettait de faire beaucoup plus de choses que de brûler un simple petit tas
de bois.
Amara,
surprise mais néanmoins excitée par cette étrange découverte, emprunta le livre
et l’emmena chez elle. Amara réfléchit beaucoup. Elle ressorti la statuette de
Kwak qu’elle gardait précieusement, toujours dans son sac à dos. Le sculpteur
lui avait dit que l’animal était le symbole de la magie des quatre éléments...
Amara en repensant au sculpteur se mit à penser à Œil-de-loutre. Elle ressortit
sa jolie flûte bleue et se mit à en jouer.
Après
mure réflexion, la jeune fille se décida à se rendre à l’étrange bâtiment. Elle
prévint ses parents et partit pour la journée. Amara, contrairement à
Œil-de-loutre, était très réservée et discrète, elle ne racontait pas tout ce
qu’elle faisait, elle était très autonome et indépendante. Elle prenait ses
décisions sans demander l’avis à qui que ce soit, elle n’aimait pas dévoiler
ses projets. Elle partit donc, seule.
Quand
elle arriva devant le grand bâtiment de pierre, elle fut impressionnée par les
imposantes statues qui encadraient la porte. Un escalier descendait sous terre,
comme une grotte. La jeune fille s’approcha, hésitante. Devant l’escalier, elle
appela, seul l’écho de sa voix lui revint. Amara pensa à rebrousser chemin,
mais l’étrange bâtisse l’attirait. Plus elle s’en approchait, plus elle se
sentait bien. Elle sentit le feu se réveiller en elle, comme le jour de sa
rencontre avec l’Abraknyde, il se répandait dans tout son corps, faisant battre
son cœur plus vite.
La petite paysanne descendit lentement les marches de pierre. Elle regardait
partout autour d’elle, la lumière diminuait au fur et à mesure qu’elle
s’enfonçait sous terre. L’escalier se terminait quand on n’apercevait plus du
tout la lumière du jour. La pièce était complètement plongée dans l’obscurité.
Elle eut beau attendre que ses yeux s’y habituent, l’ombre était impénétrable.
La jeune fille appela encore, sa voix raisonnait dans la salle vide. Elle
avança lentement ; une fois arrivée a milieu de la salle, elle sentit que
le feu se faisait plus présent à son esprit, son cœur s’emballa et se mit à
battre fort et rapidement. De nombreuses torches fixées à même la pierre
s’allumèrent, toutes en même temps. Amara s’assit par terre, sans se déplacer de
l’endroit où elle se tenait. Elle regarda autour d’elle, l’esprit légèrement
embrumé par cette étrange sensation qui submergeait tout son corps et son
esprit.
Elle
se trouvait dans une grotte circulaire, les parois étaient grises. Amara, en
cherchant des yeux, quelque chose où quelqu’un à qui se raccrocher remarqua
l’étrange lumière qui brillait faiblement autour d’elle, projetant des ombres
tremblantes sur la pierre. Elle crut d’abord que la lumière émanait de son
propre corps ; elle continua à regarder distraitement autour d’elle puis
son attention fut attirée par l’emplacement où elle était assise. D’étranges
signes y étaient gravés et produisaient une lumière orangée. Le sol était
tiède, la lumière gagnait en intensité, rayonnant avec plus de force à chaque
instant. Amara n’était pas éblouie par la lumière mais celle-ci devenait si
puissante que la jeune fille ne distinguait plus les parois de la grotte. La
lumière n’était pas chaude, on pouvait la traverser facilement.
Quelqu’un
qui serait entré dans la pièce à ce moment n’aurait vu qu’une colonne de
lumière qui montait vers le « plafond » de la grotte, parcourue de
symboles qui tournoyaient. Amara se sentit glisser sur le sol et perdit
connaissance.
Elle se réveilla un instant plus tard mais n’ouvrit pas les yeux. Une chaude
lumière éclairait son visage, le sol était doux et moelleux sous son dos. Elle
entendit des chuchotements, des murmures, et sentit le vent sur son visage.
Elle ouvrit enfin les yeux et regarda autour d’elle.
Elle
était allongée dans l’herbe verdoyante, le soleil réchauffait son doux visage,
la brise du printemps caressait son corps. Elle entendit de l’eau s’écouler non
loin de là. Amara s’assit sur l’herbe et se retourna en entendant une voix
féminine lui parler doucement. Une femme grande et mince se tenait devant elle.
Elle possédait de longs cheveux argentés.
Elle
lui souhaita la bienvenue, sa voix était respectueuse, douce et calme.
Amara
ouvrit la bouche pour demander où elle se trouvait mais la femme la pria de se
lever et de l’accompagner.
Amara
s’exécuta en silence et suivit cet étrange personnage.
Elle se trouvait dans un immense jardin fleuri et coloré. Il y avait plusieurs
fontaines, de nombreuses plantes, fleurs et arbres. C’était
magnifique, Amara le dévora des yeux, son sens de l'odorat éveillé par la
senteur de fleurs qui lui étaient inconnues. Le feu était toujours présent en
elle, il semblait « dormir », niché au creux de son ventre.
Amara trouvait la femme aux cheveux d’argent très belle, et sa
manière de se mouvoir avait quelque chose de mystérieux. Elle se déplaçait avec
grâce, ses pas semblaient légers. Elle marchait devant elle, ses longs cheveux
ondulant sous la douce brise.
Amara aperçut quelques personnes, penchées sur un livre,
agenouillées devant quelques fleurs, ou se promenant, discutant à voix basse.
Le jardin était très calme, les Pious chantaient.
La femme amena Amara jusqu’à un temple, situé au centre de
l’immense jardin. L’édifice était grand, il pouvait contenir une centaine de
personnes. Il était de forme circulaire et surmonté d’une coupole de métal
argenté zébré de reflets orangés. Des voix se faisaient entendre à l’intérieur.
Un grand nombre de personnes étaient assemblées autour d’une petite fontaine,
les reflets de la coupole en faisaient scintiller l’eau. De l’autre côté, un
homme semblait tenir un discours devant l’assemblée de personnes.
Le silence se fit dans la salle quand elles entrèrent. L’homme
s’approcha d’elles.
- Bienvenue Amara. As-tu déjà entendu parler de notre Ordre ?
La jeune fille hocha la tête négativement.
- Sais-tu ce qu’est notre magie ?
Nouveau hochement de tête.
La femme s’approcha d’Amara et lui expliqua :
- Chaque personne porte en elle un peu d’énergie magique, voire
même beaucoup. Ceux dont cette énergie n’est que peu présente peuvent tout à
fait vivre avec sans s’en soucier, ou même sans s’en rendre compte. C’est
d’ailleurs le cas pour la majeure partie des gens. Mais
certains sont habités par un pouvoir plus puissant. Ceux-là peuvent aisément
pratiquer la magie correspondant à leur élément. Ils s’en servent pour faire le
bien autour d’eux, et malheureusement aussi, quelques fois, pour faire le mal.
Ils
lui expliquèrent ensuite que, si, il y a quelques heures, elle avait pu
utiliser la magie de feu sans même s’en apercevoir, c’est que son pouvoir était
considérablement puissant.
En
effet, les symboles gravés sur la pierre étaient activés par la magie du
feu : toute personne ne portant pas la Flamme en lui n’aurait pas été
attirée par le bâtiment, et quand bien même elle y serait descendue dans la
pièce circulaire, elle n’y aurait découvert que la pierre grise et froide de la
grotte.
Amara
demanda quel était l’endroit où elle se trouvait. La femme reprit la parole et
lui parla de ce lieu magique. Sans s’arrêter de parler, elle fit signe à Amara
de se lever et la conduisit dans les jardins.
Elles
se promenèrent le long des allées, la femme lui dit le nom de chaque fleur, lui
parla des nombreuses fontaines qui ornaient les jardins. Elles passèrent devant
des bâtiments, il y avait des serres, des laboratoires, une bibliothèque et,
plus loin, un grand bâtiment, tel un monastère avec son temple, ses dortoirs et
une salle à manger gigantesque.
L’ordre
du Dragon des flammes vénérait la nature et lui rendait hommage, la remerciant
pour ce qu’elle lui apportait. Les jardins étaient immenses, il fallait
plusieurs heures pour en faire le tour.
La
femme expliqua que tout autour de cette clairière se trouvait une forêt
impénétrable.
Amara
s’étonna de ne l’avoir jamais vue sur Amakna et fut plus étonnée encore de
savoir qu’elle se trouvait très loin, à plusieurs centaines de lieues de chez
elle.
La
clairière se trouvait au beau milieu d’une foret que nul ne pouvait traverser,
il n’existait donc aucune entrée, aucune sortie, mis à part les Zaaps, aux 4
extrémités de la clairière. Amara apprit plus tard que les Zaaps régissaient à
la magie, reconnaissant l’élément du feu, et ne pouvant être activé que par
lui.
Amara,
en voyant le coucher de soleil sur les arbres, exprima le désir de rentrer chez
elle. La femme la reconduisit donc jusqu’au Zaap. Elle l’activa, et toute deux
se retrouvèrent dans la grotte. Les torches étaient allumées. Amara regarda
autour d’elle et demanda pourquoi elle ne s’était pas évanouie, et pourquoi il
n’y avait pas eu de lumière comme la première fois. La femme expliqua que pour
sortir de la clairière, il suffisait juste de le vouloir. En marchant sur la
dalle de pierre, celle-ci s’activait automatiquement. Alors que pour entrer à
l’intérieur, le Zaap identifiait la magie, et la nature de l’âme qui essayait
de l’activer.
Elle
expliqua ensuite que, si une âme mauvaise tentait de pénétrer par la force chez
le Dragon des Flammes, le Zaap ne fonctionnait pas, et prévenait les sorciers
du danger, assurant ainsi la sécurité du Jardin. C’est pour cette raison qu’on
le surnommait aussi « Le Berceau ».
La
femme dit à Amara de rester chez elle le lendemain matin, quelqu’un viendrait
lui donner de plus amples explications, ainsi qu’à ses parents.
La
jeune fille rentra donc chez elle. Ses parents étaient un peu inquiets. Elle
leur raconta donc toute l’histoire. Timidement, comme à son habitude
lorsqu’elle racontait quelque chose d’important.
Avant d’aller se coucher, elle commença une longue lettre à Œil-de-loutre, lui
racontant, à elle aussi, toute son histoire.
Puis,
tout en caressant la douce laine de son bouftou, elle repensa aux Totems, âmes
d’animaux qui habitaient chaque être. Un animal, un pouvoir… Amara se demanda
par quel hasard son totem pouvait être un Kwak, ce grand oiseau représentant
les 4 éléments.
Elle
s’endormit profondément et ne se réveilla que le lendemain matin, tirée de son
sommeil par des coups frappés à la porte.
Amara
s’habilla en vitesse et descendit accueillir le visiteur qui parlait à ses
parents. Il lui laissa le temps de se préparer et expliqua rapidement la
situation à ses parents, il leur dit qu’il reviendrait s’entretenir avec eux un
peu avant midi et emmena Amara dehors. Ils marchèrent en silence jusqu’à une
grosse table de pierre, entourée de bancs faits du même métal que la coupole
des temples. Amara était sûre de ne jamais les avoir vu ici et soupçonna le
sorcier de les avoir placés là avant de frapper à leur porte. Elle s’assit
néanmoins, le métal n’était pas froid, il n’était pas chaud non plus
d’ailleurs. Elle posa les mains sur la table et attendit que le sorcier prenne
la parole. Il s’assit en face d’elle et se présenta. Il se faisait appeler
Maître Tsongor et était le meilleur prêtre de l’ordre. Il était connu du monde
entier mais personne n’avait jamais vu de ses propres yeux l’étendue de ses
pouvoirs. Il lui expliqua qu’il enseignait à tous ceux qui le désiraient la
maîtrise de la magie du feu, à la condition de prêter serment à l’Ordre des
quatre éléments et en particulier à celui des Flammes.
Il
lui demanda si elle désirait apprendre. Amara acquiesça mais demanda les
conditions qu’il fallait remplir pour faire partie de l’Ordre du Dragon des
Flammes.
Il
fallait posséder
Amara sourit, se sachant de tempérament calme et posé, elle possédait la
volonté d’apprendre, plus que n’importe qui, et était dotée d’une grande
curiosité.
Maître
Tsongor se leva. C’est ce moment que choisit le tofu d’Amara pour « se
mêler de la conversation ». Il sauta sur la table en voletant de ses
petites ailes, atterrit maladroitement et roula sur lui-même en touchant la
table. Il retomba sur le dos, ses deux pattes dressées vers le ciel et regarda
la jeune fille avec un air hébété. Amara éclata de rire en prenant l’oiseau
dans ses mains, elle se sentait si heureuse. Le sorcier sourit, amusé, et
raccompagna Amara chez elle.
Les
parents d’Amara invitèrent le sorcier à passer le repas avec eux. Cette
dernière alla dans la cuisine préparer le repas. Le sorcier parla longuement à
ses parents, celle-ci ne distinguait pas leurs paroles. Elle dressa le couvert
et ils passèrent à table. Amara se sentait bouillir intérieurement mais elle
osait à peine bouger, fortement intimidée. Au cours du déjeuner, le Maître Sorcier
prit la parole. Il demanda à la jeune fille si elle était prête à apprendre et
à venir vivre au berceau avec d’autres gens pratiquant de la magie du Feu…
Amara regarda tour à tour ses parents et le sorcier. Ses parents lui
conseillèrent de faire ce qu’elle désirait. Elle baissa la tête et
annonça :
- Je
suis prête.
Le sorcier acquiesça d’un signe de tête.
-
Prépare tes affaires et rends-toi au Zaap, dans trois jours, à midi. Prends tes
animaux avec toi, avança-t-il en apercevant le Bouftou prêt de la table.
Elle
sourit en suivant le regard du sorcier. Ils finirent le repas en silence,
Maître Tsongor remercia la famille d’Amara et se retira.
L’adolescente
resta pensive, tout cela lui faisait un peu peur. Elle regarda ses parents d’un
air coupable, coupable de les abandonner si tôt. Elle promit de passer les voir
très souvent car elle serait logée près d’ici, dans le bâtiment secret menant
au berceau, et pourrait revenir quand elle le voudrait. Elle s’approcha de ses
parents et les prit dans ses bras, le Tofu perché sur son épaule vint voleter
entre eux, perdit l’équilibre et tomba sur le bouftou endormi qui se tourna et
ne le regarda même pas. Amara fit mine de réprimander le maladroit. Elle sourit
à ses parents et monta dans sa chambre, elle termina sa lettre pour
Œil-de-loutre, lui racontant tout en détail. Puis elle sortit dans le champ,
travaillant avec ardeur jusqu’au soir. Elle récolta ainsi un nombre important
d’épis de blé et rentra chez elle épuisée. Elle mangea et s’endormit aussitôt
couchée.
Elle
se leva tôt le lendemain matin et se mit à moudre tous les grains de blés
qu’elle venait de trier. Après le déjeuner, elle emprunta la charrette de ses
parents et partit au village avec ses sacs de farine. Elle posta sa lettre
avant de se rendre à la boulangerie ou elle commença a faire du pain,
pétrissant et enfournant la pâte tiède. Elle ne faisait plus attention au temps
qui passait et travaillait avec acharnement. Amara se sentait à nouveau
épuisée, mais néanmoins heureuse. Elle se retrouvait dans son élément et
exerçait avec passion le métier qu’elle connaissait depuis l’enfance. Le soir
venu, des milliers de pains avaient été pétris par les soins de la jeune
apprentie. Les boulangers, étonnés, lui donnèrent l’argent qui lui revenait en
conséquent de la tâche effectuée, trois fois plus que d’habitude.
La
jeune boulangère ramena quelques pains chez elle qu’elle donna à ses parents.
Maintenant que son travail était effectué, la jeune fille commençait à trouver
le temps long jusqu’au lendemain. Elle monta chercher la petite flûte bleue
taillée par sa grande sœur. Puis elle s’assit confortablement sur un fauteuil.
Le Bouftou, ayant aperçu l’instrument, grimpa sur elle et se blottis contre sa
poitrine.
Amara
se mit à jouer lentement, c’était une berceuse qu’elle avait inventée étant
petite. Elle ferma les yeux, sans s’arrêter de jouer. Ses parents s’assirent en
silence dans d’autres fauteuils et écoutèrent jouer leur fille adoptive, si
grande maintenant. Ils se rendirent compte, à présent, que le temps était passé
très vite… Amara se souvint avoir entendu sa mère dire à quel point elle était
devenue belle en grandissant. Ses longs cheveux blancs brillaient toujours du
même éclat argenté, elle avait de grands yeux noisette et les joues roses des
enfants de la campagne.
La
jeune fille entrouvrit les yeux le temps de voir les regards attendris de ses
parents posés sur elle, puis elle sombra peu à peu dans le sommeil. Elle posa
les mains sur le corps de son bouftou et se laissa aller au profond sommeil qui
l’envahissait.
Elle
se réveilla le lendemain, dans son lit et
prépara ses affaires, rassemblant ses quelques vêtements et objets
personnels. Ses parents l’attendaient dans la cuisine, ils voulaient lui
parler. Ils lui expliquèrent en détail ce qui s’était passé le jour ou ils
l’avaient trouvée, ils parlèrent du démon qui l’avait déposée devant la
fontaine. Puis ils lui remirent l’épaisse cape orangée dans laquelle elle avait
été trouvée, dormant profondément avec le bébé tofu. Elle lui allait
parfaitement à présent, tombant élégamment le long de son dos. Son père lui fit
signe d’approcher et lui passa autour du cou la mince chaînette ou pendaient
les trois petites clés. Par la suite, Amara ne quitta plus ni la cape ni
l’amulette.
Un
peu avant midi, Amara quitta la ferme. Elle dit longuement au revoir à ses
parents puis se dirigea vers le Zaap, ses paquets dans les mains, son sac au
dos.
•
CHAPITRE 4 : L’oiseau des flammes
La même sensation de bien être
envahit la jeune fille quand elle s’approcha de l’escalier. Quand elle
descendit, les torches s’allumèrent, le feu se réveilla en elle. Elle effleura
le socle de pierre, du bout des doigts, les symboles s’allumèrent et brillèrent
d’une lumière rougeoyante comme de la braise.
Amara
se mit à genoux sur le socle de pierre, protégeant ses animaux de ses bras. La
lumière commença à briller plus fort, elle s’éleva peu à peu autour d’Amara,
l’enveloppant de ses éclats dorés. Amara ferma les yeux et se sentit basculer.
Le voyage ne dura pas plus de quelques secondes. La jeune fille fut étonnée de
ne pas se retrouver dans la belle herbe verte. Elle s’inquiéta de ne voir ni
ses animaux ni ses bagages… Elle était seule, dans le noir total, allongée sur
un cercle de pierre. Elle tendit les bras et ne sentit que le vide autour
d’elle, elle ne pouvait distinguer à quelle hauteur elle se trouvait. Elle
entendait de l’eau, loin au dessous d’elle. Amara maintint ses yeux fermés,
elle sentait qu’il y avait d’autres personnes tout près. Elle commençait à
avoir un peu peur. Elle ouvrit les yeux et vit une petite lumière briller, loin
devant elle. Elle se força à rester calme et a réfléchir. Le petit point
lumineux se mit à trembloter, il faiblit peu à peu et finit par s’éteindre
Amara était tout à fait calme, la plate-forme sur laquelle elle se trouvait
s’ébranla et commença a descendre. Quand elle s’immobilisa, toutes les lumières
s’allumèrent. La jeune fille cligna des yeux et regarda autour d’elle, elle se
trouvait au centre d’une grande fontaine, dans une sorte de temple. De nombreuses
personnes étaient rassemblées devant la fontaine et lui souriaient. Elle les
regarda, l’air étonné. Un garçon s’approcha et lui prit la main. Il l’aida à
descendre du socle de pierre et l’amena devant une table qui se trouvait au
bout de la salle, libérant un passage entre les personnes assemblées.
Sur
la table se trouvait un gros livre recouvert de cuir. Maître Tsongor et la
vielle femme qui avait amené Amara le premier jour s’avancèrent de l’autre côté
de la table, le jeune homme lâcha la main d’Amara et se retira.
La
femme lui dévoila enfin son identité, elle s’appelait Samilia, mais nombre de
gens préféraient l’appeler « la Grande Prêtresse ».
Elle
lui montra le gros livre, tout ce que lui avait dit Maître Tsongor était résumé
sur la page de gauche. Amara se mit à lire. Sur la page de droite, Amara
affirma avoir pris connaissance des règles et obligations de l’ordre. Elle mit
son nom et signa. Elle ajouta le bouftou et le tofu en bas de page et releva la
tête. Tout le monde applaudit. Amara leur sourit timidement.
Le
jeune homme revint vers elle. La Grande Prêtresse expliqua qu’il l’aiderait
dans la pratique de la magie, c’était son meilleur élève.
Amara
était un peu gênée par cet inconnu qui la prenait par la main. Il avait l’air
gentil. Il partit devant et lui demanda de le suivre. Amara regarda les prêtres
qui acquiescèrent d’un discret signe de tête. La jeune fille fut heureuse de
sortir de la pièce sombre et de voir la lumière du jour.
Le
garçon la mena dans les jardins, se dirigeant vers le grand bâtiment, Amara n’y
était jamais entrée. Elle le suivit derrière la lourde porte de métal, le long
des couloirs. Elle entendait des voix. Sur une plaque de métal, on pouvait
lire : « Dortoirs ». Le couloir paraissait interminable, large et
très long. De chaque coté il y avait de nombreuses portes, des numéros y
étaient gravés.
Arrivés
vers le milieu du couloir, le jeune homme s’arrêta. On entendait des éclats de
voix exaspérés, apparemment une fille se disputait avec quelqu’un à
l’intérieur. Il frappa à la porte, le silence ce fit. Le garçon appela :
-
Lou ?
-
Entre Misugi, lui répondit-la voix.
Ils
entrèrent. La chambre n’était pas très grande mais il y avait facilement de la
place pour deux personnes. Le sol était d’un bois très clair, ciré. La tapisserie
orangée donnait un aspect chaleureux à la pièce. Une petite horloge était
accrochée sur l’un des murs, de petites clochettes pendaient en dessous du
cadran. Les deux lits étaient séparés d’un mètre environ, une table de chevet
bordait les cotés de chaque lit. A côté de la porte, deux grandes armoires. A
droite, une porte donnait sur une petite salle de bains.
Amara
comprit la raison des cris. La jeune fille était assise devant un joli bureau
de bois, une plume à la main. Son bras était recouvert d’encre bleu foncée.
Amara tourna la tête vers les piaillements affolés qui se faisaient
entendre ; La jeune fille ne paraissait plus en colère, elle tourna la
tête vers l’autre côté de la pièce et tous trois rigolèrent en découvrant le
tofu recouvert d’encre de la tête aux pattes. Un moment plus tard, Misugi dit à
Amara que c’était sa chambre, il lui montra du doigt ses affaires qui avaient
été déposées au pied du lit. Puis il sortit, adressant un signe de main aux
filles.
- A
tout à l’heure.
Amara
posa les yeux sur sa camarade de chambre. Elle était très jolie, de longs
cheveux bouclés de couleur châtain clair lui tombaient sur les épaules. La
couleur de ses yeux semblait hésiter entre le vert et le bleu, leur donnait une
couleur étrange et profonde. Amara pensa au cœur des émeraudes qu’elle avait vu
chez le bijoutier du village. Elle était vêtue d’un short très court, de
couleur rouge vif. Un petit débardeur de la même couleur lui arrivait en haut
du ventre.
Amara
ne fut pas étonnée de voir les deux grandes ailes au dos de la jeune fille.
Elle avait déjà vu des personnes semblables au village. Ses ailes étaient
noires, parcourues de reflets bleutés. Sa peau était très claire. Amara pensa
qu’elle avait à peu près son âge, peut-être un peu plus âgée, elle apprit plus
tard qu’à une année près, elle ne s’était pas trompée.
La
jeune fille lui sourit et dit :
- On
m’a donné le surnom de Loulou-la-fée, mais plus couramment on dit Loulou, ou
Lou, pour les amis.
Amara
se présenta puis s’excusa pour l’encre, son tofu était un peu turbulent mais
pas méchant.
Le
bouftou quand à lui était installé dans son panier et bavait paisiblement,
plongé dans un profond sommeil.
Amara
commença à ranger ses affaires pendant que Loulou, dans la salle de bains,
tentait désespérément de nettoyer son bras dont la tâche ne partait pas.
Elles
discutèrent, chacune racontant son arrivée ici, Loulou habitait à l’est
d’Amakna, dans une grande maison prêt de la mer. Elle avait découvert le Zaap
derrière les rochers en se promenant avec son petit ami. Amara sourit et
demanda si le garçon dont elle parlait était parmi eux. Loulou répondit
tristement qu’il ne portait pas le feu en lui mais la force de l’air. Elle
n’ajouta aucun détail.
Quand
Loulou abandonna la salle de bains, perdant l’espoir d’enlever toute l’encre de
son bras, Amara alla prendre une douche. Loulou chantait en attendant sa
camarade. Le bruit de l’eau empêchait Amara de comprendre les paroles de la
chanson. Elle s’habilla, une jolie robe bleu clair mettait son corps en valeur,
elle lui arrivait au bas des cuisses. Elle sortit de la salle de bains, les
cheveux en désordre, essayant tant bien que mal d’attacher les boutons au dos
de sa robe, Loulou se leva et l’aida. A ce moment là, la porte s’ouvrit et
Misugi entra. Amara rougit légèrement et retourna dans la salle de bains pour
se coiffer. Elle ressortit quelques minutes plus tard, Misugi était assis sur
le lit d’Amara et discutait avec Loulou. Amara alla s’asseoir près de sa
camarade et les écouta.
Peu
de temps après, les petites clochettes s’agitèrent : 19h30. Loulou et
Misugi se levèrent.
-
Repas à 19h30.
Amara
les suivit le long du couloir. Plus loin, sur le mur d’en face, un grand
couloir était situé entre deux chambres. Dans tout le bâtiment, le sol était
fait de gros pavés de pierre ou de bois ciré selon les endroits où l’on se
trouvait. Le sol des couloirs était en pierres.
Au
bout de ce couloir, une immense pièce était meublée de très grandes tables. Des
gens arrivaient des trois entrées, sur chaque côté de la salle.
Les
tables commençaient à se remplir, la salle était assez bruyante. Loulou repéra
une bande d’amis au milieu de la salle, ils les rejoignirent et s’installèrent
près d’eux. La jolie fée sa nouvelle camarade aux autres.
Quand
tout le monde fut installé, des personnes avancèrent entre les tables avec de
grands plateaux, elles posaient un plat et une carafe d’eau devant chaque
groupe de personnes. Chacun se servit et l’on commença à manger. Soudain le
silence se fit, tout le monde se leva ; Amara, étonnée, suivit le mouvement
et regarda autour d’elle. Elle comprit la cause de cette agitation en
apercevant la prêtresse Samilia. Elle s’approcha, face aux tables et les
parcourut des yeux. Quand elle aperçut Amara, elle lui fit signe et l’appela.
Amara s’approcha, sentant tous les yeux rivés sur elle. La grande prêtresse fit
signe de s’asseoir puis elle prit la parole et présenta brièvement Amara. Elle
termina en disant que la fête se déroulerait au cours de la semaine suivante.
Ces dernières paroles furent accueillies par des applaudissements joyeux.
Amara
regagna sa place et tout le monde se remit à manger. Puis, à la fin du repas,
tout le monde sortit de table et se dispersa. Loulou demanda si elle voulait
sortir, Misugi proposa une promenade sur la plage. Amara acquiesça et alla
chercher ses animaux. Ils se rendirent au Zaap le plus proche. Loulou, qui
utilisait plus souvent le Zaap vers la plage, prit la main de ses camarades et
ils entrèrent sur le socle de pierre. Ils se retrouvèrent quelques instants
plus tard sur le sable, entourés de rochers. Le sable recouvrait à moitié le
socle. Ils allèrent s’installer sur la plage, d’autres groupes discutaient
entre eux, tout autour. Puis la petite fée s’éloigna.
- Je
reviens tout de suite.
Amara
la regarda partir ; Misugi lui expliqua qu’elle allait chercher son petit
ami. Tout le monde l’appelait Guitou, bien que personne ne sache d’où lui
venait ce surnom. Il était un des meilleurs amis de Misugi.
Misugi
et Amara discutèrent, parlèrent de l’endroit d’où ils venaient. Jusqu’à ce que
Loulou revienne.
Le
jeune homme était au berceau depuis l’âge de sept ans, alors que Loulou était
arrivée deux ans auparavant. Avant, il vivait avec ses parents, dans une petite
maison d’un village du Sud. Le Zaap le plus proche de chez lui se trouvait
juste derrière les grilles du cimetière.
Au
loin, ils virent Loulou revenir, tenant un jeune homme par la taille. Ils se
rapprochèrent. Amara frissonna en apercevant les traits de Guitou, il était
extrêmement mince, son visage et ses mains étaient si pâles qu’ils en
paraissaient presque blancs. Il portait une veste de cuir rouge surmontée d’une
grande capuche qui cachait un peu son visage. Une grosse ceinture serrait sa
taille, une broche de métal jaune pâle brillait sur sa poitrine, elle
représentait un grand serpent.
Amara
se détendit un peu quand l’étrange garçon commença à plaisanter avec Misugi,
tout en caressant le bras de Loulou.
Amara
les écoutait, elle s’allongea sur le sable, un peu fatiguée. Bercée par le
bruit des vagues, elle s’assoupit.
Amara se trouve sur une
île, l’herbe est verte, la terre, de couleur ocre rouge. Elle voit la mer, bleu
foncée. Elle marche le long d’un chemin de terre argileuse. D’étranges
créatures l’observent, d’un air amical. La jeune fille n’arrive pas à les
distinguer nettement.
Elle entre dans un petit
édifice qui semble être une galerie, de grosses lanternes éclairent
l’intérieur. Elle descend toujours plus profondément dans la galerie, les
créatures la regardent passer. Elle arrive ensuite dans une grande pièce, un tapis
par terre semble marquer un emplacement précis. Un rideau est accroché au mur
derrière ce tapis. Sans hésiter, Amara se dirige dans cette direction. Elle
repousse le rideau et découvre une petite échelle. Au bas de cette échelle,
Amara se retrouve dans une pièce circulaire, une couche de paille est étalée
par terre. Un couple de créatures est penché sur un berceau de paille, deux
bébés dorment à l’intérieur. L’un est une de ces créatures, l’autre est humain.
L’esprit d’Amara est un
peu embrouillé et elle ne parvient toujours pas à distinguer les créatures
qu’elle a devant elle ; pourtant, son cœur bat plus vite, comme
soudainement rempli de tendresse pour les trois créatures présentes au milieu
de la couche de paille.
Quand
elle ouvrit les yeux, seulement quelques minutes s’étaient écoulées. Loulou et
Guitou étaient l’un dans les bras de l’autre et se câlinaient.
Misugi
quand à lui avait les yeux tournés vers elle, il lui sourit en voyant qu’elle
était réveillée.
Il
s’approcha du couple et dit qu’il allait rentrer avec Amara qui était fatiguée.
Les amoureux adressèrent un signe de main à Amara qui partit en compagnie de
Misugi. Ils marchèrent en silence le long de la plage. Arrivés devant le Zaap,
elle lui dit qu’elle pourrait tout aussi bien rentrer seule s’il voulait
rester. Mais il préféra rentrer lui aussi, ça ne l’enchantait pas plus que ça
de les regarder se faire les yeux doux. Amara lui sourit.
Ils
approchèrent et Misugi la prit par la main, ils passèrent le Zaap. Il ne lâcha
pas sa main et la ramena jusqu’à sa chambre. Misugi lui demanda si elle avait
besoin de quelque chose, puis il partit. Amara ferma la porte derrière lui.
Elle
se déshabilla et se mit au lit. Elle repensa à son rêve, il était si réaliste.
Elle s’endormit rapidement. Elle ouvrit à peine les yeux quand Loulou rentra,
beaucoup plus tard dans la nuit.
Le
lendemain matin, Amara se réveilla avant Loulou, elle regarda l’horloge
accrochée devant son lit, il était neuf heures. Elle se leva et s’habilla
silencieusement. Elle sortit.
Il y
avait déjà du monde dans les jardins. Elle se promena le long d’un chemin bordé
de grandes orchidées roses. Un garçon était assis au milieu des fleurs, il
regardait avec intérêt les pétales d’une orchidée particulièrement grosse. Il
était plus âgé qu’Amara, celle-ci lui donnait dix-huit ou dix-neuf ans. Amara
continua à marcher et le salua en s’arrêtant à côté de lui. Le garçon quitta la
fleur des yeux, comme à regret et se leva en regardant Amara. Il rougit
légèrement et répondit à son salut en bafouillant, il avait l’air très timide.
Il portait un simple short vert et un tee-shirt assorti. Ses cheveux étaient
bruns et un peu en désordre.
Le
jeune homme paraissait mal à l’aise, Amara ne sachant plus trop ce qu’elle
devait dire lui demanda ce qu’il regardait dans cette grosse fleur. Ses yeux
s’éclairèrent et il se remit à genoux devant l’orchidée, Amara s’agenouilla à
côté de lui et regarda la fleur. Il expliqua calmement qu’il était
alchimiste ; la jeune fille ne comprit pas mais acquiesça ; Voyant
son air perplexe il lui demanda :
-
Amara, c’est bien ça ? On m’appelle Dain. Les alchimistes préparent toutes
sortes de potions, sirops et médicaments à base de plantes. Leur travail est
d’observer chaque fleur, chaque plante. Ils cueillent les plus appropriées à leurs
préparations. Donc, en venant cueillir ces orchidées, il avait trouvé cette
étrange fleur ; elle était bien trop grosse pour n’être qu’une simple
orchidée mais la forme de ses pétales ne trompe pas, c’est bien une fleur de la
même famille. Regarde les reflets orangés ici, mêlés au rose de la fleur.
Amara
caressa la fleur du doigt, la rosée matinale la recouvrait encore.
- Je
pense que c’est un croisement entre deux fleurs.
-
Peut-être. Je vais rejoindre les autres alchimistes si tu veux venir voir, tu
peux.
La
jeune fille, intéressée, accepta volontiers.
Ils
longèrent d’autres allées de fleurs ou d’herbes diverses. Le laboratoire
d’alchimie était installé au milieu d’un gigantesque verger. Les arbres
fruitiers, abricotiers, cerisiers, amandiers, pommiers et bien d’autres encore,
étaient en fleurs ; Amara trouva ça magnifique. La forte odeur des arbres
fleuris lui montait agréablement à la tête.
Elle
suivit Dain jusqu’au grand carré de terre sèche sur lequel étaient installés de
longues tables et de nombreux instruments d’alchimie. Plus loin, une corde
était tendue entre deux arbres et des fleurs y séchaient, accrochées par la
tige. Les alchimistes travaillaient avec des gants de fin tissu vert. Ils
préparaient de petites fioles de potions, piochant les fleurs dans de grands
paniers d’osier. Amara dit à Dain qu’elle allait rentrer aux dortoirs et qu’ils
se verraient plus tard.
Elle le quitta et s’éloigna, dévorant des yeux le mélange de couleurs des étendues de fleurs.
•
CHAPITRE 5 : Une première leçon
Quand elle entra dans la chambre,
Loulou finissait juste de s’habiller. Il était dix heures et demie. Amara
nourrit ses animaux et les jeunes filles allèrent déjeuner. Elles retrouvèrent
Misugi et mangèrent avec lui. La jeune fille raconta sa rencontre avec
l’alchimiste.
Misugi
lui demanda qu’elle pourrait retourner les voir travailler dans l’après midi,
mais pour l’instant, elle devait essayer de s’entraîner à la pratique de la
magie du feu.
Amara
avait un peu peur. Loulou leur donna rendez-vous à 13h30 au même endroit pour
le repas puis elle partit.
