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Le Totem des 4 Eléments

 

• CHAPITRE 1 : L’enfant trouvée

 

Il y a une vingtaine d’années, dans le port d’Amakna, accosta un navire de pirates sanguinaires. Les marchands du port reconnurent le bateau à sa voile noire.
Les pirates écumaient les mers depuis de nombreuses années, pillant les ports et tuant les marins. Il était même raconté qu’ils possédaient les connaissances d’autres mondes, d’îles lointaines et inconnues.

Un messager fut envoyé au roi d’Amakna afin d’annoncer la décision des pirates de s’installer dans un petit village du bord de mer.

Il annonça mystérieusement que si le village n’était pas désert d’ici la fin de la soirée, quelqu’un serait sacrifié…

Le roi, ne comprenant pas les paroles du messager, convoqua les habitants de ce petit village maritime, afin de discuter avec eux de la situation.

Après une longue discussion, une décision fut prise : les marins firent leurs bagages et allèrent s’installer dans les diverses auberges du village.

 

Peu après, un homme apparut à l’entrée du village.  Des chuchotements effrayés se faisaient entendre sur son passage. En effet, on reconnaissait les démons a la tunique noire et a la marque significative de leur cape… Or, de grandes ailes rouges étaient brodées au dos de la cape de l’inconnu...

Peu à peu, les rues du village se vidèrent, les volets et les portes se refermèrent sur les habitants effrayés.

L’homme portait dans ses bras un étrange tas de tissus, la couleur orangée de l’étoffe contrastait avec les vêtements sombres du démon.

Ce dernier continua sa marche, progressant lentement dans le village. Sa démarche, à la fois lourde et majestueuse, imposait le respect et la terreur… sentiment étrangement mêlé d’une sorte d’admiration…
Un silence total s’était installé dans le village. Les Pious ne chantaient plus, même le clapotis de l’eau de la fontaine semblait muet…

L’homme avança lentement jusqu’à la fontaine. Certains affirment avoir entendu, sous la capuche recouvrant d’ombre le visage de ce sombre personnage, une voix froide et dénuée de sentiments qui murmurait des mots, dans une langue étrangère. Comme une effroyable prière, ou plutôt une incantation… D’autres affirment avoir vu une lumière rouge, symbole de la magie tirée des Portes de l’Enfer, magie capable de faire surgir de nulle part les pires flammes de cet Enfer, entrer dans le paquet que le démon tenait dans ses bras.

Après avoir déposé délicatement le mystérieux objet, l’homme quitta la place, continuant à marcher dignement, regardant droit devant lui.

 

De longues minutes passèrent, le silence, épais, lourd, comme empli d’une menace, ne se dissipait pas. Personne n’osait bouger.

Quelques instants plus tard, des pas se firent entendre. Le claquement de sabots de bois sur les pavés de la place se rapprochait. Puis, à la surprise des habitants, une voix enfantine s’éleva, claire et joyeuse, raisonnant gaiement dans le silence impénétrable du village.

Les habitants écoutaient, retenant leur souffle. A leur plus grande surprise, regardant entre les lames de leurs volets, ils aperçurent  une fillette qui marchait, sautillant joyeusement dans la rue, son petit panier se balançant au bout de son bras. Elle chantait, ses cheveux volaient autour de son visage innocent, entraînés par la bise printanière, sa robe légère tournoyant au rythme de sa joyeuse marche.

 

Les habitants la connaissaient comme étant la fille unique d’un couple vivant dans une ferme, retirée dans la forêt, un peu à l’écart du « centre ville ». La fillette avait six ou sept ans et venait régulièrement jouer dans le village. Elle avait acquit le surnom d’Oeil-de-loutre après qu’un groupe de loutres sauvages s’en soient pris à elle et l’aient blessée. L’enfant avait une discrète cicatrice près de l’œil droit.

Elle était aimable et polie, très bien élevée. Ceux qui la connaissaient pouvaient dire que c’était une petite fille curieuse, résolue et têtue. Elle n’était pas capricieuse, loin de là, mais quand elle avait une idée en tête, rien ni personne ne pouvait plus la détourner de son but. Elle était très intelligente et son esprit était vif pour son âge. Tous ces détails faisaient d’elle une enfant adorable, aimée de tous.

 

La fillette s’installa près de la fontaine, à genoux par terre et sortit ses jouets : une poupée et de minuscules récipients en porcelaine. Alors qu’elle se levait pour remplir une petite tasse avec l’eau de la fontaine, son attention fut attirée par le long paquet d’étoffe orangée.
Dans les maisons, les habitants retenaient leur respiration, ils étaient plongés dans une sorte d’excitation euphorique. Admirant l’insouciance d’Œil-de-loutre, ils étaient comme envoûtés par la scène qui se déroulait sous leurs yeux.

Elle s’approcha lentement et s’agenouilla près du paquet. Celui-ci, sur toute sa longueur, mesurait un peu plus d’un mètre, ce que l’on avait du mal à distinguer dans les bras de l’homme Sombre. La fillette défit avec soin le paquet, déroulant soigneusement le morceau de tissus.

 

Ce que l’on découvrit produisit un tel effet de surprise que l’on accouru de toute part, déverrouillant les portes et les volets.

Bientôt une masse compacte de curieux s’était assemblée autour de la fontaine. On poussait des soupirs de soulagement et d’émerveillement.

 

En effet, enroulée dans la grande cape orangée, une petite fille était allongée. Toute mince, elle était vêtue d’un simple pagne fait d’une fourrure de couleur blond clair. Sa peau était claire et ses cheveux blancs brillaient d’un éclat argenté. Un minuscule Tofu dormait, blotti contre son cou. L’oiseau et l’enfant dormaient tous les deux d’un sommeil profond et paisible. Le soleil éclairait la scène, lui donnant un aspect presque magique, merveilleux.

L’enfant pouvait avoir deux ou trois ans.

 

Les parents d’Œil-de-loutre, voyant que cette dernière ne rentrait pas, se rendirent au village… Une fois sur la place, ils se faufilèrent dans la foule et poussèrent un petit cri de surprise en découvrant la scène. Leur petite fille allongée sur la cape, près de « l’enfant trouvée ».

Dispersant l’attroupement de badauds, le couple se pencha sur l’enfant. Quelque chose était accroché autour de son cou ; en s’approchant, on distinguait trois petites clés de formes bizarres. Sur chacune des trois clés, la même inscription revenait : Amara.

La femme, en saisissant les petites clés, réveilla le Tofu endormi. Celui-ci, en piaillant avec entrain, mordilla légèrement l’oreille de la petite fille. Elle se réveilla. Elle s’assit sur la cape et prit l’oisillon  dans ses mains. Elle regarda les gens penchés au dessus d’elle avec des yeux ronds. Elle se frotta les yeux et posa le Tofu à coté d’elle. Lorsqu’on lui demanda si Amara était son prénom, la fillette hocha la tête affirmativement.

Une femme voulut s’approcher d’Amara mais celle-ci s’accrocha au cou de la fillette qui était assise à côté d’elle. Une personne demanda qui allait s’occuper de l’enfant trouvée. Le couple déclara qu’ils allaient l’habiller et lui donner à manger, ils la conduiraient ensuite au roi.

C’est ainsi que la petite Amara rejoignit la ferme.

 

Alors qu’ils se rendaient au château afin de présenter Amara au roi, la famille rencontra une femme. Vêtue d’une longue cape bleue, elle paraissait avoir une soixantaine d’années. La femme s’approcha d’Amara et la dévisagea. Elle regarda tour à tour Amara et sa famille adoptive. Puis tout en regardant les parents, elle posa la main sur la tête d’Amara et leur annonça : « L’enfant aura un grand avenir… » Puis elle se retourna et partit en marmonnant des paroles incompréhensibles.

L’entrevue avec le roi fut brève, ayant d’autres soucis en tête il leur conseilla l’orphelinat du village dans le cas où ils ne voudraient pas garder la fillette.

 

Amara entra donc dans la ferme en tant que membre de la famille.

Le lien qui s’était créé entre les deux fillettes à leur rencontre se renforça, elles s’aimaient comme deux sœurs et ne se quittaient plus. Amara et Œil-de-loutre grandirent, heureuses.

La famille n’était pas très riche mais vivait avec une immense joie de vivre. La ferme résonnait de rires et de bonheur. Les deux fillettes jouaient, aidaient parfois leur père dans les champs ou leur mère dans la cuisine, à faire des gâteaux, ou du pain.

 

• CHAPITRE 2 : Les Chasseurs-Pèlerins

 

Mais Œil-de-loutre grandissait, elle avait cinq ans de plus qu’Amara. Sa grande curiosité la poussait toujours plus loin dans sa découverte du monde qui l’entourait. Elle restait de moins en moins à la maison, passant ses journées dehors, en forêt ou au village à discuter avec les artisans.
Elle rentrait, le soir, et ramenait un peu d’argent à la maison, gagné en effectuant quelques travaux que lui confiaient les villageois. Les soirs, assis dans le salon, la famille écoutait les récits que racontait la jeune fille. Parfois elle racontait ce qu’elle avait fait ou ce qu’elle avait vu, d’autres fois elle se lançait dans l’explication des métiers auxquels elle s’intéressait. Le reste du temps, elle racontait les légendes et les vieilles histoires d’Amakna. Œil-de-loutre, le soir, chantait des chansons à sa jeune sœur qui les apprenait par cœur. Et pendant les longues soirées d’hiver, elles chantaient en chœur après le dîner, devant la cheminée.

 

Une belle matinée de printemps, alors qu’Œil-de-loutre allait vers ses treize ans, une rumeur circulait dans le village : les Chasseurs-Pèlerins allaient revenir dans les contrées. Des fêtes prestigieuses avaient été données, onze ans auparavant, quand les pèlerins avaient planté leur campement près du village. Les hommes avaient aperçu l’un des chasseurs entrer dans le château du roi.

 

Les Chasseurs-Pèlerins voyageaient à travers le monde entier, ils pratiquaient avec ferveur l’art de la chasse et étaient pourtant si proches de la nature qu’ils ne tuaient jamais les animaux capturés. Ils chassaient à l’arc, mais leurs flèches faites d’un bois fin et léger, étaient prolongées par de fines aiguilles qui ne pénétraient que légèrement sous la peau des animaux. Ces aiguilles étaient enduites d’une mixture que seuls les pèlerins connaissaient. Le produit endormait les animaux. Les chasseurs capturaient les animaux endormis.

Le trophée qu’ils ramenaient de leurs chasses était des dessins. En effet, chaque fois qu’un chasseur capturait un animal, il en faisait un dessin avant de le relâcher. Aucun des dessins n’était identique. Il fallait dessiner l’animal endormi dans son environnement, choisir avec soin les couleurs. Lorsque c’était possible, les chasseurs joignaient quelque chose à leur dessins, par exemple : quelques poils, un morceau de laine, une écaille, une plume.

Hormis la majorité de chasseurs, on trouvait aussi, dans la troupe des Chasseurs-Pèlerins, quelques artisans, tailleurs, cordonniers… Les plus beaux des dessins étaient reproduits sur une partie de leur production, tels que des vêtements, capes, chapeaux, chaussures et bandeaux, du linge de maison, rideaux, draps, nappes et tapis. Il y avait aussi de petites statuettes, des flûtes et d’autres instruments de musique. Ces produits étaient destinés à être vendus dans les villes et villages où les pèlerins s’arrêtaient. C’étaient des produits rares et chers, ils étaient longs et difficiles à réaliser. L’argent de la vente permettait aux Chasseurs-Pèlerins de continuer à voyager dans de bonnes conditions et de continuer à exercer leur passion. Les pèlerins organisaient, pendant deux semaines, une grande foire où ils vendaient leurs marchandises. Ils restaient environ pendant deux mois au même endroit, chassant dans les environs, selon la période de l’année.

 

Œil-de-loutre apprit la nouvelle et partit au village pour se renseigner. A la bibliothèque, elle lut tout ce qui parlait des chasseurs. Puis ils arrivèrent au village. Les grands archers étaient un peu impressionnants, ils portaient des combinaisons souples aux couleurs parfois sombres, parfois plus claires, se mariant parfaitement avec la nature qui les entouraient. Leurs arcs peints et sculptés étaient tous plus magnifiques les uns que les autres. Les archers portaient à la taille une grande sacoche destinée à abriter leurs dessins, leurs biens les plus précieux mis à part leur arc.

 

La jeune fille, fascinée par ces hommes, les observa. D’abord de loin. Puis elle s’approcha un peu plus. Chaque jour elle rentrait chez elle avec de nouvelles choses à raconter, ce qu’elle faisait avec entrain et excitation.

Les chasseurs s’installèrent dans une clairière, non loin du village. L’enfant se réjouit de les savoir si proches de chez elle.

 

Leur campement était fait seulement de toiles de tente tirées par des piquets de bois. Un peu en retrait, on trouvait le bâtiment principal de la troupe : une grande roulotte de bois qui contenait les objets destinés à être vendus, la nourriture et le matériel utilisé pour le campement, toiles de tentes, couvertures, ustensiles de cuisine…etc.

 

Celui qui semblait être le chef des chasseurs était un grand homme d’une quarantaine d’années, ses vêtements de couleur vert pâle reflétaient la couleur de ses yeux, verts et pleins de sagesse. Ses cheveux, longs, blanc argenté comme ceux d’Amara, étaient attachés et lui arrivaient un peu en dessous de la nuque. Ses bottes de cuir rouge ne faisaient aucun bruit quand il marchait. Le chef avait dressé sa tente au centre du campement. Les autres, par habitude, avaient planté la leur en cercle autour de celle-ci.

La troupe comportait une centaine de personnes, essentiellement des hommes, mais Œil-de-loutre ne pouvait s’empêcher d’admirer les grandes chasseuses. Habillées comme le reste de la troupe, leurs vêtements serrés mettaient en avant leur corps, parfaitement entretenu par un entraînement physique quotidien. Les chasseuses laissaient leurs longs cheveux tomber sur leurs épaules.

 

Trois jours plus tard, une grande agitation régnait dans le village, on installait des tables le long des rues, on installa quelques banderoles aux murs des maisons. La grande foire était sur le point de commencer. Les pèlerins vinrent installer leurs marchandises. Vers midi, la foire fut déclarée officiellement ouverte. Les festivités commencèrent.

 

Œil-de-loutre et sa famille se rendirent au village, parcourant les allées de la foire. La jeune fille dévorait tout des yeux. Curieusement, on n’entendait pas de grands cris des marchands et acheteurs, on admirait les produits exposés sur les tables. Certains chasseurs avaient sortis leurs instruments de musique. Ils jouaient tous le même air, on entendait seulement le changement de l’instrument d’un étalage à l’autre. Ils jouaient en même temps avec un parfait accord. D’autres artisans peignaient ou sculptaient.


Œil-de-loutre s’arrêta devant un des étalages et effleura les petites statuettes du bout des doigts. Les petits animaux étaient sculptés dans un bois sombre, presque rouges. Elles étaient polies et vernies avec soin, tous les détails apparaissaient. Certaines même étaient peintes, avec des couleurs vives et réalistes.

La jeune fille s’agenouilla devant l’étalage afin d’être à la hauteur des objet. Elle n’osait les toucher, de peur d’abîmer de si jolies choses. Un long moment plus tard, l’homme qui était assis de l’autre côté de la table parla : « Eh bien mademoiselle ? »

Œil-de-loutre sursauta. Elle se releva et s’excusa. L’homme, le visage joyeux, la regarda. Il lui dit d’approcher. La jeune fille, de nature réservée et prudente, hésita un moment. Puis la curiosité l’emporta. Elle contourna la table et s’approcha de lui. Il la dévisagea et lui dit : « Je t’ai aperçue plusieurs fois cette semaine, autour du campement. » L’enfant s’excusa encore, assurant qu’elle ne voulait pas espionner. Mais le sculpteur ne semblait pas offensé. Il lui demanda ce qu’elle pensait des petites statues, elle répondit que c’étaient de véritables œuvres d’art, qu’elles étaient magnifiques. Pendant qu’ils discutaient, Œil-de-loutre s’était assise sur une marche, à quelques mètres de l’homme, distance qu’elle jugeait raisonnable, on n’est jamais trop prudent, comme lui disaient sans cesse ses parents. Il lui posa quelques questions sur elle-même auxquelles elle répondit sincèrement mais sans trop donner de détails. Elle lui parla de sa jeune sœur, racontant leur rencontre. Elle raconta aussi l’attaque des loutres telle que lui avait raconté sa mère. L’homme semblait réfléchir. Il lui dit de partir et lui donna rendez-vous le lendemain, au même endroit.

Elle prit congé et le remercia vivement.

 

Elle continua à flâner longuement le long des allées, écoutant la douce musique qu’ils jouaient, elle état si belle, si calme. Elle lui faisait penser à la fois à l’eau d’un ruisseau qui coulait dans une forêt endormie, et à la beauté des fleurs dévoilant leurs pétales au printemps. La musique était lente et joyeuse.

Œil-de-loutre leva la tête et aperçut Amara et ses parents, ils l’appelèrent. Une odeur sucrée parvint aux narines de la jeune fille : sur la place, les boulangers du village avaient étalé un large choix de pains, gâteaux et viennoiseries. Amara, qui était barbouillée de chocolat, finissait une gaufre.

Sa grande sœur rit en la voyant comme ça, sortit un mouchoir de sa poche et frotta le menton de la fillette. Puis elle s'acheta elle aussi une gaufre au chocolat qu'elle dégusta assis sur le rebord de la fontaine.

Le Tofu d'Amara, qui avait grandi, était maintenant gros comme le point d'Œil-de-loutre ; il se tenait sur son épaule. Alors qu'elle portait la gaufre à sa bouche, l'oiseau sautilla le long de son bras et se mit à picorer le chocolat. Toute la famille rit de bon coeur devant le spectacle.

Puis la nuit tomba et ils rentrèrent à la ferme.

 

Ce soir-là, Œil-de-loutre rêva de voyages, de chasse et de statuettes de bois.

Le lendemain matin, elle se leva tôt, excitée par les évènements.

Ne sachant pas quoi faire, elle sortit sans bruit et alla se promener en forêt. Elle cueillit un gros bouquet de fleur pour sa maman puis rentra, ouvrit les volets de la cuisine et se lança dans la préparation d’une tarte aux myrtilles. Amara et ses parents furent tirés du lit par la bonne odeur de la tarte qui cuisait dans le four.

Ils prirent ensemble un gros petit déjeuner puis Œil-de-loutre et Amara embrassèrent leurs parents et sortirent.

 

Les deux jeunes filles marchaient joyeusement, se tenant par la main. En chemin, Œil-de-loutre raconta sa rencontre avec me sculpteur. Amara écouta attentivement.
Quand elles arrivèrent devant l’étalage, le sculpteur était déjà là. Il sculptait une statue plus grande que les autres, elle lui arrivait aux genoux, on n’en distinguait que la tête qui faisait penser à un dragon. L’homme les salua, Œil-de-loutre reprit sa place sur la marche de pierre et Amara s’assit à côté d’elle. Tout aussi réservée que sa sœur, elle ne dit rien, se contentant d’écouter. Il leur proposa de leur raconter la légende qui était à l’origine des statuettes ; les filles approuvèrent d’un vif signe de tête. Il raconta que, intérieurement, chaque personne était habitée par l’âme d’un grand animal, que l’animal donnait le caractère de la personne, ses goûts, ses choix et ses émotions, c’était en quelque sorte, un totem personnel, lié à chaque personne.

Œil-de-loutre ne put s’empêcher de penser aux livres qu’elle avait lus a la bibliothèque, ceux qui parlaient d’indiens et de leurs totems.

Le sculpteur poursuivit, son symbole à lui était le crabe. Leur chef, lui, portait le totem du Dragœuf éveillé… qui symbolisait la puissance, la sagesse, l’agilité mais aussi un esprit jeune et enfantin, curieux et peu prudent.

Le chef, par son autorité et la puissance qu’il inspirait, pouvait défendre à lui seul le campement. Les chasseurs, bien que pacifiques, savaient se défendre en cas de danger. Ils se servaient  de leurs arcs qui avaient autant d’effet sur de gros animaux que sur des humains, plus le nombre de flèches envoyées est élevé, plus le somnifère est puissant et durera longtemps, laissant a la troupe le temps de partir avant de subir une nouvelle attaque.

 

Midi sonna au clocher du village. Le sculpteur finit de parler et demanda aux deux sœurs de tendre la main. Elles s’exécutèrent et il déposa un petit paquet sorti de sa grande sacoche dans la main de chacune des deux jeunes filles.

Elles regardèrent les cadeaux, étonnés puis les ouvrirent. Œil-de-loutre, en voyant l’objet remercia le sculpteur en rougissant. Elle caressa la statuette de bois. C’était un petit animal, une loutre… l’animal de la statuette dormait paisiblement sur un rocher. La jeune fille fut interrompue dans sa contemplation par l’exclamation d’Amara. Sa statuette était faite d’un bois plus clair, ce qui lui permettait d’être peinte. Elle représentait un oiseau aux ailes de flammes, il était représenté sur une branche, les ailes le long du corps, les yeux fermés. De jolies couleurs rouge-orangé coloraient l’oiseau, la branche était brun sombre avec de grandes feuilles vertes. L’homme leur expliqua que le kwak était le symbole de la magie des quatre éléments. Amara, qui ne croyait pas à la magie, quelle qu’elle soit, se mit à rire. Elle s’approcha du sculpteur et lui colla un gros bisou sur la joue pour le remercier.

Le sculpteur se remit à travailler en sifflotant, les jeunes filles regardaient le dragonnet prendre forme dans le gros bloc de bois. Un peu plus tard, les deux sœurs se retirèrent, remerciant encore le sculpteur.

La journée était chaude, elles s’arrêtèrent devant une petite fontaine et jouèrent, s’arrosant et riant.

Amara rentra pour se sécher tandis qu’Œil-de-loutre continuait à observer ces étranges personnages. La jeune fille alla s’asseoir sous un arbre, sur la place et sortit un livre de sa sacoche. Elle se mit à lire, séchant au soleil, écoutant le bruit de l’eau à la fontaine, celui des instruments qui jouaient.

Vers 13h ce jour là, Œil-de-loutre se dirigea vers l’étalage de la boulangerie et s’acheta de quoi manger. Elle retourna sur la place et vit qu’une nouvelle table avait été installée. On pouvait lire sur la banderole : « Chaque année, des chasseurs nous quittent. Si nous ne les remplaçons pas, la troupe des Chasseurs-Pèlerins pourrait cesser d’exister… Venez assister aujourd’hui à la confection d’un nouvel arc. Nous chasserons toute cette saison sur les terres d’Amakna. Chaque personne est libre de venir nous trouver afin d’apprendre l’art de la chasse et, qui sait, la vie de pèlerin. »

Œil-de-loutre, le cœur battant, observa longuement la banderole, la relut plusieurs fois et se mit à rêver.

Elle s’imaginait en train de courir dans la forêt, son arc sur l’épaule, sa sacoche autour de la taille. Ses yeux brillaient, elle se mit à rire légèrement, un désir puissant la submergea lorsqu’elle effleura du doigt la statuette, dans sa poche : elle voulait vivre cette vie, chasser et voyager, découvrir le monde.

La foule se massait autour de l’étalage et Œil-de-loutre dût se rapprocher pour regarder à son aise.

Le chef des chasseurs arriva. L’enfant, impressionnée, pensa qu’il était grand et majestueux, sa ceinture de cuir rouge serrait sa taille, des muscles délicats saillaient sous ses vêtements.