Le
jeune homme prit Amara par la main, amicalement, comme à son habitude, et la
conduisit devant un grand escalier de pierre. Ils montèrent. A l’étage, un
grand couloir menait tout droit à un temple. Sur les cotés, de grandes salles
de pierres. Misugi amena Amara à l’intérieur d’une des salles et lui expliqua
qu’ils allaient commencer à apprendre la magie. Amara se sentait excitée, mais
aussi un peu angoissée à l’idée de devoir faire de la magie, elle qui n’y avait
jamais cru.
Peut-être
s’étaient-ils trompés, peut-être n’avait elle aucun pouvoir ? Ou au
contraire, peut-être n’arriverait-elle pas à le contrôler…
Amara
restait devant la porte, un peu effrayée.
Comme
elle ne bougeait pas, Misugi qui était derrière une grande table lui fit signe
d’approcher.
-
Viens Amara.
Elle
s’avança lentement.
Misugi
prit un morceau de bois sur la table et le posa par terre ; il recula de
quelques mètres et fixa le bout de bois. Amara sentit le feu se réveille en
elle, il était présent dans son corps, mais elle n’aurait pu dire comment elle
le savait, il était là, c’est tout. Au bout de quelques secondes, le morceau de
bois s’enflamma et se consuma instantanément. L’exercice n’avait pas duré plus
de dix secondes.
La
jeune fille commençait à réaliser ce qu’était la magie, Du moins le
croyait-elle. Elle apprendrait plus tard que ce qu’elle venait de voir ne
représentait même pas un dixième de ce pouvoir. Amara, pour la première fois,
regarda le jeune homme. Elle profita de sa concentration pour l’observer sans
aucune gêne. Il était plus grand qu’elle, plus âgé aussi, de deux ou trois ans.
Ses cheveux étaient de la couleur des feuilles de menthe sauvage, d’un vert
foncé qui s’éclaircissait un peu sous les rayons du soleil qui entraient par la
fenêtre. Il avait un visage calme et attentif, ses yeux étaient bleus foncé et
il avait la peau très claire.
Misugi
s’approcha d’elle, elle sursauta lorsqu’il l’arracha à ses pensées en la
prenant par le bras. Il l’amena devant la grande table et se replaça derrière.
Divers objets étaient disposés sur la table. Misugi commença à lui
expliquer :
-
Les objets qui brûlent le plus facilement sont ceux qui sont sensibles au feu,
normalement. Bois, parchemin, paille ou herbe sèche et bien d’autres. Plus
l’objet est petit, plus il est difficile de concentrer l’énergie afin de le
brûler. Lorsqu’il s’agit des matériaux non inflammables, les effets du feu sont
plus durs à maîtriser. Le métal fond, la pierre explose, l’eau s’évapore. Dans
ces cas là, à l’inverse des matériaux inflammables, ceux-ci sont plus durs à
brûler si ils sont volumineux.
Misugi
lui montra la table et lui demanda lequel des objets lui semblait le plus
difficile à brûler.
Elle
réfléchit et hésita longuement, puis elle désigna un gros morceau de granit.
Puis elle retira sa main et montra une boule de plomb de la même taille. Misugi
sourit.
-
C’est ça. Ces deux objets, pour deux raisons différentes.
Il
expliqua que la pierre était extrêmement difficile à brûler car il fallait
faire très attention. Si l’on ne chauffait pas assez, la pierre restait
entière, se recouvrant parfois de minces fissures ; par contre, si l’on
chauffait trop fort, envoyant trop d’énergie d’un coup, la pierre volait en
éclat, envoyant des petits éclats violement, avec tant de vitesse qu’on les
voyait à peine passer. L’impact avec un tel projectile pouvait être mortel.
Pour
le métal, la raison était toute autre. En fait, pour faire fondre du métal, le
feu devait pénétrer au centre de l’objet, ce qui demandait un grand effort de
concentration. Faire fondre une bille de métal était le but final de ce premier
apprentissage, chaque habitant du berceau se devait de savoir le faire à la fin
de son entraînement.
Il
lui demanda ensuite lequel serait le plus facile. Elle hésita un instant puis
prit un morceau de parchemin.
Enfant,
elle avait déjà brûlé pas mal de parchemins en faisant accidentellement tomber
sa bougie dessus.
- Tu
veux essayer ?
Amara
le dévisagea.
-
N’aies pas peur Amara, la rassura-t-il, viens par là.
Il
prit plusieurs feuilles de parchemin et prit Amara par le bras. Ils allèrent
s’asseoir sur le rebord d’une fenêtre fermée. Misugi parlait doucement,
chuchotant presque pour la rassurer. Il lui expliqua :
- Tu
dois penser au feu en toi, tu le sens au creux de ton ventre, n’est-ce
pas ?
Il
montra à Amara l’endroit, au dessous de son cœur.
-
Oui. Sa voix tremblait un peu.
- Il
faut que tu y penses fort, dit Misugi en souriant légèrement. Comme si tu
voulais le réveiller. Quand il sera prêt, tu le sauras. Il faudra ensuite te
concentrer sur l’objet que tu veux brûler.
Amara
prit le parchemin.
-
Attends !
Misugi
se leva et se dirigea vers la table. Quand il revient, il tendit une paire de
gants à Amara.
- Il vaut mieux les mettre quand tu manipules quelque chose que tu dois tenir
dans ta main. Ils sont en cuir de dragon-cochon, cet animal rare et dangereux.
-
Merci, Amara adressa un sourire au jeune sorcier et mit les gants. Elle prit
ensuite un morceau de parchemin.
Misugi
se rapprocha un peu d’elle et prit son bras, au niveau du coude. Il le leva
lentement de manière à placer le parchemin dans la main de la jeune fille,
devant son visage. Il descendit sa main sur le bras nu d’Amara jusqu’au
poignet, lui faisant tendre le bras. Il chuchota :
-
Bonne chance.
Puis
il lâcha son bras. Amara fixa le parchemin et se concentra. Aussitôt qu’elle se
mit à penser au feu, il s’éveilla et se rependit dans son corps. Elle se
concentra ensuite sur le parchemin. Celui-ci, au bout de quelques secondes,
s’enflamma puissamment, projetant une grande flamme devant la jeune fille.
Amara eut instinctivement un mouvement de recul et retira sa main. Misugi
tendit vivement la main et dévia les cendres chaudes qui allaient brûler les
jambes de son amie. Son geste rapide avait évité la brûlure, son poignet
effleura les genoux d’Amara qui semblait abasourdie.
Son
cœur battait vite, elle se demanda si l’étrange sensation qu’elle ressentait
aller se reproduire à chaque fois qu’elle ferait de la magie.
Misugi
semblait gêné.
-
Excuses-moi je ne pensais pas que tu y arriverais au premier essai, tu as
failli te brûler à cause de moi.
Amara
commençait à reprendre son calme, elle semblait perplexe.
-
J’ai réussi… Je ne pensais pas non plus que j’y arriverai ! C’est la
première fois que je fais ça !!
- Je
sais. Je pensais qu’il te faudrait plus d’entraînement. Mais il y a une chose
que tu dois savoir, c’est qu’à chaque fois que l’on utilisera de la magie près
de toi, le feu se ravivera, il se tiendra prêt. C’est sans doute pour ça que le
feu a été si vif… J’aurais du t’en parler. En tout cas c’était une belle
flambée, bravo !
- Il
faut que j’apprenne à le contrôler, n’est-ce pas ? Supposa Amara.
-
Bien sûr, ça n’était que la première fois ! S’exclama-t-il. Je suis sûr
que tu seras une bonne apprentie. Comment tu te sens ?
-
Bien, pourquoi ?
- La
magie demande un certain effort, si tu l’utilises trop souvent en peu de temps
ou trop fort d’un coup, tu seras fatiguée, tu peux même avoir un peu mal à la
tête.
Il
hésita un instant puis repris la parole :
-
Par contre… Maître Tsongor comptait sur moi pour être prudent et on peut pas
dire que ça ai été le cas. Si…
- Je
dirais rien, coupa-t-elle en souriant.
-
Merci, Misugi semblait gêné, d’habitude les apprentis ont tellement peur qu’ils
n’arrivent pas à se concentrer. Et toi t’arrives et tu nous brûles la
baraque !
Amara
rougit légèrement sous le compliment. Elle était fière d’avoir réussi.
- Je
crois qu’on a eu assez d’émotions pour aujourd’hui, hein ?
- Heu oui
je pense ! Elle retira les gants qu’elle portait toujours.
- Une
dernière chose, n’essaye pas de faire quoi que ce soit seule, un accident est
vite arrivé. Normalement tu ne peux pas mettre le feu sans le vouloir ;
s’il se réveille, n’y fait pas attention. Ici ça risque d’arriver souvent, mais
c’est un bon exercice. Fais quand même attention… il peut toujours y avoir des
surprises.
Amara se
sentait un peu fatiguée. Misugi reposa le parchemin et les gants, puis il la
rejoignit dans le couloir. A l’horloge, il était 13h. Ils sortirent.
Amara était
contente d’être dehors. Ils allèrent s’asseoir plus loin, sous un gros
amandier. Ils restèrent silencieux quelques minutes, chacun réfléchissait.
La jeune
fille pensait à sa rencontre avec l’Abraknyde, quelques jours plus tôt ;
elle la raconta à Misugi.
Quand elle
dit qu’elle avait réussi à brûler les petites branches de l’arbre, il laissa
échapper un sifflement admiratif.
Amara rit.
- Mais je
ne l’ai pas fait exprès !
- Tu sais,
brûler quelque chose de vivant est bien pus dur que tous les exercices que l’on
peut faire sur des objets…
- Mais…
- C’est à
cause de l’élément présent dans chaque animal, chaque personne. Il combat le
feu. C’est plus facile sur les monstres que sur les animaux, mais sache que
brûler quelque chose de vivant, ou pire, quelqu’un, volontairement, c’est la
pire faute qui puisse être commise. Tuer des monstres, ce n’est pas mal. Ce
sont des créatures démoniaques.
Amara
s’allongea dans l’herbe et soupira.
- J’en suis
bien incapable… je n’ai même jamais mis une gifle à qui que ce soit !
- Oh ça va
pas tarder, tu verrais comme il peut être embêtant quand il s’y met !
Lança Loulou en arrivant derrière Amara.
Amara la
regarda en se cachant les yeux à cause du soleil. Misugi lui fit un croche
pieds quand elle s’approcha de lui : vengeance. Loulou garda son équilibre,
agile, elle battit des ailes et évita le piège. Elle alla s’asseoir un peu plus
loin.
- Alors,
comment ça s’est passé ? Questionna Loulou.
- Hé bien…
commença Amara.
- Elle nous
a quasiment incendié le bâtiment ! Se moqua Misugi. Non, plus sérieusement,
elle a été très bien. A part qu’elle y a été un peu fort !
- Ben…
- On va
manger ! Coupa Loulou.
Après le repas, les trois amis se séparèrent. Loulou allait voir Guitou, Misugi
devait aller voir ses parents.
Amara, se
retrouvant seule, rentra dans sa chambre.
Elle
s’assit sur son lit et réfléchit au moyen d’occuper son après-midi. Elle opta
pour un livre et ressortit, les animaux sur ses talons. Le tofu semblait
content d’enfin pouvoir se dégourdir les pattes et les ailes. Il se mit à
courir, voletant dans les jardins.
Le bouftou
quant à lui, ne semblait pas décidé : comme s’il n’avait pas assez dormi
dans la chambre, il alla s’allonger dans l’herbe, dos à l’amandier.
Amara
soupira et alla près de lui, elle s’allongea dans l’herbe à son tour et posa la
tête sur le flanc de l’animal. Elle ouvrit son livre et commença à lire.
Dain passa
et la salua. Amara lut une bonne partie de l’après-midi. Elle termina son livre
aux alentours de 17h. Le bouftou n’avait pas bougé.
La jeune
fille s’assit et appela son tofu, il arriva à toute vitesse en piaillant, telle
une boule de plumes bleues couvertes d’encre.
Amara le
prit dans ses mains et chercha ce qui avait pu l’effrayer. Elle aperçut Misugi
au loin, il était suivi d’un énorme sanglier qui marchait lourdement en se
dandinant.
Amara
sourit à l’adresse du jeune homme et posa le tofu par terre. Ce dernier alla se
cacher derrière le gros bouftou qui était à peine réveillé. Il grogna en
faisant mine de mordre l’oiseau, puis se calma en voyant le gros sanglier, il
l’observa avec inquiétude. Amara non plus n’était pas rassurée, l’animal était
vraiment énorme.
Misugi vint
s’asseoir à côté d’elle.
- Désolée,
Gligli a trouvé ton tofu très marrant…
- Oh !
Il est à toi ?
- Oui, elle
attend des petits. Je les relâcherai quand elle aura mis bas.
Le sanglier
était allé dormir un peu plus loin. Amara se rallongea contre son bouftou et
demanda :
- Comment
s’est passée ton après-midi ?
- Oh, mes
parents étaient sortis, je suis resté avec une amie.
- Ta petite
amie, hein ? Le taquina Amara.
- Oh non
pas du tout, répondit-il en riant. Elle aurait l’age d’être ma
grand-mère ! Elle s’est occupée de moi quand j’étais petit. Mes parents
travaillaient beaucoup pour nous permettre de vivre… répondit-il, visiblement
gêné.
Amara lui raconta comment ses parents adoptifs l’avaient trouvée, sans lui
donner trop de détails. Elle lui parla longuement d’Œil-de-loutre et des
Chasseurs-pèlerins
- En
parlant de chasse, ça fait longtemps que je ne me suis pas entraîné. J’irai
après le repas. Tu peux venir avec moi si tu veux. Proposa Misugi.
- Oui,
j’aimerai bien te voir faire. Loulou sera avec nous ?
- Oh tu
sais, je ne sais même pas si elle viendra manger au berceau. Ils forment
vraiment un beau couple, Guitou et elle.
- Oui, ils
ont l’air d’être heureux ensemble… dit pensivement Amara.
- Ils le
sont. Misugi sourit. Ca fait longtemps que ça dure.
La cloche
sonna. Le temps avait passé tellement vite qu’Amara fut étonnée, il était
19h30.
Misugi se
mit debout et aida son amie à se lever.
Ils se
rendirent au réfectoire pour le dîner.
Après le
repas, le jeune homme demanda à Amara si elle était fatiguée.
- Je me
suis reposée tout l’après-midi, je suis plus résistante que tu ne peux le
croire !
- C’est que
les monstres sont plus vifs la nuit… Je peux passer te chercher vers 21h ?
- OK, je
t’attends. A tout à l’heure.
Chacun
partit en direction de sa chambre. Amara se changea. Le début de l’été se
faisait sentir, on était à la fin du mois de juin. Elle enfila une petite jupe
plissée de sa couleur préférée : le bleu ciel qui lui arrivait jusqu’au
dessus des genoux. Un débardeur blanc l’accompagnait.
Elle releva
ses cheveux avec une petite pince blanche. Elle nourrit ses animaux.
En
attendant Misugi, Amara s’assit sur le lit, le dos appuyé contre le mur. Elle prit
sa flûte et commença à jouer. Elle enchaîna plusieurs airs qu’elle avait appris
au village. Elle joua ainsi jusqu’à l’arrivée de son ami.
•
CHAPITRE 6 : Partie de chasse
Ils
marchèrent côte à côte jusqu’au Zaap. Le jour commençait à faiblir.
Arrivés devant
le socle de pierre, Misugi prit les mains d’Amara. Ils traversèrent le Zaap.
Quelques
instants plus tard, ils étaient dans un endroit sombre, entourés de grilles et
de ronces grimpantes.
Misugi ne
lâcha pas la main d’Amara, ils empruntèrent un étroit passage sur leur droite.
Le jour continuant de baisser. Ils faisait quasiment nuit lorsqu’ils arrivèrent
au milieu du cimetière, de grandes torches éclairaient les allées entre les
tombes. Amara frissonna malgré la chaleur de la soirée. Misugi sera plus fort
sa main et l’emmena dans une autre partie du cimetière. La jeune fille s’arrêta
en entendant du bruit, au sol.
- Ce sont
des souris, les monstres les plus fréquents et les moins dangereux. Je manque
d’entraînement, elles sont agressives mais ne peuvent pas faire
grand-chose !
Le jeune
homme lâcha la main d’Amara.
- N’ai pas
peur, reste ici.
Amara
s’assit sur une dalle de marbre et observa les petites créatures qui couraient.
Quand une souris s’approchait trop près d’elle, elle la repoussait vivement d’un
coup de pied. Elle reporta son attention sur Misugi. Celui-ci ne bougeait pas.
Soudain à quelques pas devant lui, les souris s’affolèrent, courant dans tous
les sens. Plusieurs d’entre elles se changeaient en poussière avant d’avoir pu
sentir le feu sur elles
Amara,
observant la scène, commença à se détendre. Misugi savait ce qu’il faisait.
Et réduites
en poussière, les souris lui paraissaient beaucoup moins effrayantes.
Amara se
prit à compter les créatures touchées par le feu. Misugi en exterminait souvent
trois ou quatre à la fois.
Un long
moment plus tard, le peu de souris qui avaient survécu battirent en retraite.
Le jeune homme revint vers Amara et s’assit près d’elle, le temps de souffler
un peu. Elle applaudit doucement quand il s’approcha.
Peu de
temps après, il lui reprit la main et l’emmena face a la petite porte par
laquelle ils étaient entrés. Il lui montra le grand portail devant elle.
- On doit
aller là bas. Les gardiens du cimetière n’aiment pas qu’on vienne jouer avec
les souris, donc il vaudrait mieux se dépêcher, si tu vois ce que je veux
dire !
Ils
s’approchèrent du portail et se mirent à courir, main dans la main. Ils ne
s’arrêtèrent qu’une fois derrière le portail. Ils s’appuyèrent au tronc d’un
gros chêne pour reprendre leur souffle. Amara sourit.
- Oui, mais
tu verras, ils sont marrants quand ils nous attrapent. Ca brûle comme du petit
bois ces choses là.
En voyant
l’air étonné d’Amara, le garçon reprit :
- Ils ne
sont pas humains.
Il ne
rajouta rien, comme s’il était évident qu’Amara comprenne ce qu’il voulait
dire.
- J’ai bien
envie d’aller faire un petit tour au lac, tu préfères qu’on rentre ?
- Le lac,
ça me va.
Elle ne
posa pas de questions.
Les deux
amis se dirigèrent vers la grande étendue d’eau. Le lac était bordé d’une grande
plage de galets.
Ils
s’assirent non loin de l’eau.
-
Misugi ?
- Hm ?
- Les
souris… ce sont des animaux, non ?
- Oh !
Tu me prendrais pour un assassin ? Non, celles-ci ne sont pas naturelles,
tu as vu leurs yeux ? Rouges. Je t’ai dit tout à l’heure que c’étaient les
monstres les plus fréquents. Elles sont en contact direct avec des âmes
mauvaises telles que les vampires et leurs maîtres.
- Les
fameux gardiens ?
- Oui.
Misugi jeta
une pierre dans l’eau, il resta silencieux un moment puis il reprit :
- Tu n’as
pas eu trop peur ? Je sais que c’est impressionnant au début, mais il n’y
a aucun danger.
- Ca va,
c’est pas une petite souris qui va me faire peur !
Mais Misugi
ne l’écoutait plus, son regard avait été attiré par une lueur dans l’eau. Il se
retourna et pris la jeune fille par le bras :
- Regarde
là-bas !
- Le
scarafeuille ? Répondit Amara en levant les yeux.
- Regarde
mieux, il est tout transparent et fluorescent… Tu vois ce que je veux
dire ?
- Hum… Si
on prend le fait qu’il y ait un scarafeuille qui a pas l’air très naturel,
qu’il fait nuit et qu’on vient de s’attaquer à un groupe de souris monstrueuses
dans un cimetière, je dirais que… Tu vas aller régler son compte à ce
scarafeuille !
-
Parfaitement ! J’vais m’amuser avec lui, ok ?
Amara hocha
la tête et se tourna vers Misugi qui s’approchait du scarafeuille rouge.
Le jeune
homme fit face à la bête et se concentra, reculant lentement. Amara vit que le
scarafeuille commençait à changer, on n’en distinguait plus que les contours.
La jeune fille pouvait voir à présent une petite flamme à l’intérieur du
monstre. Il continua ainsi, perdant toute consistance. Puis il finit par
disparaître, comme s’il s’effaçait.
Misugi
revint vers Amara qui était un peu impressionnée. Il sourit légèrement et se
rassit près d’elle. Le vent s’était levé et il faisait plus frais. Il se
rapprocha d’elle et passa son bras autour des épaules de son amie… Amara se
laissa faire et se serra contre lui. Ils restèrent un long moment comme ça,
sans parler. La jeune fille frissonna, le vend froid soufflait de plus en plus
fort. Misugi se leva et tendit la main à Amara. Il l’aida à se relever et garda
sa main dans la sienne. Ils repartirent en direction du Zaap.
Quand ils
furent devant la chambre d’Amara, Loulou était rentrée. Misugi adressa un signe
de main aux filles et partit.
- Alors, ce
premier rendez-vous ? Il t’a emmené où ?
Amara
soupira.
- Arrête un
peu, dit elle en riant. On est allés tuer des monstres, des souris.
-
Romantique… commenta Loulou. Enfin bon…
-
Hey ! On est juste allés chasser ! Répliqua Amara, faisant mine
d’être exaspérée. Elle lança son oreiller à Loulou qui l’évita de justesse.
Amara se
changea et se mit au lit. Elle discuta un moment avec Loulou, puis les deux
jeunes filles s’endormirent.
Les jours
qui suivirent, Amara passa ses journées à apprendre la magie en compagnie de
Misugi. Elle arrivait à présent à contrôler le feu, elle parvenait à ne faire
qu’un simple trou au milieu du parchemin. Elle savait brûler les petits et gros
morceaux de bois, quand elle s’entraînait à contrôler l’énergie en elle, elle
ne brûlait que l’écorce. Avec l’eau, elle savait la faire chauffer un peu, puis
la faire s’évaporer.
Trois jours
après la chasse aux souris, Misugi vint la chercher de bon matin.
Comme
chaque jour, ils allèrent jusqu’à la salle de pierre où ils pratiquaient la
magie.
Ils
s’installèrent sur le rebord de la fenêtre, comme à leur habitude. Sur une
petite table, quatre rangées de petites billes de bronze étaient alignées, de
la plus petite à la plus grosse.
Amara était anxieuse, elle n’avait jamais travaillé sur du métal. Misugi prit
ses deux mains.
- Tu as
progressé à une vitesse incroyable ces derniers jours. Le métal est nettement
plus difficile à travailler que le reste, mais tu y arriveras. Dans quatre
jours, tu devras savoir fondre cette bille de bronze. Il montra une bille
d’environ 2cm de diamètre. On travaillera dur, mais tu sauras le faire. A la
fête, mardi soir, tu devras savoir faire fondre une bille d’argent de la même
taille. J’ai choisi le bronze car il est, à peu de choses prêt, pareil que
l’argent. Il fond à la même température. Le bronze est peut-être même un peu
plus dur.
- Pourquoi
me parles-tu d’une bille d’argent ?
- Cela
signifiera la fin de ton apprentissage, tu te perfectionneras avec le temps.
- Bien…
Amara
commença à mettre ses gants. Mais il l’arrêta d’un geste.
- Non. Tu
crois que tu vas tenir la bille fondue dans ta main ?
- Hum,
c’est vrai…
Misugi lui
retira doucement les gants et les reposa sur la table.
- Regarde,
je vais te montrer
Le jeune
homme s’approcha de la table. Il fixa
une grosse bille de bronze. On voyait que la tâche lui demandait un effort
considérable. Au bout de quelques minutes, la bille devint rouge et brillante.
Puis elle se mit à fondre, se ramollissant d’abord, elle commença à s’aplatir. A la fin, il ne restait qu’une flaque
rougeoyante. Misugi s’éloigna de la table. Le métal durcit rapidement.
Le jeune
homme s’approcha d’Amara et glissa sa main dans la sienne.
- On va
faire la première rangée ensemble, d’accord ? Je te laisse faire, mais je
suis là.
Il resserra
ses doigts autour de la main d’Amara. Elle ferma les yeux et se concentra. Puis
elle les rouvrit et fixa la petite bille qui se mit immédiatement à chauffer.
En quelques secondes la petite bille avait entièrement fondu. Elle sourit, son
pouvoir était tellement puissant lorsqu’il était allié à celui de Misugi.
- Regarde
la grosse boule de métal là bas, deux sorciers compétents peuvent la faire
fondre en moins de deux minutes…
Ils
continuèrent l’exercice, faisant fondre chaque bille avec la même facilité.
Amara était heureuse, elle aimait pratiquer la magie avec Misugi. Elle se
tourna vers lui et s’approcha. Misugi, un peut surpris lui sourit
maladroitement. Elle se glissa entre ses bras et il la serra doucement contre
lui, resserrant ses bras autour de ses épaules.
Quelques
minutes plus tard, tous les deux sursautèrent en entendant une voix. Maître
Tsongor se tenait dans l’encadrement de la porte.
- Alors les
enfants ? On travaille ?
- Oui
maître, lui répondit Amara en lui adressant un sourire.
Misugi
déposa un baiser sur la joue de son amie et s’éloigna doucement d’elle.
- Tu es
prête à essayer seule ?
Amara
acquiesça, le grand prêtre les observait toujours. Amara ouvrit les yeux et
fixa la bille. Elle cherchait un point ou fixer son regard sur cet objet rond
et lisse. La bille se mit à rougeoyer. Amara tenta, durant de longues minutes,
de faire fondre le métal. Puis elle relâcha son attention. La bille refroidit
lentement.
- On a
beaucoup travaillé ce matin. On va sortir, je t’expliquerai plus en détail
comment tu peux faire fondre cette bille.
Amara lui
adressa un sourire de remerciement, l’exercice l’avait un peu fatiguée.
Il était
10h30. Ils descendirent et s’assirent sur un banc de pierre, devant la porte du
bâtiment. Misugi lui expliqua comment procéder :
- Il faut
faire pénétrer le feu au centre de la bille. Se concentrer sur ce centre et y
envoyer l’énergie. Tu ne peux pas la faire fondre en t’attaquant seulement à la
surface, tout d’abord, ça te fatiguerait trop, en imaginant que tu fasses
fondre la bille en t’attaquant à elle couche par couche, en ne chauffant que sa
surface. C’est comme le bois, sauf que le bois étant si facile à brûler, tu ne
t’en es même pas rendu compte.
Le jour
suivant, Amara parvint à chauffer une petite bille jusqu’à ce qu’elle se
déforme.
Le
surlendemain, elle travaillait avec acharnement depuis un bon moment. La jeune
fille s’apprêtait à réessayer quand Misugi l’arrêta.
- Attend.
Regarde bien la bille. Mémorise bien chaque détail. Voilà. Maintenant, ferme
les yeux. Garde bien à l’esprit cette image. Concentre toi bien et envoie toute
ton énergie. Garde les yeux fermés.
Amara, un
peu surprise par cette nouvelle méthode, observa bien la petite bille de
bronze. Elle ferma les yeux et visualisa l’image de la bille. Elle visa le
centre, à l’intérieur du métal, et commença à chauffer la bille.
Au bout de
quelques minutes, Misugi lui toucha l’épaule. Elle ouvrit les yeux. La petite
flaque de bronze brillait devant ses yeux. Elle avait réussi.
Elle
s’entraîna jusqu’au soir, elle parvenait à faire fondre toutes les billes, la
plus grosse était celle de deux centimètres de diamètre.
La jeune fille progressait rapidement, le feu était plus présent en elle, il était prêt dès qu’elle commençait à se concentrer, il lui fallait moins de temps pour l’appeler à elle. Elle visait plus juste, le feu partait avec la bonne intensité.
•
CHAPITRE 7 : La prophétie
Ce matin là, le dernier jour de son apprentissage, Amara
passa la matinée à se reposer, elle se promena un peu dans les jardins avec
Loulou et Misugi. Après le repas, ils montèrent dans la grande salle de magie.
Loulou les quitta et se rendit dans une autre salle, un peu plus loin.
- J’aimerai
bien essayer, avec toi, de faire fondre la grosse sphère de bronze que je t’ai
déjà montré, avança Misugi quand ils furent seuls dans la salle. Je suis
presque sûr qu’on peut y arriver, tous les deux.
Amara
sourit, la sphère était énorme, ce serait un bon exercice, même si à l’inverse
de Misugi elle était pratiquement persuadée qu’ils n’y arriveraient pas.
- Je veux
bien essayer.
Ils
s’approchèrent de la table.
- On va
faire comme pour la première rangée de billes, la première fois que tu as
travaillé le métal. Je te laisse faire, mais je suis avec toi. Mon pouvoir
donnera plus de puissance au tien.
Amara
observa la boule brillante qui était devant elle. Elle ferma les yeux et se
concentra longuement. Quand le feu fut prêt, réchauffant doucement son ventre,
Amara chauffa le métal.
Misugi se glissa derrière la jeune fille et la prit dans ses bras. Il posa sa
tête sur l’épaule d’Amara et croisa les mains sur son ventre. Celle-ci posa ses
mains sur celles de Misugi, elle sentait son pouvoir s’accroître. Quand il se
serrait contre elle, Amara sentait le cœur de Misugi battre contre son dos.
Il ferma
les yeux à son tour, visualisant la sphère déjà rougeoyante.
Au bout
d’un moment, l’objet commença à se déformer. Aucun des deux ne voyait le
changement mais la boule se mit lentement à fondre. Le métal brûlant grésilla
un moment quand la flaque s’étala sur le support isolant. Les deux jeunes gens
ouvrirent les yeux. Le bronze commença à durcir.
Amara se
retourna vers Misugi. Ses yeux brillaient.
L’exercice
n’avait pas duré plus de deux minutes, aucun des deux n’était fatigué. Misugi
glissa timidement la main sur le visage d’Amara et lui caressa tendrement la
joue. Amara lui sourit, il déposa un baiser sur ses lèvres, les effleurant à
peine. Elle rougit légèrement.
Quelques
instants plus tard il la prit par main.
- Viens.
Ils
sortirent de la salle. Au lieu de se diriger vers l’escalier comme à leur
habitude, Misugi l’emmena vers la droite. Au bout du couloir, il y avait un
temple. Il fit signe à Amara de l’attendre, il devait aller voir le prêtre
Tsongor.
Elle ne
pouvait pas entrer dans le temple avant la cérémonie qui se déroulerait lors de
la fête donnée en son honneur.
Amara
s’assit sur un grand banc de bois et attendit. Misugi parlait avec le Grand
Maître, le bruit de la fontaine couvrait les voix, Amara ne distinguait aucune
de leurs paroles.
De longues
minutes passèrent, puis Misugi sortit du temple. La jeune fille lui lança un
regard interrogatif.
- Viens
avec moi, je vais t’expliquer.
Il lui
reprit la main et l’emmena hors du bâtiment.
Le soleil
brillait. Il faisait chaud, une petite brise rafraîchissait agréablement l’air.
Misugi et Amara se dirigèrent vers le Zaap et le traversèrent, quelques
secondes plus tard, se retrouvèrent entre les grilles du cimetière. Ils
allèrent jusqu’au bord du lac et marchèrent silencieusement sur la plage.
Arrivés au bout, ils traversèrent une petite arche feuillue camouflée par une
grande haie de lauriers en fleurs, les pétales roses contrastaient avec le vert
foncé des feuilles.
Derrière,
il y avait une petite plage de graviers blancs qui étincelaient au soleil. Ils
s’assirent sur la plage, Misugi tendit les bras à Amara qui vint se blottir
contre lui.
- Le grand
prêtre m’a raconté une histoire tout à l’heure, une vieillie prophétie.
La jeune
fille appuya sa tête contre l’épaule de Misugi.
-
Raconte-moi.
Il l’enlaça
et commença à lui raconter :
-
La prophétie parle d’un enfant. Il y a quinze ans, un enfant est né. Au même
moment, au fond du labyrinthe, un monstre s’est réveillé. L’enfant possède un
des plus grands pouvoirs du monde, les pouvoirs du monstre même ne sont pas
aussi puissants. S’il retrouve l’enfant et l’ensorcelle pour en faire son
serviteur, ça serait une catastrophe pour notre monde qui ne connaîtrait pas un
instant de paix.
Amara
se serra plus fort contre le jeune homme qui la berça doucement. Il
reprit :
-
Par de puissants sortilèges, le père de l’enfant fut ensorcelé par le monstre
et entra à son service. Il était devenu un homme cruel et sans cœur, il voulait
tuer sa compagne et livrer son enfant à son maître. Celle-ci prit peur et
s’enfuit sur un petit bateau marchand, elle abandonna l’enfant sur une île
lointaine afin que quelqu’un le retrouve et s’en occupe. Quand elle revint,
l’homme la tua sans pitié. Durant deux longues années, il parcourut terres et
mers, brûlant tout sur son passage, afin de retrouver son enfant. Les sorts de
localisations lancés par les démons ne fonctionnaient pas et il désespérait de
le retrouver un jour. Personne ne savait ce qui le poussait à agir de la sorte.
Tout ce que l’on savait c’est qu’il voulait son bébé.
En
ce moment, on raconte qu’il le cherche toujours.
-
Mais… le grand prêtre pense que l’enfant… enfin, pourquoi moi ?
Misugi
la prit par la main et, entourant les épaules d’Amara de son bras, il la serra
contre sa poitrine.
-
Je ne fais que répéter ses paroles. Je ne sais pas quelle est la part de vérité
de cette légende.
Amara
resta silencieuse, cette histoire lui faisait un peu peur. Elle resta pensive
un long moment. Toute l’histoire coïncidait avec sa propre histoire : elle
avait été trouvée à l’âge de deux ans, ramenée d’une île lointaine. Et d’après
ce qu’on lui avait dit, un démon l’avait déposée sur la place…
Au
bout de quelques minutes, elle leva la tête. Elle passa ses bras autour de la
taille de Misugi.
-
Apprends-moi à chasser des monstres… je veux pouvoir me défendre s’il se passe
quelque chose…
-
Je t’apprendrai.
Il
repoussa une mèche de cheveux qui cachaient le visage de la jeune fille et posa
ses lèvres sur son front. Elle ferma les yeux et se laissa bercer. Elle sentait
le cœur de Misugi contre sa poitrine. Il posa sa joue contre le front d’Amara
et ferma les yeux à son tour. La douce brise caressait leur visage, chacun
réfléchissait. Ils restèrent ainsi pendant de longues minutes.
-
Je venais souvent ici quand j’étais petit. Il ne vient jamais personne, c’est
ma plage. Elle est toujours ensoleillée, l’eau est chaude, on a une pleine vue
sur le coucher de soleil quand la nuit tombe.
Amara
se releva, il la suivit et l’enlaça. Mais elle se dégagea doucement.
-
J’ai entendu quelque chose.
-
Quoi ? Je n’entends rien…
Quelqu’un
cria, de l’autre côté des lauriers. Les deux jeunes gens se précipitèrent sur
la plage. Plus loin, quelqu’un était allongé sur les galets.
-
Non ! Cria Misugi qui semblait avoir reconnu le petit garçon. Ama, va
chercher Loulou !
Amara
courut jusqu’au Zaap, elle le traversa et en courant vers sa chambre, faillit
renverser Loulou qui descendait de la salle de magie. Elle prit Loulou par le
bras et l’entraîna jusqu’au Zaap, puis jusqu’au blessé sur la plage.
Loulou
s’approcha.
-
Amagi ? Mais qu’est-ce qu’il s’est passé ?
Loulou
posa ses mains sur le ventre du garçon et commença à murmurer d’étranges mots,
des formules magiques. Puis elle fixa les blessures de l’enfant, c’étaient de
graves brûlures.
Amara s’était approchée de Misugi.
-
C’est Amagi, mon frère.
Quand
ils regardèrent a nouveau dans la direction de Loulou, celle-ci se releva. Il
n’y avait plus aucune trace de brûlure, Amagi ouvrit les yeux. Son frère
s’agenouilla à côté de lui.
-
Qu’est-ce qui s’est passé ?
-
Un scarafeuille rouge…
-
Hum…
-
Je lui avais rien fait, je te jure !