Il se présenta et sortit son matériel : un long bâton de bois souple, légèrement recourbé ; une ficelle de lin, fine, résistant et un peu élastique ; de nombreux couteaux, pour sculpter le bois ; et de la peinture. Œil-de-loutre admira l’archer qui travaillait le bois, elle se concentrait, observant chaque geste qu’il effectuait. Quand l’arc fut fini, plus de deux heures plus tard, Elle resta là, regardant pensivement l’objet qui était né des mains du chasseur. Puis elle rentra chez elle. Ce soir-là, elle ne raconta pas sa journée, son rêve de devenir chasseuse était trop récent, trop incertain pour être mis à nu devant d’autres personnes. Œil-de-loutre voulait le garder pour elle jusqu’à ce qu’elle soit sûre de sa décision et surtout, sûre d’être admise parmi les chasseurs…

 

Le reste de la semaine, la jeune fille ne se montra guère au village, elle restait avec sa famille ou dans la forêt, à observer les animaux, les plantes. Le soir, elle se rendait à proximité du campement et se postait sur une branche basse, cachée par les feuillages. Elle observait les pèlerins quand ils rentraient de la foire. Certains rangeaient pendant que d’autres allumaient un grand feu au centre du camp. Puis ils s’installaient autour du feu et mangeaient. Toujours calmes, ils parlaient doucement.

A la fin du repas, ils chantaient, comme un rituel, une prière quotidienne.

La première fois qu’elle les entendit Œil-de-loutre fut impressionnée par leur timbre de voix, ils chantaient avec un parfait accord, on aurait pu dire que leur voit montait directement du feu de camp, au centre du cercle.

Puis, au fur et à mesure, l’enfant s’intéressa aux paroles du chant. C’était le même air que les pèlerins jouaient sur leurs instruments mais ils ne l’avaient jamais chanté à la foire. La chanson était longue. La jeune fille entendit 6 couplets différents, chaque soir, la troupe chantait trois couplets et trois fois le refrain. Œil-de-loutre, à force de l’entendre, retint la chanson, les paroles s’inscrivirent dans son esprit et ne la quittèrent plus. Elle fredonnait la chanson régulièrement.

 

Quand elle retourna à la foire, celle-ci était presque finie. Il restait trois jours, et les produits se faisaient plus rares. Les chasseurs, comme à leur habitude, jouaient leur chanson. Quand ils entamèrent le refrain, Œil-de-loutre se lança et se mit à chanter… sa voix était claire et juste. Tous les regards se tournèrent vers elle. Le refrain terminé, elle se tut. Une sorte de pressentiment l’empêchait de continuer. Le chef des chasseurs la regarda longuement puis il partit. Œil-de-loutre regarda autour d’elle et rougit légèrement en voyant que tout le monde la regardait. Elle leur sourit calmement et continua à parcourir la rue ; elle alla s’asseoir près de la fontaine et reprit son livre. La jeune fille lut une grande partie de l’après-midi et rentra dans la soirée. Elle ne sortit pas et chanta la chanson à sa famille, sans leur dire pour autant d’où elle provenait.

Quelques jours passèrent, la foire se termina sur l’ouverture de la saison de chasse. Le soir, comme à leur habitude, les chasseurs s’installèrent près du feu. Œil-de-loutre, heureuse, ne put s’empêcher de fredonner la chanson en même temps qu’eux. Comme hypnotisée par le chant, elle s’approcha lentement. Le sculpteur l’aperçut et l’appela. La jeune fille prit peur et ne bougea pas. Il l’appela encore. Œil-de-loutre songea a s’enfuir mais une fois de plus la curiosité l’emporta. Elle s’avança lentement vers le groupe. De près, elle vit qu’une bonne partie des chasseurs et chasseuses était très jeune. Impressionnée, elle ne parla pas. Le sculpteur s’écarta et la pria de s’asseoir. Œil-de-loutre, toute timide, s’exécuta. Elle chercha des yeux le chef et l’aperçut, de l’autre côté du feu, elle croisa son regard qui l’observait. A côté de lui, un jeune garçon. Il semblait avoir une dizaine d’années, et était le portrait exact du chef des chasseurs. Ce devait être son fils. Malgré son jeune âge, il arborait un air sérieux et concentré. Ses traits, fins et bien dessinés, ne laissaient paraître aucune émotion.

 

Les chasseurs se remirent à chanter, les arbres encerclant la clairière faisaient légèrement résonner les voix, donnant plus de force au chœur. Au bout de quelques phrases, Œil-de-loutre prit un peu d’assurance et mêla sa voix à celles des chasseurs. La chanson résonnait dans sa tête alors qu’elle chantait. Ils chantèrent la chanson en entier, la jeune fille ne se trompa pas une seule fois. Une fois la chanson finie, le chef se leva et contourna le feu, il lui fit signe d’approcher. Celle-ci s’avança et leva les yeux vers cet homme qui l’impressionnait. Le grand chasseur lui sourit et lui demanda pourquoi elle s’intéressait tant à eux ; Œil-de-loutre lui répondit maladroitement, elle lui dit qu’après avoir lu tout ce qui se disait sur eux et après les avoir observés, elle les admirait. Elle aimait l’art, chanter, dessiner, peindre…, et les animaux, les voyages…

Le chef prit la parole :

« Je t’ai vue lire et relire la banderole… ça te plairait de participer à cette saison de chasse, n’est-ce pas ? Il faudra t’entraîner beaucoup, ce n’est pas facile. Tu pourras rentrer chez toi chaque soir, tu décideras à la fin de la saison si tu désires rester avec tes parents ou venir avec nous. Je te préviens, la vie sur la route n’est pas toujours facile. » Œil-de-loutre resta un moment silencieuse. Elle dit avec hésitations qu’en effet ça lui plairait beaucoup mais qu’il fallait qu’elle en parle avec ses parents. Le chef lui demanda de revenir le lendemain dans la soirée, les chasseurs allaient passer l’après-midi à déterminer le terrain de chasse et le type d’animaux du coin.

La jeune fille le remercia respectueusement et rentra chez elle. Quand elle arriva, Amara était déjà couchée.
Ses parents s’inquiétaient de l’heure tardive à laquelle leur fille rentrait. Œil-de-loutre leur raconta tout, du début, quand les chasseurs étaient arrivés, jusqu’à la fin, cette soirée si particulière. Elle dit qu’elle avait vraiment envie de vivre cette aventure. Ses parents, comprenant qu’elle considérait ça comme l’occasion pour sa vie de changer, lui accordèrent de la laisser partir si elle le désirait. Elle avait encore deux mois pour y réfléchir, mais ils savaient tous les trois qu’Œil-de-loutre avait pris sa décision, elle partirait.

Quand elle alla se coucher, tard dans la nuit, Amara dormait dans son lit. Œil-de-loutre se glissa sous les couvertures tout contre sa petite sœur et la prit dans ses bras. Amara gémit dans son sommeil et se blottit contre la poitrine de sa sœur. Elles se réveillèrent ainsi enlacées, le lendemain matin. Œil-de-loutre raconta toute l’histoire des Chasseurs-Pèlerins à Amara et la serra fort contre son cœur en lui annonçant qu’elle allait partir. Amara fondit en larme et serra encore plus fort sa grande sœur, tout en sanglotant… elle se calma peu à peu et se rendormit sans rien dire… Il était encore tôt, Œil-de-loutre se rendormit à son tour, le cœur gros.

 

Le soir, après le dîner, Œil-de-loutre sortit et se rendit au campement. En la voyant arriver, le chef se leva et l’invita à les rejoindre. Elle lui dit que ses parents étaient d’accord et qu’elle passerait la saison de chasse avec eux s’ils le voulaient toujours. Les chasseurs applaudirent poliment puis firent le silence. Le chef se présenta et invita la jeune fille à faire de même. Ensuite, chacun des chasseurs et des artisans se présentèrent brièvement.

Le chef lui demanda ce qu’elle savait faire et ce qu’elle aimerait apprendre. Il lui expliqua que tous étaient à la fois chasseur et artisan.

Œil-de-loutre, mis à part la chasse, voulait apprendre à sculpter le bois, afin de se confectionner un arc et un instrument de musique. Elle savait peindre et dessiner, jouer de la flûte.

L’entraînement dura trois semaines durant lesquelles elle apprit les bases de ce qu’elle devait savoir. Le chef fut son « instructeur » ainsi qu’à trois hommes du village.

Elle commença par apprendre les bases de la chasse, elle se perfectionnerait avec le temps et beaucoup de pratique. Elle commençait à sculpter avec plus de précision de jolis motifs sur des planches en bois. Elle apprit que pendant les saisons de chasse, la chasse s’effectuait le matin, l’artisanat l’après-midi. Elle se perfectionnait avec le maître sculpteur qui lui enseignait patiemment son art. Elle devait acquérir une parfaite connaissance de chaque bois, de chaque outil, de chaque couleur. L’après-midi, Œil-de-loutre s’entraînait pendant plusieurs heures sur des cibles mouvantes, immobiles, agressives, calmes…etc. puis elle s’appliquait à reproduire un dessin qu’on lui montrait avant de confectionner son propre dessin à partir d’animaux empaillés. La jeune fille maîtrisait aussi  bien l’arc que le crayon et le pinceau. Elle était habile et visait juste. Elle ne ratait que rarement la cible qu’elle visait. Les travaux dans les champs avaient musclé ses bras, aussi arrivait-elle parfaitement à manier le grand arc qui lui avait été donné. Œil-de-loutre, étant plus jeune, lisait beaucoup et s’amusait parfois à copier les illustrations des livres, s’habituant ainsi au dessin, elle prenait beaucoup de plaisir à dessiner minutieusement chaque détail des animaux qu’on lui proposait.

 

Le soir la jeune fille racontait avec entrain ce qu’elle faisait de ses journées. Amara devenait plus triste au fur et à mesure que le temps passait…

Au bout des trois semaines d’entraînement, Œil-de-loutre commença à partir à la chasse. Elle captura et dessina plusieurs petits animaux qu’elle relâcha ensuite toujours avec douceur, Bouftons, Larves, Araknes et Tofus… Chaque animal était différent et elle dessinait différemment chacun d’eux, dans un autre lieu, une autre position. Elle commença aussi la confection d’un arc de bois taillé et sculpté. Elle y travaillait soigneusement, avançant millimètre par millimètre choisissant avec soin chaque motif qu’elle reproduisait à la lettre. Elle confectionna ensuite deux simples flûtes en bois, identiques, qu’elle peignit d’un bleu égalant la couleur du ciel, la couleur préférée d’Amara…

 

Puis vint le jour du départ… Œil-de-loutre passa le week-end chez elle avec sa famille. Elle offrit la deuxième flûte à sa jeune soeur, lui disant de penser fort à elle quand elle en jouerait, elle lui apprit ensuite la chanson des chasseurs. Puis elle partit, s’efforçant de ne pas se retourner, malgré les larmes de la fillette.

Amara pleura beaucoup le départ de l’être qui était pour elle le plus cher au monde : sa grande sœur qui occupait toute la place dans son cœur.

Œil-de-loutre, bien qu’étant heureuse d’enfin pouvoir vivre son rêve, était triste et culpabilisait un peu d’avoir abandonné sa famille et sa toute jeune sœur. Elle écrivit souvent chez elle, de longues lettres, envoyant sa nouvelle adresse à chaque fois qu’elle s’arrêtait pour une saison de chasse. Elle détaillait ses activités, ses progrès, et demandait des nouvelles de sa famille et du village.

 

• CHAPITRE 3 : Une étrange découverte

 

            Six ans passèrent. Amara, qui resta beaucoup plus longtemps à la ferme que sa grande sœur, grandissait. Elle avait alors quatorze ans et devenait une très jolie jeune fille. Elle aidait beaucoup aux champs et, afin de gagner un peu d’argent, se fit embaucher comme apprentie boulangère au village. Au cours de ces six dernières années, Amara avait acquis une parfaite connaissance des champs, de chaque graine, de chaque épi, de chaque sorte de farine. Elle fauchait les épis avec une grande dextérité et travaillait rapidement, sans trop se fatiguer. Il en fut de même à la boulangerie. Amara acquit son diplôme de boulangère, connaissait par cœur chaque recette, chaque ingrédient, chaque pain et pâtisserie.

 

Amara, lors d’une visite en forêt, trouva un jeune Bouftou, qui paraissait seul et abandonné. Elle le recueillit et « l’éleva » auprès de son Tofu, compagnon de toujours. L’animal, très jeune, aimait s’amuser ; il faisait rire Amara en se roulant par terre ou en mangeant des fleurs, à même la tige.