-
Il ressemblait à quoi ton scarafeuille ?
-
Hum… rouge, avec des ailes jaunes et…
-
Je sais ce que c’est un scarafeuille ! Il était…normal ?
-
Bah oui ! Amagi venait de s’apercevoir pour la première fois de la
présence d’Amara. Coucou !
Il
ressemblait beaucoup à son frère mais ses yeux et ses cheveux étaient plus
clairs. Il semblait avoir neuf ou dix ans. Il dévisagea la jeune fille puis se
releva.
Misugi
semblait pensif. Les scarafeuilles étaient des animaux pacifiques et
n’attaquaient jamais personne… du moins sous leur forme animale ; et les
monstres ne sortaient pas le jour.
-
Bon, on va rentrer… Merci Lou, c’est pas que ça m’embête qu’il soit en piteux
état mais je voulais savoir qu’est-ce qui l’avait attaqué.
-
Bah, ça m’aura fait un entraînement supplémentaire. Au fait Ama, c’était ton
dernier jour d’entraînement ! Comment ça s’est passé ?
Amara
regardait Misugi qui semblait inquiet.
-
Ama ?
-
Hein ? Ah ! Oui super l’entraînement, je serais bientôt plus forte
que Misu.
Misugi
lui sourit, apparemment fier de « son apprentie ».
-
Je voudrais bien voir ça ! Répliqua-t-il tout en sachant qu’elle avait
parfaitement raison.
Il
était plus de 18h quand ils rentrèrent. Misugi se dirigea vers les salles de
magie.
-
A tout à l’heure les filles !
Elles
rentrèrent dans leur chambre.
-
Où il est allé ? Questionna Loulou.
-
Aucune idée…
-
Il a peut-être une autre apprentie, taquina Loulou.
-
J’ai vu aucun nouveau, répondit calmement Amara.
-
Vous avez fait quoi cet après-midi ?
Amara
lui raconta en détail la prophétie que lui avait raconté son ami, elle lui
expliqua que toute l’histoire tenait debout.
-
Bah, laisse tomber c’est n’importe quoi ses histoires de prophéties, il se fait
vieux le grand prêtre !
-
Il a pas pu deviner ma vie et inventer tout ça !
-
Toutes façons, te prend pas la tête, pense plutôt à la fête de demain !
-
Oui. C’est où ? Quand ?
-
A la salle des fêtes, tout le monde peut rentrer et c’est demain à partir de
17h. C’est une fête en ton honneur, oublies pas ! T’as quelque chose à te
mettre ?
-
Euh… j’ai pas grand-chose.
-
On s’occupera de tout ça demain ! Tu vas voir, tu seras la plus belle de
la fête ! A part moi, bien sûr, plaisanta Loulou.
Elles
discutèrent des vêtements et de la coiffure qu’elles allaient porter pour la
fête. Loulou expliqua comment elle se déroulerait.
-
D’abord, il y aura la cérémonie, on t’emmènera dans une petite salle et
tu passeras une épreuve de magie. Je ne peux pas te dire ce que c’est. Tu seras
seule avec la grande prêtresse Samilia et Maître Tsongor. Quand tu auras obtenu
le « diplôme », tu sortiras. On le saura au premier coup d’œil, si tu
as réussi. Après, on ouvrira les Zaaps et chacun ira accueillir ses invités. Je
vais inviter Guitou, et toi ?
-
Seulement mes parents. J’ai pas beaucoup d’amis à cause des superstitions des
gens du village à cause du jour ou on m’a trouvée… les parents empêchaient les
enfants de jouer avec moi.
-
Heureusement qu’on est là !
Les
clochettes finirent par sonner l’heure du repas. Les deux jeunes filles
partirent, bras dessus bras dessous.
Au
dîner, Amagi se joignit à eux, il insista pour avoir la place à côté d’Amara.
Il lui parla de choses et d’autres, Amara l’écoutait à moitié. Le jeune garçon
avait dix ans et demi, il aimait s’habiller exactement comme son frère, il lui
ressemblait beaucoup mise à part la taille. Amagi était plutôt petit pour son
âge. Il parlait beaucoup, racontant sa vie à chaque personne qu’il croisait,
contrairement à Misugi dont Amara ne savait finalement pas grand-chose. Il se
tourna pour raconter aux autres l’épisode du scarafeuille.
-
… je l’ai fait fuir en lui lançant des cailloux, il m’a même pas fait
mal !
Amara
éclata de rire, suivie par Loulou et Misugi qui firent de même. Les trois amis
partirent discrètement à la fin du repas pendant qu’il racontait son aventure à
la table voisine.
-
Attention Ama, c’est un vrai pot de colle ! Comme t’as vu, il aime bien
s’habiller comme moi. Et il aime aussi mes copines ! Et quand il commence
à parler, tu peux plus l’arrêter ! Hein Lou ?
-
Oh oui… soupira-t-elle, j’ai été sa dernière victime.
Ce
soir là, Amara ne se coucha pas tard car elle comptait rendre visite à ses
parents, tôt le lendemain matin.
•
CHAPITRE 8 : La cérémonie
La jeune fille fut réveillée au petit matin par
le tofu qui, en essayant de rentrer dans son lit, s’était emmêlé dans les
draps.
Il
faisait plus chaud dans son village qu’au berceau, elle habitait un des plus
chaudes régions d’Amakna. L’herbe était plus jaune que verte, et le soleil
chauffait déjà beaucoup malgré l’heure matinale. Elle croisa quelques
villageois qui la saluèrent. Quand elle arriva devant l’allée qui menait chez
elle, elle aperçut sa mère qui étendait du linge dans la cour de graviers. Elle
courut le long de l’allée et alla embrasser sa mère. Elle l’aida à étendre le
linge tout en discutant. Amara raconta ses journées au berceau. Puis son père
rentra, aux alentours de 9h. Ils parlèrent longuement de choses et d’autres.
Amara parlait du Dragon des Flammes, et ses parents répondaient par des
nouvelles du village.
Amara
apprit que le vieux roi était très malade et que les médecins disaient qu’il ne
tiendrait pas une saison de plus. Il s’éteindrait au cours de l’été. Mais bon,
les mêmes médecins avaient déjà prédis le même évènement, 13 ans auparavant…
La
jeune fille leur parla de la cérémonie et les y invita. Ils devaient se rendre
au Zaap vers 17h. Ils promirent d’y être, puis Amara rentra au berceau.
Loulou
l’attendant dans la chambre.
-
Ah ! Enfin !
-
Ben, il est onze heures moins le quart !
-
Oh toi ! On voit bien que t’as jamais fait les boutiques ! Allez
viens !
Son
amie ne lui laissa pas le temps de réfléchir et l’entraîna vers le Zaap. Elles
atterrirent entre les rochers de la plage.
Loulou
qui lui tenait le bras l’emmena dans une rue qui parut gigantesque aux yeux
d’Amara. Elle lui fit visiter toutes les boutiques de vêtements de la rue, sans
exception. Elle lui fit essayer des centaines de tenues. Amara qui n’avait pas
son mot à dire la suivait dans les boutiques, elle n’avait jamais essayé tant
de choses en si peu de temps ! Elle fut contente quand Loulou se décida. A
vrai dire, elle dut reconnaître que la jeune fille savait ce qu’elle faisait.
La
robe était magnifique. Elle était de couleur lilas et recouverte de paillettes
argentées. Le haut était très serré et le col laissait avantageusement sa gorge
à découvert, les manches, longues, étaient fines et serrées. La jupe en
revanche était plutôt large et frôlait le sol quand elle marchait. Une fine
couronne assortie à la robe accompagnait l’ensemble.
Amara
poussa un soupir désespéré quand elle comprit que Loulou allait l’entraîner
vers d’autres boutiques afin de lui trouver des chaussures.
Il
était près de 14h quand elles eurent fini leurs achats.
Loulou
porterait une longue robe bordeau fine et serrée. Elle était ouverte derrière,
des lacets rouges se croisaient sur son dos, nu jusqu’à la taille.
Elles repartirent en direction de la plage, portant leurs paquets.
Amara s’arrêta devant une immense maison, un peu en retrait de la ville.
-
Ouah ! Elle est immense cette maison ! On doit avoir une belle vue
sur la mer, d’en haut !
-
Ouais, tu veux visiter ?
-
Tu plaisantes ???
-
Bah non, viens voir.
Elles
s’approchèrent du portail de métal noir et Loulou actionna la poignée. On
entendit une voix près du portail.
-
Oui ?
-
C’est moi.
Loulou
poussa le grand portail, Amara la suivit dans la grande cour. Des arbres
bordaient l’allée entourée d’une vaste étendue d’herbe verte. Un homme vint à
leur rencontre, il portait un costume noir, sa chemise était d’un blanc
éclatant.
-
Bonjour Lanlan.
-
Bonjour Mademoiselle.
-
Nous déjeunerons sur le balcon dans une demi-heure.
-
Bien Mademoiselle.
Amara
était visiblement impressionnée par ce qu’elle avait devait les yeux. La villa
était encore plus imposante vue de près. Avec ses 3 étages, ses balcons et ses
baies vitrées.
-
Tu verrais ta tête ! Eh, c’est qu’une maison !
-
Un château tu veux dire ! Y’a pas ça près de chez moi, j’ai jamais vu une
« maison » aussi grande !
-
C’est vrai qu’elle est pas petite, mais bon tu vas voir, y’a que deux étages
qui son réellement habités.
Loulou
s’avança jusqu’à la porte, Amara sur ses talons. Elles entrèrent. Le
rez-de-chaussée n’était qu’une seule pièce, qui représentait le hall. Un grand
escalier de marbre, au centre de la pièce, menait l’étage supérieur. La pièce était éclairée
par de nombreuses fenêtres et, à droite, une porte-fenêtre menait à une
terrasse. Au dehors on apercevait de l’eau, comme un étang. Des arbres étaient
plantés tout autour, pour faire de l’ombre.
Elles
montèrent l’escalier. A l’étage, il y avait d’un côté les cuisines et une
grande salle à manger, de l’autre côté, trois chambres et salles de bains, dont
celles des parents de Loulou. Quelques pièces avaient été transformées en un
appartement qui appartenait au majordome, Lanlan.
Les
deux jeunes filles montèrent encore un escalier, ici il y avait un grand
bureau, des espaces de rangement, quelques chambres ou autres pièces avaient
été transformées en remises et étaient remplies de divers placards et boites de
rangement. Un autre appartement, pour la femme de ménage faisait face à la
grande chambre de Loulou.
Loulou
gravit une échelle qu’Amara n’avait pas remarquée, au fond du couloir. Amara la
suivit.
-
Ma salle préférée ! Pour faire la fête !
Ce
qui avait dû être un grenier avait été emménagé entièrement : une estrade
était surmontée d’instruments de musique. De nombreuses tables et chaises
étaient disposées çà et là, dans la salle.
Au
fond, dans l’angle, se trouvait un grand bar.
Elles
redescendirent et allèrent dans la chambre de Loulou.
La pièce était lumineuse, tous les meubles, ainsi que les murs étaient blancs.
Une porte menait à la salle de bains, à leur droite. La porte-fenêtre en face
de la porte, menait à un grand balcon et donnait une pleine vue sur la mer.
Elles
sortirent. Sur une petite table de fer ronde, au milieu du balcon, le repas
était servi. Elles mangèrent puis redescendirent. Loulou fit visiter les
jardins à son amie, puis elles repartirent.
En
arrivant, elles filèrent s’enfermer dans leur chambre.
-
Hop ! On va voir qui sera la plus belle, maintenant !
Loulou
aida Amara à s’habiller et à se coiffer : Un petit chignon derrière la
couronne pailletée. Puis elle se prépara, les préparatifs avaient duré une
heure environ.
Chacune
trouvait que l’autre était plus jolie, et elles n’arrivaient pas à se
départager.
A
16h30, la prêtresse Samilia vint chercher Amara pour l’emmener à la cérémonie.
Tous les autres arriveraient à la salle des fêtes à 17h précises.
Elle
emmena Amara vers le Zaap au centre des jardins. Amara reconnut la salle où
elle avait passé la première épreuve, le jour de son entrée dans l’ordre ;
épreuve qu’elle n’avait d’ailleurs pas comprise. Elles se dirigèrent derrière
la fontaine.
Il
y avait, sur une table, un socle de plomb. Au dessous d’un trou, au milieu du
socle, une bille d’argent d’environ deux centimètres et demi de diamètre était
disposée au dessus d’un gros cube de bois.
Maître
Tsongor et trois autres prêtres qu’Amara ne connaissait pas se trouvaient
derrière la table.
-
Tu dois faire fondre cette bille d’argent, dit l’un d’entre eux.
Amara
n’était pas impressionnée, elle savait qu’elle pouvait le faire.
-
Bonne chance.
Au
signal, elle se concentra et appela le feu. Elle ferma les yeux jusqu’à ce
qu’elle le sente prêt. Puis elle fixa la bille d’argent. Elle se concentra
comme elle l’avait appris sur l’aspect de la bille et les courbes du métal,
puis referma les yeux. Elle chauffa le cœur de la bille.
Celle-ci
devint rouge vif et commença à fondre lentement. Le métal coula dans le cube de
bois percé. Quand le métal eut totalement coulé, Amara ouvrit les yeux et
attendit.
-
Maintenant, tu dois réduire le cube de bois en cendres
Amara
fixa le bois qui se consuma instantanément.
Les
prêtres semblèrent surpris par la rapidité de l’opération.
Au
milieu des cendres, un petit Dragon de métal.
C’était
un bijou comme ceux que portaient toutes les personnes de l’ordre. Le métal
était orangé et parcouru de reflets d’argent. Maître Tsongor prit la parole.
-
C’est une des réactions de l’argent face à la magie. Tu dois le porter sur toi,
c’est ce qui montre que tu appartiens à l’ordre du feu : Le Dragon des
Flammes. Tu peux le porter comme bracelet, pendentif ou broche. La plupart des
gens les utilisent comme broche discrète qu’ils utilisent pour attacher leur
cape. Qu’est-ce que tu préfères ?
-
Un bracelet.
Un
des sorciers prit l’oiseau de métal et s’éloigna. Il revint quelques minutes
plus tard, il avait fixé l’oiseau sur une chaînette qu’il passa autour du
poignet de la jeune fille.
-
Après avoir triomphé des deux épreuves, tu appartiens maintenant officiellement
à l’Ordre du Dragon des Flammes.
-
Le premier jour, si tu avais cédé à la panique, la petite lumière que tu as du
apercevoir aurait grandi en se rapprochant de toi. En te touchant, elle
t’aurait ramené à la sortie, dans la grotte ou tu as découvert le Zaap, et tu
aurais tout oublié.
-
Si aujourd’hui tu n’avais pas pu effectuer ce qui t’était demandé, tu n’aurais
pas eu le droit de continuer à apprendre à utiliser la magie…
-
Félicitations.
Amara
fut reconduite au Zaap puis elle se retrouva au milieu de la salle des fêtes.
Tout
le monde la regarda, puis un murmure parcourut la salle. Amara ramena ses mains
devant elle, quand ils virent le petit bracelet d’argent, ses amis poussèrent
un soupir de soulagement et tous applaudirent.
On
fit entrer les invités. Quand Amara revint avec ses parents, tout le monde
applaudit à nouveau. La musique commença et Misugi s’approcha de la jeune
fille, ils devaient ouvrir le bal. Durant la soirée, Amara qui était déjà
fatiguée à cause de sa matinée de shopping, dansa avec beaucoup de garçons de
l’ordre et des invités. A chaque fois que la musique commençait, Amagi
demandait à la jeune fille de danser avec lui. Amara accepta quelques fois,
mais la plupart du temps elle se contentait de s’éloigner en riant. De grands
buffets étaient dressés contre les murs de la salle de danse, et il y avait un
grand choix de nourriture. Elle fit visiter les jardins et les bâtiments à ses
parents.
Peu
à peu, les invités partirent, et les parents d’Amara se retirèrent à leur tour,
ils ne voulaient pas rentrer dans le noir car pendant la nuit il n’y avait
aucune lumière sur le chemin.
Les
habitants du berceau restèrent une grande partie de la nuit à danser dans la
salle.
C’était une fête très réussie. La salle de danse se vidait petit à petit et
chacun allait se coucher.
Amara
alla faire un tour dans les jardins avant de dormir. Misugi la rejoignit peu de
temps après. Ils n’avaient pas eu le temps de parler beaucoup ce jour-là, ils
ne s’étaient pas vu de la journée, ni aux repas.
Misugi portait un costume noir qui contrastait avec sa peau claire. De petites
lampes, accrochées ça et là dans les arbres jetaient une lumière verte sur
toute l’étendue des jardins et se reflétaient sur la robe d’Amara.
Misugi
s’approcha d’elle.
-
Félicitations, le grand prêtre m’a raconté l’épreuve, tu t’es très bien
débrouillée.
Il
lui adressa un sourire rayonnant. Amara sourit
son tour et ne put s’empêcher de s’approcher plus près du jeune homme
afin de le sentir tout contre elle. Il l’enlaça et la regarda avec tendresse.
Amara passa ses bras autour du cou de Misugi et lui déposa un petit baiser
juste au coin des lèvres.
Ils
restèrent ainsi durant de longues minutes, Amara posa la tête contre l’épaule
du jeune homme et il la berça tendrement.
Puis
il s’éloigna un petit peu et la regarda.
-
Tu es magnifique ce soir.
Il
lui sourit et approcha lentement son visage de celui d’Amara, jusqu’à sentir
les lèvres de la jeune fille tout contre les siennes. Il l’embrassa avec
tendresse.
Amara
lui sourit amoureusement. Elle se sentait bien.
Il
passa le bras autour de ses épaules et ils prirent le chemin du retour.
Alors
qu’ils marchaient lentement dans l’allée, ils entendirent un ricanement dans
les buissons. Bien qu’il se doutait de qui était la personne qui se cachait là.
Misugi s’approcha du buisson et y donna un coup de pied. Ils virent Amagi
s’enfuir en riant.
-
Il est collant quand il s’y met !!
-
Bah… il a l’air jaloux, Amara rit doucement, tu aurais vu comme il me tournait
autour pendant la fête !
-
J’ai vu… bon, on rentre ?
Amara
réprima un éclat de rire, Misugi aussi semblait jaloux. Elle reprit sa main et
ils marchèrent en silence jusqu’au bâtiment. Il la raccompagna jusqu’à la porte
de sa chambre.
Quand Amara rentra, Loulou la félicita. Puis elles se couchèrent. Amara était
fatiguée par cette longue journée et s’endormit aussitôt.
CHAPITRE 9 A VENIR
• CHAPITRE 10 :
Le sauvetage
Les jours qui suivirent, la jeune fille continua
son entraînement, travaillant avec ardeur.
Un
mois passa sans qu’il ne se passe d’événements particuliers.
Un beau
jour au cœur de l’été, alors que Loulou et Amara étaient sorties et profitaient
du soleil, allongées sur leur serviette de plage, elles perçurent un faible cri
venant d’un buisson, au dessus de la plage.
Amara
semblait inquiète, elle se leva et chercha l’origine du bruit. Elle se dirigea
dans cette direction, écarta les branches d’un arbrisseau broussailleux et
découvrit un homme, recroquevillé sur lui-même. Il gémissait faiblement et la
douleur se lisait sur son visage. Il ouvrit les yeux, la fièvre empourprait son
visage, il respirait avec difficultés. Quand il aperçut Amara, il s’agrippa à
son bras, lui faisant presque mal. Amara le retourna sur le dos et l’allongea.
Elle diagnostiqua de graves brûlures sur ses bras et sa poitrine. Une blessure
saignait abondamment à son épaule. Amara, ne sachant que faire, appela Loulou.
Le cri désespéré d’Amara la fit accourir et elle étouffa un cri en découvrant
le jeune homme blessé. Elle s’approcha et repoussa Amara, la jeune fille,
surprise, trébucha et se rattrapa de justesse à une branche.
Loulou
semblait connaître le blessé, sans hésiter, elle détacha la ceinture de l’homme
et vida le contenu de la sacoche qui pendait au flanc de celui-ci. Elle fouilla
un instant parmi les fioles, les fleurs et les ustensiles répandus dans le
sable. Observant par-dessus l’épaule de la petite fée, Amara reconnut le
matériel d’alchimiste. Elle était troublée et ne remarqua pas tout de suite que
Loulou lui faisait signe d’approcher.
- Ama ! Mais aide-moi enfin !
Elle lui
tendit une petite fiole et un grand morceau de tissu.
-
Occupe-toi de son épaule.
Loulou
sortit de la sacoche la petite paire de ciseaux en argent qui servait à couper
les tiges des fleurs les plus résistantes ainsi que les plus délicates, elle
découpa maladroitement le haut de la tunique déjà en lambeaux, brûlée et tachée
de sang.
Amara se
pencha sur le blessé et versa le contenu de la fiole sur la plaie, elle la
compressa ensuite fortement avec le tissu pour empêcher le saignement.
Elle réprima un petit cri d’horreur en détaillant la poitrine du garçon, sa
peau était brûlée, des griffes zébraient son torse, laissant des marques
jaunâtres…
Loulou
battait nerveusement des ailes, murmurant ses incantations d’une voix faible.
Son visage était baigné de larmes.
-
Ama ! Je n’y arriverai jamais seule ! Gémit-elle, désespérée.
Amara
utilisa la ceinture pour maintenir le tissu sur l’épaule du jeune homme. Elle
contourna son corps et s’approcha de Loulou, sans hésiter, elle passa les bras
autour des épaules de son amie et se concentra pour l’aider comme l’avait fait
Misugi avec elle.
Loulou
soupira de soulagement en sentant ses forces revenir et s’activa sur le corps
du blessé. Les brûlures devinrent moins rouges, les griffes se rétractèrent.
Une fois
les premiers soins donnés, Loulou détourna son attention de l’homme et se
laissa tomber sur le côté. Amara, sentant son propre épuisement, réalisa
l’effort qu’avait du fournir Loulou. Elle se leva et fit maladroitement
quelques pas.
Elle du s’y
reprendre à plusieurs fois pour retrouver un équilibre à peu prêt stable. Elle
se dépêcha de regagner le berceau. Assise sur le socle de pierre, entre les
rochers, Amara attendit. La lumière autour d’elle brillait faiblement. Elle
attendit un long moment avant de réaliser qu’elle ne saurait activer le Zaap
dans cet état. Elle ferma les yeux et se concentra, sa tête était douloureuse.
Soudain elle se sentit transportée. Quand elle regarda autour d’elle, sa vision
trouble lui montra un grand temple.
- Amara ?
La jeune
fille leva les yeux vers le sorcier.
- Mais
depuis quand n’arrives-tu plus à activer les Zaaps ? C’est…
Il
s’interrompit en voyant la fatigue de la jeune apprentie.
- Amara, il
y a un problème ?
- Un homme
blessé sur la plage… plus en danger maintenant… Loulou…
L’esprit
d’Amara était embrumé, elle ne trouvait plus les mots qui convenaient.
- Ne bouge
pas Amara, nous allons envoyer de l’aide.
Le prêtre
sortit, Amara resta seule au milieu de la pièce, cherchant à reprendre ses
esprits.
Au bout de
quelques longues minutes, quelqu’un entra dans le temple. C’était un jeune
homme plutôt petit, il avait une étrange peau bleu- nuit, presque violette, de
la même couleur que les petites ailes que l’on apercevait dans son dos. Il
semblait heureux et paisible. Il s’assit devant Amara et la regarda. Il murmura
quelques mots et la jeune fille se sentit tout de suite soulagée, ses idées se
remettaient peu à peu en place. Elle se leva et ne ressentis plus rien des
vertiges ressentis quelques instants plus tôt, elle se sentait parfaitement
bien.
- Merci. On
se connaît il me semble ?
- Je suis
un ami de Misugi, Romanas.
- Oui c’est
vrai je m’en souviens.
Amara
sembla se souvenir de quelque chose.
- Je dois
aller sur la plage !
Le garçon
sortit. Malgré sa petite taille, Amara jugea qu’il devait avoir à peu prêt
l’âge de Misugi.
Amara
repensa à l’homme de la plage et se précipita jusqu’au Zaap de sortie. Elle
accourut jusqu’au lieu où elles avaient découvert le blessé.
Quelques
personnes s’y trouvaient, quelques fées s’affairaient autour de Loulou. Le
blessé était réveillé et s’entretenait avec le Grand Prêtre. Il avait été
installé sur une civière et couvert d’une couverture, il semblait encore très
faible. Il parlait avec difficulté, grimaçant de douleur à chaque fois que sa
poitrine se soulevait.
Loulou
revint peu à peu à elle et ouvrit les yeux. Les fées autour d’elle finirent
leurs incantations et elle se leva. Elle s’approcha de la civière. Ne tenant
pas compte du Prêtre qui parlait, elle s’agenouilla prêt du jeune homme et prit
la parole :
-
Keazou ! Ce sont les dragœufs n’est-ce pas ?
- Loulou…
oui les dragœufs… ils sont devenus méchants… comme tous les autres…
Keazou
ferma les yeux et réprima une grimace de souffrance.
- Mais
enfin de quels autres parles-tu ?
Le Prêtre
intervint alors :
- Loulou,
du calme. Ton ami a besoin de repos, nous parlerons de tout ça un peu plus
tard.
- Merci
Loulou… je n’aurai certainement pas survécu sans toi.
- Je
n’allais tout de même pas te laisser mourir derrière ce buisson, le taquina
Loulou.
Amara
s’avança timidement, derrière Loulou. Le Grand Prêtre dit :
- Je crois
que tu oublies Amara, Loulou. Elle a beaucoup contribué au sauvetage.
Amara
croisa le regard du jeune homme et se sentit rougir, alors qu’il la regardait
dans les yeux, son regard était reconnaissant. Il la remercia.
- Mais ce
n’est rien, n’importe qui aurait fait la même chose ! Et puis j’ai pas
aidé beaucoup…
Loulou
était couverte d’une couverture, Amara, toujours en maillot de bain, s’aperçut
qu’elle frissonnait. L’inconnu la dévisageait,
elle-même ne pouvait s’empêcher de l’observer.
Au
même moment, Misugi arriva à l’improviste derrière Amara et l’enlaça. Surprise,
elle sursauta et se retourna afin de lui rendre son étreinte. Sans lâcher la
jeune fille, Misugi se retourna vers le blessé.
-
Bonjour Keazou.
A
la surprise d’Amara, et de Keazou lui-même, le ton de Misugi avait quelque
chose de froid, il semblait énervé. Celui-ci ne savait que dire au jeune homme
allongé sur la civière. Son bras crispé autour de la taille d’Amara traduisait
son humeur. Amara comprit que son ami n’avait pas apprécié le regard de Keazou
et l’attention que celle-ci lui portait. La jeune fille exaspérée se détacha de
l’étreinte envahissante de Misugi. Loulou quant à elle semblait tout à fait
d’accord avec Misugi.
Si
bien qu’Amara battit en retraite et alla s’asseoir un peu plus loin sur un
rocher.
Le bouftou qui observait la scène depuis le début, s’approcha de sa jeune
maîtresse. Elle le prit sur ses genoux et le caressa distraitement en observant
la scène de loin.
Misugi
discuta un moment avec Loulou puis il s’éloigna. Il adressa un petit signe de
la main à Amara et rentra. Elle le suivit des yeux jusqu’à ce qu’il disparaisse
entre les rochers. Puis elle reporta son attention sur le blessé. Il semblait
dormir. Sur ordre du prêtre, quelques personnes soulevèrent la civière et le
groupe se dirigea vers le Zaap. Loulou marchait à côté du blessé.
Amara
suivit, derrière.
Keazou
fut installé dans une chambre à part, en dehors des dortoirs. L’incident fut
énoncé durant le repas.
•
CHAPITRE 11 : L’enlèvement
Ce soir là,
Misugi proposa à Amara d’aller s’entraîner sur la plage. Amara accepta l’idée
et ils se rendirent jusqu’au bord de l’eau. Misugi posa un genou à terre et
observa le sable. Avant de se relever, il trempa sa main dans l’eau et
éclaboussa un petit tas de sable qu’il avait vu remuer, Amara recula en voyant
un gros crabe en sortir. Le crustacé avait une énorme pince, démesurée par
rapport à la taille de l’animal. La jeune fille songea qu’il aurait facilement
pu tuer un jeune bouftou en quelques coups de pince.
Amara,
occupée à détailler l’étrange animal, réagit enfin et appela le feu à
elle ; elle fut surprise en sentant la résistance du crabe. Son épaisse
carapace le protégeait du feu. La jeune apprentie fixa son attention sur les
petites mandibules qui entouraient sa « bouche ». Là, la chair tendre
n’était pas recouverte de carapace. Au bout de quelques minutes, le monstre
« implosa » et bientôt, il ne resta qu’un petit tas de cendres qui se
mêlaient au sable, sous la carapace intacte, ainsi que la massive pince. Elle
ramassa la carapace et la pince et les fourra dans son sac à dos.
Ils s’amusèrent pendant un long moment, s’éclaboussant entre eux, exterminant
les crabes et courant sur la plage.
Puis le jour commença à baisser, ils se promenèrent en silence sur la plage,
main dans la main.
- Je n’aime
pas cette histoire, à propos de Keazou…
Amara
s’attendait à ce qu’il parle de ça, elle resta silencieuse.
-
Je repensais à cette prophétie…
-
Tu crois qu’elle a quelque chose à voir avec cette histoire ?
-
Je n’en sais rien, mais les dragœufs…
-
Que sont les dragœufs ?
-
Des animaux, on raconte que ce sont des bébés dragons qui ont été ensorcelés
pour garder à jamais leur état de bébé. Si l’on prend soin de les éviter, ils
nous laissent tranquille. Et les bworks… ces créatures sont tellement bêtes
qu’il ne songeraient jamais à attaquer qui que ce soit. Ils préfèrent s’amuser
et errer dans leur village à la recherche de quelque d’objets sur lesquels
abattre leur massue !
-
Mais alors, comment expliquer les blessures de ce garçon, Keazou ?
-
C’est là que je repense à la prophétie, si le maître du mal est aussi puissant
que toi…
-
Que faudrait-il faire pour l’arrêter ? Demanda Amara dans un élan de
courage.
-
Je n’en ai aucune idée malheureusement. Allons nous coucher, nous essayerons
d’en apprendre d’avantage demain.
- Ecoute,
chuchota Amara.
Misugi
tendit l’oreille mais ne perçut aucun son.
- Je
n’entends rien, qu’est-ce que…
-
Justement, regarde les vagues, aucun bruit… et le vent dans les arbres là
bas ? Tu ne trouves pas ça bizarre ?
- Oh !
Non !! Viens !
Il lui
agrippa fermement le bras et l’entraîna jusqu’au cimetière. Il l’attira jusqu’à
l’intérieur d’un caveau de pierre où ils se cachèrent derrière une grande
pierre tombale. Dans le noir total, Amara jetait tout autour d’elle des regards
effrayés, luttant pour ne pas céder à la panique. Ils s’assirent par terre,
Amara se recroquevilla sur le sol de pierre froide. Misugi la maintint contre
lui et murmura :
- Ne fait
aucun bruit, surtout ne bouge pas. Je t’expliquerai.
Ils
attendirent sans bouger, les minutes qui s’écoulèrent leur semblèrent être les
plus longues de leur vie. Rien ne se passa. Misugi chuchota :
- Des
démons… leur magie est si maléfique qu’elle crée une atmosphère lourde,
étouffant chaque bruit. Parfois même, quand ils sont nombreux, un orage éclate,
des nuages s’entassent, menaçants dans le ciel, le brouillard se lève…
- Mais que…
-
Chut !!!
Soudain,
des voix au dehors. Amara ne put réprimer un violent frisson d’horreur, un
léger gémissement s’échappa de ses lèvres.
Tout aussi
soudainement, ils entendirent un grincement puis un claquement métallique. Les
deux jeunes gens ne voyaient rien de leur cachette, mais ils songèrent à la
porte du caveau : une grille de fer forgé…
- Il est
là ! Cria une voix au dehors.
- Amara, ne
bouge surtout pas, murmura Misugi.
-
Non ! Reste ! C’est moi qu’ils cherchent… gémis la jeune fille,
paniquée.
- Je t’aime
Amara.
Il se leva
lentement et fis face aux démons, quatre d’entre eux avaient pénétré dans le
caveau.
- Je suis
là, je vous attends ? Déclara-t-il d’une voix forte, qui ne tremblait pas.
Malgré les circonstances, Amara ne put s’empêcher de ressentir une bouffée
d’amour profond mêlé d’admiration pour le jeune homme.
Elle
murmura d’une voix à peine audible pour elle-même.
- Je
t’aime…
Une silhouette s’avança vers Misugi qui ne bougea pas. Il se concentra et
l’homme poussa un glapissement de douleur.
- C’est tout ce que tu peux faire ? Ricana-t-il sinistrement.
Mais cette
fois-ci, ce n’est pas un démon, mais quatre qui s’avancèrent vers lui. Misugi
recula d’un pas et trébucha dans l’ombre.
Amara reprit ses esprits en entendant un bruit mat sur la paroi du caveau.
Oubliant
les démons, elle se traîna jusqu’à l’endroit d’où provenait le bruit. Elle
toucha enfin le bras de son ami et s’approcha de lui. Elle gémit en touchant la
tête de Misugi, elle en retira une main couverte de sang. Sang qui maculait le
sol tout autour du jeune homme…
Les quatre
hommes la regardaient, visiblement surpris.
Amara, aveuglée par la haine, fixa le seul démon qu’elle distinguait à la
lumière de la lune filtrant entre les barreaux de la grille métallique. Elle le
brûla cruellement avant de se jeter sur lui et de le rouer de coups, toujours
concentrée sur les brûlures qu’elle lui infligeait. L’homme hurla de toutes ses
forces et tomba à terre, il eut quelques sursauts et cessa de bouger. Amara
s’effondra sur lui, sans forces.
Deux
d’entre eux la ceinturèrent et l’attachèrent avec de solides cordes.
-
Occupez-vous du garçon.
Après une
minute de silence, le démon se releva et annonça :
- Il est
mort.
Amara s’évanouit ces
mots, hurlant de toutes ses forces malgré son état.
L’homme s’approcha de son compagnon à terre.
- Laisse-le, elle a du réveiller tout le village à crier
comme ça, on file !
•••
Loulou se réveilla tôt, durant cette horrible nuit. Le jour
n’était pas encore levé. Elle ne savait rien de ce qui s’était passé cette nuit
là. Somnolant à demi dans la pénombre de sa chambre, la jeune fille sursauta
quand on frappa violemment à la porte. Elle se leva en grommelant, encore toute
endormie.
Elle alla ouvrir la porte.
Elle ouvrit la bouche en apercevant Maître Tsongor lui-même
devant sa porte, mais il a devança :
- As-tu vu Amara ?
Loulou tourna la tête vers le lit de sa compagne et
s’aperçut seulement de son absence. Elle hocha négativement la tête avec un air
d’incompréhension totale. Elle allait poser une question, mais cette fois
encore le Maître pris la parole :
- Merci Loulou, nous te tiendrons au courant.
Loulou haussa les épaules, se demandant ce qui se passait.
Elle chassa bien vite ces pensées de son esprit et se remit au lit. Pensive,
elle se rappela un rêve qu’elle avait fait dans la nuit. Une femme criait. Un
étrange pressentiment lui serra le ventre et elle se demanda quelle était la
part de réalité dans ce rêve. Continuant à y réfléchir, elle se rendormit.
A nouveau, bien plus tard ce matin là, Loulou fut tirée du
lit par des coups frappés à la porte. On frappait doucement, comme de peur de
réveiller l’occupante de la petite chambre. Loulou se leva et alla ouvrir.
Cette fois-ci, la grande Prêtresse était là, le visage fatigué, comme si elle
avait passé une longue nuit blanche, elle semblait avoir vieilli d’une dizaine
d’années en une seule nuit.
Loulou lui proposa d’entrer.
-
Non
Loulou, habille-toi vite, le Grand Maître veut te voir, ce qui se passe en ce
moment est très grave.
-
Loulou s’habilla le plus vite possible, sans même prendre le
temps de fermer la porte. Elle accompagna la prêtresse jusqu’au temple. En
passant devant une salle, elle reconnut Amagi, accompagné de deux adultes qui
devaient être ses parents. La femme pleurait, le petit garçon, assis sur une
chaise, regardait fixement dans le vide.
L’homme quand à lui était livide et se tenait au mur, comme
pris de vertiges.
Loulou sentit son cœur s’emballer, elle devint très pâle et
se retint au bras de la prêtresse pour ne pas tomber.
En arrivant au temple, elle reconnut dans la pièce quelques
personnes parmi les amis de Misugi et Amara. Ils arboraient un air
interrogatif. Bien sûr, aucun d’eux ne pouvaient imaginer, se dit la prêtresse.
Même Keazou était là. Avec les évènements de ce matin, personne n’y avait plus
pensé, pourtant, il était là, parmi eux. L’inquiétude se lisait sur son visage.
Loulou s’approcha de lui pour lui demander ce qui se passait, il allait
répondre quand la porte s’ouvrit. Le grand prêtre s’avança, le silence se fit.
Celui-ci avait lui aussi l’air épuisé et découragé, il tentait de rester digne
mais ses mouvements étaient désordonnés, il marchait à la façon d’un automate
et semblait complètement ailleurs.
Loulou sentit les larmes lui monter aux yeux, elle se serra
contre Keazou qui la prit doucement dans ses bras.
Maître Tsongor leur faisait face, promenant dans la pièce,
un regard triste.
Le prêtre se mit à parler, sa voix était étrangement rauque
et tremblante.
Il leur résuma la situation, les cris d’Amara qui avaient
donné l’alerte, les hommes envoyés dans la direction des cris. Le corps du
jeune homme découvert dans le cimetière…
- …quand nous sommes arrivés, il était trop tard… Misugi n’a
pas souffert…
A cette annonce, cris et sanglots envahirent la salle.
D’autres personnes n’ayant pas réalisé ce qui s’était dit, attendaient, les
yeux fixés sur le prêtre.
- Des démons ont attaqué, Misugi a voulu les repousser pour
sauver son amie, les démons l’ont violement poussé. Sa tête frappant le mur de
pierre, il est mort sur le coup…
Les pleurs continuèrent, prenant plus d’ampleur encore sur
ces dernières paroles.
Loulou, tombée à genoux par terre, pleurait doucement contre
l’épaule de Keazou qui la soutenait. Le visage de celui-ci reflétait la
douleur, la haine. Il fixait les dalles de pierre qui s’étendaient sur le sol,
devant lui.
- Nous avons trouvé le corps d’un des démons, il est mort ce
matin suite à ses blessures. En revanche, la jeune Amara a disparu. Nous avons
toutes les raisons de croire qu’elle est en vie et nous feront tout ce qui est
en notre pouvoir pour la retrouver.
Le prêtre se retira, laissant là les adolescents dépités,
chagrinés. Loulou pleurait, comme beaucoup d’autres dans la pièce. Keazou la
berçait doucement. Il l’aida à se lever et la ramena dans sa chambre. Elle
s’agrippa à lui quand il voulut la lâcher ; elle le serra de toutes ses
forces en secouant la tête de gauche à droite, des larmes ruisselant sur son
visage. Keazou continua a la bercer tout en lui parlant doucement pour la
calmer. Quand elle cessa de pleurer, Keazou se leva. IL la prit dans ses bras
et la fit se lever à son tour. Loulou n’opposa aucune résistance et se laissa
guider. Le bras autour des épaules de son amie, Keazou l’emmena dans la grande
salle où tous les élèves étaient réunis. Ils s’assirent sur un des bancs et
attendirent. Le grand prêtre recommença son histoire, énonçant une seconde fois
la mort du jeune homme. Loulou ne réagit pas, elle restait assise sur le banc,
sans bouger. Comme elle, beaucoup ne semblaient pas avoir totalement réalisé ce
qu’ils venaient d’apprendre.
Le prêtre continua son discours en expliquant la raison pour
laquelle Amara semblait avoir été enlevée. Il leur raconta la prophétie et tout
ce qui se déroulait depuis quelques tempes, entre autres, les animaux qui
devenaient agressifs et la présence des démons rodant aux alentours des
villages.
- … Misugi en laissant sa vie, a tenté de protéger l’enfant
de la prophétie, et de ce fait, de prévenir le désastre qui se prépare dans ce
monde. Son nom restera gravé dans les mémoires, ainsi que dans nos cœurs.
Tout le monde attendit la suite mais le grand Prêtre se tut.
Peu à peu la salle commença à s’agiter. Keazou et Loulou se levèrent, au milieu
des raclements de chaises et de bancs.
•
CHAPITRE 12 : Prisonnière des démons
Quand Amara se réveilla, elle était allongée sur un vieux
matelas. Elle avait la tête lourde et douloureuse. Elle ouvrit les yeux et
regarda autour d’elle, il faisait sombre mais Amara estima qu’il devait faire
jour. La pièce était petite, la jeune fille tandis la main hors du matelas et
toucha le sol, le parquet de bois était humide et froid. Il émanait du matelas
et d’ailleurs de la pièce toute entière une forte odeur de moisi et d’humidité.
Amara essaya de s’asseoir mais fut prise de vertiges et fut
forcée de se rallonger. Elle ferma les yeux et se força a réfléchir. Pendant
plusieurs minutes, rien ne lui vint à l’esprit mis à part la douleur lancinante
qui lui vrillait la tête. Puis peu à peu, les souvenirs affluèrent dans son
esprit. Elle revit le caveau sombre et les démons avançant vers son ami. La
dernière image qui apparut devant ses yeux était le démon, annonçant d’une voix
froide que Misugi était mort. Amara gémit à cette pensée, la douleur lui
serrait le cœur, des larmes coulaient sur ses joues. Elle porta la main à son
visage et ne put réprimer un cri en la voyant : sa main était toujours
recouverte du sang de Misugi… ses jambes et le bas de sa robe étaient elles
aussi tachées de sang. Amara en eut l’estomac noué et du se concentrer pour ne
pas vomir.
Elle rouvrit les yeux et tenta de se concentrer sur ce
qu’elle avait autour d’elle. Elle s’assit au milieu du matelas au prix d’un
effort considérable et d’une violente douleur qui sembla exploser dans sa tête.
Elle se sentait fiévreuse, et tremblait de tout son corps.
La jeune fille sursauta en sentant le sol bouger au dessous
d’elle. Elle voulut mettre cette impression
sur le compte de son état de santé, mais un coup plus violent la fit
tomber en arrière. Amara se sentait faible et lasse, elle avait peur. Elle
s’allongea sur le dos, les mains croisées sur son ventre et ferma les yeux. Le
sol, qui bougeait réellement de droite à gauche, la calmait. Elle perçut un
bruit sourd et irrégulier qui raisonnait contre les murs comme… de l’eau !
Amara venait de comprendre qu’elle devait se trouver dans la cale d’un bateau…
ce qui n’eut aucun effet rassurant sur elle, bien au contraire.
Elle résuma la situation : elle était seule dans une
petite pièce sombre et moisie, dans le fond d’un bateau plein de démon qui
naviguait vers une destination qui lui était inconnue. Par-dessous tout ça,
elle n’était pas en mesure de faire quoi que ce soit, rien que le fait de
marcher lui aurait été extrêmement difficile.
La jeune fille avait la gorge sèche, elle avait besoin de
boire. Toute son attention fixée sur cette idée, Amara se rendormit.
•••
Les heures passaient au berceau, l’endroit était comme
transformé par les récents évènements. Chacun ne parlait qu’à voix basse, les
salles d’entraînement et jardins étaient déserts.
L’atmosphère, pesante, était insoutenable. La plupart des
membres de l’ordre n’avaient qu’une idée en tête, se réveiller le lendemain
matin pour s’apercevoir que tout cela n’ait été qu’un affreux cauchemar.
Keazou et Loulou furent convoqués au Temple. Maître Tsongor
et
Le maître prit la parole :
- Je ne vais pas passer par quatre chemins et vous expliquer
ce que j’attends de vous. Inutile de vous dire que la situation est très grave.
Je suis allé au village ce matin pour prévenir les parents d’Amara, et des
marchands m’ont affirmé avoir vu un navire prendre la mer, cette nuit. Il y a
toutes les chances pour qu’Amara soit séquestrée à bord de cette embarcation.
- Il faut aller la chercher ! Je…
- Du calme Keazou, cette mission est très délicate. Les
démons ne doivent en aucun cas se douter de ce que nous préparons. Nous savons
qu’une île au large d’Amakna abrite un nombre important de démons, c’est en
quelque sorte une base pour leurs marins qui leur permet de se ravitailler
s’ils viennent de loin. La ville principale des démons se trouve au Sud-Ouest
d’ici, on peut y accéder par la terre, mais il faut traverser d’immenses landes
hostiles et dangereuses. Les démons préfèreront probablement s’y rendre par
voie maritime. En effet, ils y parviendront plus rapidement que par la terre,
et il sera plus difficile pour nous de les localiser. C’est sûrement là qu’ils
emmènent votre amie.
Ce que nous savons aussi, c’est qu’ils ne lui feront aucun
mal, ils doivent l’amener jusqu’à leur ville, saine et sauve, et en pleine
santé.
Les démons sont nombreux et possèdent la force maléfique
avec eux. Les créatures de la nuit sont leurs alliées. Nous aurons besoin de
courage, mais aussi de beaucoup de volontaires. Nous devons mettre toutes les
chances de notre côté. J’ai prévenu ce matin, une vieille femme du village.
Elle avertira l’ordre de la Tortue des Eaux. Nous aurons besoin de toutes
les formes d’énergie magique.
Toi, Keazou, il faudra que tu alertes l’ordre des Chevaliers de
Loulo
Le prêtre les congédia. Loulou et Keazou sortirent dans le
jardin.
Loulou semblait gênée, personne n’avait pensé à prévenir son
petit ami, Guitou, et il ne savait sûrement pas ce qu’il s’était passé. Keazou
sembla contrarié, ça faisait longtemps qu’il n’avait pas vu Guitou. En d’autres
circonstances il aurait été heureux de revoir son ami, mais lui annoncer la
terrible nouvelle de la mort de Misugi allait être dure. Guitou et Misugi
étaient de très bons amis ; Guitou aurait beaucoup de peine.
Keazou savait que Loulou n’aurait pas la force de raconter
l’évènement à son ami, et il savait que cette tâche lui revenait.
Des larmes avaient recommencé à couler sur les joues de la
jeune fée. Keazou la serra tendrement contre lui :
- Tu veux aller voir Guitou ? Tu devrais passer la
soirée avec lui.
- D’accord, allons-y, répondit Loulou d’une voix faible.
Mais elle ne bougea pas et resta serrée contre Keazou. Des larmes perlaient aux
yeux du grand jeune homme dont le cœur se serrait en voyant la détresse de son
amie. Il caressait doucement les cheveux de Loulou, ravalant ses propres
larmes.
Il connaissait Misugi et son décès lui avait fait de la
peine, mais plus encore, il ne supportait pas de voir souffrir ceux qu’il
aimait.
Il comprenait la douleur de Loulou, Misugi était son
meilleur ami et ils passaient beaucoup de temps ensemble. Elle appréciait aussi
beaucoup Amara et son absence accentuait encore plus l’absence de Misugi.
Keazou eut une pensée pour Amara. Elle venait de perdre son
petit ami qui était sûrement mort sous ses yeux alors qu’il essayait de la
protéger. Et elle était emprisonnée dans un bateau avec une bande de brutes.
Keazou, révolté, se jura d’aller la sauver coûte que coûte.
Il ne trouvait pas les mots pour consoler son amie, il passa
la main sur la joue de celle-ci, essuyant quelques larmes, et y déposa un
baiser.
Loulou lui sourit tristement et se leva.
Keazou la regarda, il la trouvait très jolie malgré ses
cheveux en désordre, du à son réveil un peu brutal et les larmes qui
continuaient à couler sur son doux visage.
- Viens.
Il lui rendit son sourire et la prit par la main.
La jeune fille le suivit à l’intérieur, le long du couloir
jusqu’à sa chambre. Ils entrèrent et elle s’assit sur le lit d’Amara. Elle
regarda les affaires de son amie d’un air malheureux.
Keazou alla chercher un peigne dans la salle de bain et vint
s’asseoir derrière Loulou. Il entreprit de démêler les longs cheveux bouclés qui
tombaient sur les épaules de son amie. Il y passa un long moment, ces gestes
doux et appliqués semblaient calmer la jeune fille qui avait cessé de pleurer.
Quand il eut fini, il entraîna Loulou dans la salle de bain
afin qu’elle puisse passer un peu d’eau sur son visage.
- On y va ?
Loulou acquiesça d’un léger signe de tête puis ils
ressortirent. Ils marchèrent en silence, côte à côte, jusqu’au passage. Loulou
l’activa, ils le traversèrent. Ils marchèrent ainsi jusqu’à arriver devant la
maison de Guitou. Loulou frappa. Ils entendirent du bruit à l’intérieur et le
jeune homme leur ouvrit. Il les invita à entrer, l’air heureux de les voir. Il
allait leur demander s’ils allaient bien mais se ravisa en voyant le visage
triste de Loulou. Ils s’assirent tous les trois autour de la table. Loulou
lança un regard suppliant à Keazou. Comme personne ne parlait, celui-ci prit la
parole :
- Guitou…
L’intéressé leva la tête vers Keazou qui continua :
- J’ai une très mauvaise nouvelle à t’annoncer…
Keazou, gêné, ne savait comment dire à l’homme qui le
regardait d’un air inquiet que son ami était parti…
- Tu as entendu parler des démons qui rodaient aux alentours
du cimetière ?
Le jeune homme répondit par un signe de tête affirmatif.
- Misugi et Amara étaient au cimetière hier soir…
Malheureusement, il est apparu que les démons cherchaient Amara. Et… Misugi
voulait protéger Amara… mais ils y avait quatre démons… ils ont… Misugi est… il
est…
Keazou, la gorge serrée, n’arrivait pas à finir sa phrase.
Loulou se leva et alla se blottir contre Guitou.
- Il est mort ? demanda-t-il. Keazou, Misugi est
mort ?
- Oui… Je suis désolé.
Keazou baissa la tête/ Loulou avait recommencé à pleurer.
Guitou ne réagissait pas, il semblait encore sous le choc de la révélation.
- Je vais vous laisser, tous les deux, avança Keazou. Vous
devez avoir des choses à vous dire.
- Merci Keazou. C’est gentil de t’être occupé de Loulou et
d’être venu jusqu’ici, répondit Guitou d’une voix blanche.
Le jeune homme s’avança vers la porte avec regret. La
perspective de se retrouver seul ne l’enchantait guère. Il sortit. La nuit
était belle, aucun nuage, le ciel étoilé. La lune éclairait les pavés de la
rue. Keazou se promena un moment sur la plage puis rentra au berceau et se
coucha immédiatement. Il n’avait pas faim.
•••
Il faisait
chaud, Amara était entourée de flammes, elle transpirait. Au milieu du cercle
de feu, elle discutait avec Misugi. Soudain, les griffes jaunâtres qu’elle
avait déjà vues sur la poitrine de Keazou apparurent sur celle de Misugi. Quand
elle voulut s’approcher pour le soigner, il recula d’un pas et tomba dans les
flammes. Quand la jeune fille voulut le suivre et traversa le mur de feu, le
monde bascula autour d’elle, elle se retrouva dans un caveau sombre, éclairé
par la lune. Misugi tombait en arrière et heurtait le mur, la scène se
déroulait indéfiniment devant les yeux d’Amara. Elle cria.
La jeune fille se réveilla, elle criait. Elle
regarda autour d’elle et éclata en sanglots. La soif lui brûlait la gorge et
elle revoyait sans cesse les images de son rêve.
Quand
elle entendit des bruits de pas derrière la porte, elle se tut et se
recroquevilla au bord du matelas sur lequel elle était allongée. Elle ferma les
eux et attendit, tremblante et effrayée comme un petit animal pris au piège.
La porte s’ouvrit dans un grincement, quelqu’un entra. Amara n’osa pas ouvrir
les yeux. Elle resta immobile et attendit encore. Elle sentait le regard du
démon braqué sur elle. La jeune fille l’entendit poser quelque chose. Une
nouvelle fois, la porte s’ouvrit et se referma.
Amara
resta ainsi de longues minutes, guettant le moindre bruit, le moindre mouvement
anormal. Quand elle fut certaine que le démon était parti, elle se risqua à
ouvrir un œil.
Se
voyant en sécurité, elle se rassit. Son mal de tête persistait mais il s’était
atténué. Au début, elle ne remarqua rien de différent autour d’elle, jusqu’à ce
que son regard soit attiré vers le coin de la pièce. Elle y aperçut un grand
récipient de bois. La jeune fille avança vers l’objet, marchant à quatre pattes
sur le sol froid. Quand elle s’en approcha, Amara ressentit un élan de
reconnaissance pour le démon ; le récipient était plein d’eau douce. A
côté, un morceau de pain frais était posé à même le sol.
La
jeune fille étancha sa soif, buvant avidement. Mais, l’estomac noué, elle ne
toucha pas à la nourriture. Avec le reste de l’eau, Amara nettoya le sang sur
ses mains et ses jambes.
Elle
retourna ensuite sur le matelas. Elle se sentait un peu mieux mais la fièvre
persistait. Amara tremblait de froid.
Elle
tenta de se mettre debout mais sans succès, elle se sentait encore trop faible.
Elle s’interrogea sur son état de santé. Pourquoi était elle malade ?
Elle
se souvint avoir déjà ressenti des symptômes similaires lorsqu’elle avait aidé
Loulou à sauver Keazou. C’était dû à l’énergie qu’elle avait dû fournir. Mais
elle ne se souvenait pas avoir utilisé le feu récemment et se demanda ce qu’il
lui arrivait.
Amara se demanda ce qui allait lui arriver à
présent et si quelqu’un viendrait la délivrer.
•••
Keazou
dormit mal cette nuit là, les griffes sur sa poitrine étaient encore
douloureuses, rouges et brûlantes. Mais il savait qu’après les prochains soins
des fées il n’y paraîtrait rien. Il se leva de bonne heure, ne supportant plus
de rester inactif, il alla jusqu’au temple. Le grand prêtre ne dormait pas non
plus, il l’invita à entrer. Le jeune homme s’avança, dans la pénombre. La
flamme vacillante des bougies rendait l’endroit étrange et mystérieux. Keazou
ressentit un certain respect pour ce lieu, ne possédant pas l’énergie du feu en
lui, il s’y sentait étranger. On distinguait le ciel étoilé entre deux
colonnes, le silence était total. Intimidé, Keazou n’osait parler, de peur de
déranger le prêtre Tsongor. Celui-ci semblait épuisé, il était assis sur un siège
de pierre, au milieu du temple.
Il baissa
les yeux sur Keazou.
- Pourquoi
es-tu venu jusqu’ici Keazou ?
- J’ai été
envoyé par mon maître pour vous prévenir de ce qu’il se passait. Mais vous
semblez être déjà au courant depuis plus longtemps que lui… Sûrement parce
qu’A… l’enfant de la prophétie était parmi vous.
- Oui, en
effet. Misugi est venu m’avertir qu’Amara avait un pouvoir particulièrement
puissant. C’est lorsqu’il m’a raconté son histoire que je leur ai parlé de la
prophétie. Je n’ai jamais autant souhaité me tromper… Nous devons agir, pas
seulement pour Amara mais aussi pour le monde entier. Si le maître des forces
maléfiques la retrouve, le monde sera transformé en un véritable enfer.
- La
solution la plus facile serait de… d’empêcher à jamais que le mal s’empare de
l’enfant. Voyant l’air alarmé de Keazou, le grand prêtre s’empressa de
continuer : Méthode que je refuse d’appliquer tant que nous pourrons faire
autrement. Le plus urgent est de récupérer Amara. Pour ce faire, nous réunirons
les meilleurs éléments de chaque ordre afin qu’ils partent la secourir. Les
démons sont très forts et il faudra être prudent. Ils se trouvent actuellement
à l’est d’Amakna, ils voguent assez loin des rivages et des îles pour ne pas
être aperçus. Si nous sommes rapides et efficaces, nous les rattraperons avant
qu’ils n’aient contourné le port de Sufokia. Pendant ce temps, nous
commencerons à constituer une « armée », ici, à Amakna. Il faudra se
battre, et si nous devrons aller jusqu’à détruire le maître du mal, nous le
ferons. Les démons, en enlevant Amara, ont déclaré la guerre, il nous faudra
contre-attaquer. Des éclaireurs seront envoyés près des villes et des îles
regroupant une majorité de démons. Ici les meilleurs recevront une formation
adaptée à l’épreuve qui se prépare. Nous feront venir la milice de la ville de
Bonta afin de donner un entraînement intensif à tous ceux qui le souhaitent.
J’ai prévenu quelques personnes, tu partiras avec eux dès le levé du jour. Tu
les guideras jusqu’à ton maître. Revenez immédiatement jusqu’ici avec les
meilleurs des Chevaliers de
- Bien, qui
partira avec moi ?
- Les fées
Loulou, et DrouVirus. Djahil et Beothien qui ont spécialisé leur apprentissage
vers la création d’armures et de boucliers extrêmement puissants, et Globox qui
a réussi à former ses animaux au combat. Vous devrez sûrement vous battre,
faites attention à chaque animal que vous croiserez, restez tout le temps
ensemble, ne faites confiance à personne. Vous promettre que la mission est
sans danger serait vous mentir, je ne puis qu’espérer que vous ne rencontriez
pas trop de difficultés. Reviens ici dans une heure environ, je vais prévenir
tes compagnons, vous devrez être partis quand apparaîtront les premiers rayons
du soleil. Tient-toi prêt.
Le jeune homme acquiesça d’un air sérieux et se dirigea vers le réfectoire, il devait manger et prendre quelques provisions pour avoir l’énergie d’entreprendre cette expédition. Il sortit ensuit dans les jardins des alchimistes et cueillit quelques plantes utiles pour ses potions et médicaments, il jugea utile d’emporter sa sacoche d’alchimiste, il l’accrocha à sa ceinture à côté de son épée puis se rendit devant le temple. Quelques personnes y étaient rassemblées, le berceau commençait à s’éveiller, on entendant de toute part bruits de pas et chuchotements.
•
CHAPITRE 13 : Expédition pour Amara
Au lever du
soleil, tout le berceau était assemblé dans le temple. Le grand prêtre activa
le Zaap et ils furent transportés devant l’entrée de la petite grotte.
Les six
jeunes gens étaient prêts à partir.
Une des
jeunes filles portait une robe jaune pâle et se tenait près d’un jeune homme
aux ailes noires. C’étaient Globox et DrouVirus ; ils étaient suivis par
un étrange attroupement de créatures, l’une d’entre elle semblait formée
totalement de gros blocks de pierre, c’était un Craqueleur, il marchait d’un
pas lent et lourd. Keazou reconnut aussi un vieux bouftou, un sanglier aux
défenses imposantes et une femelle sanglier suivie de deux marcassins, c’était
le sanglier de Misugi et ses petits. Près de là, deux jeunes hommes avaient un
bouclier brodé sur leur tunique. L’un portait une tunique rouge foncée, l’autre
une noire. Ils semblaient calmes et regardaient leurs camarades. Ils
s’appelaient Djahil et Beothien. Loulou était accompagnée de Keazou.
Le prêtre
s’approcha d’eux et leur recommanda encore une fois la prudence et leur
souhaita bonne chance. Il prit ensuite Keazou à part et lui indiqua
l’itinéraire qu’ils devraient prendre. Il lui confia la responsabilité de
diriger l’expédition.
Le soleil était en train de se lever quand ils partirent. Le
reste du berceau les regarda partir sans un mot, quelques uns agitaient machinalement
la main. Le petit groupe partit vers le Sud-est, en route pour le camp des
Chevaliers de la Terre. Ils s’arrêteraient ce jour-là au port de Sufokia ou ils
feraient une halte pour la nuit.
•••
Cette nuit
encore fut pénible pour Amara. La jeune fille fit encore de nombreux
cauchemars. Elle tremblait de froid, recroquevillée sur elle-même. Le froid et
l’humidité qui s’infiltraient partout créaient une atmosphère glaciale. Amara
ouvrit les yeux et sursauta violement, un homme se tenait dans l'encadrement de la porte, le vent
s'engouffrait dans la pièce accentuant encore le froid qui régnait autour de la
jeune fille.
Amara,
fiévreuse, regardait l'homme en tremblant, il s'approcha d'elle et referma la
porte, la jeune fille ne voyait pas bien mais il avait quelque chose dans les
mains.
Un
grattement se fit entendre à la porte, l'homme se retourna et l'ouvrit.
Amara se
retint de crier quand la créature entra. Comme lors de sa rencontre avec
l'Abraknyde, elle pensa que ces créatures n'existaient que dans les contes pour
enfant.
La créature
s'approcha d'Amara. La jeune fille effrayée recula jusqu'à se retrouver dos au
mur. L'homme posa la main sur la tête de la créature qui arrêta de bouger.
Amara la regarda fixement, l'animal avait une couleur rouge vif et était
couvert d'écailles. Il s'agissait d'un dragonnet, dragon connu par sa petite
taille même à l'age adulte. Le dragonnet arrivait à la taille de celui qui
semblait être son maître. Il possédait d'énormes pattes griffues et de petites
ailes qui semblaient ridicules par rapport à son corps massif et à sa grosse tête. Une épaisse vapeur sortait de
ses naseaux quand il soufflait, il semblait jeune et vif.
Amara,
perdue, jeta un regard au démon. Il lâcha l’animal qui se jeta sur elle. Elle
hurla et ferma fort les yeux. Mais l’animal se contenta de renifler la jeune
fille, la parcourant de son museau chaud, lui soufflant son haleine tiède sur
le visage.
La jeune
fille rouvrit les yeux lentement, étonnée de ne ressentir aucune douleur, et
tenta de se faire toute petite.
Le démon
eut l’air amusé lorsque le dragonnet revint vers lui. Il s’approcha de la jeune
fille encore tremblante et l’appela par son prénom :
-
Amara ?
Elle leva
les yeux, effrayée et tenta de reculer encore. Dans son esprit, une idée était
profondément ancrée : L’un de ces démons avaient tué son ami, ils étaient
dangereux.
Le démon
n’insista pas. Il déposa quelque chose sur les genoux d’Amara avant de partir.
Une fois
l’homme parti, elle s’intéressa à ce qu’il lui avait laissé. A nouveau, elle ne
put réprimer un élan de gratitude envers le démon qui venait de la quitter en
sentant le lourd et chaud tissu orangé de sa cape, pliée sur ses genoux. Elle
se rappela avec douleur l’avoir laissée près de Misugi dans le caveau. Elle se
demanda pourquoi un ou plusieurs de ces démons prenaient relativement soin
d’elle après l’avoir ainsi enlevée et enfermée. Elle se sentait faible, elle
déplia la lourde cape et la mis sur ses épaules. Déjà, elle aurait moins froid.
Elle s’allongea lentement, sa tête recommençait à bourdonner, elle n’avait plus
envie de réfléchir.
Une fois de plus, elle sombra dans un sommeil comateux où
elle revoyait des images d’horreur des dernières nuits, gémissant dans son
sommeil.
•••
Le jour
finit de se lever lorsque les six compagnons quittèrent le village d’Amakna.
Ils se dirigèrent vers les épaisses forêts qui bordaient le village. Keazou
marchait aux cotés de Loulou, à la tête du groupe ; Un rang s’était formé
naturellement entre les compagnons. Derrière Keazou et Loulou se trouvaient
DrouVirus et Globox. Beothien et Djahil discutaient à voix basse derrière eux
et les animaux fermaient la marche.
Loulou
semblait marcher machinalement, à demi réveillée. Mais elle avait l’air d’aller
mieux que la veille, ce qui suffit à réjouir Keazou.
A l’entrée
de la forêt, le jeune homme les fit s’arrêter d’un signe de la main.
- Nous
devons faire attention, je ne sais pas si le mal est arrivé jusqu’ici, la forêt
est peut-être infestée de monstres et autres créatures sauvages. Nous ferions
mieux de nous regrouper au mieux afin de nous préparer à toute éventualité. Je
partirai devant avec DrouVirus et Djahil, derrière moi, Beothien et Loulou.
Globox fermera la marche, prête à envoyer ses animaux au combat. Si nous sommes
attaqués, Beothien et Djahil nous protègerons immédiatement avec leurs
boucliers, les fées soigneront les blessés tout au long du combat. Si les
ennemis sont nombreux, Beothien et Djahil ont leurs bâtons. En cas de besoin,
Globox pourra intervenir en même temps que ses animaux. Est-ce que ce système
convient à tout le monde ?
Tous
acquiescèrent et se tinrent à la place qui leur avait été désignée.
- Bien.
Avançons prudemment même si cela nous demandera plus de temps pour atteindre
notre but.
Le groupe
pénétra dans la forêt et suivirent un petit sentier. Chacun était sur ses
gardes, ils ne parlaient guère. Une majeure partie de la matinée se passa sans
incidents et les six compagnons s’arrêtèrent pour déjeuner dans une ambiance
plus détendue. Keazou proposa une halte aux alentours de midi, dans une
clairière bordée d’arbres. Ils s’assirent sur des souches ou sur de grosses
pierres et commencèrent à manger en silence. Keazou ne connaissait aucun de ses
compagnons mis à part Loulou. Il porta son regard sur elle, assise au pied d’un
arbre, elle le regardait. Il alla s’asseoir à côté d’elle.
- Comment
tu te sens ?
Elle
continua de le regarder sans un mot. Il réalisa qu’elle ne lui avait pas parlé
depuis l’annonce de la mort de Misugi. Elle semblait constamment plongée dans
ses pensées.
- Ca va…
Combien de temps reste-t-il avant d’arriver à Sufokia ?
- Nous y
arriverons un peu avant la tombée de la nuit si tout se passe bien.
- Quand
arriverons-nous à destination ?
- Dans
quatre à cinq jours, toujours si tout se passe bien.
- Où est
Amara ?
- A bord
d’un bateau de démons, à l’est d’Amakna.
Elle sembla
pensive une fois de plus.
- Mange
Loulou.
- Non
merci, je n’ai pas faim.
Il
s’agenouilla devant elle et lui prit les mains.
- S’il te
plait, mange un petit peu.
Il lui
déposa un baiser sur la joue et s’éloigna.
Globox
était appuyée contre un gros orme, DrouVirus assis sur une de ses branches
basses. Keazou se dirigea vers eux. Le Craqueleur, immobile, ressemblait à s’y
méprendre à un gros tas de pierre. Le jeune homme eut un mouvement de recul en
le voyant bouger. Le bouftou de Globox semblait épuisé, il était couché plus
loin, sur le chemin. Le sanglier de Misugi allaitait ses deux petits, celui de
Globox reniflait les buissons, tout autour, Djahil et Beothien s’étaient
rapprochés et tous étaient assemblés. Loulou restait toujours en retrait, elle
regardait le bouftou endormi. Keazou demanda :
- Tout le
monde va bien ?
Ses
camarades hochèrent la tête.
- Nous allons nous reposer un moment avant de repartir, nous sommes presque à
mi-chemin du port.
- Où
va-t-on au juste ? Demanda DrouVirus en descendant de la branche sur
laquelle il était perché.
- Au
berceau des Chevaliers de la Terre.
- Il est
loin d’ici ?
Maintenant,
tous étaient à l’écoute de Keazou. Même Loulou s’était rapprochée et écoutait.
- Quand
nous arriverons à Sufokia, nous ferons une halte jusqu’à demain matin. Ensuite
nous traverserons la côte d’Asse, nous passerons la nuit en bord de Mer. Nous
traverserons ensuite les champs et ferons une halte d’une demi-journée au
village des Tofus Perdus afin de nous ressourcer pour la plus grosse partie de
notre expédition : Nous partirons dès l’aube pour traverser le haut de la
Presqu’île des Dragœufs. Selon l’heure où nous arriverons au camp Bwork, nous
le traverserons ou camperons avant d’y pénétrer. Il nous faudra donc entre
trois et quatre jours pour atteindre les Chevaliers. Toujours si notre
traversée se passe bien. Cette durée peut varier si nous avons à nous battre,
auquel cas nous devrons nous arrêter plus longtemps et plus souvent. Si nous
sommes attaqués par les dragœufs nous devrons probablement marcher de nuit, je
ne tiens pas à être surpris par un dragoeuf dans mon sommeil si nous campons
sur leur territoire.
- Mais… n’y
a-t-il pas une route plus sûre et plus directe pour aller au camp Bwork ?
Si nous allions directement du port jusqu’au camp ?
- Oui c’est
vrai, mais tu oublies le labyrinthe… Les démons ne doivent surtout pas savoir
ce qui se prépare, or beaucoup d’entre eux rodent autour du labyrinthe, nous
devrons faire un grand détour pour le contourner sans passer devant l’entrée.
De même pour les cimetières. C’est pour plus de sûreté que nous faisons ce
détour.
Il leur fit
signe de se lever et demanda :
- Vous êtes
prêts à repartir ?
Ils
acquiescèrent et reprirent la marche. Globox prit la parole.
- Ce sera
plus prudent mais plus long. N’est-il pas urgent de secourir Amara ?
- Nous
avons la certitude qu’Amara est en sécurité. Il est bien sûr important de la
secourir au plus vite, mais il ne faut prendre aucun risque si nous voulons
réussir à reprendre Amara aux démons.
- Comment
va-t-on la retrouver ? Questionna Beothien alors qu’ils continuaient à
avancer dans la forêt.
- Je ne
sais pas, les prêtres de l’Oiseau des Flammes essayent sûrement de localiser le
bateau.
- Des espions
de l’ordre du serpent des airs ont été envoyés sur la trajectoire du bateau, il
y en a à terre le long des côtes, d’autres sur des bateaux marchands, d’autres
encore sur les îles aux alentours d’Amakna.
Keazou se
retourna, c’était Loulou qui avait parlé.
- Voilà,
donc en arrivant au berceau, nous devrions être informés de l’endroit précis où
se trouve le bateau. Une équipe sera envoyée avec des instructions précises
pour sauver Amara.
- Tu
connais Amara ?
- Je l’ai
déjà vue, c’est elle qui m’a trouvée avec Loulou, mais je ne la connais pas
personnellement. Et vous ?
- C’était
la petite amie de Misugi… j’ai déjà discuté avec elle, elle a l’air sympa. Ca
fait pas longtemps qu’elle est arrivée au berceau, répondit DrouVirus.
- J’ai
remarqué qu’elle avait des animaux, elle pourrait essayer de les dresser.
J’aimerai bien discuter avec elle, ajouta Globox.
- Moi, je
l’ai déjà vue, elle est jeune mais elle est très jolie, dit Beothien,
plaisantant à moitié.
- Très
jolie c’est vrai, commenta Djahil. Elle avait une mignonne petite robe bleue
quand elle est sortie l’autre jour.
Cette
remarque provoqua quelques sourires.
- Et toi
Loulou ? Lui demanda Djahil.
- Misugi
était mon meilleur ami. Amara est une bonne copine, elle est dans la même
chambre que moi au berceau. Nous restions souvent ensemble depuis qu’elle est
arrivée.
Ils
continuèrent ainsi à discuter tout en marchant d’un bon pas sur le sentier.
- Attendez,
la forêt devint plus dense ici, on va devoir se serrer. Essayez quand même de
plus où moins conserver votre position. Nous sommes facilement repérables.
Soyez vigilants, nous ferons une pause en sortant de la forêt.
Le sentier
se finissant, le groupe s’engouffra au cœur de la forêt. Keazou sortit son
épée, coupant les branches encombrantes. DrouVirus parti devant lui, dégageait
les ronces gênantes avec son petit couteau de chasse, se faufilant sous les
grosses branches avant que Keazou ne les coupe, rendant ainsi leur progression
plus aisée.
DrouVirus
s’arrêta d’un coup.
-
Attention.