La jeune fille aimait les animaux et la nature.

 

C’est au cours de l’année où Amara allait avoir quinze ans que sa vie changea.

 

Alors qu’elle se promenait dans la forêt, pendant une belle soirée de printemps, Amara fit une étrange et dangereuse rencontre. Elle fut attaquée par une chose maléfique… Elle n’en crut pas ses yeux, jusqu’alors, elle avait cru que les Abraknydes n’existaient que dans les contes pour enfants… L’arbre était méchant et puissant, Amara n’arrivait pas à fuir, elle n’avait aucun moyen de se défendre…

Son bouftou, la voyant en danger, se jeta courageusement sur l’Abraknyde. Il fut blessé et jeté à terre. Amara avait peur, elle ne savait pas quoi faire pour échapper au monstre. Celui-ci s’approchait du bouftou blessé… Soudain, l’adolescente sentit une douce chaleur envahir son corps, elle sentait une énergie puissante qui brûlait en elle.

Elle jeta un regard sur le monstre ; l’Abraknyde poussa un cri de douleur, les fines branches qui le recouvraient fumaient et se consumaient, il se retourna et partit en « courant » à toute vitesse.

Amara ressentait un sentiment étrange, comme du plaisir mêlé à la peur qu’elle venait de ressentir. Les émotions la submergèrent et elle se mit à pleurer. Elle s’approcha du bouftou et s’agenouilla à côté de lui. Le bouftou lui lécha affectueusement le visage, il était très faible mais ne semblait pas grièvement blessé, elle caressa sa douce laine et… elle en était sûre, l’animal lui souriait.

 

Amara ne croyait pas à la magie, pourtant l’évènement l’intriguait et lui faisait un peu peur. Elle se rappela ce que lui avaient raconté ses parents à propos du jour où elle avait été découverte, devant la fontaine… Elle redemanda à ses parents de lui expliquer encore une fois comment cela c’était passé. Elle leur raconta l’aventure de l’Abraknyde et leur demanda si ça pouvait être lié à la lumière rouge que les habitants avaient vue lorsque le démon l’avait déposée près de la fontaine… Ses parents n’avaient pas la réponse à cette question. Comme toujours lors qu’elle ne comprenait pas quelque chose, Amara se rendit à la bibliothèque et lut de nombreux ouvrages qui parlaient de la magie, légendes et histoires vraies. Elle tomba par hasard sur un petit livret recouvert de cuir noir. Sur la couverture on pouvait lire : « Le Dragon des Flammes ».


La jeune paysanne ouvrit le livre, sur la première double page, un grand Dragon aux couleurs du feu ouvrait ses ailes, sous lesquelles on distinguait de petits œufs rouges et noirs. Amara tourna la page, à gauche une illustration représentait un étrange bâtiment. Un signe était gravé au sol et deux statues représentaient des Dragonnets étaient positionnées de part et d’autre de l’entrée. Amara avait déjà vu l’endroit non loin du village. Sur la page de droite, un long paragraphe présentait l’Ordre du Dragon des Flammes. Les propos tenus étaient étranges, les « membres » étaient adorateurs de la nature et des animaux, ils maîtrisaient tous la magie du feu qui, disaient-ils, permettait de faire beaucoup plus de choses que de brûler un simple petit tas de bois.

Amara, surprise mais néanmoins excitée par cette étrange découverte, emprunta le livre et l’emmena chez elle. Amara réfléchit beaucoup. Elle ressorti la statuette de Kwak qu’elle gardait précieusement, toujours dans son sac à dos. Le sculpteur lui avait dit que l’animal était le symbole de la magie des quatre éléments... Amara en repensant au sculpteur se mit à penser à Œil-de-loutre. Elle ressortit sa jolie flûte bleue et se mit à en jouer.

 

Après mure réflexion, la jeune fille se décida à se rendre à l’étrange bâtiment. Elle prévint ses parents et partit pour la journée. Amara, contrairement à Œil-de-loutre, était très réservée et discrète, elle ne racontait pas tout ce qu’elle faisait, elle était très autonome et indépendante. Elle prenait ses décisions sans demander l’avis à qui que ce soit, elle n’aimait pas dévoiler ses projets. Elle partit donc, seule.

 

Quand elle arriva devant le grand bâtiment de pierre, elle fut impressionnée par les imposantes statues qui encadraient la porte. Un escalier descendait sous terre, comme une grotte. La jeune fille s’approcha, hésitante. Devant l’escalier, elle appela, seul l’écho de sa voix lui revint. Amara pensa à rebrousser chemin, mais l’étrange bâtisse l’attirait. Plus elle s’en approchait, plus elle se sentait bien. Elle sentit le feu se réveiller en elle, comme le jour de sa rencontre avec l’Abraknyde, il se répandait dans tout son corps, faisant battre son cœur plus vite.
La petite paysanne descendit lentement les marches de pierre. Elle regardait partout autour d’elle, la lumière diminuait au fur et à mesure qu’elle s’enfonçait sous terre. L’escalier se terminait quand on n’apercevait plus du tout la lumière du jour. La pièce était complètement plongée dans l’obscurité. Elle eut beau attendre que ses yeux s’y habituent, l’ombre était impénétrable. La jeune fille appela encore, sa voix raisonnait dans la salle vide. Elle avança lentement ; une fois arrivée a milieu de la salle, elle sentit que le feu se faisait plus présent à son esprit, son cœur s’emballa et se mit à battre fort et rapidement. De nombreuses torches fixées à même la pierre s’allumèrent, toutes en même temps. Amara s’assit par terre, sans se déplacer de l’endroit où elle se tenait. Elle regarda autour d’elle, l’esprit légèrement embrumé par cette étrange sensation qui submergeait tout son corps et son esprit.

 

Elle se trouvait dans une grotte circulaire, les parois étaient grises. Amara, en cherchant des yeux, quelque chose où quelqu’un à qui se raccrocher remarqua l’étrange lumière qui brillait faiblement autour d’elle, projetant des ombres tremblantes sur la pierre. Elle crut d’abord que la lumière émanait de son propre corps ; elle continua à regarder distraitement autour d’elle puis son attention fut attirée par l’emplacement où elle était assise. D’étranges signes y étaient gravés et produisaient une lumière orangée. Le sol était tiède, la lumière gagnait en intensité, rayonnant avec plus de force à chaque instant. Amara n’était pas éblouie par la lumière mais celle-ci devenait si puissante que la jeune fille ne distinguait plus les parois de la grotte. La lumière n’était pas chaude, on pouvait la traverser facilement.

Quelqu’un qui serait entré dans la pièce à ce moment n’aurait vu qu’une colonne de lumière qui montait vers le « plafond » de la grotte, parcourue de symboles qui tournoyaient. Amara se sentit glisser sur le sol et perdit connaissance.
Elle se réveilla un instant plus tard mais n’ouvrit pas les yeux. Une chaude lumière éclairait son visage, le sol était doux et moelleux sous son dos. Elle entendit des chuchotements, des murmures, et sentit le vent sur son visage. Elle ouvrit enfin les yeux et regarda autour d’elle.

Elle était allongée dans l’herbe verdoyante, le soleil réchauffait son doux visage, la brise du printemps caressait son corps. Elle entendit de l’eau s’écouler non loin de là. Amara s’assit sur l’herbe et se retourna en entendant une voix féminine lui parler doucement. Une femme grande et mince se tenait devant elle. Elle possédait de longs cheveux argentés.

Elle lui souhaita la bienvenue, sa voix était respectueuse, douce et calme.

Amara ouvrit la bouche pour demander où elle se trouvait mais la femme la pria de se lever et de l’accompagner.

Amara s’exécuta en silence et suivit cet étrange personnage.
Elle se trouvait dans un immense jardin fleuri et coloré. Il y avait plusieurs fontaines, de nombreuses plantes, fleurs et arbres. C’était magnifique, Amara le dévora des yeux, son sens de l'odorat éveillé par la senteur de fleurs qui lui étaient inconnues. Le feu était toujours présent en elle, il semblait « dormir », niché au creux de son ventre.

 

Amara trouvait la femme aux cheveux d’argent très belle, et sa manière de se mouvoir avait quelque chose de mystérieux. Elle se déplaçait avec grâce, ses pas semblaient légers. Elle marchait devant elle, ses longs cheveux ondulant sous la douce brise.

Amara aperçut quelques personnes, penchées sur un livre, agenouillées devant quelques fleurs, ou se promenant, discutant à voix basse. Le jardin était très calme, les Pious chantaient.

 

La femme amena Amara jusqu’à un temple, situé au centre de l’immense jardin. L’édifice était grand, il pouvait contenir une centaine de personnes. Il était de forme circulaire et surmonté d’une coupole de métal argenté zébré de reflets orangés. Des voix se faisaient entendre à l’intérieur. Un grand nombre de personnes étaient assemblées autour d’une petite fontaine, les reflets de la coupole en faisaient scintiller l’eau. De l’autre côté, un homme semblait tenir un discours devant l’assemblée de personnes.

Le silence se fit dans la salle quand elles entrèrent. L’homme s’approcha d’elles.

- Bienvenue Amara. As-tu déjà entendu parler de notre Ordre ?

La jeune fille hocha la tête négativement.

- Sais-tu ce qu’est notre magie ?

Nouveau hochement de tête.

La femme s’approcha d’Amara et lui expliqua :

- Chaque personne porte en elle un peu d’énergie magique, voire même beaucoup. Ceux dont cette énergie n’est que peu présente peuvent tout à fait vivre avec sans s’en soucier, ou même sans s’en rendre compte. C’est d’ailleurs le cas pour la majeure partie des gens. Mais certains sont habités par un pouvoir plus puissant. Ceux-là peuvent aisément pratiquer la magie correspondant à leur élément. Ils s’en servent pour faire le bien autour d’eux, et malheureusement aussi, quelques fois, pour faire le mal.

 

Ils lui expliquèrent ensuite que, si, il y a quelques heures, elle avait pu utiliser la magie de feu sans même s’en apercevoir, c’est que son pouvoir était considérablement puissant.

En effet, les symboles gravés sur la pierre étaient activés par la magie du feu : toute personne ne portant pas la Flamme en lui n’aurait pas été attirée par le bâtiment, et quand bien même elle y serait descendue dans la pièce circulaire, elle n’y aurait découvert que la pierre grise et froide de la grotte.

Amara demanda quel était l’endroit où elle se trouvait. La femme reprit la parole et lui parla de ce lieu magique. Sans s’arrêter de parler, elle fit signe à Amara de se lever et la conduisit dans les jardins.

 

Elles se promenèrent le long des allées, la femme lui dit le nom de chaque fleur, lui parla des nombreuses fontaines qui ornaient les jardins. Elles passèrent devant des bâtiments, il y avait des serres, des laboratoires, une bibliothèque et, plus loin, un grand bâtiment, tel un monastère avec son temple, ses dortoirs et une salle à manger gigantesque.

 

L’ordre du Dragon des flammes vénérait la nature et lui rendait hommage, la remerciant pour ce qu’elle lui apportait. Les jardins étaient immenses, il fallait plusieurs heures pour en faire le tour.

 

La femme expliqua que tout autour de cette clairière se trouvait une forêt impénétrable.

Amara s’étonna de ne l’avoir jamais vue sur Amakna et fut plus étonnée encore de savoir qu’elle se trouvait très loin, à plusieurs centaines de lieues de chez elle.

La clairière se trouvait au beau milieu d’une foret que nul ne pouvait traverser, il n’existait donc aucune entrée, aucune sortie, mis à part les Zaaps, aux 4 extrémités de la clairière. Amara apprit plus tard que les Zaaps régissaient à la magie, reconnaissant l’élément du feu, et ne pouvant être activé que par lui.

 

Amara, en voyant le coucher de soleil sur les arbres, exprima le désir de rentrer chez elle. La femme la reconduisit donc jusqu’au Zaap. Elle l’activa, et toute deux se retrouvèrent dans la grotte. Les torches étaient allumées. Amara regarda autour d’elle et demanda pourquoi elle ne s’était pas évanouie, et pourquoi il n’y avait pas eu de lumière comme la première fois. La femme expliqua que pour sortir de la clairière, il suffisait juste de le vouloir. En marchant sur la dalle de pierre, celle-ci s’activait automatiquement. Alors que pour entrer à l’intérieur, le Zaap identifiait la magie, et la nature de l’âme qui essayait de l’activer.