Keazou
repassa devant, ils étaient arrivés dans une grande clairière. Devant eux
s’avançaient cinq Abraknydes, grands et menaçants. Ils balançaient les énormes
branches qui leur servaient de bras au dessus de leur corps, un gigantesque
tronc creux, parsemé de petites branches feuillues. De grosses araignées
rampaient aux côtés des arbres, apparaissant sous une racine où une autre. Ces
araignées maléfiques, énormes, bâtissaient leurs nids au creux du tronc des
Abraknydes, tissant leurs toiles entre leurs branches, et à l’intérieur des
arbres.
Le groupe
s’avança dans la clairière. Les Abraknydes se dirigèrent vers les jeunes gens,
balançant leurs branches de manière ridicule. Un Abraknyde, malgré sa force,
n’était pas particulièrement malin.
Immédiatement,
Beothien et Djahil créèrent de puissants boucliers. Vinrent ensuite les
sortilèges des fées qui donnaient force et courage aux combattants.
Keazou
courut vers un Abraknyde, fit tournoyer son épée et l’abattit sur la créature
qui devint folle, tentant d’agripper le jeune homme de ses branches grossières.
Keazou frappa encore, l’Abraknyde ne fut bientôt réduit qu’à un petit tas de
bois.
Les fées
soignaient les combattants tour à tour par des sorts simples mais efficaces.
Beothien
créa un bouclier enflammé qu’il dirigea vers le sol, devant les deux arbres qui
allaient abattre leurs branches sur le crâne de Loulou et le poussa sur le
bouclier de Beothien d’un coup de bâton. L’arbre s’enflamma immédiatement et il
n’en resta rapidement plus qu’un tas de cendres chaudes.
Globox qui
était restée derrière, envoya son Craqueleur se battre contre un Abraknyde
particulièrement gros. Le Craqueleur, de ses énormes bras de pierre, broyait
littéralement le bois mince qui composait le corps de la créature. Les deux
sangliers tournaient autour des deux Abraknydes suivants, les repoussant sur le
bouclier, de leurs puissantes défenses.
Beothien et
Djahil maintenaient le feu sur le bouclier. Bientôt, apparurent deux autres tas
de cendres fumantes.
Des
sourires naquirent sur les lèvres des combattants essoufflés. Le combat avait
été rapide et relativement facile, une parfaite coordination avait été présente
tout au long du combat et au final, l’attaque les avait diverti.
Ils reprirent leur marche en direction de la mer. Ils s’arrêtèrent en milieu d’après-midi au bord d’un grand étang. L’eau avait une couleur douteuse et personne ne voulut trop s’approcher du bord. On distinguait sous la surface des silhouettes de gros poissons, filant sous les nénuphars et autres plantes aquatiques de couleur verdâtre. L’endroit n’avait rien d’accueillant mais les arbres bordant le sentier leur procurait une ombre agréable, il faisait encore chaud et tous furent heureux de se reposer un moment.
•
CHAPITRE 14 : ShadowTony
Pendant ce
temps, seule au fond de sa prison, Amara aurait donné cher pour voir à nouveau
la lumière du soleil. Physiquement, elle se sentait mieux. Elle avait beaucoup
dormi, et ces dernières heures au chaud, enroulée dans sa cape lui avaient été
bénéfiques ; elle ne tremblait plus. Ses maux de tête persistaient
néanmoins, et elle était complètement perdue. Elle avait du mal à remettre de
l’ordre dans ses idées afin de pouvoir penser clairement.
Elle était
réveillée, adossée à la paroi de la cabine, sa cape sur les épaules, écoutant
les bruits autour d’elle. Le bateau tout entier grinçait, les vagues faisaient
du bruit en s’écrasant sur la coque.
Amara
entendait parfois des voix et bruits de pas de l’autre côté de la porte. Elle
se demanda depuis combien de temps elle était là : dans ses longues
périodes de sommeil, la jeune fille avait perdu toute notion du temps qui
passait. Elle estima avoir passé quelques jours dans cette pièce : elle
distinguait le jour où elle était arrivée, le jour où on lui avait apporté de
l’eau, et le jour où elle avait retrouvé sa cape, mais n’avait pas la certitude
que tout cela ne s’était pas passé en un seul jour.
En pensant
à l’eau que le démon lui avait apportée, elle s’aperçut qu’elle avait soif.
Elle regarda en direction du pain qui était resté dans le coin de la
pièce ; son estomac lui réclamait de la nourriture, mais elle se sentait
incapable de manger quoi que ce soit.
Elle ressentit au même moment une violente envie d’aller aux toilettes. Elle
savait d’expérience qu’elle pourrait se retenir encore au prix de fortes douleurs
au bas-ventre.
La jeune
fille se leva, lentement. La tête lui tournait encore. Elle fit quelques pas
maladroits et se retint au mur de bois, froid et humide. Elle avança vers la
porte en titubant, la douleur recommençait à cogner dans sa tête.
Amara
n’avait pas particulièrement peur, jusqu’à maintenant, elle avait eu à boire et
à manger, on lui avait même rendu sa cape. Visiblement, on ne cherchait pas à
lui faire du mal. Elle fit quelques pas de plus vers la porte et s’arrêta. Elle
s’adossa au mur afin de se stabiliser et de chasser les vertiges qui
l’assaillaient.
Au bout de
quelques minutes, elle quitta la paroi de bois et s’assura qu’elle pouvait
marcher, presque normalement. Elle s’approcha de la porte et tourna
délicatement la poignée. A sa plus grande surprise, la porte s’ouvrit en
grinçant. Amara attendit que la porte s’ouvre totalement et avança. Devant
elle, il y avait des empilements de caisses et sacs de toile. Il régnait la
même obscurité que dans la petite pièce où elle se trouvait. L’obscurité
n’était troublée que par quelques raies de lumière qui venaient du
« plafond ».
Amara
avança lentement. Elle perçut un mouvement à sa gauche et se retourna en
sursautant.
Dans
l’ombre, elle n’avait pas vu l’homme à demi masqué par la porte.
- Alors, tu
veux sortir ma belle ?
Amara ne
répondit rien à la question. L’homme s’avança vers elle, elle recula d’un pas
et l’observa.
L’homme
était massif, ses énormes bras dépassaient d’une veste de marin sale et
déchirée. Ses cheveux emmêlés, autant que sa barbe, semblaient n’avoir jamais
été lavés. Son pantalon, trop court, était déchiré lui aussi et la fermeture
éclair, au dessous de sa ceinture débouclée était ouverte.
Amara fut
heureuse qu’il fasse noir car l’obscurité cachait la grimace de dégoût qui devait
s’afficher sur son visage. Les odeurs qui se dégageaient de l’homme, mêlées à
celles de l’alcool, étaient insoutenables.
Il lui
tandis sa bouteille – sûrement du rhum. –
- T’as soif
ma jolie ? Viens par là.
Amara
recula encore.
- Allez
viens, tu m’aimes pas ? Moi je t’aime, viens avec moi !
Il arriva à
sa hauteur et lui agrippa fermement le bras. Elle gémit de douleur.
- T’aimes
pas avoir mal ma belle ? Viens je te ferais pas mal, viens voir je te fais
visiter ma chambre.
Amara tenta
de se dégager mais il lui serra plus fort le bras, elle gémit a nouveau. Il
l’attira vers lui.
- Dis, t’as
perdu ta langue ? Allez montre la moi !
Il approcha
son gros doigt sale de la bouche de la jeune fille…
- LACHE
LA !
Le gros
homme lâcha Amara qui recula vivement jusqu’à la porte de sa chambre, soucieuse
de mettre le plus de distance possible entre ce monstre et elle. Il se retourna
en grondant.
- C’est bon
quoi, on peut même plus s’amuser sur son propre bateau !
- Tu ne
dois pas abîmer la marchandise, le maître ne serait pas content. Et puis tu
n’as pas vu ce qu’elle a fait au cimetière. Tu devrais la laisser tranquille.
Amara
n’écoutait pas ce qu’ils disaient, elle se remettait peu à peu de sa peur. Elle
se retourna et regarda l’homme qui parlait. Il était grand et totalement
habillé de noir. Une grande cape descendait élégamment le long de son dos,
touchant presque le sol. Amara ne distinguait pas son visage recouvert par la
même capuche noire que celle des autres démons.
- Si tu
l’embêtes, okay mais c’est à tes risques et périls. Mais je t’interdis de la
toucher. Tu auras autant de jouets que tu veux quand le maître aura le sien.
Mais le
gros homme était parti.
Amara
regarda l’homme qui lui était venu en aide, elle ne l’avait jamais vu. Lui
aussi était grand et mince, son teint pâle était accentué par ses longs
vêtements noirs. Elle resta immobile, impressionnée par le démon qui se tenait
dans l’encadrement d’une porte. Il se retourna et donna un ordre d’une voix
froide avant d’entrer dans la pièce derrière lui, sans un regard à Amara.
Un autre
démon apparut à sa place. La jeune fille ressentit un peu de soulagement en
reconnaissant l’homme qui lui avait rendu sa cape. Mais elle chassa vite ce
sentiment, c’était un démon.
- Retourne
dans la cabine, et ne te frotte pas trop à cet alcoolique de capitaine, il
aimerait trop ça…
Amara ne se
fit pas prier et rentra dans sa « chambre », le démon sur ses talons.
Elle s’approcha de la paroi de la cabine et s’y adossa. Le démon entra derrière
elle et referma la porte.
- Tu as
l’air d’aller mieux.
Elle le
dévisagea. Comme l’autre démon, sa peau était très claire. Il avait les yeux de
couleur marron clair, un peu comme ceux d’Amara. Son visage était à demi caché
par l’ombre d’un capuchon de tissus noir, épais. Ses vêtements aussi étaient
noirs, une longue cape, sur ses épaules, était assemblée avec une pièce de
tissus par de petites attaches d’argent, formant une grande et élégante tunique
noire.
- Eh
bien ? Tu ne veux pas me parler ? Qu’est-ce que tu faisais dehors si
tu ne veux pas parler ?
Il
s’approcha un peu d’elle. Elle resta sur ses gardes mais ne bougea pas. Elle
rougit légèrement.
- Je
voulais aller…
La jeune
fille se rendit compte que c’étaient les premiers mots qu’elle prononçait
depuis son enlèvement. Les derniers mots qu’elle avait prononcés avaient été
adressés à Misugi, dans le sombre caveau.
Plongée
dans ses pensées, elle revint à la réalité en entendant la voix du démon qui
avait dû remarquer son trouble.
- Ca va
Amara ?
- Oui, je…
- Où
voulais-tu aller ?
- Je… cherchais
les toilettes, marmonna-t-elle en rougissant de plus belle.
- Oh… c’est
vrai, je n’ai pas pensé à ça. Excuse-moi.
Amara
ouvrit la bouche, surprise, mais ne sut que dire. Le démon venait de s’excuser
de ne pas assez avoir pris soin d’elle ! Elle réfléchit, cherchant s’il
pouvait y avoir un piège dans ses excuses. Elle regarda le démon d’un air
incompréhensif qu’il fit mine de ne pas remarquer.
- Je vais
t’y amener, viens.
Amara,
réticente, finit quand même par le suivre dans l’autre salle. Elle se sentait
bizarrement mieux. Elle arrivait à marcher normalement et seule une légère
douleur persistait dans sa tête. Le démon, devant elle contourna les
entassements de caisses et sacs de toiles. Un petit escalier de bois abrupt et
étroit menait à une trappe. Le démon monta et l’ouvrit.
Amara,
éblouie, ferma les yeux et recula hors du carré de lumière. Cela faisait
plusieurs jours qu’elle n’avait vu aucune lumière. Sa tête recommença à lui
faire ma. Elle se frotta les yeux et s’obligea à regarder une nouvelle fois la
lumière du jour. Le soleil semblait être juste au dessus de la trappe ; il
ne devait pas être loin de midi. Le démon sortit. Amara commença à gravir les
marches de l’escalier grinçant et sortit sur le pont du bateau. Le vent
soufflait fort, faisant claquer les lourdes voiles. Le soleil n’était pas aussi
haut qu’elle l’avait pensé et elle jugea que l’après-midi était déjà bien
entamée. Une fois que ses yeux se furent habitués à la vive lumière, elle
regarda autour d’elle. En faisant un tour sur elle-même et en regardant aussi
loin que ses yeux le lui permettaient, la jeune fille ne voyait que de l’eau.
Le vent créait d’énormes vagues qui venaient s’écraser sur la coque du bateau.
Aucune terre en vue, aucune île à proximité.
Sur le
bateau, Amara se trouvait juste devant le mât, où étaient accrochées les
grandes voiles.
Derrière le
mât, elle apercevait le pont supérieur ou menait une échelle de bois adossée à
la cabine principale du bateau. Elle se retourna, elle vouait à présent l’avant
du bateau, une sculpture de bois semblait avoir été ajoutée après la
construction du bateau, elle représentait l’image symbolique du démon, avec de
petites cornes, une queue fourchue et de
grandes ailes pointues.
Des démons
étaient assemblés à l’avant du bateau, il y en avait sept qui s’étaient levés
et regardaient la jeune fille et celui qui l’accompagnait.
Celui-ci toucha l’épaule d’Amara et la poussa doucement devant lui, vers la
cabine, à l’arrière du bateau.
Amara jeta
un coup d’œil derrière elle, les démons les fixaient toujours d’un air
malveillant. Ils étaient tous vêtus de la même manière ; leurs longues
capes noires battaient leurs jambes avec de petits claquements secs. Ils
n’avaient pas l’air ravis d’être là, et encore moins de voir leur prisonnière
sur le point.
Il faisait
froid, la jeune fille frissonna. Elle n’avait pas emporté sa cape. Ses jambes
sortaient de l’engourdissement causé par les longs jours passés sans marcher.
Elle sentait le vent glacé à travers ses vêtements d’été. Le vent s’engouffrait
dans sa robe courte dont le fin tissu bleu était un peu déchiré, la faisant
trembler de la tête aux pieds.
Le démon
repassa devant la jeune fille et ouvrit la porte de la cabine. Amara entra à sa
suite.
L’intérieur
était beaucoup plus spacieux que le reste du bateau, il semblait aussi plus
grand que ce qu’on voyait de l’extérieur.
Amara se
trouvait dans un couloir, sur les murs, des lanternes l’éclairaient.
Le démon ouvrit une petite porte à droite. Ils entrèrent.
La pièce
ressemblait à une grande cuisine désordonnée.
- Je te
laisse ici, tu trouveras de l’eau qui chauffe dans le chaudron là-bas.
Il montra
le fond de la petite pièce.
Amara aperçut un chaudron où l’on voyait de l’eau bouillonnante, un grosse
louche était accrochée au mur au dessus d’un tonneau et des récipients en bois
tels que celui dans lequel on lui avait donné à boire étaient entassés sur une
étagère de bois.
Amara se
retourna pour remercier le démon mais celui-ci était déjà parti. La jeune fille
repoussa la porte pour la refermer.
Elle regarda autour d’elle mais ne vis pas de toilettes, c’était pourtant bien
ce qu’elle avait demandé…
Elle avança
vers le centre de la pièce. Amara fut surprise de voir que ce qu’elle avait
pris pour une autre paroi de bois, à sa gauche, était une rangée de quatre
petites portes.
Quand elle s’approcha, rien qu’à l’odeur, elle sut qu’elle avait trouvé ce
qu’elle cherchait.
Elle pensa
que le bateau était vraiment bien
aménagé pour un bateau de démons.
Elle
s’approcha en fronçant le nez, l’odeur était difficile à supporter.
La jeune fille ouvrit les quatre portes, s’attendant à voir des lieux sales et
dégoûtants. Au lieu de ça, elle aperçut derrière chacune d’elles une sorte de
siège de bois percé d’un trou au milieu. On entendant des gargouillements d’eau
à l’intérieur et Amara soupçonna les trous d’être reliés à des conduits menant
directement à la mer. La forte odeur provenait probablement du fait qu’il ne
semblait pas y avoir de système de chasse d’eau. Elle entra en retenant sa
respiration et en essayant d’ignorer le dégoût que lui inspiraient les odeurs
des lieux. Elle se dépêcha de faire ce qu’elle avait à faire et sortit
précipitamment
Arrivée
loin des petites portes de bois et des cuvettes malodorantes, elle inspira
profondément.
La jeune fille ne supportait pas de laisser derrière elle un endroit encore
plus sale que ce qu’il n’était avant son entrée, question d’éducation. Elle
retourna près du chaudron. Avec la louche, elle remplit une bassine d’eau
bouillante et retourna près des « toilettes » qu’elle venait d’utiliser.
Elle vida l’eau bouillante dans la cuvette.
« Au
moins, pensa-t-elle, ce sera relativement propre la prochaine fois que je
viendrai. »
Amara se
sentait mieux. Elle avait moins peur, quelqu’un parmi les démons semblait
veiller à ce qu’il ne lui arrive rien de mal. La jeune fille ne lui faisait pas
totalement confiance – c’était un démon –
mais au moins, elle avait eu à boire, une couverture et il l’avait
conduite là où elle le demandait. Elle resterait méfiante avec tous les démons,
mais aurait sûrement plus tendance à se tourner vers celui-ci en cas de besoin…
La jeune
fille restait là, pensive, au milieu de la pièce. Elle fut tirée de ses pensées
par un crépitement bruyant du feu sous le chaudron.
Elle se
dirigea dans cette direction et remplit à nouveau une bassine d’eau chaude.
Elle dut
attendre quelques minutes que l’eau refroidisse avant de pouvoir tremper ses
mains dans la bassine.
Amara
releva un peu sa jupe et finit de nettoyer ses jambes et ses bras. Elle
remarqua un hématome sur sa cuisse gauche, au dessus du genou, il était
douloureux lorsqu’elle le touchait. Elle alla vider sa bassine dans les
toilettes et la remplit à nouveau avec de l’eau bouillante. Au bout de quelques
minutes, elle plongea ses mains dans l’eau et les porta à son visage.
L’eau
chaude lui fit du bien, elle frotta ses yeux gonflés et rougis par les larmes
versées dernièrement. La chaleur de l’eau la soulagea et elle répéta son geste
à plusieurs reprises, penchée au dessus de la bassine d’eau posée sur un gros
tonneau, sa jupe retroussée jusqu’au dessus de ses cuisses.
Elle s’efforçait de penser le moins possible à Misugi et à
tout ce qui s’était passé jusque là. Elle s’interrogeait néanmoins sur la
destination du bateau et sur ce qu’elle allait devenir.
Tout en continuant à porter l’eau chaude à son visage, Amara se mit à penser à
ses amis et au berceau.
Elle se demanda q’ils viendraient la chercher.
○○○
Pendant ce
temps, dans une pièce toute proche, à bord du bateau, un groupe de 6 démons
étaient assis autour d’une table. Celui qui semblait être leur chef était
debout devant eux et parlait avec animation.
- Pourquoi
elle est en pleine forme la fille ? Après toute l'énergie qu'elle a employé
pour réduire en cendres l'un des nôtres... elle n'a pas mangé ni bu, elle dort
dans le froid. ShadowTony toi qui semble prendre cette affaire très à coeur, tu
peux m'expliquer ça ?
- Ca
m'étonnerait que le grand maître ait besoin d'une gamine à moitié morte et sans
aucuns pouvoirs. Il vous punirait probablement s'il connaissait votre
comportement vis-à-vis de l'enfant, répondit froidement ShadowTony.
Le chef des
démons resta silencieux. Son visage, impassible, ne reflétait aucunes de ses
émotions. Un long moment de silence, lourd et pesant s’installa. Ils
attendaient tous que le chef parle, les yeux baissés vers la table.
Quelques
minutes passèrent avant que le chef ne reprenne la parole. Tous les démons
eurent un bref sursaut. La voix du chef était froide et trahissant l’humeur de
l’homme qui semblait frustré.
- Bon, si
tu tiens tellement à ce qu'elle soit en pleine forme, tu seras le seul à
l'approcher. Tu n'étais pas là au cimetière quand elle s'est attaqué et a tué
l'un de nous...
Un autre
démon se leva, il était de ceux que l'on appelait Sadida. Les Sadidas étaient
des hommes et femmes normaux, mis à part une épaisse fourrure de diverses
couleurs qui recouvrait l'intégralité de leur corps. On racontait que ce peuple
vivait, il y a fort longtemps, dans les montagnes froides et enneigées du grand
Nord. Dans les temps ancien, ils avaient tellement prié les dieux de leur
offrir un peu de chaleur, que celui-ci les avait couverts de cette chaude et
soyeuse fourrure.
Bien sûr,
tout cela n'était qu'une légende que l'on aimait croire et raconter, mais
personne ne savait réellement ce qui leur était arrivé. A l'heure actuelle, les
Sadidas peuplent le monde au même titre que les autres êtres humains ou bien
les fées.
La fourrure
et ses couleurs étaient héréditaires.
Aussi,
celui qui se levait était de trois couleurs aux variances sombres : le bleu, le
vert et le rouge.
- Vous
n'étiez pas non plus au cimetière. Il a tué le petit ami de l'enfant, celle-ci
n'a fait que le venger.
- Oui c'est
vrai, mais tu l'as vue toi, Lay. Tu sais que cette fille est dangereuse. Mais
ce problème ne m'intéresse pas, tu n'auras qu'à t'occuper d'elle toi aussi ça
m'est égal. En tout cas moi, je ne m'y risque pas.
- Vous...
- Non
ShadowTony je ne suis pas un lâche ! Tu n'as même pas idée des missions que le
maître m'a confiées. Si je mourrais, les plans du maître seraient à jamais
brisés.
- Bien
Le dénommé
ShadowTony se leva et sortit, claquant la porte derrière lui. Il détestait cet
homme ainsi que la façon dont il parlait.
Il se
dirigea vers la "salle de bain" et ouvrit la porte sans faire
attention, il se sentait en colère et ne pensait pas à la jeune fille qui se
trouvait dans la pièce.
Il ouvrit
la porte brutalement et resta littéralement cloué sur place. La colère s'enfuit
d'un coup quand il aperçut Amara. Elle n'avait pas bougé, elle était appuyée
sur le tonneau de ses deux bras, sa jupe relevée dévoilait une fine tache de
naissance à l'arrière de sa cuisse gauche. La jeune fille l'ignora, elle
pleurait doucement.
ShadowTony
la regarda, elle était jolie. Il la trouvait même très jolie.
Il
l'observa pensivement avant de baisser les yeux, légèrement honteux. "Non,
pas elle... Je ne dois même pas la regarder, pensa-t-il. Je dois veiller sur
elle..."
Il était
très troublé et appela doucement :
-
Amara ?
Elle se
retourna et le fixa. Son visage était pâle. Elle essuya les larmes sur ses
joues.
-
Amara ? Répéta-t-il.
Elle baissa
les yeux et s’approcha de lui.
- Tu sauras
retrouver « ta cabine » ?
Elle acquiesça d’un signe de tête silencieux.
-
Retournes-y, essaye de rester loin des autres démons et du capitaine.
Amara eût
une grimace en pensant au capitaine et leva les yeux vers le démon.
- Je te
rejoints tout de suite, dit-il doucement.
•
CHAPITRE 15 : Fraternité
La jeune
fille attendit que ShadowTony soit parti pour sortir de la pièce. Elle retourna
jusqu’à la petite cabine, les démons l’ignoraient. Seul le gros pirate poussa
un grognement à son passage ; elle se hâta de regagner sa cabine, récupéra
la cape qu’elle avait laissé sur le matelas et l’accrocha autour de ses
épaules. Elle resta debout appuyée contre le mur du fond. Elle ne savait
toujours pas quoi penser de ce démon, d’instinct elle s’était fiée à lui. Elle
espérait qu’il lui apporterait quelques explications.
Peu de
temps après, elle leva les yeux sur la porte qui s’ouvrit. Le démon entra et la
porte se referma sur lui. Il avait dans ses mains une sorte de grand bol en
bois et une longue bougie de cire blanche.
L’homme
regarda autour de lui.
- Ca manque
un peu de table et de chaises ici. Mais bon, ça ira. Assied-toi Amara.
Il
s’approcha d’elle et fixa la bougie allumée au sol, tout près d’eux.
Amara s’exécuta et s’installa sur le matelas.
A nouveau,
malgré sa robe déchirée, ShadowTony trouva la prisonnière très belle et en
ressentit une sorte de fierté.
Il fut tiré
de ses pensées par Amara qui dit :
- Vous
connaissez mon prénom…
- Je vais
t’expliquer tout ça. Pour l’instant tu dois avoir faim, non ?
Il lui
tendit le bol. Il contenait une épaisse soupe de légumes. Une grossière
cuillère en bois dépassait du bol.
La jeune
fille s’aperçut avec étonnement qu’elle avait réellement faim. L’odeur de la
soupe avait réveillé son appétit. Une foule de questions se bousculaient dans
sa tête.
- Merci…
pourquoi est-ce que…
- Je vais
tout t’expliquer, répéta-t-il. Mange.
Il montra
le matelas d’un signe de tête.
- Je peux
m’asseoir ?
La jeune
fille se poussa sur le côté afin de lui laisser de la place. Il s’assit à côté
d’elle.
- Merci.
Elle
commença à manger. La soupe chaude apaisait son estomac affamé.
- Bon - Je
vais te révéler des choses que nous devrons être les seuls à savoir, c'est très
important.
Amara hocha
la tête. Soupçonnant toujours un piège, elle avait décidé de lui en dire le
moins possible.
- Tout
d'abord, je ne suis pas un démon.
Il se
releva.
- Attends.
Il sortit
et longea la grande salle où il vérifia s’il n’y avait personne qui pouvait les
espionner.
Il revint
dans la cabine et ferma soigneusement la porte, il répéta :
- C’est
très important.
- Qu'est-ce
qui peut vous différencier d'un démon ?
- Les
démons sont… comme es monstres, mais au niveau humain. Ils ont été soumis aux
forces démoniaques et ont perdu toute humanité. Leur âme en quelque sorte. Tu
connais la prophétie il me semble ?
- Oui.
- Eh bien,
à partir de maintenant, la plupart des démons que tu croiseras ont été
ensorcelés par le maître du mal lui-même. Non seulement ils ont perdu le statut
de l’être humain tout en gardant leur intelligence, mais ils ont été dotés
d’une grande cruauté et d’une immense détermination à accomplir les
« missions » que le maître leur donne. Pour l’instant leur mission
est de te ramener à leur maître.
- Mais si
vous n'êtes pas un démon... Que faites vous à bord de ce bateau ? demanda Amara
qui ne comprenait pas vraiment ce que l'homme lui disait.
Il
réfléchit.
- Tu n'es
pas obligée de croire ce que je vais te dire, mais j'aimerai que tu le saches. La
prophétie parle d'un enfant qui serait recherché par son père, n’est-ce
pas ? Il se trouve que cet homme est mon père. Et que, de ce fait, étant
trop âgé pour être celui dont parle la prophétie, l’enfant serait mon petit
frère. Et plus précisément ici, ma petite sœur.
- Et... cette
petite sœur, c’est moi…
- Oui, donc
tu comprendras au moins pourquoi je me suis un peu occupé de toi quand tu es
arrivée ici.
Amara avait
du mal à croire ce qu'il venait de lui dire. Mais elle avait encore de
nombreuses questions à poser et ne pouvait plus retenir sa curiosité.
- Pourquoi
êtes-vous avec les démons ?
- Tu as vu
comment ils te traitaient ? Quand mon…
Il se
reprit avec un sourire :
- Quand notre père a envoyé ses hommes chercher
l’enfant – toi – je lui ai fait la fausse promesse de te ramener coûte que
coûte. Aucun des démons ne sait que je ne suis pas de leur côté. J’ai pu
prévenir du monde sur le continent – le tofu n’est peut-être pas très malin,
mais il a une très bonne mémoire. Et un tofu adulte vole très bien – ce qui m’a
permis de leur donner de nombreux renseignements. Je n’ai pas eu de réponse,
mais je suis certain qu’ils ont eu mon message.
- Qui est
notre père ?
-
Malheureusement, c’est un des plus cruels démons qui existe… c’est parce qu’il
a été ensorcelé il y a très longtemps, peu de temps après ta naissance. Je ne
sais pas si le sort ne sera pas irréversible pour lui.
- Est-ce
que vous savez quelque chose sur le jour où l’on m’a retrouvée près de la
fontaine ?
- D’après
ce qu’on raconte, le démon qui t’a amenée là avait des pouvoirs si puissants
qu’il a réussi à se libérer de l’emprise du mal et à s’enfuir. C’est tout ce
que je sais.
Amara ne
pouvait plus s’empêcher de parler, elle avait l’impression d’avoir de plus en
plus de questions qui affluaient à son esprit.
- Vous
connaissez mon prénom… quel est le votre ?
- Oh, bien
sûr.
Il se leva
et fit face à la jeune fille.
Il était
couvert d’une fine tunique noire reliée sur les cotés par des attaches
d’argent. Une capuche masquait ses cheveux et une grande partie de son visage.
Il retira la capuche, dévoilant des cheveux d’un vert très clair et un visage
pâle, fin.
Il desserra
ensuite les fines attaches d’argent sur els côtés de la tunique noire et la fit
passer au dessus de sa tête.
Amara fut
surprise, le jeune homme portait des vêtements où se mêlaient l’orange foncé et
le vert clair, de couleur semblable à celle de ses cheveux. Ses vêtements
ressemblaient à ceux de Misugi, un simple short et un débardeur assorti.
Amara
l'observa attentivement, il était indéniable qu'ils étaient de la même famille.
Les traits
du jeune homme étaient semblables à ceux d'Amara, et ils devaient en plus de ça
avoir, à quelques années près, le même âge.
Bien
qu’Amara n’ait crû, à travers les vêtements noirs de démon, qu’elle avait à
faire à un homme beaucoup plus âgé qu’elle, c’était un visage d’adolescent qui
était apparu sous la lourde capuche.
- Je
m’appelle ShadowTony.
- Tu n’as
pas l’air beaucoup plus vieux que moi.
- Tu as eu
quinze ans au début de l’été, je viens d’en avoir 16.
- Est-ce
que tu peux me dire quelque chose sur notre mère ?
- Oui, on
raconte beaucoup de choses sur elle. Quand j’allais avoir un an, elle n’avait
déjà plus le droit de m’approcher. Notre père me gardait tout le temps auprès
de lui. A ta naissance, il a essayé de t’enlever, en vain ? Notre mère t’a
emmenée avec elle sur une île inconnue. Elle est revenue, disant que tu t’étais
noyée dans la mer. Mais celui que les démons appellent « maître »
savait que tu n’étais pas morte, il a envoyé des milliers d’hommes à ta
recherche. Mon père qui s’était juré de te retrouver m’a emmené avec lui sur
son bateau. Il a torturé notre mère pour savoir où tu étais, voyant qu’elle ne
voulait rien dire, il l’a tuée. Il a ensuite parcouru terres et mers à ta
recherche. Mais d’autres bateaux de démons te recherchaient, c’est comme ça que
deux ans après ta disparition, notre père a entendu une histoire racontant
qu’un démon avait sauvé un enfant et l’avait confié à un petit village. Il a
continué à chercher cet enfant mais un puissant sortilège, où plutôt une
protection avait été accordée a l’enfant et malgré tous les sorts de
localisation que lançaient les démons, il était impossible de te retrouver. Du
moins jusqu’au moment ou tu as utilisé la magie pour la première fois. Quant à
moi, j’ai été élevé par des démons et parmi eux. J’écoutais dans les tavernes
tout ce que l’on racontait sur l’enfant qui devait être mon frère.
Il sourit à
cette phrase.
- Tout petit déjà, je m’intéressais à cette histoire et me
suis promis de te retrouver un jour. Ayant été élevé par des démons, tous on
cru que j’en étais un moi-même. Notre père est devenu Roi de Brakmar, la ville
des démons, à l’aide du maître. Il attend que nous te ramenions à lui.
•••
Pendant
qu’Amara discutait avec son frère nouvellement retrouvé, la troupe de Keazou
était repartie du bord de ce petit étang où ils avaient fait une pause. Après
un long après-midi de marche sur un petit sentier de campagne sans incident
notable, le groupe marchait dans une plaine d’herbe sèche aux belles couleurs
du chaud été qui avait débuté.
A
l’horizon, il leur semblait voir la mer, à seulement quelques heures de marche.
Le soleil déclinait peut à peu, créant un reflet doré sur l’herbe sèche de la
plaine. Le spectacle était magnifique.
Les sept
compagnons marchaient calmement, sans parler. La température était idéale pour
voyager en ce début de soirée.
- Nous
sommes dans les temps jusqu’à présent. Nous arriverons dans un petit peu plus
de 2h30 à Sufokia où nous logerons à l’auberge du port jusqu’à demain matin. Le
voyage de demain devrait être agréable, nous marcherons toute la journée en
bord de mer. Il devrait faire beau et nous passerons la nuit à la belle étoile.
Ils
continuèrent leur route ainsi à travers la plaine. Une forte brise maritime
s’était levée au fur et à mesure qu’ils approchaient de la mer.
Ils
marchaient un peu plus vite, pressés d’arriver, quand soudain DrouVirus montra
un point au loin et s’exclama :
- C’est le
port, nous sommes presque arrivés !
- En effet,
répondit Keazou, nous devrions arriver dans une demi heure maximum.
Il marchait
en tenant la main de Loulou. Celle-ci avait l’air totalement indifférente à
tout ce qui l’entourait. Elle suivait la marche, s’arrêtait quand ils
s’arrêtaient, repartait quand ils se remettaient en route.
Chacun respectait son silence tout en essayant de ne pas l’exclure des
conversations.
Keazou
comprenait que son amie ait besoin de temps. Elle était malheureuse. Mais il
espérait que ce voyage lui changerait un peu les idées, l’aidant à mieux vivre
la perte de Misugi.
Keazou
aimait énormément Loulou et il voulait l’aider. Il l’emmènerait avec lui
partout où il irait désormais, pensa-t-il, il ne voulait plus la laisser seule.
Guitou
viendrait avec eux s’il le voulait, mais Keazou n’abandonnerait pas Loulou.
Sans se l’avouer vraiment, Keazou savait que c’était surtout lui qui aurait
besoin de son amie dans cette aventure.
•
CHAPITRE 16 : Les frères Bouzouf
Il était
toujours plongé dans ses pensées lorsqu’ils entrèrent sur le chemin de pavés
qui menait au port. Des gardes étaient postés sur la route, Keazou s’approcha
d’eux et leur expliqua la situation. Les gardes prirent la tête du groupe et
l’escorta jusqu’en haut d’une grande colline à proximité du port, où ils
avaient une belle vue sur la ville. Tous poussèrent des exclamations en
regardant Sufokia du haut de la colline.
La ville
était en fait bâtie sur l’eau. De grandes plates formes semblaient flotter sur
les vagues de la crique. De très jolies maisons étaient construites sur ces
plates formes, des fois sur plusieurs étages, ou sur des plates formes
surélevées reliées par des ponts de rondins. De grandes arches fleuries
apparaissaient çà et là, certaines façades de maisons étaient couvertes de
plantes grimpantes d’où pendaient des grappes de fleurs multicolores.
Le garde les laissa à leur contemplation un instant avant de prendre la parole :
- Vous
devez prendre le pont là-bas.
Il pointa
du doigt un très grand pont qui reliait la terre à la ville.
- Après,
tournez directement à droite jusqu’au
bout de la plate forme, un pont vous conduira à l’auberge.
Il montrait
maintenant un étrange point rouge au milieu d’une plate forme.
Le garde
les raccompagna jusqu’à l’endroit où ils l’avaient rencontré, il leur indiqua
la direction du pont et les salua.
Le groupe
se dirigea dans la direction indiquée et traversa le pont. L’énorme craqueleur
le faisait grincer sous son poids, Keazou ne semblait pas très rassuré quand il
regardait l’eau sur les côtés du pont. Celui-ci était très
long, beaucoup plus qu’ils ne se l’étaient imaginé en le voyant de haut. Ils se
hâtèrent de le traverser et tournèrent à droite, suivant les conseils du garde.
Peu de temps après, ils finirent par rejoindre la plate
forme de l’Auberge. Le bâtiment ressemblait à un énorme igloo de couleur rouge
vif. Devant l’entrée, un panneau annonçait « Chez Timberrrrr, spécialités
marines. »
Ils entrèrent. L’auberge était déserte, seul un homme, au
comptoir, les accueillit.
- Bonjour m’sieur dames. Qu’est-ce que j’peux faire pour
vous ?
Keazou s’approcha. L’homme portait un costume de marin.
- Nous voudrions dîner et passer la nuit ici, ainsi que
prendre le petit déjeuner à l’auberge et emmener quelques provisions pour la
journée. Nous sommes six.
- Pas d’problèmes vieux. Installez-vous.
Les jeunes gens assemblés au centre de la pièce
semi-circulaire prirent place autour d’une grande table rectangulaire de bois
simple. Autour d’eux, d’étranges instruments étaient posés sur des étagères, le
long des murs. Hachoirs, couteaux et autres instruments de cuisines ainsi que
d’autres accessoires de pêche étaient exposés là. Par les fenêtres, de petits
hublots, on apercevait la mer, où le soleil ne tarderait pas à se coucher.
Le marin du comptoir revint et s’approcha de la table.
- Z’aimez le poisson j’espère, parce qu’ici y’a qu’ça !
Tous acquiescèrent.
- Bon, j’vous apporte l’plat du jour.
A la table, tout le monde commença à discuter, content de
pouvoir s’asseoir après cette longue marche. Des odeurs de poisson grillé
émanaient des cuisines, les faisant saliver.
Quelques minutes plus tard, un joyeux salut leur fit
tourner la tête vers la porte des cuisines.
- Bonjour tout le monde !
Les six compagnons sourirent à la vue de ces étranges
personnages. Tout habillés de bleu, les serveurs s’approchèrent d’eux en
faisant de grotesques mimiques qui firent rire tout le monde. Les mains
chargées d’assiettes, ils servirent Keazou et ses amis avec une étrange agilité
vu la vitesse à laquelle ils tournoyaient autour de la table. L’un des deux
serveurs portait une longue cape noire et un ridicule chapeau haut de forme de
la même couleur. Il s’inclina avec élégance devant la table, malheureusement
son grand chapeau tomba, rendant la situation encore plus ridicule.
- Les frères Bouzouf pour vous servir.
- Laissez les clients tranquilles, au boulot les frères
guignols, gronda le marin.
Le deuxième serveur ramassa le chapeau de son frère et le
posa sur sa tête. Il se redressa et dit d’un air sérieux :
- Aujourd’hui pour notre aimable clientèle, beignets de Greu-Vette
et crabe Sourimi maison sur son lit d’œufs de goujon. Le tout accompagné d’une
succulente sauce citronnée et de sa feuille de menthe sauvage. Petit vin blanc
de pays offert.
Les deux jeunes hommes semblaient avoir une vingtaine
d’années, ils avaient un visage gai et moqueur. Ils se retirèrent, tournoyant
toujours dans la salle.
Chacun commença à manger, faisant quelques commentaires
sur l’excellence de la nourriture.
A la fin de l’entrée, les frères Bouzouf revinrent et les
assiettes furent débarrassées aussi vite qu’elles étaient arrivées.
Le plat principal dégageait une succulente odeur alors que
les serveurs posaient les assiettes sur la table. Le serveur qui avait
maintenant le chapeau annonça :
- Filet de truite grillée et sa sauce aux petits légumes.
Poissons panés du port et Poisson-Chatons entiers nappés d’une légère sauce aux
champignons d’Amakna. Le tout servi avec une pomme de terre dorée au four.
Les six compagnons mis en appétit par l’entrée se mirent à
manger joyeusement leur plat. Loulou ne parlait pas beaucoup, mais elle
semblait apprécier l’ambiance et le repas. Keazou était heureux qu’elle se
détende un peu.
Les Bouzouf placèrent deux grands tabourets près de la
table et s’y installèrent. Ils engagèrent la conversation :
- Qu’est-ce qui vous amène par ici ? Demanda l’un des
deux.
- Attends, attends Dark, on s’est même pas présenté,
répondit celui au chapeau.
- Ah, oui, c’est vrai. Vas-y.
- On est les frères Bouzouf. Moi c’est Warrior, ou War.
Lui c’est Dark.
- Et vous ?
Tout le monde donne son prénom, ils dirent brièvement d’où
ils venaient.
War, le serveur au chapeau, montra le petit oiseau
d’argent de la chaîne qu’il portait autour du cou.
- Moi aussi je viens de là-bas, enfin… ça fait quelques
années déjà. Alors, qu’est-ce que vous venez faire à Sufokia ?
Keazou regarda ses compagnons puis prit la parole.
- Nous allons au camp des Chevaliers de la Terre.
A ces mots Dark annonça que c’est de là qu’il venait,
montrant une broche d’argent aux reflets verts, le même métal que celui qui
figurait sur le pommeau de l’épée de Keazou.
- Bon… Nous allons chez les Chevaliers de la Terre pour
chercher de l’aide. Quelqu’un a été enlevé par des démons et nous avons besoin
d’un maximum de volontaires pour combattre les démons.
- Oh… d’accord.
Les assiettes s’étaient vidées pendant la discussion. Les
serveurs se relevèrent et débarrassèrent la table. Ils revirent avec six coupes
à dessert qu’ils posèrent devant leurs hôtes. Dark s’éloigna pendant que War
présentait le dessert :
- Coupes de glace aux fraises mixées des côtes d’Asse
recouvertes d’une quantité phénoménale de crème chantilly.
En effet, les coupes débordaient de chantilly, quelques
grosses fraises bien mures étaient disposées autour d’une boule de glace rose.
- Et maintenant, que le spectacle commence !!!
Les six compagnons se tournèrent vers le fond de la salle.
Une mince estrade de bois qu’ils n’avaient pas remarquée se trouvait dans
l’angle de la salle. A droite de l’estrade, un grand rideau rouge. A gauche, un
gros coussin de velours. War disposa deux grands bougeoirs sur la table et les
alluma. Pendant que Dark allumait les torches autour de l’estrade, War fit le
tour du restaurant et éteignit toutes les bougies.
Les six compagnons, surpris, s’échangeaient regards et
sourires curieux. War jeta le chapeau à son frère et disparut derrière le grand
rideau, à l’extrémité de la scène.
Dark plaça le chapeau sur le haut de son crâne.
- Mesdames, mesdemoiselles, messieurs, bonjour ! Bienvenue
dans mon humble théâtre.
La voix de War se fit entendre à travers le rideau.
- Bouhhhhhhh !
Dark l’ignora et prit un air outré.
- Votre venue n’étant pas attendue, Nobles visiteurs, nous
n’avons pas eu le temps de vous préparer un spectacle digne de votre rang.
C’est pourquoi je vais vous chanter quelques petites chansons de ma
composition.
Et Dark se mit a chanter, au plus grand désespoir de son
public.
- Oh doux soleil d’AAAmakna ! Qui brille au desssssus de
moâaâaâAaa ! Pourquôaa m’as-tu laisséééé !?
Alors qu’il chantait, de minces éclairs brillèrent sur la
scène dans un bruit assourdissant, éclairant la pièce de flashes bleutés. Ce
qui ne semblait pas gêner le chanteur.
- Pourquôa m’as-tu laisséééé !? Si seuuul au mondeuuuh… Je
t’ai aiiiméééee, mon am…
A ce moment, tout le monde se mit à rire : le chapeau du
chanteur venait de tomber, renversé par un gros tofu. War qui était sorti de
derrière le rideau tenait un autre tofu dans chaque main.
- Silence ! Faites cesser cet horrible bruit !
Il lança un autre tofu sur le chanteur qui l’évita.
L’oiseau se posa au sol un peu plus loin, en voletant gracieusement.
- Tu me le payeras vile créature ! Cria Dark en sortant un
hachoir à poisson. Approche que je t’ouvre le ventre !
War s’approcha courageusement. Dark, faisant mine d’être
hors de lui, se jeta sur celui qui avait gâché sa chanson. Ce dernier, plus
vif, l’évita. Dark continua dans son élan et s’arrêta net devant une étrange
créature.
Cette créature, toute petite, avait une épaisse peau
grisâtre et un énorme nez sur lequel reposaient de petites lunettes rondes. Il
ressemblait à un petit homme particulièrement moche, avec une grosse tête aux
yeux globuleux et aux oreilles pointues. Il portait dans ses mains un gros
livre qu’il tenait à l’envers : c’était un Bwork Mage. Les quatre gros tofus le
suivaient de près.
En ce qui concernait sa taille, il devait arriver aux
genoux de Dark, pourtant celui-ci recula de quelques pas. War le regardait, le
sourire aux lèvres.
Dark recula encore. Le Bwork fit claquer son livre en le
fermant et en le rouvrant. Un éclair apparut dans un grand bruit aux pieds de
Dark qui fit un bond en arrière pour atterrir sur le coussin de velours qui
avait sûrement été placé là à cet usage.
Rapide, Dark sortit un arc de derrière le coussin et se
leva.
La créature n’avait pas bougé mais les quatre tofus
étaient tous au milieu de la pièce. Quand Dark tendit la corde de son
arc, une fine flèche apparut. Il la décocha vers le groupe de tofus qui
commença à piailler d’un air indigné en courant sur la scène.
- Alors
perturbateur ? Tu préfères ça plutôt que ma chanson ?
-
Oui !
Une volée
de flèches fusèrent vers War, se heurtant au mur tout autour de lui et
disparaissant en touchant le mur.
Les tofus
piaillaient furieusement, le bwork grognait et illuminait la scène de ses
éclairs bruyants.
War
s’écria :
-
STOP !
Et tout se
figea sur la scène. Dark, les mains sur son arc, regardait les quatre tofus,
assis sur leur derrière, les yeux levés vers War. Le Bwork restait là sans
bouger.
War
s’approcha des quatre tofus qui volèrent vers lui et les prit dans ses mains.
Dark se leva et lui fit face. Il jeta un œil au public amusé qui finissait de
manger et annonça :
- Et
maintenant pour vous, après le lancer de tofu, la chasse au tofu et le concert
des tofus, les Bouzouf sont fiers de vous présenter un spectacle inédit et
inoubliable : Le vol des tofus !
War commença,
il lança un tofu à Dark qui le rattrapa. Il fit de même avec les trois autres
tofus et Dark se mit à jongler avec les quatre boules de plumes jaunes. Les
oiseaux voletant plus haut que de simples balles, les deux comédiens n’avaient
aucun mal à jongler avec les petites bêtes qui semblaient beaucoup s’amuser.
Les frères
Bouzouf exécutèrent de nombreuses figures en lançant les tofus en l’air, les
faisant se croiser, se doubler. Après nombreux tours de passe-passe, les
Bouzouf posèrent délicatement les tofus par terre.
Tout le monde éclata de rire : les petits animaux semblaient avoir le
tournis et marchaient dans tous les sens. L’un deux roula sur lui-même et tomba
hors de l’estrade. Globox le récupéra et le porta jusqu’à la scène. Elle le
posa dans le chapeau renversé. Les comédiens saluèrent et tout le monde
applaudit vivement en riant.
Les sept compagnons, l’estomac plein, totalement détendus,
ressentaient présent la fatigue de la
journée. Une fois la table débarrassée, les deux comédiens redevenus serveurs
accompagnèrent les jeunes gens à l’étage. Il n’y avait que deux chambres, les
deux filles prirent la plus petite, les quatre garçons, la plus grande. Ils
partiraient dès le lever du jouer et décidèrent de se coucher immédiatement.
•••
Dans la
sombre cabine du bateau, Amara avait du mal à croire ce que lui disait
ShadowTony… Pourtant il semblait sincère, et sa version des faits collait
parfaitement à la réalité. ShadowTony ne ressemblait plus au démon pour lequel
il s’était fait passer. Il souriait beaucoup. Quand il réfléchissait, sa
ressemblance avec Amara était frappante.
- J’ai été élevé seul au milieu de milliers d’hommes
et de femmes tous plus cruels les uns que les autres, je te laisse imaginer le
nombre de fois où j’ai eu l’occasion de sourire durant toutes ces années. Les
démons, eux, sont heureux quand tout va mal, ils éclatent de rire quand ils
voient le sang couler… La vie de quelqu’un de « normal » parmi eux
n’est pas vraiment heureuse. Il faut avoir le cœur bien accroché pour supporter
tant de cruauté.
- Mais il y
a d’autres personnes comme toi parmi les démons ?
- Oui, pas
beaucoup mais il y en a. Il y en a même un autre sur ce bateau. Je le connais
depuis très longtemps. Mais comme tout le monde sur ce bateau, il n’a pas le
droit de s’approcher de toi. Le chef a dit à tous les démons que tu étais
dangereuse. Ils ne sont pas autorisés à s’approcher de toi, mais je crois que
même s’ils le pouvaient ils ne le feraient pas.
Amara resta
bouche bée. Elle ? Faire peur à toute une bande de démons ?
- Mais je
ne me soucie pas de ce qu’il dit. Ces démons sont idiots. Si je n’avais pas été
là tu serais probablement en train de mourir de faim et de froid… Ils sont
bêtes, leur maître doit absolument te trouver vivante…
- Et l’ami
dont tu parles, il a… peur ? De moi ?
- Non, ça
m’étonnerait. Mais il n’a pas autant de droits que moi sur le bateau. En tant
que fils du roi de Brakmar, je peux me permettre de ne pas obéir au chef. Il ne
m’aime pas beaucoup d’ailleurs, et je le lui rends bien.
- Qui est
le… gros homme qui se trouvait dans la pièce à côté ? Il ne ressemble pas
à un démon.
- C’est… le
capitaine de ce bateau. Tout son équipage l’a quitté, sûrement en quête d’un
autre capitaine. Celui-ci est constamment saoul. D’ailleurs nous lui avons échangé quelques
bouteilles de Rhum contre son bateau… Nous l’avons emmené avec nous, il ne doit
pas répéter partout le peu de choses qu’il connaît à propos des plans des
démons.
Les deux
jeunes gens parlaient comme ça depuis le début de la soirée, Amara posant
toujours plus de questions. Le soleil était couché depuis un moment déjà mais
ils ne se lassaient pas l’un de l’autre. Ils parlaient à mi-voix pour ne pas
attirer l’attention.
- Je
n’arrive toujours pas à y croire. Il y a seulement quelques mois je vivais dans
une petite chaumière aux abords d’Amakna avec ma sœur adoptive et ses parents,
avec pour seuls amis un petit tofu et un jeune bouftou. Découvrir la magie a
déjà été suffisamment surprenant, puis il y a eu le berceau, mes amis, Loulou
ma compagne de chambre… Puis il y a eu Misugi…
Sa voix se
brisa quand elle prononça son nom.
- Je suis
désolé Amara… ça doit être vraiment terrible pour toi… ça n’aurait pas dû
arriver.
Amara
secoua la tête, des larmes coulaient sur ses joues. Le jeune homme semblait
sincèrement désolé, et les larmes d’Amara le rendaient triste.
C’était la
première fois qu’il la voyait, il avait passé seulement quelques heures à ses
côtés, pourtant il l’aimait déjà énormément et ressentait une certaine
affection pour la pauvre jeune fille. Il s’approcha d’elle et lui posa la main
sur l’épaule en signe de réconfort.
Elle
continua son récit d’une petite voix.
- Ensuite,
nous avons trouvé un homme sur la plage qui avait été blessé par des
monstres dont j’ignorais totalement l’existence… Peu de temps après je me fais
enlever par des démons, qui représentaient encore une chose nouvelle pour
moi. Ces démons tuent… quelqu’un sous mes yeux. Puis je suis enfermée dans cet
horrible endroit, dans le froid, sur un bateau ou des hommes sanguinaires ont
peur de moi. Pas longtemps après, un démon m’effraye et je manque de me faire
dévorer par un dragonnet…
ShadowTony
rit légèrement.
- Il n’est
pas méchant, c’est le mien. Je suis désolée, je ne voulais pas t’effrayer Je
savais qu’il ne te ferait pas de mal.
Des larmes
coulaient toujours sur le doux visage d’Amara. Elle n’avait pas eu l’occasion
de confier ce qu’elle avait sur le cœur à qui que ce soit et voilà qu’elle se
mettait à parler avec un parfait inconnu.
- Et
maintenant, l’homme qui me faisait peur, avec son dragonnet, m’annonce qu’il
est mon frère… Tu ne trouves pas tout ça exagéré quand toutes ces aventures
arrivent à une seule personne en si peu de temps ?
- C’est
vrai… et je sais malheureusement que ça n’est pas fini.
- Que
va-t-on faire quand nous sortirons d’ici, ShadowTony ?
- Je n’en
ai pas la moindre idée. Pour ma part je pense essayer d’empêcher certaines
choses de se passer ; le maître m’a confié certaines missions que je veux
l’empêcher d’accomplir. Il faut mettre toutes les chances de ton côté.
- Et
moi ? Qu’est-ce que je devrai faire ?
- Tu
resteras avec ceux qui viendront te délivrer, ils sauront ce qu’il faut faire.
Quand j’aurai fait ce que je dois faire, je reviendrai près de toi pour t’aider
dans ta quête.
Amara
sourit faiblement.
- Merci…
- Je vais
partir maintenant, il se fait tard, les autres vont se demander si tu ne m’as
pas attaquée, dit-il, un soupçon d’ironie dans la voix. Tu devrais dormir,
je repasserai demain.
- D’accord,
lui répondit-elle en souriant. Bonne nuit.
Il se leva
et ramassa les vêtements noirs, il les remit et sorti d’un air faussement
majestueux.
Amara rit
légèrement avait de souffler sur la bougie qui s’éteignit, plongeant la pièce
dans le noir total.
Elle se
coucha et se recouvrit de la lourde cape orangée. Elle ferma les yeux et
repensa longuement à cette conversation, un léger sourire aux lèvres.
Elle se sentait mieux, moralement. Elle avait pu se confier à quelqu’un et
avait enfin eu des réponses aux questions qu’elle s’était souvent posées. Elle
n’était plus désespérée comme au début. Elle n’était plus seule à bord du
bateau, il y avait quelqu’un qui s’occupait d’elle et qui semblait
l’apprécier : son frère, ShadowTony.
De plus,
ses amis viendraient sûrement la secourir, ShadowTony leur avait envoyé un
message et ils savaient où elle était.
La jeune fille s’endormit sur ces pensées, soulagée.
•••
Une fine
horloge de chêne fit tinter ses petites clochettes dans le silence nocturne de
Sufokia. Dans une petite auberge du bord de mer, six voyageurs s’éveillent d’un
profond sommeil. Le soleil n’est pas encore levé, il est encore très tôt.
Keazou
sortit de sa chambre alors que ses compagnons se réveillaient. Il frappa à la
porte de la chambre des filles et s’assura qu’elles étaient réveillées, puis il
descendit. Le petit déjeuner était servi sur la grande table. Devant la porte
des cuisines, les deux serveurs ne semblaient pas bien réveillés. Ils étaient
debout, appuyés l’un sur l’autre, les yeux à moitié ouverts. War ouvrit un œil.
- ‘Alut
Kea.
- Salut les
gars, ça va ? Demanda-t-il en souriant.
- Ouaip ça
va, vous voulez à manger pour la route ?
Keazou
acquiesça et les frères partirent dans les cuisines. Peu à peu les compagnons
de Keazou vinrent s’asseoir près de lui, à table.
Sur la
table, du pain frais, du beurre et des confitures étaient entourés de carafes
de lait, café et jus de fruits. Les animaux de Globox qui étaient restés dans
la grande salle se réveillaient à leur tour. La jeune fille leur donnait
quelques choses à manger.
Les Bouzouf
se joignirent à eux pour déjeuner. Tous les huit se réveillaient doucement en
déjeunant. Le soleil avant de se lever donnait une magnifique couleur rose au
ciel qui s’éclaircissait peu à peu et à la surface de l’eau. La pièce
s’éclairait, le temps allait à nouveau être parfait jusqu’à la prochaine étape
de leur voyage.
A la fin du
petit déjeuner, les deux serveurs apportèrent aux voyageurs des provisions dans
des sacs en papier. Ils les rangèrent dans leur sac puis partirent, non sans
avoir salué chaleureusement les serveurs.
Ils
retraversèrent le ponton de rondins puis le grand pont qui menait à la terre
ferme. Ils grimpèrent sur la colline d’où ils avaient contemplé la ville, la
veille. Ils regardèrent le soleil se lever sur la mer.
Ils
reprirent ensuite leur route vers le Sud. Ils devaient longer la côte jusqu’au
soir.
Ils
continuèrent leur route dans la plaine d’herbe sèche. La brise maritime
apportait une agréable fraîcheur à l’air.
Après une
heure de marche dans la plaine, les jeunes gens arrivèrent dans un bosquet de
grands arbres et buissons touffus. Ils avancèrent lentement. Soudain Djahil qui
se tenait à droite de Keazou fit un brusque écart et bouscula son compagnon.
Le groupe
s’arrêta, Djahil venait d’éviter un groupe de deux jeunes Milimulous qui se battaient,
plantant leurs petits crocs pointus l’un dans la fourrure de l’autre.
Quand les deux jeunes animaux aperçurent le groupe de voyageurs, l’un des deux
se mit à grogner en les menaçant de ses petites pattes griffues. Ils étaient
petits, n’arrivaient même pas à l’épaule de DrouVirus.
Les six
compagnons ignorèrent les animaux et voulurent continuer leur route. Mais les
Milimulous leur barrèrent la route. L’un d’eux poussa un rugissement sonore.
Les jeunes gens s’immobilisèrent en entendant le même cri, fortement amplifié,
plus loin dans la forêt.
Ils
regardèrent dans cette direction et tendirent l’oreille. Les grognements
d’une bête se rapprochaient à toute vitesse. Reprenant leurs esprits, Djahil et
Beothien commencèrent a créer leur bouclier, les fées murmurèrent quelques
paroles magiques, et les six compagnons se préparèrent au combat.
Tout à
coup, une ombre gigantesque leur cacha le soleil : une bête monstrueuse
écartait les buissons et petits arbres, prête à se jeter sur eux. L’animal
ressemblait aux petits Milimulous, mais ils étaient de couleur claire, presque
blanche, avec des reflets violets. Ils avaient une grosse tête avec de petites
oreilles et un long museau, une mâchoire puissante et des crocs… tranchants.
C’était un
Meulou. Il mesurait plus de deux fois la taille de Keazou et avait des pattes
énormes pourvues de longues griffes pointues.
Il se
tenait sur ses pattes arrière et les regardait de ses yeux rouges et cruels.
Les jeunes
gens reculèrent, pris au dépourvu par l’énorme monstre.
Beothien
lança son bouclier enflammé sur le sol, sous les pattes du Meulou, mais
celui-ci, rapide et agile s’empressa de sortir de la zone brûlante, ce qui eut
pour effet de le mettre en colère. Les bâtons de Djahil et Beothien étaient
inutiles contre l’énorme animal, aussi ne prenaient ils pas le risque de s’en
approcher. Globox lança son craqueleur à l’attaque, mais même lui ne faisait
qu’un peu plus de la moitié de la taille de la bête ; il avait beau le
rouer de coups, l’animal ne s’en préoccupait même pas.
Mais quand
le Meulou voulut s’approcher de Loulou, le Craqueleur lui agrippa la patte et
l’empêcha de bouger un instant. L’animal se dégagea et envoya le craqueleur
s’écrouler contre un arbre. Le Meulou se tourna vers Globox et se rua sur elle,
il la blessa violement au ventre.
Loulou
courut courageusement vers elle et commença à la soigner. DrouVirus, furieux,
détacha un fin marteau de métal qui était attaché à sa ceinture et le lança sur
le museau de la bête, tel un gros boomerang.
Au même
moment, Keazou qui avait profité de la diversion pour se glisser entre les
pattes du géant, son épée à la main, lui entailla cruellement le flanc. Le
Meulou glapis de douleur en recevant le marteau sur le museau et hurla en
sentant l’épée de Keazou le blesser. Mais les coups n’eurent à nouveau pour
effet que de redoubler la fureur de l’animal qui, aveuglé par le sang qui
giclait des blessures causées par le marteau, se jeta au milieu du groupe.
Globox, à nouveau sur pieds, envoya d’un coup l’énergie qu’elle avait accumulée
après les soins. Le feu brûla le ventre du Meulou qui hurla à nouveau, une
entaille de peau brûlée apparaissant sur son ventre.
Devant la folie de la bête, les six compagnons commençaient à envisager la
fuite, quand soudain l’animal se retourna, malheureusement pour lui : une
volée de traits lumineux se plantèrent dans son épaisse peau. Soudain un homme
surgit des buissons et se glissa vers la bête, envoyant du feu vers lui.
DrouVirus
cria :
- C’est
War !
Quand le
Meulou voulut se retourner vers eux, un nouvel assaut de petites flèches
lumineuses lui tomba dessus. Il hurla, et à sa voix se mêla le cri de guerre de
Dark qui sauta avec agilité de la branche sur laquelle il était perché. Son arc
à la main, il décochait des flèches magiques sur l’animal fou.
Il vint se
ranger aux côtés des six compagnons, War en fit autant.
- Salut les
copains, besoin d’un coup de main ? Lança Dark avant de continuer à tirer
sur la bête pour la maintenir à distance.
Les deux
fées se concentrèrent en même temps que Djahil, DrouVirus, Globox et War.
Quelques instants plus tard, une vague de flammes jaillit vers le Meulou et le
terrassa. L’animal fut projeté sur une grosse pierre et ne se releva plus. Tour
sembler fini lorsque War cria :
-
Attention !
Au même
moment des éclairs vinrent s’écraser juste derrière Loulou. La jeune fille
sursauta violement et fit volte-face. Un des éclairs du Bwork Mage de War
venait d’anéantir le Milimulou qui s’était glissé en silence derrière la jeune
fée. Le deuxième Milimulou prit la fuite.
Chacun reprenait
son souffle. Le combat aurait bien pu tourner à la catastrophe sans
l’intervention de leurs amis.
- Eh ben,
on peut dire que vous tombez à pic vous deux. Qu’est-ce que vous faites dans le
coin ? Demanda Djahil.
- Ben…vous
nous avez dit que vous aviez besoin du maximum de volontaires. Après réflexion,
on s’est dit qu’on était volontaires.
War
acquiesça aux paroles de son frère en souriant.
- Oui, on
pensait que vous auriez besoin de deux hommes beaux et forts pour vous tenir
compagnie, ajouta-t-il.
Keazou
sourit.
- Vous êtes
les bienvenus les garçons, c’est gentil de vous joindre à nous.
Dark rangea
son arc et s’assit dans l’herbe à côté de Loulou qui se remettait de sa peur.
Il sortit une pomme de son sac et croqua dedans avec appétit.
- Tout ça
vaut bien un petit en-cas !
DrouVirus
sourit et s’assit à côté d’eux, suivant l’exemple, tout le monde fit de même.
Ils ouvrirent leur sac, le pique-nique prévu était assez conséquent, tout était
bien rangé et emballé, chacun sortit une pomme de son sac et la mangea en
silence.
Keazou
regardait le Meulou immobile.
- En tout
cas la prochaine fois que je croiserai un animal, même plus petit que Drou, je
m’attarderai pas près de lui.
- Oui, vous
avez pas eu de chance, d’habitude c’est plutôt des scarafeuilles par ici. Il
n’y a pas beaucoup de Meulous, répondit War, souriant toujours.
- En tout
cas il y en a un de moins maintenant, plaisanta Djahil.
Beothien
tenta de retenir un gémissement lorsqu’il bougea le bras. Il releva sa manche
légèrement déchirée. Une fine coupure teintait son avant bras de rouge.
La douleur
se lut sur son visage durant quelques secondes, puis il reprit une expression
neutre. Loulou s’approcha et murmura quelques mots. La très légère coupure se
referma, ne laissant qu’une marque claire à l’endroit de la blessure.
Keazou
trouvait ce jeune homme très étrange. Beothien parlait peu, il réagissait à
certains moments, mais à d’autres il restait totalement indifférent à ce qui
l’entourait. Keazou le trouvait vraiment lunatique.
Le bras de
Beothien était toujours douloureux, DrouVirus essayait de le soigner, la
douleur diminua mais ne disparut pas totalement.
- Merci
Drou et Lou, ça va aller maintenant, avança-t-il avec un faible sourire. Ce
n’est qu’une coupure.
Les fées
retournèrent s’asseoir.
Keazou se leva et trébucha sur un tofu, il se rattrapa à une branche toute
proche. En voyant le tofu, il eut une brève pensée pour Amara. Il sourit et
demanda à War :
- D’où ils
viennent ces tofus ?
A ce
moment, le Bwork Mage vint récupérer le tofu qui frottait sa tête à la botte de
Keazou.
- Et
lui ? D’où il vient ?
War sourit
encore plus au souvenir de sa rencontre avec ses animaux, il raconta :
- Elle.
C’est une femelle. Avant de travailler au port, j’étais dans une auberge de
campagne, à Amakna. Je vivais dans la ferme qui livrait ses produits à
l’auberge. Un jour, en ramassant les œufs de tofu de la ferme, je rencontre une
drôle de maman tofu au milieu de l’un des nids. Le Bwork Mage avec son livre
était assis à l’arrière du nid, quatre tofus nouveau nés dormaient devant elle.
Bof, elle avait pas l’air méchante, alors je l’ai laissée là. Durant les deux
mois que j’ai passé à la ferme. Le Bwork a pris l’habitude de me suivre. Les
tofus ont grandi et ont pris l’habitude de suivre le Bwork. Donc voilà, je me retrouve
avec cinq animaux qui me suivent comme mon ombre. Les tofus ont une bonne
mémoire, on s’est amusé à leur apprendre des tours.
-
D’ailleurs ça tombe bien, comme vous avez pu le voir, le marin du port et la
déco de l’auberge ne sont pas très gais, il fallait mettre un peu d’animation
pour garder les clients, continua Dark, plaisantant à moitié.
Les huit
compagnons se levèrent et reprirent leur marche. Au bout de quelques minutes
ils sortirent du petit bosquet. Ils avancèrent sur la plage. A perte de vue, il
n’y avait que la mer, bordée d’une immense plage de sable clair. L’air frais du
matin faisait onduler l’eau, au milieu des vagues.
A nouveau,
Keazou eut une pensée pour Amara, il repensa au moment où il l’avait vue sur la
plage, après avoir été soigné par les fées du berceau.
Ils
continuèrent à marcher ainsi au milieu du sable pendant une grande partie de la
matinée.
•
CHAPITRE 17 : Le Dragon rouge
Amara
dormit mieux cette nuit là, elle savait qu’elle avait fait cette nuit quelques
rêves étranges et effrayants, mais elle ne s’en souvenait pas, c’était sûrement
mieux comme ça.
Sa tête lui
faisait un peu mal, mais sans plus. Elle resta allongée, blottie sous la cape
qui représentait tout le peu de chaleur qu’elle pouvait trouver dans cette
sinistre petite cabine.
Le bruit de
l’eau ainsi que les mouvements du bateau al berçaient, elle ferma les yeux et
recommença à somnoler.
Puis elle
s’endormit totalement, elle ne s’était pas encore remise de sa fatigue des
derniers jours et avait besoin de sommeil.
Elle se
réveilla quelques heures plus tard, au bruit de la porte qui se refermait.
Elle ouvrit les yeux, sortant d’un profond sommeil et sourit en apercevant son
frère qui fermait soigneusement la porte. Il se tourna et lui rendit son
sourire avant de s’asseoir au bord du matelas, tout près d’elle.
- Bonjour.
- Bonjour,
dit-elle avec un sourire. Quelle heure est-il ?
- Il est
pas loin de 10h30.
Amara
s’assit à côté de ShadowTony et s’étira, elle avait du mal à s’éveiller
totalement.
Il lui
tendit un morceau de pain frais.
- Je suis
désolée, je pense que c’est tout ce que l’on pourra trouver pour le petit
déjeuner.
Elle sourit
à nouveau.
- Les
autres ne vont pas trouver bizarre que tu passes tant d e temps avec moi ?
- Je suis
censé t’interroger pour découvrir des indices sur les moyens de lutter contre
ceux qui voudraient te récupérer. Je suis chargé d’en apprendre le maximum sur
toi ?
- Oh…
Amara
sembla perplexe.
- Et si tu
voulais en apprendre plus sur moi, le meilleur moyen serait de me mettre en
confiance en me racontant certaines choses sur toi et en m’avouant être mon
frère, tu aurais pu, comme ça, me poser des questions auxquelles j’aurai
répondu en toute insouciance.
- J’aurais
pu.
Le jeune
homme sembla contrarié et peiné à ces mots. Il resta silencieux.
- En même
temps, tu n’es pas obligée de me parler…
D’un geste,
elle glissa sa main dans celle de ShadowTony pour se faire pardonner.
- Ce n’est
pas ce que je voulais dire. Ne me demande pas pourquoi, mais je te fais
confiance. Je pense que tu es ce que tu dis être.
Le jeune
homme sourit légèrement. Amara remarqua une fois de plus à quel point il lui
ressemblait, elle resserra sa main autour de celle de son frère.
Ils
restèrent silencieux un moment.
La jeune
fille se sentait fatiguée. Sa tête recommençait à être lourde. Ses yeux se
fermaient doucement.
-
Amara ? Ca va ?
Elle entendait la voix de ShadowTony mais elle lui semblait
lointaine, légère. La jeune fille se sentit glisser dans le sommeil.
○○○
ShadowTony
retint sa sœur qui venait de s’endormir brusquement. Il l’allongea doucement
sur le matelas.
-
Amara ?
Il l’appela
plusieurs fois, la jeune fille était totalement immobile, sa poitrine se
soulevait au rythme régulier de sa respiration. Elle semblait dormir, mais
ShadowTony n’arrivait pas à la réveiller.
C’est quand
il prit sa main entre les siennes qu’il remarqua quelque chose d’étrange. Le
poignet de la jeune fille rougeoyait. Il approcha les doigts, son poignet
dégageait une puissante lumière. ShadowTony toucha le fin bracelet d’argent qui
brilla tellement fort que toute la pièce fut illuminée. La jeune fille
tremblait légèrement.
ShadowTony
sentit une faible chaleur sur sa poitrine, il dégagea son amulette, le petit
oiseau d’argent semblable au bracelet d’Amara était devenu totalement rouge.
Le métal ne
ressemblait plus à de l’argent, la couleur orangée mêlée de reflets d’argent
avait totalement disparu au profit d’une couleur rouge vif, brillante, un peu
comme le cœur des rubis que l’on trouvait dans les montagnes. Il rougeoyait
légèrement, Amara gémit dans son sommeil.
La lumière
de son bracelet baissa lentement, jusqu’à ne former qu’un halot de lumière
claire au niveau de son poignet.
ShadowTony
serra la main de sa petite sœur, le bracelet rayonna plus fort pendant un
instant. Il ne savait que faire devant ce phénomène, il regardait Amara.
Elle gémit
à nouveau et serra fortement la main de ShadowTony.
Le
phénomène durait depuis une dizaine de minutes quand Amara ouvrit les yeux.
Elle battit des paupières et regarda le jeune homme d’un air hébété.
-
Amara ? Ca va ? Répéta-t-il.
Elle se
rassit et secoua vivement la tête. Elle n’avait plus mal, elle se sentait bien.
- Qu’est-ce
que… dirent-ils en chœur.
Ils se
sourirent.
- Tu t’es
endormie, d’un coup. Regarde ton bracelet.
Amara porta
la main à son poignet brillant.
- Pourquoi…
qu’est-ce que c’est ?
- Aucune
idée. Comment tu te sens ?
- Mieux que
tout à l’heure…
ShadowTony
ne savait que répondre, il n’avait pas la moindre idée de ce qui avait pu se
produire et aucun des deux n’avait déjà vu quelque chose de semblable.
La jeune
fille toucha le pendentif, au cou de son frère. Son bracelet se remit a
scintiller.
- Pourquoi
est-ce que le tien est rouge ?
- Il ne
l’était pas jusqu’à présent.