Elle expliqua ensuite que, si une âme mauvaise tentait de pénétrer par la force chez le Dragon des Flammes, le Zaap ne fonctionnait pas, et prévenait les sorciers du danger, assurant ainsi la sécurité du Jardin. C’est pour cette raison qu’on le surnommait aussi « Le Berceau ».

La femme dit à Amara de rester chez elle le lendemain matin, quelqu’un viendrait lui donner de plus amples explications, ainsi qu’à ses parents.

 

La jeune fille rentra donc chez elle. Ses parents étaient un peu inquiets. Elle leur raconta donc toute l’histoire. Timidement, comme à son habitude lorsqu’elle racontait quelque chose d’important.
Avant d’aller se coucher, elle commença une longue lettre à Œil-de-loutre, lui racontant, à elle aussi, toute son histoire.

Puis, tout en caressant la douce laine de son bouftou, elle repensa aux Totems, âmes d’animaux qui habitaient chaque être. Un animal, un pouvoir… Amara se demanda par quel hasard son totem pouvait être un Kwak, ce grand oiseau représentant les 4 éléments.

Elle s’endormit profondément et ne se réveilla que le lendemain matin, tirée de son sommeil par des coups frappés à la porte.

Amara s’habilla en vitesse et descendit accueillir le visiteur qui parlait à ses parents. Il lui laissa le temps de se préparer et expliqua rapidement la situation à ses parents, il leur dit qu’il reviendrait s’entretenir avec eux un peu avant midi et emmena Amara dehors. Ils marchèrent en silence jusqu’à une grosse table de pierre, entourée de bancs faits du même métal que la coupole des temples. Amara était sûre de ne jamais les avoir vu ici et soupçonna le sorcier de les avoir placés là avant de frapper à leur porte. Elle s’assit néanmoins, le métal n’était pas froid, il n’était pas chaud non plus d’ailleurs. Elle posa les mains sur la table et attendit que le sorcier prenne la parole. Il s’assit en face d’elle et se présenta. Il se faisait appeler Maître Tsongor et était le meilleur prêtre de l’ordre. Il était connu du monde entier mais personne n’avait jamais vu de ses propres yeux l’étendue de ses pouvoirs. Il lui expliqua qu’il enseignait à tous ceux qui le désiraient la maîtrise de la magie du feu, à la condition de prêter serment à l’Ordre des quatre éléments et en particulier à celui des Flammes.

 

Il lui demanda si elle désirait apprendre. Amara acquiesça mais demanda les conditions qu’il fallait remplir pour faire partie de l’Ordre du Dragon des Flammes.

Il fallait posséder la Flamme, ce dont il ne doutait pas dans le cas d’Amara. Pour les capacités, il suffisait d’avoir de la volonté, de s’intéresser à tout avec curiosité, d’être calme et patient, et surtout, de contrôler ses émotions. Ne pas se laisser entraîner à lever la voix, ou, au contraire, à se laisser sombrer dans le désespoir.
Amara sourit, se sachant de tempérament calme et posé, elle possédait la volonté d’apprendre, plus que n’importe qui, et était dotée d’une grande curiosité.

 

Maître Tsongor se leva. C’est ce moment que choisit le tofu d’Amara pour « se mêler de la conversation ». Il sauta sur la table en voletant de ses petites ailes, atterrit maladroitement et roula sur lui-même en touchant la table. Il retomba sur le dos, ses deux pattes dressées vers le ciel et regarda la jeune fille avec un air hébété. Amara éclata de rire en prenant l’oiseau dans ses mains, elle se sentait si heureuse. Le sorcier sourit, amusé, et raccompagna Amara chez elle.

Les parents d’Amara invitèrent le sorcier à passer le repas avec eux. Cette dernière alla dans la cuisine préparer le repas. Le sorcier parla longuement à ses parents, celle-ci ne distinguait pas leurs paroles. Elle dressa le couvert et ils passèrent à table. Amara se sentait bouillir intérieurement mais elle osait à peine bouger, fortement intimidée. Au cours du déjeuner, le Maître Sorcier prit la parole. Il demanda à la jeune fille si elle était prête à apprendre et à venir vivre au berceau avec d’autres gens pratiquant de la magie du Feu… Amara regarda tour à tour ses parents et le sorcier. Ses parents lui conseillèrent de faire ce qu’elle désirait. Elle baissa la tête et annonça :

- Je suis prête.
Le sorcier acquiesça d’un signe de tête.

- Prépare tes affaires et rends-toi au Zaap, dans trois jours, à midi. Prends tes animaux avec toi, avança-t-il en apercevant le Bouftou prêt de la table.

Elle sourit en suivant le regard du sorcier. Ils finirent le repas en silence, Maître Tsongor remercia la famille d’Amara et se retira.

 

L’adolescente resta pensive, tout cela lui faisait un peu peur. Elle regarda ses parents d’un air coupable, coupable de les abandonner si tôt. Elle promit de passer les voir très souvent car elle serait logée près d’ici, dans le bâtiment secret menant au berceau, et pourrait revenir quand elle le voudrait. Elle s’approcha de ses parents et les prit dans ses bras, le Tofu perché sur son épaule vint voleter entre eux, perdit l’équilibre et tomba sur le bouftou endormi qui se tourna et ne le regarda même pas. Amara fit mine de réprimander le maladroit. Elle sourit à ses parents et monta dans sa chambre, elle termina sa lettre pour Œil-de-loutre, lui racontant tout en détail. Puis elle sortit dans le champ, travaillant avec ardeur jusqu’au soir. Elle récolta ainsi un nombre important d’épis de blé et rentra chez elle épuisée. Elle mangea et s’endormit aussitôt couchée.

 

Elle se leva tôt le lendemain matin et se mit à moudre tous les grains de blés qu’elle venait de trier. Après le déjeuner, elle emprunta la charrette de ses parents et partit au village avec ses sacs de farine. Elle posta sa lettre avant de se rendre à la boulangerie ou elle commença a faire du pain, pétrissant et enfournant la pâte tiède. Elle ne faisait plus attention au temps qui passait et travaillait avec acharnement. Amara se sentait à nouveau épuisée, mais néanmoins heureuse. Elle se retrouvait dans son élément et exerçait avec passion le métier qu’elle connaissait depuis l’enfance. Le soir venu, des milliers de pains avaient été pétris par les soins de la jeune apprentie. Les boulangers, étonnés, lui donnèrent l’argent qui lui revenait en conséquent de la tâche effectuée, trois fois plus que d’habitude.

 

La jeune boulangère ramena quelques pains chez elle qu’elle donna à ses parents. Maintenant que son travail était effectué, la jeune fille commençait à trouver le temps long jusqu’au lendemain. Elle monta chercher la petite flûte bleue taillée par sa grande sœur. Puis elle s’assit confortablement sur un fauteuil. Le Bouftou, ayant aperçu l’instrument, grimpa sur elle et se blottis contre sa poitrine.

Amara se mit à jouer lentement, c’était une berceuse qu’elle avait inventée étant petite. Elle ferma les yeux, sans s’arrêter de jouer. Ses parents s’assirent en silence dans d’autres fauteuils et écoutèrent jouer leur fille adoptive, si grande maintenant. Ils se rendirent compte, à présent, que le temps était passé très vite… Amara se souvint avoir entendu sa mère dire à quel point elle était devenue belle en grandissant. Ses longs cheveux blancs brillaient toujours du même éclat argenté, elle avait de grands yeux noisette et les joues roses des enfants de la campagne.

La jeune fille entrouvrit les yeux le temps de voir les regards attendris de ses parents posés sur elle, puis elle sombra peu à peu dans le sommeil. Elle posa les mains sur le corps de son bouftou et se laissa aller au profond sommeil qui l’envahissait.

 

Elle se réveilla le lendemain, dans son lit et  prépara ses affaires, rassemblant ses quelques vêtements et objets personnels. Ses parents l’attendaient dans la cuisine, ils voulaient lui parler. Ils lui expliquèrent en détail ce qui s’était passé le jour ou ils l’avaient trouvée, ils parlèrent du démon qui l’avait déposée devant la fontaine. Puis ils lui remirent l’épaisse cape orangée dans laquelle elle avait été trouvée, dormant profondément avec le bébé tofu. Elle lui allait parfaitement à présent, tombant élégamment le long de son dos. Son père lui fit signe d’approcher et lui passa autour du cou la mince chaînette ou pendaient les trois petites clés. Par la suite, Amara ne quitta plus ni la cape ni l’amulette.

Un peu avant midi, Amara quitta la ferme. Elle dit longuement au revoir à ses parents puis se dirigea vers le Zaap, ses paquets dans les mains, son sac au dos.

 

• CHAPITRE 4 : L’oiseau des flammes

 

            La même sensation de bien être envahit la jeune fille quand elle s’approcha de l’escalier. Quand elle descendit, les torches s’allumèrent, le feu se réveilla en elle. Elle effleura le socle de pierre, du bout des doigts, les symboles s’allumèrent et brillèrent d’une lumière rougeoyante comme de la braise.

Amara se mit à genoux sur le socle de pierre, protégeant ses animaux de ses bras. La lumière commença à briller plus fort, elle s’éleva peu à peu autour d’Amara, l’enveloppant de ses éclats dorés. Amara ferma les yeux et se sentit basculer. Le voyage ne dura pas plus de quelques secondes. La jeune fille fut étonnée de ne pas se retrouver dans la belle herbe verte. Elle s’inquiéta de ne voir ni ses animaux ni ses bagages… Elle était seule, dans le noir total, allongée sur un cercle de pierre. Elle tendit les bras et ne sentit que le vide autour d’elle, elle ne pouvait distinguer à quelle hauteur elle se trouvait. Elle entendait de l’eau, loin au dessous d’elle. Amara maintint ses yeux fermés, elle sentait qu’il y avait d’autres personnes tout près. Elle commençait à avoir un peu peur. Elle ouvrit les yeux et vit une petite lumière briller, loin devant elle. Elle se força à rester calme et a réfléchir. Le petit point lumineux se mit à trembloter, il faiblit peu à peu et finit par s’éteindre Amara était tout à fait calme, la plate-forme sur laquelle elle se trouvait s’ébranla et commença a descendre. Quand elle s’immobilisa, toutes les lumières s’allumèrent. La jeune fille cligna des yeux et regarda autour d’elle, elle se trouvait au centre d’une grande fontaine, dans une sorte de temple. De nombreuses personnes étaient rassemblées devant la fontaine et lui souriaient. Elle les regarda, l’air étonné. Un garçon s’approcha et lui prit la main. Il l’aida à descendre du socle de pierre et l’amena devant une table qui se trouvait au bout de la salle, libérant un passage entre les personnes assemblées.

Sur la table se trouvait un gros livre recouvert de cuir. Maître Tsongor et la vielle femme qui avait amené Amara le premier jour s’avancèrent de l’autre côté de la table, le jeune homme lâcha la main d’Amara et se retira.

La femme lui dévoila enfin son identité, elle s’appelait Samilia, mais nombre de gens préféraient l’appeler « la Grande Prêtresse ».

Elle lui montra le gros livre, tout ce que lui avait dit Maître Tsongor était résumé sur la page de gauche. Amara se mit à lire. Sur la page de droite, Amara affirma avoir pris connaissance des règles et obligations de l’ordre. Elle mit son nom et signa. Elle ajouta le bouftou et le tofu en bas de page et releva la tête. Tout le monde applaudit. Amara leur sourit timidement.

 

Le jeune homme revint vers elle. La Grande Prêtresse expliqua qu’il l’aiderait dans la pratique de la magie, c’était son meilleur élève.

Amara était un peu gênée par cet inconnu qui la prenait par la main. Il avait l’air gentil. Il partit devant et lui demanda de le suivre. Amara regarda les prêtres qui acquiescèrent d’un discret signe de tête. La jeune fille fut heureuse de sortir de la pièce sombre et de voir la lumière du jour.