- Mais… tu
as vécu au berceau ?
- Non, les
démons aussi suivent un enseignement magique. Mais la différence est qu’on nous
apprend à tuer, à s’entraîner pour devenir plus fort… Mon amulette était de la
même couleur que la tienne avant que ton bracelet ne se mette à briller. Enfin,
ce qui compte c’est que nous allions bien, non ?
- Oui,
c’est vrai. Ca ne doit pas être important…
Mais la
jeune fille s’inquiétait.
- C’est
quand même bizarre…
- Oui, mais
bon, impossible d’en savoir plus pour l’instant…
- J’espère
que quand on viendra me chercher, quelqu’un le saura. A ce propos, combien de
temps allons-nous encore rester ici ? Depuis combien de temps suis-je
ici ?
- Tu es
arrivée le 02 août dans la nuit. Nous sommes le 06. Ensuite, je ne sais pas
quand les secours arriveront. J’ai précisé que nous étions 14 démons de tous les
ordres, dont quelques uns de très puissants.
- Où sommes
nous exactement ? Tu le sais ?
- Oui. Nous
contournons une île qui a été conquise par notre père. Si nous voulons
atteindre Brakmar sans être vus, nous devons rester loin des rives et des zones
de pêche. Le voyage aurait du durer plus de trois semaines si ils n’avaient pas
su où tu te trouves. Normalement, il était impossible de nous localiser.
D’ailleurs, s’ils ne nous avaient pas remarqué quand nous sommes parti – mon
craqueleur a « sans faire exprès » fait rouler bruyamment un
empilement de tonneaux jusqu’au port – ils seraient en train de nous rechercher
à terre. Donc ils doivent à présent être en train de se préparer. C’est vrai
que nous sommes nombreux et puissants à bord de ce bateau, et je veux qu’ils ne
prennent aucun risque. La mort de ton ami était une mort de trop…
- Merci
ShadowTony… Merci.
Amara
venait de prendre conscience, à ces mots, qu’il l’avait réellement sauvée à
plusieurs reprises. Et que sans lui, non seulement ses amis ne sauraient pas où
la rechercher, mais en plus elle souffrirait, à moitié morte de faim et de
froid, avant d’être livrée à son père.
Elle
s’approcha de lui et le prit dans ses bras.
Le jeune
homme, surpris et gêné par cet élan d’affection dont il n’avait pas l’habitude,
failli reculer, plus habitué à être frappé qu’à être câliné. Mais il s’en
empêcha et essaya de se détendre. Il posa maladroitement ses mains dans le dos
de sa petite sœur. Le cœur battant, il la serra contre lui. Elle s’éloigna,
plusieurs minutes plus tard, et lui adressa un grand sourire.
Elle était tellement mignonne… ShadowTony était troublé par
la présence de la jeune fille près de lui, jamais personne ne l’avait regardé
de cette façon, et l’amitié d’Amara lui réchauffait le cœur.
○○○
Amara le
regardait, le regard du jeune homme était fixé au sien. Il semblait pensif.
Amara se demandait à quoi il pensait, il avait l’air heureux. Il détacha son
regard de celui d’Amara et tourna la tête.
- Tiens-moi
au courant si ton bracelet se met à refaire des trucs bizarres.
- Promis.
Elle
regarda son poignet qui brillait.
Il semblait
luire plus fort quand son frère la touchait. Le bracelet avait l’air presque
vivant. Amara essaya de le détacher, pour l’examiner, mais la petite attache
avait disparu, la chaînette continue reliait les deux cotés de la petite plaque
où figurait l’oiseau de métal.
La jeune
fille avait du mal à distinguer le petit oiseau sous la lumière du bracelet.
- Tu as
besoin de quelque chose ?
- Ca va…
J’ai hâte de m’en aller d’ici.
- Moi aussi
tu sais, j’espère qu’ils ne tarderont pas trop.
- Qu’est-ce
qu’ils font à ton avis ?
- Je ne
sais pas exactement, je suppose qu’ils doivent rassembler une équipe formée de
chacun des ordres. Il serait difficile de battre les démons uniquement par le
feu.
-
Pourquoi ?
- Parce que
cette « troupe » de démon est elle-même composée de tous les ordres.
Imagine par exemple que les sorts de l’eau soient envoyés sur vos flammes, ou
que nos boucliers ne puissent être traversés que par des épées ? Tu
comprends ?
- Oui… Mais
nos Zaaps mènent aux quatre coins du pays, ça devrait aller vite, non ?
- Hum oui,
c’est vrai… Mais quelqu’un qui ne possède pas le feu ne pourra utiliser que le
Zaap principal…
- Keazou…
-
Peut-être. Et de toutes façons, les démons ont beaucoup d’espions aux sorties
de vos Zaaps. Tes amis devront peut-être faire de grands détours pour ne pas
éveiller l’attention des espions.
Amara
soupira.
- Ca va
être long… Heureusement que tu es là.
- Oui, mais
je vais devoir rejoindre les autres maintenant.
- Je peux
sortir ?
- Sûrement
pas sans surveillance.
- Si je
suis avec toi ?
- Le chef
m’attend… bon, je vais voir ce que je peux faire. Je reviens dès que je peux.
- D’accord,
à tout à l’heure.
Le jeune homme se leva et sortit. Il adressa un signe de main
à Amara avant de refermer la porte. La jeune fille fut à nouveau plongée dans
l’obscurité, l’intensité de la lumière rougeoyante avant diminué brusquement
jusqu’à ce que le bracelet redevint normal. Il était devenu rouge lui aussi, de
la même couleur que les pierres de rubis. Le petit oiseau restait tiède contre
la peau du poignet d’Amara.
○○○
ShadowTony
sortit de la petite pièce sombre.
Le métal
rouge de son médaillon était chaud lui aussi, le jeune homme le glissa sous ses
vêtements noirs. Il s’interrogeait sur cet étrange évènement qui venait de se
produire. Il ne voulait pas en parler.
Le chef
l’attendait pour lui donner des ordres de sa voix méprisante. Il n’avait aucune
envie de le voir, mais le chef prenait plaisir à le convoquer et à lui donner
des ordres.
Ce jour là,
il voulait discuter de leurs plans, seul à seul. ShadowTony finissait par se
demander s’il ne manquait pas au chef quand ils n’étaient pas ensemble.
ShadowTony
espérait croiser Lay sur le pont en allant jusqu’au bureau du chef, mais il ne
le vit pas. Celui-ci devait être dans les cuisines. Le jeune homme traversa le
pont rapidement et entra dans la cabine principale.
Il
s’efforçait de prendre un air neutre. Malgré que cette visite soit une corvée,
pour lui, il semblait calme et posa quand il frappa à la porte du bureau. Une
voix l’invita a entrer :
- Entre mon
très cher ami.
ShadowTony
serra les poings, il n’aimait pas que l’on se moque de lui. Il prit un instant
pour se calmer et entra.
- Bonjour
ShadowTony, comment vas-tu ce matin ? Demanda-t-il doucement.
- Vous
vouliez me voir ?
- Oui, j’ai
envie de discuter avec toi, tu veux boire quelque chose ?
- Que
voulez-vous ?
- Ne sois
pas agressif comme ça mon ami. Je sais que tu ne m’aimes pas, mais tu aimes ton
père, n’est-ce pas ?
- Oui,
c’est exact.
- Bien. Tu
ne songes donc pas à nous trahir, n’est-ce pas ?
- Bien sûr
que non, mon père a entière confiance en moi.
- Oui. Et
moi aussi. C’est pourquoi j’aimerai discuter avec toi.
ShadowTony
bouillonnait intérieurement, il avait envie de monter à cet homme la haine
qu’il ressentait envers lui. Il ne savait pas pourquoi cet homme persistait à
vouloir « discuter » avec lui régulièrement. Sûrement lui était-il utile.
Peut-être trouvait-il amusant de l’énerver.
Il resta
silencieux.
- Tu as
fait connaissance avec la prisonnière, comment s’appelle-t-elle déjà ?
- Amara.
- Bien. As-tu
appris des choses sur elle ?
- Oui, mais
peu de chose susceptibles de vous intéresser.
- Par
exemple ?
- Elle m’a
parlé d’elle. Je ne lui ai pas encore posé de questions précises.
- Comment
as-tu fait pour la faire parler ?
- J’ai
réussi à la mettre en confiance, je me suis présenté comme un ami.
- Penses-tu
pouvoir en apprendre d’avantage ?
-
Evidemment. Mais elle-même ne connaît pas grand-chose, apparemment. Mais je
peux en apprendre plus long, c’est évident.
- Alors
fais-le. Et tient moi informé de tes découvertes.
ShadowTony
se rappela des pensées qu’il avait eu avant d’entrer dans la pièce. Il lui
donnait des ordres de son horrible voix. Cela faisait si longtemps que cet
homme « s’amusait » à le pousser à bout de nerfs… Durant toutes ces
années, ShadowTony avait appris à le connaître. L’homme était sournois, fourbe
et cruel avec ses ennemis. Il vouait sa vie au « Maître » car il
entretenait l’espoir égoïste d’obtenir les faveurs de celui-ci à tout prix.
Démon jusqu’au fond de lui, il aimait la souffrance, la mort de ses ennemis. Et
rien ne l’amusait plus que de convoquer ShadowTony et de « discuter »
avec lui, de sa voix méprisante, le regardant avec ses yeux de serpent…
ShadowTony
le haïssait purement et simplement, et il ne savait pas pourquoi celui-ci
exerçait cette emprise sur lui.
- Est-ce
qu’elle est dangereuse ?
- Bien sûr
que non.
- Elle a
tué…
- Elle ne
le sait même pas.
- De quel
ordre est elle ?
- Celui du
feu, mais je ne l’ai jamais vue faire de la magie.
- Bien
entendu, et pourquoi crois-tu qu’elle n’utilise pas de magie ?
- Je p…
- Elle a
tué ! Elle souffre ShadowTony. Elle n’y a jamais été entraînée, elle a
mal. Pour l’instant, elle ne connaît que les souffrances physiques de son acte.
Bientôt, sa conscience la rongera, puis elle y prendra goût, elle tuera tous
ceux qu’elle aime, elle deviendra comme nous.
- Non.
- Si,
ShadowTony. Elle ne sera pas lâche comme toi, elle deviendra comme son père,
elle aimera tuer. C’est son destin.
ShadowTony
ne répondit rien. Il serrait les poings, sous la table, se retenant de frapper
celui qui l’insultait et venait de le traiter de lâche.
Le chef se
leva, ShadowTony en fit autant. Quand le chef lui posa la main sur l’épaule,
ShadowTony s’écarta vivement. Il souffla :
- Ne me
touchez pas.
Le chef eut
un sourire.
- Continue
à questionner notre petite amie.
ShadowTony
eut du mal à lui répondre affirmativement.
- Fais
attention. Elle est dangereuse.
- Vous avez
peur d’elle.
- Non.
- Je ne
vous crois pas.
- Fais
comme tu le voudras, mais cela m’embêterait qu’une enfant tue mon ami.
- Vous avez
besoin de moi, vous n’auriez jamais eu le courage de venir ici, sans moi.
- Détrompe
toi.
L’affront
entre les deux hommes faisait monter la tension, le regard froid d’un côté, la
fureur retenue et couverte par des arguments intelligents, de l’autre. Cela se
passait de cette façon à chaque entrevue.
Quand ils
se quittaient, chacun pensait avoir gagné la bataille à sa façon.
Le jeune
homme soutint le regard de son ennemi.
- C’est
tout ce dont vous vouliez discuter ?
- Tu es donc
pressé de me quitter ?
- Oui.
- Eh bien,
tu peux partir. La porte est ouverte.
ShadowTony
se dirigea vers la porte.
-
Apporte-moi d’autres informations.
Le jeune
homme sortit, cette entrevue l’avait d’autant plus énervé qu’elle avait été
totalement inutile. Il ne supportait plus de vivre à proximité de cet homme…
Il
réfléchit un instant. S’il s’enfuyait avec Amara, ils seraient forcément
retrouvés. Il n’y avait d’autres solutions que d’attendre sans rien faire…
ShadowTony avait hâte que l’on vienne chercher Amara, après quoi il pourrait
partir. Et pourquoi pas se venger du chef. Ce chef avec qui il restait depuis
toutes ces années sur les ordres de son père et dont il ne connaissait même pas
le nom… Mais son père ne savait pas ces choses là, le chef était son homme de
confiance, son ami.
Le roi de
Brakmar, à sa manière, aimait son fils. Il voulait le préparer au trône qu’il
obtiendrait. Le jeune prince aimait son père lui aussi, mais il était bien
décidé à tout faire pour l’empêcher d’accomplir ses sombres desseins.
ShadowTony
était seul dans le couloir quand il perçut une grande agitation au dehors, il
s’approcha de la porte mais celle-ci s’ouvrit brusquement, il se trouva nez à
nez avec Lay qui semblait très agité.
- Ah !
ShadowTony ! Viens !
Le jeune homme
suivit son ami sur le pont du bateau. Un groupe de démons courrait après un
tofu qui volait devant eux. Il leur mettait de féroces coups de becs quand ils
approchaient leurs mains.
- C’est
toujours la même histoire ! Lay, immobilise-les !
Le dénommé Lay
se concentra en fixant le sol du bateau, de grandes tiges de plantes vertes au
petites épines en sortirent et s’enroulèrent autour des chevilles des démons,
les immobilisant en griffant légèrement leurs chevilles. Le tofu vola jusqu’à
son maître. Lay s’apprêtait à annuler le sort d’immobilisation mais ShadowTony
l’interrompit.
- Attends.
Lay leva
les yeux vers son ami, celui-ci lui adressa un petit signe de tête avant de
s’avancer vers les démons.
- Bonjour
messieurs. Il est amusant de courir après un tofu, hein ?
Les démons
baissèrent les yeux.
- Et votre
grande bêtise vous pousse à essayer de voler un parchemin vierge. Quels hommes
de confiance vous faites. Vous saviez que ce parchemin ne vous était pas
destiné, non ?
A ces mots
le jeune homme détacha la petite lettre de la patte de l’oiseau et la montra
aux démons, rien n’y était écrit.
- Vous êtes
bêtement tombés dans mon piège.
Un des démons osa prendre la parole :
- On ne
savait pas que c’était le votre ShadowTony…
-
Menteur ! A chaque fois vous essayez. J’aurais pensé que vous seriez moins
bêtes cette fois. Vous vous trouvez malins maintenant ? Moi non. Tâchez
que cet incident ne se reproduise plus.
Il adressa
un nouveau signe de tête à Lay et les plantes disparurent.
- Merci,
Lay.
- De rien,
même moi je ne peux pas approcher mes mains du tofu.
- Brave
bête.
- Pourquoi
y’a rien d’écrit ?
- Bon,
viens.
Il prit Lay
par le bras et l’entraîna par la petite trappe.
•
CHAPITRE 18 : Nouvelles du continent
Amara était
assise sur le matelas, elle s’ennuyait. Elle aurait aimé sortir, ne voir que
ces parois de bois et cette obscurité était plutôt déprimant.
Soudain
Amara entendit des pas dans la pièce à côté, au même moment son bracelet se mit
à scintiller. Il ne brillait pas très fort mais son éclat était accentué par le
peu de lumière qui régnait dans la pièce.
Quelques
instants plus tard, la porte s’ouvrit. ShadowTony entra, suivi d’un homme
qu’Amara ne connaissait pas. Elle se leva.
- Bonjour.
- Salut, je
m’appelle Lay.
- Plus tard
les présentations, nous avons quelque chose de plus important à faire.
Il posa le
tofu dans les bras d’Amara.
- Asseyons
nous.
ShadowTony
et Amara prirent place sur le matelas. Lay s’assit devant eux, le dos appuyé à
la porte.
- Quelqu’un
du continent m’a envoyé un message. Et ce doit être la personne qui a reçu mon
tofu.
Amara
sourit.
ShadowTony
déroula le parchemin.
- Il n’y a
rien dessus, remarqua Amara.
ShadowTony
fixa le parchemin quelques secondes, de minces lettres rouges orangées
apparurent.
Lay s’approcha
pour lire par-dessus leur épaule.
- Il n’y a
toujours rien.
- C’est
normal, tu ne peux pas le lire. Ecoute plutôt.
Le Sadida
retourna docilement s’asseoir, ShadowTony commença à lire.
Je
ne vous connais pas mais je vous remercie de vos renseignements. Actuellement,
une équipe de jeunes gens du berceau sont en route vers le camp des Chevaliers
de la Terre afin de ramener quelques volontaires jusqu’ici. J’aimerai avoir
d’avantages de renseignements sur les démons qui gardent Amara, ainsi que sur
la position de votre bateau.
J’aimerai
aussi m’assurer que vous dites vrai et qu’Amara est avec vous en bonne santé.
Nous
vous tiendrons au courant, normalement nous viendrons récupérer votre
prisonnière dans moins d’une semaine. Tenez vous prêts.
En
espérant ne pas me tromper en vous accordant toute ma confiance, je vous prie
de prendre bien soin d’Amara durant ces quelques jours.
M. Tsongor Le
06/08/05 au berceau de l’oiseau des flammes
Le visage d’Amara affichait un sourire rayonnant. Non
seulement il était sûr à présent que quelqu’un viendrait la chercher, mais elle
avait ici une preuve que ShadowTony
ne lui avait jamais menti.
ShadowTony
aussi semblait content de ce courrier, ou plutôt soulagé.
- Merci
Lay, il n’aurait pas fallu que cela tombe entre les mains du chef.
Mais Lay
semblait sceptique.
- Je ne
comprends pas.
- C’est
pourtant simple. Les amis d’Amara vont venir la chercher, je leur ai donné
toutes les informations pour qu’ils nous trouvent et puissent récupérer Amara
sans danger.
- Mais
pourquoi ? Et ton père ?
- Réfléchis.
Entre une petite sœur adorable, qui ne ferait pas de mal à une mouche, et un
roi cruel et sans cœur, qu’est-ce que tu choisirais ?
-
Evidemment, vu comme ça…
- Ecoute,
quand ils auront récupéré Amara, je partirai. Est-ce que tu viendras avec moi ?
- Tu
songerais à me laisser tout seul ici avec ces gens là ?
- Bien sûr
que non, répondit ShadowTony avec un sourire.
Amara,
elle, relisait la lettre de Maître Tsongor.
- Il parle
de venir d’ici une semaine, vous croyez que les démons se doutent de quelque
chose ?
- Ca
m’étonnerait beaucoup.
- Je me
demande où nous irons, après.
Les trois
jeunes gens discutèrent un moment puis Lay repartit aux cuisines.
- Je verrai
cet après-midi s’il est possible de te laisser aller sur le pont. Tu as
faim ? Demanda ShadowTony.
- Merci,
pas pour l’instant, répondit-elle.
- Bon, je
vais aller voir ce qu’il se passe dehors. Nous répondrons à cette lettre cet
après-midi. A tout à l’heure.
- A tout à
l’heure, lui répondit-elle en souriant.
Il sortit et referma la porte derrière lui, à nouveau la
lumière, au poignet d’Amara, diminua peu à peu.
•••
Le soleil,
haut dans le ciel, réchauffait fortement la température. Ses reflets dans le
sable clair éblouissaient les huit compagnons. Ils discutaient gaiement, leur
marche rythmée par le bruit des vagues.
Il était
déjà plus de midi et ils n’avaient fait que de courtes pauses durant la
matinée, mais personne ne se plaignait, le temps était magnifique, de même que
le paysage autour d’eux. Loulou regardait autour d’elle silencieusement. Keazou
regrettait un peu les bavardages de son amie qui parlait beaucoup d’ordinaire.
Elle ne parlait guère mais n’arborait plus cet air triste qui se lisait sur son
visage depuis quelques jours.
Le soleil
d’été faisait briller ses longs cheveux et sa peau déjà hâlée par le soleil.
Keazou l’admirait en marchant à quelques pas derrière elle. Ses vêtements d’été
courts, mettaient son corps en valeur. A
ce moment là il ne put s’empêcher de repenser au jour où il avait été sauvé sur
la plage. Il se rappela avoir eu à la fois un regard sur son amie dans son
petit bikini rouge vif et un regard sur la douce jeune fille qui se tenait
derrière elle, frissonnant dans son simple maillot de bain bleu azur. Son air
timide et enfantin lui avait plu. De la même façon que Loulou, la jolie jeune
femme au visage rieur et au tempérament de feu lui plaisait. Les deux jeunes
filles étaient totalement différentes mais elles se complétaient et avaient
toutes les deux leur charme. Loulou le savait et ne s’en cachait guère. Amara,
elle, avait un charme naturel dont elle ne se rendait pas compte, c’est ce
qu’aimait Keazou chez elle.
A cette
pensée, Keazou se trouva un peu bête. Il n’avait vu Amara qu’une ou deux fois
et ne lui avait jamais parlé. Il la trouvait très jolie, mais rien de plus. Du
moins c’est ce qu’il s’efforçait de penser.
En
revanche, son amie, Loulou marchait juste devant lui. Ses longues ailes noires
scintillaient au soleil, des reflets bleu nuit les parcouraient. Il la
rejoignit, c’est elle qui était à la tête du groupe. Il posa sa main sur son
épaule tout en faisant stopper le groupe.
- On va
s’arrêter là, Loulou.
Il lui
montra un endroit à l’ombre, plus haut sur la plage, en bordure de la petite
forêt qui longeait la plage. Ils allèrent s’asseoir à l’ombre dans le sable. Il
était 13h environ.
- Le voyage
est très calme, commenta Dark en commençant à manger.
-
Calme ? Tu trouves ça calme de se faire attaquer par un énorme
Meulou ? Répliqua War.
- Oh… bof.
A ce moment
Beothien se leva, coupant court à la discussion. Devant le regard interrogateur
des autres, il dit d’un air rieur :
- Je vais
là où vous ne pouvez pas aller pour moi.
- Okay,
fais attention, ne t’éloigne pas trop. Lui recommanda Keazou.
- Oui
Maman.
Beothien
partit, s’enfonçant dans la forêt derrière eux.
« Décidément
très étrange ce Beo », se dit Keazou.
Oubliant l’incident, ils se remirent à manger.
○○○
Beothien
marchait dans la petite forêt, regardant partout autour de lui. Soudain une
voix féminine l’interpella.
- Attention
Stradivarius. Ne bouge pas !
Le jeune
homme s’arrêta net. Regardant toujours autour de lui. Quelques instants plus
tard, une forme se dessina entre les branches d’un petit arbre, devant lui.
Une jeune
femme d’une grande beauté venait d’apparaître. Elle portait des vêtements
courts, de cuir rouge. Un long manteau de cuir noir recouvrait son dos et ses
épaules, elle portait de grandes bottes de cuir souple totalement noir. Un
voile de tissus noir cachait ses cheveux et le bas de son visage, deux fines
dagues étaient accrochées à sa ceinture.
- Ah !
Xellia, tu es là.
Il voulut
s’approcher d’elle.
- Ne bouge
pas !
- Mais…
- Recule
Stradivarius.
Il leva les
yeux vers elle, elle souriant. Beothien, rassuré, recula de quelques pas.
La jeune
femme lança agilement l’une de ses dagues devant l’endroit où se tenait
précédemment Beothien. Une petite explosion silencieuse produit un halot jaune
qui souffla toute chose autour de lui. Les feuilles et petites branches furent
projetées plus loin, les objets plus gros étaient légèrement déplacés, d’autres
comme les grosses pierres se fissuraient.
- Un piège.
Pourquoi ?
- Au cas
où.
Beothien
s’approcha de la jeune femme et l’embrassa. Ils s’enlacèrent et Beothien
chuchota :
- Tu as été
très discrète. C’est bien. Personne ne t’a vue ?
- La fée m’a
aperçue, mais le Milimulou a détourné l’attention.
- Ca va
devenir difficile maintenant, la forêt laissera bientôt place aux champs.
- Oui je
sais… Je devrai rester plus loin.
- Non,
c’est trop risqué. Je veux que tu partes devant. Nous allons au village des
Tofus Perdus. Essaye de prendre de l’avance et de nous y attendre.
- Entendu
Stradivarius.
- Pars
maintenant, tu avanceras plus vite que nous. Sois prudente.
Il
l’embrassa à nouveau et la regarda partir. Sa silhouette s’effaça peu à peu. Ce
mode de « camouflage » était propre aux Serpents de l’Air.
Beothien s’empressa de rejoindre les autres sur la plage.
○○○
Le groupe
finissait de manger, on ne prêta guère attention au retour de Beothien.
Ils
repartirent un moment après. Keazou demanda :
- Vous êtes
prêts ? L’après-midi va être long et la nuit tombée, nous dresserons notre
camp sur la plage.
Ils
discutaient tout en marchant.
- Il faudra
faire des tours de garde cette nuit, remarqua Drou.
- Oui, mais
nous sommes huit, nous pourrons facilement nous partager la tâche.
Aucun incident ne survint durant l’après-midi, le groupe
s’arrêta dès que le jour commença à baisser.
•••
Peu de
temps après midi, Amara entendit quelqu’un venir, son bracelet se remit à
luire.
Quand
ShadowTony entra, elle montra le bracelet et dit sur un léger ton
ironique :
- C’est
pratique ce truc.
ShadowTony
était content, la voir sourire de cette façon, heureuse de savoir qu’elle
allait bientôt quitter cet endroit, oubliant un instant Misugi, lui faisait
plaisir.
Il vint
s’asseoir tout près d’Amara.
- Nous
allons répondre à la lettre, d’accord ?
- Oui,
d’accord.
Il sortit
un rouleau de parchemin, une petite plume de Corbac et une bouteille d’encre de
l’intérieur de son manteau.
- Hum…
Attends une seconde.
Le jeune
homme se leva et sortit. Il revint quelques minutes plus tard, traînant une
grosse caisse qui semblait vide. Il la posa devant eux.
- Voilà.
Il revint
s’asseoir près d’elle et commença à écrire.
Nous
avons bien reçu votre message, Amara est juste à côté de moi.
Actuellement,
nous nous trouvons au Sud-Ouest de l’Ile des Wabbits. Dans une semaine
exactement, nous serons bien à l’est d’ici, quelque part entre cette île et
l’Ile de Moon. Vous n’aurez aucune difficulté à nous repérer si ce temps
perdure.
Sur
ce bateau, quatorze démons sont présents, en comptant mon ami et moi qui sommes
de votre côté.
Notre
chef est puissant. C’est un archer, maître du feu, mais il est très rapide. Il
vise bien.
Notre
équipe est malheureusement très bien constituée : deux fées, deux Sadidas,
deux Maîtres des Boucliers, trois Maîtres de la Terre, un Maître des Eaux et un
Maître du Temps.
Tous
ont un très bon enseignement en matière de magie noire et tuent sans regrets.
Quant
à nous, il y a un Sadida et moi-même, Maître du Feu. J’ai avec moi mon
Dragonnet et mon Craqueleur ainsi que ce Tofu voyageur.
Je
pense qu’il vous faudra une équipe semblable et légèrement plus nombreuse pour
venir à bout des démons. L’effet de surprise sera votre meilleur atout.
Je
laisse Amara finir cette lettre, ce qui pourra vous assurer de sa présence, en
bonne santé, à bord du bateau.
Amicalement
ShadowTony
- Voilà, dit-il à Amara qui se tenait alors contre lui et
lisait par-dessus son épaule. Est-ce que ça te convient ?
- C’est parfait. Que sont les îles dont tu parles ?
- Ces deux îles sont liées l’une à l’autre. Un jour, les
deux rois de ces îles, Moon et le Wa se sont disputé a cause d’un objet magique
qu’ils avaient trouvé. C’était il y a très longtemps. Lors de leur dispute,
chacun des rois a utilisé cet objet magique contre l’autre île. Le peuple du Wa
a été totalement transformé. Le sort a transformé chaque individu en créature
étrange, entre l’homme et une espèce de lapin… difficile à décrire sans l’avoir
vu. Le peuple de Moon quant à lui a subit une toute autre transformation.
Chaque personne a en fait été changée en… ce qui se trouvait près d’elle. On
trouve par exemple des hommes cocotiers, des buissons vivants et des plantes
gélatineuses vivantes. Ou bien encore des squelettes qui se trouvaient là par
hasard. Moon et sa garde ont été transformé en singes. Depuis toutes ces
années, les deux peuples sont condamnés à ne jamais changer de forme, ni d’âge.
Ils sont totalement pacifiques mais si on les tue, ils réapparaissent quelques
jours plus tard. C’est là leur malédiction.
Amara ne répondit rien, cette histoire lui paraissait
invraisemblable, pourtant plus rien n’étonnait la jeune fille.
- J’aimerai les voir, un jour.
ShadowTony lui sourit et passa le bras autour de ses
épaules.
- Autre chose, pourquoi parles-tu de
« Maîtres » ?
- Oh… c’est vrai, tu ne connais rien du monde des démons.
Vous, vous avez des « ordres » et ces ordres ont des noms. Nous, nos
ordres n’ont pour nom que leur élément et ceux qui en suivent l’enseignement
sont appelés par leur rang : Maître, Novices, Apprentis. C’est ce qui
permet de connaître notre niveau, alors que vous parlez plutôt en nombre
d’années passées au berceau. Tu comprends ?
- Oui je comprends. Mais dans ce cas… Les Sadida, les
Maîtres des Boucliers et du Temps ? Ils ne font pas partie des quatre
éléments. Qui sont-ils ?
- Oh… Je vais t’expliquer.
Amara rougit légèrement.
- Désolée, je ne connais la magie que depuis peu de temps…
- C’est normal, ne t’en fais pas. Ces personnes font partie
des ordres que tu connais. Pour vous, il y a l‘Ordre du Temps et les Créateurs
de Boucliers. Les Sadida sont les gens comme Lay, mon ami que tu as vu tout à
l’heure.
Il lui conta la légende des Sadida.
- Les Créateurs de Boucliers font partie de l’Ordre du Feu,
ils reçoivent leur enseignement avec vous. L’Ordre du Temps est constitué d’une
minorité d’êtres très étranges. Ils sont très petits et ont l’apparence de
jeunes adultes, mais certains d’entre eux ont plus de trois cents ans !
Pour les Sadida, nous les appelons aussi Maîtres des Plantes. S’il y a des
plantes où ronces dans les parages, ils peuvent en faire ce qu’ils veulent.
S’il n’y en a pas, aucun problème : ils en font apparaître. Ils le peuvent
même avec de petits arbres et buissons. Par ailleurs, dans leur clan, on créait
d’étranges poupées de tissus qu’ils pouvaient animer. Certaines utilisent de
puissants sortilèges tout de même, ces poupées possèdent un dixième de la
puissance de leurs créateurs au niveau de leurs pouvoirs. Certaines par
exemple, utilisent des sorts de soin ou de puissantes attaques.
- Je n’en avais jamais entendu parler. Merci.
- Tu finis la lettre ? Les gens du berceau l’auront
d’ici quelques heures.
- D’accord.
Elle prit la plume et commença à écrire à la suite de la
lettre de ShadowTony. Cette fois-ci c’était lui qui était appuyé contre elle et
lisait ce qu’elle écrivait.
- Qu’est-ce que je dois écrire, au fait ?
- Tout ce que tu veux, nous avons le temps.
- Bon…
Chers
amis du berceau,
Nous
venons de recevoir votre lettre, je vous remercie de vous inquiéter pour moi.
Il est vrai que mes débuts ont été très difficiles à bord de ce bateau.
Heureusement que ShadowTony était là.
J’étais
malade quand je suis arrivée ici, je faisais aussi beaucoup de cauchemars. Ma
tête était si douloureuse que les vertiges m’empêchaient de marcher. Je ne
comprends pas ce qui s’est passé pour que j’aille si mal. Peut-être ai-je été
empoisonnée ?
J’étais
dans une petite cabine de bois glacée et humide, sur un matelas. Je n’ai pas pu
manger pendant plusieurs jours. Puis ShadowTony est arrivé et m’a apporté à
boire et à manger. Il m’a rendu ma cape. Aujourd’hui, je ne suis plus malade.
Je me suis rétabli peu à peu, mais je m’ennuie beaucoup quand mon frère n’est
pas là. Car ShadowTony est mon frère, mon père est le roi des démons, à
Brakmar. ShadowTony m’a raconté beaucoup de choses et a répondu a mes
questions, je m’ennuie moins quand je discute avec lui. J’aimerai sortir et
regarder la mer, j’en ai marre d’être enfermée dans le noir.
A
ce propos, il s’est passé quelque chose d’étrange hier, quand ShadowTony m’a
touché le bras, je me suis endormie. Il parait que quand je dormais mon
bracelet s’est mis à briller très fort. A chaque fois que ShadowTony s’approche
de l’endroit où je suis, mon bracelet se remet à scintiller. Les oiseaux sont
devenus rouges, celui de son médaillon comme celui de mon bracelet.
Pourquoi ?
Voilà,
j’attends votre venue avec impatience, je vous souhaite bonne chance, surtout à
ceux qui sont partis chercher de l’aide.
A très bientôt, je l’espère
Amara
- C’est parfait, dit ShadowTony avec un sourire. Regarde,
maintenant.
Le jeune homme se concentra un instant, puis les minces
lettres s’effacèrent.
- C’est un procédé peu connu, les prêtres et les personnes
importantes le maîtrisent, j’ai la chance que mon père soit roi et me l’ait
appris.
Il roula le parchemin et l’accrocha à la patte du gros tofu.
- Il n’en a pas l’air, mais c’est un facteur très efficace.
Il n’a qu’à gonfler ses plumes et battre un petit peu des ailes et il s’envole
tout doucement dans les airs. Lay est sur le pont, je peux lui demander de
« te surveiller » si tu veux sortir.
- Oui j’aimerai bien, c’est possible ?
- On va voir ça, viens.
Ils se levèrent. Il la prit fermement par le bras.
- Excuse-moi, mais ce serait bête que les démons se doutent
de quelque chose maintenant ! Lay devra peut-être t’attacher pour
« faire en sorte que tu ne te sauves pas » mais il fera attention à
ce que ça ne te gêne pas, tu es d’accord ?
- D’accord.
Ils sortirent tous deux sur le pont, Lay était assis sur un
tonneau, au milieu du bateau.
ShadowTony la « traîna » jusqu’à lui, elle le
suivit docilement.
Il dit d’une voix forte :
- Surveille bien Amara, je vais fouiller sa chambre, qui
sait ce qu’elle aurait pu y cacher. De toute façon un peu de vent froid lui
fera le plus grand bien.
Un démon s’approcha :
- N’avez-vous pas peur qu’elle utilise la magie pour se
sauver ?
- Non, elle est encore trop faible pour ça. Et puis où
voudrais-tu qu’elle aille ? Ne t’inquiètes pas. Ils resteront dans un coin
pour que vous n’ayez pas peur…
Les démons restaient tout de même loin du petit groupe,
celui qui avait parlé s’éloigna.
- Bon, Lay ça ne te dérange pas ? Chuchota-t-il.
- Non pas du tout.
- Si tu l’attaches, vas-y doucement s’il te plait.
- Pas de problèmes.
- Allez là-bas.
Il montra l’avant du bateau.
- OK, t’inquiètes pas.
- Et toi ? Où tu vas ? Demanda Amara à voix basse.
- Je dois d’abord envoyer le Tofu, puis je dois écrire à mon
père pour lui dire qu’aucun incident ne va perturber nos plans. Soyez prudents.
ShadowTony s’éloigna et retourna à sa cabine, non loin de
celle d’Amara.
Lay prit à son tour le bras d’Amara et l’emmena à l’endroit
indiqué par ShadowTony. Ils montèrent quelques marches. Ici les bords du bateau
étaient surmontés d’une balustrade de bois. Ils s’en approchèrent et
s’assirent, leurs jambes pendant dans le vide au dessus de la mer. La
balustrade les mettait en sécurité en les empêchant de tomber par-dessus bord.
- Bon, je vais devoir t’attacher. Tu me dis si ça te gène.
Mets tes mains comme ça.
Il lui positionna les deux mains à plat l’une contre
l’autre. Il se concentra un instant et de fines plantes aux douces feuilles
s’enroulèrent autour des poignets de la jeune fille.
Une sensation bizarre l’envahit, elle se sentait très bien
mais une idée s’imposait à son esprit : elle e pouvait pas bouger.
En effet, elle essaya de remuer ses jambes, celles-ci
bougèrent faiblement, elle n’aurait pu marcher. Pareil pour ses bras.
- C’est bizarre au début, hein ?
- Oui, mais ça va.
- Les effets de cette plante sont très étranges.
Amara regarda autour d’elle, au moins elle pouvait tourner
la tête. Aucune île n’était en vue, comme la première fois qu’elle était
sortie. Le vent avait faibli, il faisait beaucoup moins froid. Le soleil
brillait et le ciel était d’un bleu magnifique.
Elle ne savait pas quoi dire à Lay, il n’était pas bavard.
En l’observant, elle vit qu’il regardait la mer d’un air triste. A cet instant,
Amara pensa qu’il avait l’air très malheureux. Les yeux humides et brillants,
il avait la tête appuyée contre la balustrade. Amara en eût le cœur serré. Elle
aurait aimé le réconforter mais ne savait pas comment s’y prendre, lui demander
ce qu’il avait aurait été indiscret.
Lay soupira à côté d’elle, il ne semblait pas décidé à
parler. Amara regarda la mer à son tour, ne voir que de l’eau à perte de vue
était impressionnant, le bateau n’allait pas très vite, la mer était très
calme.
Elle tourna la tête vers Lay qui lui dit :
- Pourquoi as-tu l’air si heureuse Amara ?
- Je ne suis pas heureuse. Simplement optimiste. Je suppose
que tu sais ce qu’ils ont fait… au cimetière…
Sa voix tremblait légèrement, elle luttait pour ne pas
pleurer, troublée par l’attitude du jeune homme et la pensée de Misugi.
- Oui je le sais… C’est pourquoi je t’ai posé cette
question… Je ne sais pas comment tu peux encore arriver à sourire.
- Evidemment c’est dur… Je souffre beaucoup.
Des larmes perlèrent malgré elle aux coins de ses yeux.
- Mais je me dis que la vie continue… au début sur le bateau
j’étais totalement désespérée, perdue ? Mais c’est parce que je croyais
que je ne m’en sortirais pas, j’étais seule ici, on allait me livrer à des
démons encore plus cruels que ceux qui m’ont enlevée, ceux qui ont…
Elle étouffa un sanglot, depuis qu’elle avait commencé à
parler, les larmes coulaient sur ses joues sans qu’elle puisse les retenir.
- Tu comprends ? Maintenant il y a quelqu’un qui
m’aide, quelqu’un a qui j’ai pu parler et me confier. Je sais que ShadowTony ne
remplacera jamais Misugi, mais on ne peut pas revenir en arrière, et je sais
que je vais devoir continuer à vivre sans lui, et qu’il faut que je surmonte ma
douleur. Je ne veux pas baisser les bras.
- Tu es courageuse…
- Je ne sais pas… mais tout ce que je veux c’est vivre ma
vie. Normalement. Je ne sais pas si je pourrais être « courageuse »
si je perdais d’autres personnes qui me sont chères… Mais pour l’instant je
veux continuer à avancer.
- Oui tu as raison… mais ce n’est pas facile, il faut
beaucoup de volonté…
- Qu’est-ce qui t’es arrivé ?
- C’est les démons… dans le quartier où j’habitais, à
Brakmar. Ils ont enlevé toutes les femmes et en ont fait des démones… Au
début personne ne le savait, mon amie était parmi elles. Au début, tout allait
bien, puis elle a commencé à sortir la nuit, à me cacher des choses. Je
souffrais énormément de son attitude, j’ai essayé de lui parler. Elle m’a
simplement dit « c’est pour ton bien, tu verras ». Je l’ai crue
aveuglément. C’est quand je l’ai vue tuer que j’ai compris ce qu’ils avaient
fait. Je l’ai suivie une nuit et j’ai vu ce qu’elle faisait, avec les autres
démones… Je l’ai vu tuer des hommes, des femmes, des enfants… Elle n’était plus
elle-même. Et ils l’employaient pour me rendre comme eux, j’ai du m’enfuir sur
ce bateau, tout laisser pour fuir la femme que j’aimais, car je savais que je
finirais par leur céder… Je regrette de l’avoir laissée, de ne pas m’être
battu…
Il reprit après un court moment de silence.
- Mais je ne veux pas t’ennuyer avec mes histoires, tu ne
peux rien y faire de toutes façons.
- Désolée, mais tes histoires m’ennuient moins que le
silence. Peut-être que je ne peux rien arranger, mais ça fait du bien de
parler. Est-ce que tu en as déjà discuté avec quelqu’un ?
- ShadowTony mon seul ami est très occupé en ce moment…
- Quand les secours viendront, vous passerez beaucoup de
temps ensemble. Il m’a parlé de missions qu’il devait effectuer.
- Oui, je le suivrai.
- Le sortilège qui emprisonne les démons ensorcelés par le
Maître sera brisé quand nous aurons déjoué ses plans. Tout redeviendra comme
avant. En tout cas je me battrai pour ça ! Si nous nous unissons tous,
nous pourrons vaincre le mal, tu es d’accord avec moi ?
- Oui, bien sûr.
- Tu dois aussi te battre… imagine quand tout sera fini, tu
rentreras chez toi, tu retrouveras ta compagne… C’est ce que tout le monde
veut.
- Oui, tu as raison Amara.
Ils se remirent à regarder la mer silencieusement,
réfléchissant. Ils passèrent un long moment ainsi ? L’après-midi était
déjà bien avancée quand ShadowTony les rejoignit. Il vint s’asseoir entre eux
deux.
- Voilà. Mission accomplie. Nous n’avons plus qu’à attendre
une réponse, dit-il.
- Pff qu’est-ce qu’on va bien pouvoir faire pendant une
semaine, lui demanda Amara.
- Ben… attendre…
- Est-ce que nous aurions dû nous arrêter quelque part avant
d’arriver à Brakmar ?
- Normalement non, nous allons à Brakmar directement et le
plus vite possible…
Amara pensa à se lever, mais elle ne pouvait toujours pas
bouger.
- Vraiment efficace cette plante.
Lay sourit faiblement.
- Oui, mais des contresorts peuvent facilement la
neutraliser.
- Il y a encore beaucoup de choses que je ne connais pas sur
la magie…
- Bien sûr ! Mais nous aussi tu sais. Si tu as eu
l’Oiseau c’est que tu connais les brases, tout est dans l’entraînement à
présent.
En pensant à ses entraînements, le sourire d’Amara s’effaça.
Avec qui allait-elle s‘entraîner maintenant que Misugi n’était plus là ? …
ShadowTony posa sa main sur celle d’Amara d’un air désolé.
- Tu peux la libérer, Lay, murmura-t-il.
La petite corde végétale disparut du poignet de la jeune
fille qui serra la main de son frère.
Tous trois tournèrent la tête vivement quand un démon
cria :
- Lay !!!
Le jeune Sadida soupira et se leva.
- A tout à l’heure.
Il partit, ShadowTony et Amara se levèrent aussi, il lui
reprit le bras.
- Nous allons rentrer, d’accord ?
- Oui.
- Je préfère discuter à l’intérieur, c’est moins risqué,
dit-il en montrant les démons discrètement.
Amara acquiesça d’un petit signe de tête et tous deux
retournèrent jusqu’à la petite cabine.
Eclairés par le bracelet de la jeune fille, ils n’avaient
même plus besoin de bougie. La pièce était suffisamment éclairée pour que, près
du bracelet, les deux jeunes gens puissent se voir, se regarder.
Amara se surprit à penser à
Œil-de-loutre, sa grande sœur. Elle se rappelait quelques soirées passées dans
leur petite chambre mansardée, à la faible lueur d’une petite bougie.
Œil-de-loutre lui manquait aussi beaucoup, et les moments passés avec
ShadowTony lui rappelaient Œil-de-loutre. Elle sourit à ShadowTony qui lui
rendit son sourire.
○○○
De son côté, ShadowTony ressentais d’étranges sentiments.
Chez les démons, il avait réussi à se faire aimer et respecter par beaucoup,
mais il n’avait qu’un seul ami proche, Lay. Mais depuis que le Maître était
revenu, il avait eu peu d’occasions de parler avec lui, ça lui manquait.
Il pensa tout d’abord que c’est ce qui faisait qu’il aimait
être avec Amara, à cause de ces instants privilégiés qu’il passait seul à seule
avec elle, à discuter de tout et de rien. Mais il s’aperçut vite que c’était
autre chose. Il se sentait proche d’elle, il lui semblait avoir enfin trouvé ce
qu’il désirait depuis longtemps.
En effet, plus son père cherchait « l’enfant »,
plus ShadowTony cultivait le désir de rencontrer cet enfant. Et il l’avait
enfin retrouvée, il parlait avec elle et pouvait la regarder, la toucher.
Amara lui ressemblait beaucoup, tant physiquement que par sa
manière de penser. Depuis leur rencontre, il faisait en sorte de pouvoir passer
le plus de temps possible avec elle. Chacun était curieux de connaître le monde
de l’autre, sa vie, l’endroit d’où il venait. Mais ShadowTony n’osait pas trop
lui poser de questions, il ne voulait pas qu’Amara croie qu’il l’interrogeait
réellement au profit du Maître. La confiance que lui accordait la jeune fille
lui était précieuse. Par chance, Amara parlait naturellement et lui disait ce
qu’il voulait savoir sans qu’il n’aie besoin de le lui demander.
ShadowTony avait hâte de pouvoir
partir de cet endroit, mais en même temps, il n’avait pas envie de quitter
Amara, il avait peur de ne pas la revoir avant un long moment. Mais il ne
pouvait pas l’emmener, c’était beaucoup trop risqué et il ne devait pas faire
passer son intérêt personnel avant la survie d’Amara. C’est exactement ce que
le Maître aurait voulu qu’il fasse, et il ne pouvait se le permettre.
○○○
ShadowTony était à nouveau plongé dans ses pensées. Amara
lâcha sa main et s’allongea sur le matelas, derrière lui. Il se tourna et la
regarda.
- Où as-tu eu cette cape ? Je n’en ai jamais vu de
pareilles.
- Oh… Mes parents adoptifs me l’ont donnée avant que je ne
parte au berceau. Il parait que je l’avais sur moi quand ils m’ont trouvée.
La jeune fille raconta le jour où on l’avait trouvée, à la
fontaine, tel que le lui avaient raconté ses parents.
- Regarde.
Elle sortit la longue
chaînette qu’elle avait autour du cou, où les trois petites clés étaient
accrochées.
- Je l’avais autour du cou quand on m’a trouvée.
ShadowTony prit les petites clés dans sa main, au dos
figurait une inscription gravée : Amara.
- Tu ne sais pas d’où ça peut bien venir ?
- Non. J’aimerais bien le savoir. Rien ne parle de cape ni
de trois petites clés dans les livres de la bibliothèque. Je crois que je ne le
saurais jamais ;
- Je ne pense pas que notre mère te les ait donnés, elle ne
t’avait même pas encore donné de nom et ne t’avait présentée à personne,
d’ailleurs la plupart de démons ne savent pas que « l’enfant » est
une fille.
Ils discutèrent longtemps à nouveau.
En début de soirée, on frappa à la porte. ShadowTony se leva vivement.
- ShadowTony ? C’est moi…
ShadowTony se rassit calmement en reconnaissant la voix de
Lay.
- Tu peux entrer.
Le Sadida entra et referma la porte.
- Tu nous as fait peur, Lay.
- Désolé... j’apportais à manger. Je suppose que tu ne
mangeras pas avec eux, ShadowTony ?
- Tu supposes bien.
- C’est encore de la soupe, pour changer. Je me permets de
me joindre à vous.
Il posa la grosse casserole sur la caisse de bois et la
rapprocha du matelas. Il servit ensuite trois bols de l’épaisse soupe de
légumes.
Amara se releva et s’assit au bord du matelas à côté de
ShadowTony. Lay reprit place devant eux, adossé à la porte. Dans la petite
cabine, il y avait à peine la place pour les trois personnes, la caisse et le
matelas.
- Merci Lay, dit Amara. C’est gentil de ta part.
Ils se mirent à manger.
•
CHAPITRE 19 : La tempête
Le jour
commençait à baisser quand les huit compagnons s’arrêtèrent. Le campement fut
dressé sur une grande plage.
Keazou et
DrouVirus partirent chercher du bois pour allumer le feu pendant que les autres
se préparaient avec des feuilles et pommes de pins trouvés au bord de la petite
forêt.
Quand les
deux jeunes hommes revinrent, le feu fut rapidement allumé. Chacun déballa les
provisions qui lui restaient et Dark annonça :
- Nous
n’avions pas prévu que le pique-nique était à la fois pour le matin et le soir.
Nous n’avons plus grand-chose.
DrouVirus
lui demanda :
- Est-ce
qu’il y a quelque chose à chasser par ici ?
- Hmm… oui
dans les champs il y a des Tofus, Bouftous et sangliers sauvages.
- Nous
pourrions peut-être en attraper quelques uns ?
- C’est une
bonne idée.
- Je suis
chasseur, et Glo est très bonne cuisinière.
- OK,
allons y.
- Kea,
viens avec moi, lança-t-il au jeune homme avant de se tourner vers les autres.
Nous revenons tout de suite.
Les deux garçons
s’éloignèrent de la plage et contournèrent la petite forêt. Ils arrivèrent
bientôt au bord d’un champ de blé et d’avoine, où courraient des dizaines de
petits tofus sauvages aux plumes jaunes et duveteuses.
- Ca fera
l’affaire, non ?
- Oui, je
pense.
DrouVirus
détacha sa cape et dit :
- Bon… si
ça ne t’embête pas, tu vas avancer au milieu du champ et faire peur aux Tofus
pour les rabattre vers moi.
- D’accord,
pas de problèmes.
Keazou
s’avança au milieu des Tofus qui voletèrent plus loin, il avança lentement
derrière eux et, au signal de DrouVirus, commença à leur courir après en
agitant les bras. DrouVirus abattit la cape sur le groupe de Tofus qui
fonçaient droit sur lui et en emprisonna quelques uns. Ils s’occupèrent de
ceux-ci et recommencèrent l’opération. Ils en attrapèrent une quinzaine ainsi.
Sur le chemin du retour, ils croisèrent Dark qui vint rapidement à leur
rencontre.
Je vais faucher un peu de blé pour compléter
notre repas.
- Bonne
idée, lui répondit DrouVirus.
Celui-ci
donna leurs gibiers à Keazou et commença à ramasser de longues et fines tiges
de bois pendant que Dark fauchait le blé avec une petite faux. Quand ils
arrivèrent au campement avec les Tofus, tout le monde les applaudit. Ils les
donnèrent à Globox qui commença à les préparer. Pendant ce temps, Dark revint
avec de nombreux épis de blé dans les bras, il en distribua à tout le monde.
- Il nous
faudrait un récipient… Dit War en tournant la tête vers les tofus qui venaient
de manger des graines dans une grande gamelle de métal.
- Bon ben
en voilà un.
Il rinça le
récipient avec un peu d’eau de mer.
Tout le
monde s’appliqua à séparer les petits grains de blés des épis et a les déposer
dans la gamelle.
- Quelqu’un
a de l’eau, au moins ?
- Oui,
oui !
Keazou lui
fit passer sa gourde et Dark la versa dans le récipient plein de blé.
DrouVirus
alluma un nouveau feu où il ne laissa que les braises. Dark posa la gamelle
dessus pour faire cuire le blé comme on aurait préparé un plat de pâtes.
Pendant
qu’ils faisaient ça, Globox avait plumé et embroché les petits oiseaux qui
seraient délicieux une fois grillés.
Pour les
protéger du sable, elle les posa sur une vieille cape marron qu’elle avait
étendu au sol. Les Tofus n’étaient pas gros et il y’en avait deux sur chaque
petite tige de bois.
Dark, avec
une petite tailladeuse d’arc, tailla des branches de bois dur et les planta
profondément dans le sable de sorte que l’on puisse poser les
« brochettes » dessus, au dessus du feu.
Tout était
enfin prêt et ils n’avaient plus qu’à attendre que ça cuise en surveillant la
nourriture.
Les deux
gros Sangliers qui ne semblaient pas apprécier le sable s’étaient éloignés vers
la forêt où ils cherchaient glands et racines à manger.
Le gros
Bouftou quant à lui, dormait, blotti devant le feu, près des huit compagnons
assis en cercle.
L’énorme
Craqueleur savait se faire très discret, il restait toujours en retrait, à
quelques mètres de sa maîtresse.
Une fois le
blé cuit, le plat passa entre les mains de chacun. Les Tofus sauvages finirent
de cuire, ils étaient délicieux, grillés et croustillants.
- Bon,
après ce succulent repas, il va falloir se décider pour les tours de garde.
Tout d’abord, nous avons avancé beaucoup plus vite que prévu aujourd’hui, et
nous arriverons aussi rapidement dans le Clan des Sadida qu’au village des
Tofus Perdus si nous avançons aussi rapidement qu’aujourd’hui. Nous nous
arrêterons dans ce village plutôt au retour, si ça ne dérange personne.
Les jeunes
gens se regardèrent, Beothien semblait contrarié mais ne dit rien, ils étaient
tous d’accord.
- Nous
venons de voir que l’on peut très bien se débrouiller sans devoir emporter des
provisions. Regardez.
Keazou
sortit une grande carte, la déplia sur le sable et la leur montra en leur
donnant des explications :
- Nous sommes ici en bord de plage. Il faut
traverser les champs directement jusqu’à la pleine des dragœufs sans faire de
détour par le village des tofus perdus. Nous marcherons peut-être une petite
partie de la nuit sur la plaine des dragœufs mais sûrement moins que si on
avait passé du temps au village. Regardez, nous aurions dû passer par ici et je
vois que l’on peut couper directement vers le clan des Sadida. Nous gagnerons
un jour de marche. Une fois au clan des Sadida, il nous restera une petite
heure pour aller chez les Chevaliers de la Terre. Nous serons même en avance.
Par contre au retour il sera plus difficile de chasser pour se nourrir car nous
serons normalement plus nombreux, il faudra emmener des provisions. Au retour
nous passerons au village des Tofus Perdus pour se restaurer. Ensuite on
repassera sur cette plage, puis à Sufokia et enfin au berceau.
Loulou
compta :
- Demain
nous serons au berceau des Chevaliers de la Terre, après-demain au village des
Tofus Perdus, dans trois jours sur cette plage. Dans quatre jours, retour à
Sufokia, et dans cinq jours arrivée au berceau. Il nous reste cinq jours de
marche, cela fait déjà deux jours que nous marchons. Donc, une semaine en tout.
-
Exactement, nous aurions pu marcher beaucoup plus longtemps. Au retour, il
faudra être discrets et prudents pour alerter le moins possible les démons…
mais nous serons nombreux, ce sera difficile…
- Oui, ce
sera difficile. Il faudra sûrement se battre… Nous allons contourner le
labyrinthe. Même s’il n’y a généralement personne plus loin que l’entrée, en ce
moment il doit y avoir des gardes tout autour, avança Djahil.
- Oui, bien
entendu. De toute façon, avec les Chevaliers de la Terre, nous serons forts.
Bon, mes amis, nous avons la chance d’avoir une nuit magnifique et une
température très agréable. Après ce bon repas, je vous souhaite donc bonne
nuit. Je monterai la garde une partie de la nuit avant de venir réveiller l’un
de vous.
- On
devrait monter la garde deux par deux, ce serait plus prudent.
- OK, qui
reste avec moi ?
DrouVirus
vint s’asseoir près de lui.
- Bonne
nuit tout le monde.
Le début de la nuit se passa sans incidents. Au bout de
quelques heures, DrouVirus réveilla Dark et War. Kea et DrouVirus allèrent se
coucher.
•••
Pendant
cette même soirée, au fond d’un bateau, dans une petite cabine éclairée par la
lumière rougeoyante d’un bracelet de métal, trois amis discutaient.
Lay, ShadowTony
et Amara venaient de terminer leur repas et discutaient à propos de ce qu’ils
feraient une fois sortis du bateau.
A vrai dire, il n’y avait que ShadowTony qui le savait
précisément, mais il n’était pas bavard à ce sujet. Lay n’avait qu’une
conviction : il allait suivre ShadowTony, son ami de toujours. Il se
sentirait moins seul. Et puis, tout au long de leur amitié, Lay avait vu ShadowTony
gagner en puissance, il se sentait en sécurité près de lui. En effet, le frère
d’Amara avait profité de l’enseignement des démons basé sur un seul but :
la puissance, et en avait tiré profit dans l’optique de réussir finalement à
combattre ces démons.
Amara quant à elle, verrait bien ce qu’on lui dirait de
faire et où on lui dirait d’aller. Elle resterait avec les gens du berceau.
Elle se demandait d’ailleurs où ils pourraient bien aller, ce qu’ils pourraient
bien faire.
Les trois amis se quittèrent tard
dans la nuit après une longue discussion à ce sujet.
•••
Keazou dormait depuis une bonne heure quand il fut réveillé en
sursaut par War qui le secouait sans ménagement. Le jeune homme se dit qu'il
devait dormir très profondément pour ne pas avoir entendu ce bruit
assourdissant. Les sept autres étaient tous debout, essayant de rassembler
leurs affaires. Une tempête s’était levée brusquement et le vent soufflant avec
fracas sur la plage. La mer, si calme la veille était secouée par le vent, des
rouleaux de plus d’un mètre de hauteur venaient s’écraser bruyamment sur la
plage. Keazou et les autres se mirent à courir, luttant contre le vent, et
s’enfoncèrent dans la forêt. Ils devaient crier pour s’entendre, la tempête se
déchaînait et devenait de plus en plus forte. La pluie ne tarda pas à s’ajouter
au vent furieux. Les huit compagnons s’immobilisèrent au milieu de ce petit
bosquet, serrés les uns contre les autres. La pluie les fouettait cruellement.
Keazou leur cria :
- On peut pas rester là !
Les arbres bougeaient dangereusement, ils ne voyaient pas le
sol, dans la nuit noire.
Keazou dit quelque chose mais sa voix fut couverte par une
bourrasque de vent et de pluie glacée.
Quelques secondes plus tard, un roulement de tonnerre les fit
sursauter, Loulou cria.
Keazou essayait de garder son sang froid mais se sentait un peu
perdu, il ne savait plus que faire. Le tonnerre gronda à nouveau, la foudre
s’abattit non loin d’eux. Les éclairs éclairaient un paysage chaotique et
sombre, le vent et la pluie continuait de souffler et de fouetter le visage des
compagnons.
Dark se mit à courir :
- Venez !
Ils se mirent tous à courir à sa suite, les animaux suivant
tant bien que mal. Ils coururent ainsi un long moment, pataugeant à travers
champs. Ils avaient l’impression que tout tremblait, que la tempête n’allait
jamais s’arrêter.
DrouVirus s’écria :
- Il y a de la lumière ! Là-bas !
Une détonation du tonnerre les fit accélérer encore, la tempête
semblait les poursuivre. Ils continuèrent leur course vers la lumière. Ils
arrivèrent bientôt à une grande ferme aux fenêtres illuminées.
Dark prit la tête et répéta :
- Venez !
Il se jeta littéralement à genoux devant la ferme et tambourina
à la porte.
- S’il vous plait !
Dark se releva difficilement quand la porte s’ouvrit. Il
répéta :
- S’il vous plait…
Une vieille femme aux cheveux verts s’écria :
- Oh mes pauvres enfants ! Entrez, entrez vite !
Les huit compagnons entrèrent, suivis par leurs animaux, par
chance aucun n’avait été blessé. La ferme toute entière tremblait, les vitres vibraient.
La femme répéta :
- Oh mes pauvres enfants… Que faisiez vous dehors en pleine
nuit ? Et par un temps pareil ?
Tous les huit étaient au milieu de la pièce, trempés. Certains
s’étaient laissé tomber à terre, encore secoués par ces émotions.
- Oh la la la la !
La vieille dame tira un grand banc de la table jusqu’au devant
de la cheminée.
- Installez vous je vais aller chercher des couvertures.
Ils s’assirent en silence sur le banc, la tempête faisait rage
au dehors, l’orage tonnait, la pluie tombait à grand bruit. Les jeunes gens,
tremblants, regardaient la vieille dame revenir. Elle leur posa des couvertures
sur les épaules. Dark prit la parole :
- Merci madame.
- Mais de rien mon petit. Pourquoi étiez vous donc
dehors ?
Keazou raconta leur histoire pendant que la dame leur préparait
du thé. Elle leur apporta des tasses fumantes. Keazou la remercia et continua.
- Il faisait un temps magnifique quand nous avons dressé notre
campement… Comment le temps peut-il changer si brusquement ?
- Eh bien… ce n’est pas un orage naturel, ça c’est certain.
D’après votre histoire, vous devez connaître l’existence du Maître du
mal ?
- Oui, en effet.
- Eh bien, je vais vous raconter une histoire. Le
« Maître » a un jour entendu parler d’une légende. Voulez vous
l’entendre ?
- Oui, s’il vous plait.
La vieille dame s’installa dans un fauteuil à bascule et se
couvrit les jambes d’une fine couverture. Pendant que les huit compagnons
buvaient leur thé en se réchauffant près du feu, la vieille dame se mit à
raconter :
Il était une fois, il y a très longtemps dans le château
d’Amakna, vivait une jeune gouvernante. Elle s’appelait Aki et était une très
jolie Sadida. Elle menait une existence simple et effectuait avec soin le
travail qui lui était confié au château. La jeune Sadida ne se doutait pas du
pouvoir qui l’habitait, elle ne savait même pas qu’il y avait de la magie en
elle jusqu’au jour ou le prince de ce château était entré dans sa petite
maisonnette, blessé. En le soignant, elle avait senti une force magique
s’infiltrer dans son corps. Elle s’était rappelé avoir déjà rencontré pareil
évènement quand elle était petite, près de sa mère. Elle ne chercha jamais à
utiliser la magie, car après tout elle ne l’avait jamais utilisée et ne savait
pas comment faire.
Cette jeune fille continua sa vie au château sans le moindre
souci.
Un jour qu’elle allait faire son marché, Aki fut attirée par un
magnifique livre, dans la vitrine d’une boutique d’antiquité. Sur un coup de
tête, elle l’acheta et le ramena chez elle.
Quand elle l’ouvrit, un formidable orage éclata. Dans le livre
elle lut ces quelques phrases :
Toi qui lis cet ouvrage
Viens de créer un nouvel
élément
Qui perdurera au fil des
âges
Quand il choisira son
descendant.
Deux êtres de lumière sont
nés
Pour assurer notre destinée.
Ils seront Maîtres des
orages
Qui frappent ton pays avec
rage.
Leur pouvoir sera immense
L’un d’eux sauvera
l’humanité
S’il use avec sagesse, avec
clémence
Du pouvoir dont il a hérité.
Celui qui nous sauvera
Pourra réduire à néant
Celui qui porte l’aura
De son élément.
C’est ainsi qu’apparut
l’être de lumière
Et que deux êtres naquirent
sur notre Terre.
Cet orage que tu vois
Se reproduira quand l’un des
êtres
Trouvera son héritier et lui
apprendra
A en devenir le Maître.
Si ces paroles sont oubliées
Le monde connaîtra un grand
tourment
Car la lumière reste la clé
Qui unira les quatre
éléments.
Le totem sacré
Permettra à l’élu de
s’envoler
Vers le ciel illuminé
Qui vaincra l’obscurité.
Toutes les autres pages du beau livre étaient vierges, de minces
reflets lumineux les parcouraient.
Depuis, des orages tels que celui-ci éclatèrent au fil des
générations.
- Le maître s’est mis à la recherche du livre pour
découvrir ce qu’il cache, continua-t-elle, mais il ne l’a jamais trouvé. Le
bruit court qu’il possède déjà l’élément de lumière et qu’il cherche à
l’utiliser contre ses ennemis. On raconte aussi qu’il cherche à le transmettre
à l’un de ses serviteurs, c’est peut-être ce que le livre appelait son
« descendant ».
Keazou regarda la vieille dame, il trouvait
impressionnant qu’elle se souvint de tant de choses et puisse les raconter avec
autant d’exactitude. Il demanda :
- Madame… L’avez-vous noté quelque part ? Je
suis sûr que cela pourrait nous être d’une aide précieuse. Je ne sais pas si
notre prêtre connaît cette légende.
- Je vous donnerai le parchemin. Vous allez passer
la nuit ici, et dès demain je vous conduirai chez les Chevaliers de la Terre.
- Merci madame… répondit Globox à la vieille femme.
Les animaux s’étaient rapprochés timidement de la cheminée
et se tenaient près du banc.
- Je vais vous installer au grenier si ça ne vous
dérange pas de dormir sur la paille.
Elle regarda la mince échelle qui se trouvait
contre le mur, puis le craqueleur.
- Hum… Je ne pense pas que votre ami puisse monter
au grenier. Les animaux peuvent dormir dans la grange avec mes Tabis.
Globox se leva et suivit la vieille dame jusqu’à
une vieille porte au fond de la grande pièce. Elles entrèrent dans la granges,
suivies des deux Sangliers, du Bouftou, des quatre Tofus et de leur mère le
Bwork et du Craqueleur.
Elles revinrent quelques minutes plus tard.
- Voilà, vous pouvez monter, je vous apporte
d’autres couvertures.
Les huit compagnons montèrent par la petite échelle
et arrivèrent dans un sombre grenier plein de ballots de paille et d’herbe
sèche, ils étendirent leurs couvertures sur la paille et attendirent la vieille
dame. Elle arriva quelques instants après et leur donna d’épaisses couettes. Un
coup de tonnerre les fit sursauter.
- Ne vous inquiétez pas, cette vieille ferme en a
vu d’autres. Dormez en paix mes enfants, je viendrai vous réveiller pour le
petit déjeuner.
- Merci pour tout madame.
- Au village, on m’appelle Tante Lucette. Bonne
nuit.
Tante
Lucette descendit la petite échelle et laissa les compagnons dans le noir. Ils
se couchèrent tous ensemble sur leur lit de paille et se couvrirent des chaudes
couettes. La pluie battait furieusement la petite lucarne, les éclairs
éclairaient par moment le grenier. Keazou sursautait légèrement à chaque coup
de tonnerre, le cœur battant, il se tourna vers Loulou et la prit dans ses
bras, autant pour la rassurer que pour se rassurer lui-même. Il détestait
l’orage et se sentait mal à l’aise en entendant les roulements menaçants du
tonnerre. Il ferma les yeux et finit finalement par s’endormir. Tous les huit
sombrèrent peut à peu dans le sommeil. Il était environ trois heures du matin.
•••
Deux heures à peine après que Lay, ShadowTony et
Amara se soient séparés, la jeune fille se réveilla en sursaut, projetée à
l’autre bout du matelas, contre la coque du bateau. Elle se rétablit tant bien
que mal au milieu du matelas et regarda autour d’elle, sortant peu à peu du
lourd sommeil duquel elle avait été arrachée. Elle se frotta les yeux et fut à
nouveau projetée contre la paroi de sa cabine. Le bateau semblait secoué par
une force invisible, une grande agitation régnait au dessus d’elle, sur le pont
du bateau. Elle se leva, manqua de tomber. Le bateau bougeait vraiment
beaucoup. Amara entrouvrit la porte et regretta immédiatement son geste :
le vent glacé et la pluie s’engouffrèrent par la porte entrebâillée et
l’ouvrirent, la faisant claquer violemment. Un grand frisson parcourut le corps
de la jeune fille, elle essaya de sortir dans la salle d’à côté mais fut
bousculée par Lay qui se précipitait vers le pont. Il lui cria :
- Ama ! Rentre dans la cabine ! Ferme la
porte, vite !
Amara, docile, rentra dans sa cabine et lutta
contre le vent pour refermer la porte. Elle fut aidée par un mouvement du
bateau qui la plaqua contre la porte qui se claqua. Amara était gelée, le vent
et la pluie glaciale qui l’avaient fouettée avaient rougi sa peau et elle
tremblait de froid. Elle alla tant bien que mal sur le matelas et se blottis
sous sa cape. Le bateau, à chaque moment menaçait de la propulser contre les
murs. Elle s’accrocha au matelas, toute tremblante.
Soudain, un
coup de tonnerre retentit, si fort qu’Amara eut l’impression que le bateau
explosait. Elle apercevait parfois la lumière des éclairs, sous la porte.
○○○
Sur le pont, les démons luttaient contre la
tempête, tiraient su des cordes pour rabaisser les voiles qui claquaient contre
le mât. Les cordes s’emmêlaient. La foudre tomba, une voile s’enflamma. Après
beaucoup d’efforts, les démons parvinrent à faire tomber le morceau de tissus
en feu dans la mer, pour sauver les autres parties de la voile. Une fois toutes
les voiles hors d’atteinte de la tempête, le chef cria :
- Retournez tous dans vos cabines ! Je veux
deux hommes avec moi ! On va jeter l’encre, on peut plus bouger cette
nuit.
Tous les démons entrèrent dans le bateau et se
dispersèrent dans leurs cabines. ShadowTony qui partageait sa cabine avec Lay
dit à celui-ci.
- Je vais voir Amara, si le chef revient, dis-lui
que je vais juste vérifier qu’elle va bien. Le bateau bouge beaucoup et elle
n’a rien à quoi s’accrocher.
- OK.
ShadowTony
arracha la couverture du dessus de son lit et se précipita au dehors, il se
dirigea vers la cabine de la prisonnière.
○○○
Amara, gelée, se recroquevilla sur elle-même ;
le froid brûlait ses bras et ses jambes nues. Son bracelet se mit à briller,
enfin ShadowTony venait la voir ! Elle gémit quand le vent entra dans la
cabine par la porte que ShadowTony venait d’ouvrir, elle tremblait encore,
blottie sous sa cape. ShadowTony ferma rapidement la porte et regarda sa petite
sœur dans la pénombre. Il la recouvrit de sa couverture, Amara lui sourit
faiblement.
- Merci…
ShadowTony, peu couvert lui aussi et venait du
dehors ou la tempête se déchaînait, grelottait, debout devant la porte. Il
s’assit sur le matelas en frissonnant. Elle le couvrit d’un côté de la
couverture, mais, découverte, elle frissonna à son tour. Il se glissa doucement
près d’elle et remonta la couverture sur leurs épaules. La jeune fille se
blottit instinctivement contre lui. Il se tourna vers elle :
- Ca va, Amara ?
Elle claquait des dents.
- J’ai froid…
Il la prit dans ses bras et la serra contre lui.
- Qu’est-ce qu’il se passe ?
Tous deux chuchotaient, le bateau bougeait toujours
autant mais ils étaient serrés l’un contre l’autre, au milieu du matelas, ce
qui atténuait les secousses du bateau. La cabine isolée les protégeait de tous
les bruits de la tempête, même les vagues frappaient plus haut sur le bateau,
provoquant un léger bruit sourd. Seul le tonnerre persistait et grondait avec
force.
Le bracelet d’Amara brillait plus fort que jamais.
- Hier soir le temps était stable, la mer calme.
Peu après qu’on soit allés nous coucher, le bateau s’est mis à bouger. On a
quasiment été jetés du lit par la tempête. Puis juste après, par le chef qui
avait besoin de nous… On est sortis, il fallait rentrer les voiles à cause de
la tempête. Il y a beaucoup de vent et de pluie glacés, puis l’orage s’est
levé. Une voile a brûlé, ce qui est un bon point pour nous car le bateau
avancera moins vite. Avec ce vent, plusieurs hommes ont failli passer
par-dessus bord… Le chef a donné l’ordre de rentrer les voiles et de jeter
l’encre, encore un bon point pour nous.
Amara rouvrit les yeux et se serra contre lui.
- Ca va mieux toi ?
- Oui, merci beaucoup ShadowTony.
Amara sentait ses yeux se fermer, elle posa la tête
sur son épaule et ferma les yeux. Elle sourit en l’entendant murmurer.
- Bonne nuit, petite sœur.