Le garçon la mena dans les jardins, se dirigeant vers le grand bâtiment, Amara n’y était jamais entrée. Elle le suivit derrière la lourde porte de métal, le long des couloirs. Elle entendait des voix. Sur une plaque de métal, on pouvait lire : « Dortoirs ». Le couloir paraissait interminable, large et très long. De chaque coté il y avait de nombreuses portes, des numéros y étaient gravés.

 

Arrivés vers le milieu du couloir, le jeune homme s’arrêta. On entendait des éclats de voix exaspérés, apparemment une fille se disputait avec quelqu’un à l’intérieur. Il frappa à la porte, le silence ce fit. Le garçon appela :

- Lou ?

- Entre Misugi, lui répondit-la voix.

Ils entrèrent. La chambre n’était pas très grande mais il y avait facilement de la place pour deux personnes. Le sol était d’un bois très clair, ciré. La tapisserie orangée donnait un aspect chaleureux à la pièce. Une petite horloge était accrochée sur l’un des murs, de petites clochettes pendaient en dessous du cadran. Les deux lits étaient séparés d’un mètre environ, une table de chevet bordait les cotés de chaque lit. A côté de la porte, deux grandes armoires. A droite, une porte donnait sur une petite salle de bains.

 

Amara comprit la raison des cris. La jeune fille était assise devant un joli bureau de bois, une plume à la main. Son bras était recouvert d’encre bleu foncée. Amara tourna la tête vers les piaillements affolés qui se faisaient entendre ; La jeune fille ne paraissait plus en colère, elle tourna la tête vers l’autre côté de la pièce et tous trois rigolèrent en découvrant le tofu recouvert d’encre de la tête aux pattes. Un moment plus tard, Misugi dit à Amara que c’était sa chambre, il lui montra du doigt ses affaires qui avaient été déposées au pied du lit. Puis il sortit, adressant un signe de main aux filles.

- A tout à l’heure.

 

Amara posa les yeux sur sa camarade de chambre. Elle était très jolie, de longs cheveux bouclés de couleur châtain clair lui tombaient sur les épaules. La couleur de ses yeux semblait hésiter entre le vert et le bleu, leur donnait une couleur étrange et profonde. Amara pensa au cœur des émeraudes qu’elle avait vu chez le bijoutier du village. Elle était vêtue d’un short très court, de couleur rouge vif. Un petit débardeur de la même couleur lui arrivait en haut du ventre.

Amara ne fut pas étonnée de voir les deux grandes ailes au dos de la jeune fille. Elle avait déjà vu des personnes semblables au village. Ses ailes étaient noires, parcourues de reflets bleutés. Sa peau était très claire. Amara pensa qu’elle avait à peu près son âge, peut-être un peu plus âgée, elle apprit plus tard qu’à une année près, elle ne s’était pas trompée.

La jeune fille lui sourit et dit :

- On m’a donné le surnom de Loulou-la-fée, mais plus couramment on dit Loulou, ou Lou, pour les amis.

 

Amara se présenta puis s’excusa pour l’encre, son tofu était un peu turbulent mais pas méchant.

Le bouftou quand à lui était installé dans son panier et bavait paisiblement, plongé dans un profond sommeil.

 

Amara commença à ranger ses affaires pendant que Loulou, dans la salle de bains, tentait désespérément de nettoyer son bras dont la tâche ne partait pas.

 

Elles discutèrent, chacune racontant son arrivée ici, Loulou habitait à l’est d’Amakna, dans une grande maison prêt de la mer. Elle avait découvert le Zaap derrière les rochers en se promenant avec son petit ami. Amara sourit et demanda si le garçon dont elle parlait était parmi eux. Loulou répondit tristement qu’il ne portait pas le feu en lui mais la force de l’air. Elle n’ajouta aucun détail.

Quand Loulou abandonna la salle de bains, perdant l’espoir d’enlever toute l’encre de son bras, Amara alla prendre une douche. Loulou chantait en attendant sa camarade. Le bruit de l’eau empêchait Amara de comprendre les paroles de la chanson. Elle s’habilla, une jolie robe bleu clair mettait son corps en valeur, elle lui arrivait au bas des cuisses. Elle sortit de la salle de bains, les cheveux en désordre, essayant tant bien que mal d’attacher les boutons au dos de sa robe, Loulou se leva et l’aida. A ce moment là, la porte s’ouvrit et Misugi entra. Amara rougit légèrement et retourna dans la salle de bains pour se coiffer. Elle ressortit quelques minutes plus tard, Misugi était assis sur le lit d’Amara et discutait avec Loulou. Amara alla s’asseoir près de sa camarade et les écouta.

Peu de temps après, les petites clochettes s’agitèrent : 19h30. Loulou et Misugi se levèrent.

- Repas à 19h30.

Amara les suivit le long du couloir. Plus loin, sur le mur d’en face, un grand couloir était situé entre deux chambres. Dans tout le bâtiment, le sol était fait de gros pavés de pierre ou de bois ciré selon les endroits où l’on se trouvait. Le sol des couloirs était en pierres.

Au bout de ce couloir, une immense pièce était meublée de très grandes tables. Des gens arrivaient des trois entrées, sur chaque côté de la salle.

Les tables commençaient à se remplir, la salle était assez bruyante. Loulou repéra une bande d’amis au milieu de la salle, ils les rejoignirent et s’installèrent près d’eux. La jolie fée sa nouvelle camarade aux autres.

Quand tout le monde fut installé, des personnes avancèrent entre les tables avec de grands plateaux, elles posaient un plat et une carafe d’eau devant chaque groupe de personnes. Chacun se servit et l’on commença à manger. Soudain le silence se fit, tout le monde se leva ; Amara, étonnée, suivit le mouvement et regarda autour d’elle. Elle comprit la cause de cette agitation en apercevant la prêtresse Samilia. Elle s’approcha, face aux tables et les parcourut des yeux. Quand elle aperçut Amara, elle lui fit signe et l’appela. Amara s’approcha, sentant tous les yeux rivés sur elle. La grande prêtresse fit signe de s’asseoir puis elle prit la parole et présenta brièvement Amara. Elle termina en disant que la fête se déroulerait au cours de la semaine suivante. Ces dernières paroles furent accueillies par des applaudissements joyeux.

 

Amara regagna sa place et tout le monde se remit à manger. Puis, à la fin du repas, tout le monde sortit de table et se dispersa. Loulou demanda si elle voulait sortir, Misugi proposa une promenade sur la plage. Amara acquiesça et alla chercher ses animaux. Ils se rendirent au Zaap le plus proche. Loulou, qui utilisait plus souvent le Zaap vers la plage, prit la main de ses camarades et ils entrèrent sur le socle de pierre. Ils se retrouvèrent quelques instants plus tard sur le sable, entourés de rochers. Le sable recouvrait à moitié le socle. Ils allèrent s’installer sur la plage, d’autres groupes discutaient entre eux, tout autour. Puis la petite fée s’éloigna.

- Je reviens tout de suite.

Amara la regarda partir ; Misugi lui expliqua qu’elle allait chercher son petit ami. Tout le monde l’appelait Guitou, bien que personne ne sache d’où lui venait ce surnom. Il était un des meilleurs amis de Misugi.

 

Misugi et Amara discutèrent, parlèrent de l’endroit d’où ils venaient. Jusqu’à ce que Loulou revienne.

Le jeune homme était au berceau depuis l’âge de sept ans, alors que Loulou était arrivée deux ans auparavant. Avant, il vivait avec ses parents, dans une petite maison d’un village du Sud. Le Zaap le plus proche de chez lui se trouvait juste derrière les grilles du cimetière.

Au loin, ils virent Loulou revenir, tenant un jeune homme par la taille. Ils se rapprochèrent. Amara frissonna en apercevant les traits de Guitou, il était extrêmement mince, son visage et ses mains étaient si pâles qu’ils en paraissaient presque blancs. Il portait une veste de cuir rouge surmontée d’une grande capuche qui cachait un peu son visage. Une grosse ceinture serrait sa taille, une broche de métal jaune pâle brillait sur sa poitrine, elle représentait un grand serpent.

Amara se détendit un peu quand l’étrange garçon commença à plaisanter avec Misugi, tout en caressant le bras de Loulou.

Amara les écoutait, elle s’allongea sur le sable, un peu fatiguée. Bercée par le bruit des vagues, elle s’assoupit.

 

Amara se trouve sur une île, l’herbe est verte, la terre, de couleur ocre rouge. Elle voit la mer, bleu foncée. Elle marche le long d’un chemin de terre argileuse. D’étranges créatures l’observent, d’un air amical. La jeune fille n’arrive pas à les distinguer nettement.

Elle entre dans un petit édifice qui semble être une galerie, de grosses lanternes éclairent l’intérieur. Elle descend toujours plus profondément dans la galerie, les créatures la regardent passer. Elle arrive ensuite dans une grande pièce, un tapis par terre semble marquer un emplacement précis. Un rideau est accroché au mur derrière ce tapis. Sans hésiter, Amara se dirige dans cette direction. Elle repousse le rideau et découvre une petite échelle. Au bas de cette échelle, Amara se retrouve dans une pièce circulaire, une couche de paille est étalée par terre. Un couple de créatures est penché sur un berceau de paille, deux bébés dorment à l’intérieur. L’un est une de ces créatures, l’autre est humain.

L’esprit d’Amara est un peu embrouillé et elle ne parvient toujours pas à distinguer les créatures qu’elle a devant elle ; pourtant, son cœur bat plus vite, comme soudainement rempli de tendresse pour les trois créatures présentes au milieu de la couche de paille.

 

Quand elle ouvrit les yeux, seulement quelques minutes s’étaient écoulées. Loulou et Guitou étaient l’un dans les bras de l’autre et se câlinaient.

Misugi quand à lui avait les yeux tournés vers elle, il lui sourit en voyant qu’elle était réveillée.

Il s’approcha du couple et dit qu’il allait rentrer avec Amara qui était fatiguée. Les amoureux adressèrent un signe de main à Amara qui partit en compagnie de Misugi. Ils marchèrent en silence le long de la plage. Arrivés devant le Zaap, elle lui dit qu’elle pourrait tout aussi bien rentrer seule s’il voulait rester. Mais il préféra rentrer lui aussi, ça ne l’enchantait pas plus que ça de les regarder se faire les yeux doux. Amara lui sourit.

Ils approchèrent et Misugi la prit par la main, ils passèrent le Zaap. Il ne lâcha pas sa main et la ramena jusqu’à sa chambre. Misugi lui demanda si elle avait besoin de quelque chose, puis il partit. Amara ferma la porte derrière lui.

Elle se déshabilla et se mit au lit. Elle repensa à son rêve, il était si réaliste. Elle s’endormit rapidement. Elle ouvrit à peine les yeux quand Loulou rentra, beaucoup plus tard dans la nuit.

 

Le lendemain matin, Amara se réveilla avant Loulou, elle regarda l’horloge accrochée devant son lit, il était neuf heures. Elle se leva et s’habilla silencieusement. Elle sortit.

Il y avait déjà du monde dans les jardins. Elle se promena le long d’un chemin bordé de grandes orchidées roses. Un garçon était assis au milieu des fleurs, il regardait avec intérêt les pétales d’une orchidée particulièrement grosse. Il était plus âgé qu’Amara, celle-ci lui donnait dix-huit ou dix-neuf ans. Amara continua à marcher et le salua en s’arrêtant à côté de lui. Le garçon quitta la fleur des yeux, comme à regret et se leva en regardant Amara. Il rougit légèrement et répondit à son salut en bafouillant, il avait l’air très timide. Il portait un simple short vert et un tee-shirt assorti. Ses cheveux étaient bruns et un peu en désordre.

Le jeune homme paraissait mal à l’aise, Amara ne sachant plus trop ce qu’elle devait dire lui demanda ce qu’il regardait dans cette grosse fleur. Ses yeux s’éclairèrent et il se remit à genoux devant l’orchidée, Amara s’agenouilla à côté de lui et regarda la fleur. Il expliqua calmement qu’il était alchimiste ; la jeune fille ne comprit pas mais acquiesça ; Voyant son air perplexe il lui demanda :

- Amara, c’est bien ça ? On m’appelle Dain. Les alchimistes préparent toutes sortes de potions, sirops et médicaments à base de plantes. Leur travail est d’observer chaque fleur, chaque plante. Ils cueillent les plus appropriées à leurs préparations. Donc, en venant cueillir ces orchidées, il avait trouvé cette étrange fleur ; elle était bien trop grosse pour n’être qu’une simple orchidée mais la forme de ses pétales ne trompe pas, c’est bien une fleur de la même famille. Regarde les reflets orangés ici, mêlés au rose de la fleur.

Amara caressa la fleur du doigt, la rosée matinale la recouvrait encore.

- Je pense que c’est un croisement entre deux fleurs.

- Peut-être. Je vais rejoindre les autres alchimistes si tu veux venir voir, tu peux.

La jeune fille, intéressée, accepta volontiers.

Ils longèrent d’autres allées de fleurs ou d’herbes diverses. Le laboratoire d’alchimie était installé au milieu d’un gigantesque verger. Les arbres fruitiers, abricotiers, cerisiers, amandiers, pommiers et bien d’autres encore, étaient en fleurs ; Amara trouva ça magnifique. La forte odeur des arbres fleuris lui montait agréablement à la tête.

Elle suivit Dain jusqu’au grand carré de terre sèche sur lequel étaient installés de longues tables et de nombreux instruments d’alchimie. Plus loin, une corde était tendue entre deux arbres et des fleurs y séchaient, accrochées par la tige. Les alchimistes travaillaient avec des gants de fin tissu vert. Ils préparaient de petites fioles de potions, piochant les fleurs dans de grands paniers d’osier. Amara dit à Dain qu’elle allait rentrer aux dortoirs et qu’ils se verraient plus tard.

Elle le quitta et s’éloigna, dévorant des yeux le mélange de couleurs des étendues de fleurs.

 

• CHAPITRE 5 : Une première leçon

 

            Quand elle entra dans la chambre, Loulou finissait juste de s’habiller. Il était dix heures et demie. Amara nourrit ses animaux et les jeunes filles allèrent déjeuner. Elles retrouvèrent Misugi et mangèrent avec lui. La jeune fille raconta sa rencontre avec l’alchimiste.

Misugi lui demanda qu’elle pourrait retourner les voir travailler dans l’après midi, mais pour l’instant, elle devait essayer de s’entraîner à la pratique de la magie du feu.

Amara avait un peu peur. Loulou leur donna rendez-vous à 13h30 au même endroit pour le repas puis elle partit.

 

Le jeune homme prit Amara par la main, amicalement, comme à son habitude, et la conduisit devant un grand escalier de pierre. Ils montèrent. A l’étage, un grand couloir menait tout droit à un temple. Sur les cotés, de grandes salles de pierres. Misugi amena Amara à l’intérieur d’une des salles et lui expliqua qu’ils allaient commencer à apprendre la magie. Amara se sentait excitée, mais aussi un peu angoissée à l’idée de devoir faire de la magie, elle qui n’y avait jamais cru.

Peut-être s’étaient-ils trompés, peut-être n’avait elle aucun pouvoir ? Ou au contraire, peut-être n’arriverait-elle pas à le contrôler…

Amara restait devant la porte, un peu effrayée.

Comme elle ne bougeait pas, Misugi qui était derrière une grande table lui fit signe d’approcher.

- Viens Amara.

Elle s’avança lentement.

Misugi prit un morceau de bois sur la table et le posa par terre ; il recula de quelques mètres et fixa le bout de bois. Amara sentit le feu se réveille en elle, il était présent dans son corps, mais elle n’aurait pu dire comment elle le savait, il était là, c’est tout. Au bout de quelques secondes, le morceau de bois s’enflamma et se consuma instantanément. L’exercice n’avait pas duré plus de dix secondes.

La jeune fille commençait à réaliser ce qu’était la magie, Du moins le croyait-elle. Elle apprendrait plus tard que ce qu’elle venait de voir ne représentait même pas un dixième de ce pouvoir. Amara, pour la première fois, regarda le jeune homme. Elle profita de sa concentration pour l’observer sans aucune gêne. Il était plus grand qu’elle, plus âgé aussi, de deux ou trois ans. Ses cheveux étaient de la couleur des feuilles de menthe sauvage, d’un vert foncé qui s’éclaircissait un peu sous les rayons du soleil qui entraient par la fenêtre. Il avait un visage calme et attentif, ses yeux étaient bleus foncé et il avait la peau très claire.

Misugi s’approcha d’elle, elle sursauta lorsqu’il l’arracha à ses pensées en la prenant par le bras. Il l’amena devant la grande table et se replaça derrière. Divers objets étaient disposés sur la table. Misugi commença à lui expliquer :

- Les objets qui brûlent le plus facilement sont ceux qui sont sensibles au feu, normalement. Bois, parchemin, paille ou herbe sèche et bien d’autres. Plus l’objet est petit, plus il est difficile de concentrer l’énergie afin de le brûler. Lorsqu’il s’agit des matériaux non inflammables, les effets du feu sont plus durs à maîtriser. Le métal fond, la pierre explose, l’eau s’évapore. Dans ces cas là, à l’inverse des matériaux inflammables, ceux-ci sont plus durs à brûler si ils sont volumineux.

 

Misugi lui montra la table et lui demanda lequel des objets lui semblait le plus difficile à brûler.

Elle réfléchit et hésita longuement, puis elle désigna un gros morceau de granit. Puis elle retira sa main et montra une boule de plomb de la même taille. Misugi sourit.

- C’est ça. Ces deux objets, pour deux raisons différentes.

 

Il expliqua que la pierre était extrêmement difficile à brûler car il fallait faire très attention. Si l’on ne chauffait pas assez, la pierre restait entière, se recouvrant parfois de minces fissures ; par contre, si l’on chauffait trop fort, envoyant trop d’énergie d’un coup, la pierre volait en éclat, envoyant des petits éclats violement, avec tant de vitesse qu’on les voyait à peine passer. L’impact avec un tel projectile pouvait être mortel.

Pour le métal, la raison était toute autre. En fait, pour faire fondre du métal, le feu devait pénétrer au centre de l’objet, ce qui demandait un grand effort de concentration. Faire fondre une bille de métal était le but final de ce premier apprentissage, chaque habitant du berceau se devait de savoir le faire à la fin de son entraînement.

Il lui demanda ensuite lequel serait le plus facile. Elle hésita un instant puis prit un morceau de parchemin.

Enfant, elle avait déjà brûlé pas mal de parchemins en faisant accidentellement tomber sa bougie dessus.

- Tu veux essayer ?

Amara le dévisagea.

- N’aies pas peur Amara, la rassura-t-il, viens par là.

Il prit plusieurs feuilles de parchemin et prit Amara par le bras. Ils allèrent s’asseoir sur le rebord d’une fenêtre fermée. Misugi parlait doucement, chuchotant presque pour la rassurer. Il lui expliqua :

- Tu dois penser au feu en toi, tu le sens au creux de ton ventre, n’est-ce pas ?

Il montra à Amara l’endroit, au dessous de son cœur.

- Oui. Sa voix tremblait un peu.

- Il faut que tu y penses fort, dit Misugi en souriant légèrement. Comme si tu voulais le réveiller. Quand il sera prêt, tu le sauras. Il faudra ensuite te concentrer sur l’objet que tu veux brûler.

Amara prit le parchemin.

- Attends !

Misugi se leva et se dirigea vers la table. Quand il revient, il tendit une paire de gants à Amara.
- Il vaut mieux les mettre quand tu manipules quelque chose que tu dois tenir dans ta main. Ils sont en cuir de dragon-cochon, cet animal rare et dangereux.

- Merci, Amara adressa un sourire au jeune sorcier et mit les gants. Elle prit ensuite un morceau de parchemin.

Misugi se rapprocha un peu d’elle et prit son bras, au niveau du coude. Il le leva lentement de manière à placer le parchemin dans la main de la jeune fille, devant son visage. Il descendit sa main sur le bras nu d’Amara jusqu’au poignet, lui faisant tendre le bras. Il chuchota :

- Bonne chance.

Puis il lâcha son bras. Amara fixa le parchemin et se concentra. Aussitôt qu’elle se mit à penser au feu, il s’éveilla et se rependit dans son corps. Elle se concentra ensuite sur le parchemin. Celui-ci, au bout de quelques secondes, s’enflamma puissamment, projetant une grande flamme devant la jeune fille. Amara eut instinctivement un mouvement de recul et retira sa main. Misugi tendit vivement la main et dévia les cendres chaudes qui allaient brûler les jambes de son amie. Son geste rapide avait évité la brûlure, son poignet effleura les genoux d’Amara qui semblait abasourdie.

Son cœur battait vite, elle se demanda si l’étrange sensation qu’elle ressentait aller se reproduire à chaque fois qu’elle ferait de la magie.

Misugi semblait gêné.

- Excuses-moi je ne pensais pas que tu y arriverais au premier essai, tu as failli te brûler à cause de moi.

Amara commençait à reprendre son calme, elle semblait perplexe.

- J’ai réussi… Je ne pensais pas non plus que j’y arriverai ! C’est la première fois que je fais ça !!

- Je sais. Je pensais qu’il te faudrait plus d’entraînement. Mais il y a une chose que tu dois savoir, c’est qu’à chaque fois que l’on utilisera de la magie près de toi, le feu se ravivera, il se tiendra prêt. C’est sans doute pour ça que le feu a été si vif… J’aurais du t’en parler. En tout cas c’était une belle flambée, bravo !

- Il faut que j’apprenne à le contrôler, n’est-ce pas ? Supposa Amara.

- Bien sûr, ça n’était que la première fois ! S’exclama-t-il. Je suis sûr que tu seras une bonne apprentie. Comment tu te sens ?

- Bien, pourquoi ?

- La magie demande un certain effort, si tu l’utilises trop souvent en peu de temps ou trop fort d’un coup, tu seras fatiguée, tu peux même avoir un peu mal à la tête.

Il hésita un instant puis repris la parole :

- Par contre… Maître Tsongor comptait sur moi pour être prudent et on peut pas dire que ça ai été le cas. Si…

- Je dirais rien, coupa-t-elle en souriant.

- Merci, Misugi semblait gêné, d’habitude les apprentis ont tellement peur qu’ils n’arrivent pas à se concentrer. Et toi t’arrives et tu nous brûles la baraque !

Amara rougit légèrement sous le compliment. Elle était fière d’avoir réussi.

- Je crois qu’on a eu assez d’émotions pour aujourd’hui, hein ?

- Heu oui je pense ! Elle retira les gants qu’elle portait toujours.

- Une dernière chose, n’essaye pas de faire quoi que ce soit seule, un accident est vite arrivé. Normalement tu ne peux pas mettre le feu sans le vouloir ; s’il se réveille, n’y fait pas attention. Ici ça risque d’arriver souvent, mais c’est un bon exercice. Fais quand même attention… il peut toujours y avoir des surprises.

Amara se sentait un peu fatiguée. Misugi reposa le parchemin et les gants, puis il la rejoignit dans le couloir. A l’horloge, il était 13h. Ils sortirent.

Amara était contente d’être dehors. Ils allèrent s’asseoir plus loin, sous un gros amandier. Ils restèrent silencieux quelques minutes, chacun réfléchissait.

 

La jeune fille pensait à sa rencontre avec l’Abraknyde, quelques jours plus tôt ; elle la raconta à Misugi.

Quand elle dit qu’elle avait réussi à brûler les petites branches de l’arbre, il laissa échapper un sifflement admiratif.

Amara rit.

- Mais je ne l’ai pas fait exprès !

- Tu sais, brûler quelque chose de vivant est bien pus dur que tous les exercices que l’on peut faire sur des objets…

- Mais…

- C’est à cause de l’élément présent dans chaque animal, chaque personne. Il combat le feu. C’est plus facile sur les monstres que sur les animaux, mais sache que brûler quelque chose de vivant, ou pire, quelqu’un, volontairement, c’est la pire faute qui puisse être commise. Tuer des monstres, ce n’est pas mal. Ce sont des créatures démoniaques.

Amara s’allongea dans l’herbe et soupira.

- J’en suis bien incapable… je n’ai même jamais mis une gifle à qui que ce soit !

 

- Oh ça va pas tarder, tu verrais comme il peut être embêtant quand il s’y met ! Lança Loulou en arrivant derrière Amara.

Amara la regarda en se cachant les yeux à cause du soleil. Misugi lui fit un croche pieds quand elle s’approcha de lui : vengeance. Loulou garda son équilibre, agile, elle battit des ailes et évita le piège. Elle alla s’asseoir un peu plus loin.

- Alors, comment ça s’est passé ? Questionna Loulou.

- Hé bien… commença Amara.

- Elle nous a quasiment incendié le bâtiment ! Se moqua Misugi. Non, plus sérieusement, elle a été très bien. A part qu’elle y a été un peu fort !

- Ben…

- On va manger ! Coupa Loulou.


Après le repas, les trois amis se séparèrent. Loulou allait voir Guitou, Misugi devait aller voir ses parents.

Amara, se retrouvant seule, rentra dans sa chambre.

Elle s’assit sur son lit et réfléchit au moyen d’occuper son après-midi. Elle opta pour un livre et ressortit, les animaux sur ses talons. Le tofu semblait content d’enfin pouvoir se dégourdir les pattes et les ailes. Il se mit à courir, voletant dans les jardins.

Le bouftou quant à lui, ne semblait pas décidé : comme s’il n’avait pas assez dormi dans la chambre, il alla s’allonger dans l’herbe, dos à l’amandier.

Amara soupira et alla près de lui, elle s’allongea dans l’herbe à son tour et posa la tête sur le flanc de l’animal. Elle ouvrit son livre et commença à lire.

Dain passa et la salua. Amara lut une bonne partie de l’après-midi. Elle termina son livre aux alentours de 17h. Le bouftou n’avait pas bougé.

La jeune fille s’assit et appela son tofu, il arriva à toute vitesse en piaillant, telle une boule de plumes bleues couvertes d’encre.

Amara le prit dans ses mains et chercha ce qui avait pu l’effrayer. Elle aperçut Misugi au loin, il était suivi d’un énorme sanglier qui marchait lourdement en se dandinant.

 

Amara sourit à l’adresse du jeune homme et posa le tofu par terre. Ce dernier alla se cacher derrière le gros bouftou qui était à peine réveillé. Il grogna en faisant mine de mordre l’oiseau, puis se calma en voyant le gros sanglier, il l’observa avec inquiétude. Amara non plus n’était pas rassurée, l’animal était vraiment énorme.

Misugi vint s’asseoir à côté d’elle.

- Désolée, Gligli a trouvé ton tofu très marrant…

- Oh ! Il est à toi ?

- Oui, elle attend des petits. Je les relâcherai quand elle aura mis bas.

 

Le sanglier était allé dormir un peu plus loin. Amara se rallongea contre son bouftou et demanda :

- Comment s’est passée ton après-midi ?

- Oh, mes parents étaient sortis, je suis resté avec une amie.

- Ta petite amie, hein ? Le taquina Amara.

- Oh non pas du tout, répondit-il en riant. Elle aurait l’age d’être ma grand-mère ! Elle s’est occupée de moi quand j’étais petit. Mes parents travaillaient beaucoup pour nous permettre de vivre… répondit-il, visiblement gêné.


Amara lui raconta comment ses parents adoptifs l’avaient trouvée, sans lui donner trop de détails. Elle lui parla longuement d’Œil-de-loutre et des Chasseurs-pèlerins

- En parlant de chasse, ça fait longtemps que je ne me suis pas entraîné. J’irai après le repas. Tu peux venir avec moi si tu veux. Proposa Misugi.

- Oui, j’aimerai bien te voir faire. Loulou sera avec nous ?

- Oh tu sais, je ne sais même pas si elle viendra manger au berceau. Ils forment vraiment un beau couple, Guitou et elle.

- Oui, ils ont l’air d’être heureux ensemble… dit pensivement Amara.

- Ils le sont. Misugi sourit. Ca fait longtemps que ça dure.

La cloche sonna. Le temps avait passé tellement vite qu’Amara fut étonnée, il était 19h30.

Misugi se mit debout et aida son amie à se lever.

Ils se rendirent au réfectoire pour le dîner.

Après le repas, le jeune homme demanda à Amara si elle était fatiguée.

- Je me suis reposée tout l’après-midi, je suis plus résistante que tu ne peux le croire !

- C’est que les monstres sont plus vifs la nuit… Je peux passer te chercher vers 21h ?

- OK, je t’attends. A tout à l’heure.

 

Chacun partit en direction de sa chambre. Amara se changea. Le début de l’été se faisait sentir, on était à la fin du mois de juin. Elle enfila une petite jupe plissée de sa couleur préférée : le bleu ciel qui lui arrivait jusqu’au dessus des genoux. Un débardeur blanc l’accompagnait.

Elle releva ses cheveux avec une petite pince blanche. Elle nourrit ses animaux.

En attendant Misugi, Amara s’assit sur le lit, le dos appuyé contre le mur. Elle prit sa flûte et commença à jouer. Elle enchaîna plusieurs airs qu’elle avait appris au village. Elle joua ainsi jusqu’à l’arrivée de son ami.

 

• CHAPITRE 6 : Partie de chasse

 

Ils marchèrent côte à côte jusqu’au Zaap. Le jour commençait à faiblir.

Arrivés devant le socle de pierre, Misugi prit les mains d’Amara. Ils traversèrent le Zaap.

Quelques instants plus tard, ils étaient dans un endroit sombre, entourés de grilles et de ronces grimpantes.

Misugi ne lâcha pas la main d’Amara, ils empruntèrent un étroit passage sur leur droite. Le jour continuant de baisser. Ils faisait quasiment nuit lorsqu’ils arrivèrent au milieu du cimetière, de grandes torches éclairaient les allées entre les tombes. Amara frissonna malgré la chaleur de la soirée. Misugi sera plus fort sa main et l’emmena dans une autre partie du cimetière. La jeune fille s’arrêta en entendant du bruit, au sol.

 

- Ce sont des souris, les monstres les plus fréquents et les moins dangereux. Je manque d’entraînement, elles sont agressives mais ne peuvent pas faire grand-chose !

Le jeune homme lâcha la main d’Amara.

- N’ai pas peur, reste ici.

Amara s’assit sur une dalle de marbre et observa les petites créatures qui couraient. Quand une souris s’approchait trop près d’elle, elle la repoussait vivement d’un coup de pied. Elle reporta son attention sur Misugi. Celui-ci ne bougeait pas. Soudain à quelques pas devant lui, les souris s’affolèrent, courant dans tous les sens. Plusieurs d’entre elles se changeaient en poussière avant d’avoir pu sentir le feu sur elles

Amara, observant la scène, commença à se détendre. Misugi savait ce qu’il faisait.

Et réduites en poussière, les souris lui paraissaient beaucoup moins effrayantes.

Amara se prit à compter les créatures touchées par le feu. Misugi en exterminait souvent trois ou quatre à la fois.

 

Un long moment plus tard, le peu de souris qui avaient survécu battirent en retraite. Le jeune homme revint vers Amara et s’assit près d’elle, le temps de souffler un peu. Elle applaudit doucement quand il s’approcha.

Peu de temps après, il lui reprit la main et l’emmena face a la petite porte par laquelle ils étaient entrés. Il lui montra le grand portail devant elle.

- On doit aller là bas. Les gardiens du cimetière n’aiment pas qu’on vienne jouer avec les souris, donc il vaudrait mieux se dépêcher, si tu vois ce que je veux dire !

Ils s’approchèrent du portail et se mirent à courir, main dans la main. Ils ne s’arrêtèrent qu’une fois derrière le portail. Ils s’appuyèrent au tronc d’un gros chêne pour reprendre leur souffle. Amara sourit.

- Oui, mais tu verras, ils sont marrants quand ils nous attrapent. Ca brûle comme du petit bois ces choses là.

En voyant l’air étonné d’Amara, le garçon reprit :

- Ils ne sont pas humains.

Il ne rajouta rien, comme s’il était évident qu’Amara comprenne ce qu’il voulait dire.

- J’ai bien envie d’aller faire un petit tour au lac, tu préfères qu’on rentre ?

- Le lac, ça me va.

Elle ne posa pas de questions.

 

Les deux amis se dirigèrent vers la grande étendue d’eau. Le lac était bordé d’une grande plage de galets.

Ils s’assirent non loin de l’eau.

- Misugi ?

- Hm ?

- Les souris… ce sont des animaux, non ?

- Oh ! Tu me prendrais pour un assassin ? Non, celles-ci ne sont pas naturelles, tu as vu leurs yeux ? Rouges. Je t’ai dit tout à l’heure que c’étaient les monstres les plus fréquents. Elles sont en contact direct avec des âmes mauvaises telles que les vampires et leurs maîtres.

- Les fameux gardiens ?

- Oui.

Misugi jeta une pierre dans l’eau, il resta silencieux un moment puis il reprit :

- Tu n’as pas eu trop peur ? Je sais que c’est impressionnant au début, mais il n’y a aucun danger.

- Ca va, c’est pas une petite souris qui va me faire peur !

Mais Misugi ne l’écoutait plus, son regard avait été attiré par une lueur dans l’eau. Il se retourna et pris la jeune fille par le bras :

- Regarde là-bas !

- Le scarafeuille ? Répondit Amara en levant les yeux.

- Regarde mieux, il est tout transparent et fluorescent… Tu vois ce que je veux dire ?

- Hum… Si on prend le fait qu’il y ait un scarafeuille qui a pas l’air très naturel, qu’il fait nuit et qu’on vient de s’attaquer à un groupe de souris monstrueuses dans un cimetière, je dirais que… Tu vas aller régler son compte à ce scarafeuille !

- Parfaitement ! J’vais m’amuser avec lui, ok ?

Amara hocha la tête et se tourna vers Misugi qui s’approchait du scarafeuille rouge.

Le jeune homme fit face à la bête et se concentra, reculant lentement. Amara vit que le scarafeuille commençait à changer, on n’en distinguait plus que les contours. La jeune fille pouvait voir à présent une petite flamme à l’intérieur du monstre. Il continua ainsi, perdant toute consistance. Puis il finit par disparaître, comme s’il s’effaçait.

 

Misugi revint vers Amara qui était un peu impressionnée. Il sourit légèrement et se rassit près d’elle. Le vent s’était levé et il faisait plus frais. Il se rapprocha d’elle et passa son bras autour des épaules de son amie… Amara se laissa faire et se serra contre lui. Ils restèrent un long moment comme ça, sans parler. La jeune fille frissonna, le vend froid soufflait de plus en plus fort. Misugi se leva et tendit la main à Amara. Il l’aida à se relever et garda sa main dans la sienne. Ils repartirent en direction du Zaap.

 

Quand ils furent devant la chambre d’Amara, Loulou était rentrée. Misugi adressa un signe de main aux filles et partit.

- Alors, ce premier rendez-vous ? Il t’a emmené où ?

Amara soupira.

- Arrête un peu, dit elle en riant. On est allés tuer des monstres, des souris.

- Romantique… commenta Loulou. Enfin bon…

- Hey ! On est juste allés chasser ! Répliqua Amara, faisant mine d’être exaspérée. Elle lança son oreiller à Loulou qui l’évita de justesse.

 

Amara se changea et se mit au lit. Elle discuta un moment avec Loulou, puis les deux jeunes filles s’endormirent.

 

Les jours qui suivirent, Amara passa ses journées à apprendre la magie en compagnie de Misugi. Elle arrivait à présent à contrôler le feu, elle parvenait à ne faire qu’un simple trou au milieu du parchemin. Elle savait brûler les petits et gros morceaux de bois, quand elle s’entraînait à contrôler l’énergie en elle, elle ne brûlait que l’écorce. Avec l’eau, elle savait la faire chauffer un peu, puis la faire s’évaporer.

 

Trois jours après la chasse aux souris, Misugi vint la chercher de bon matin.

Comme chaque jour, ils allèrent jusqu’à la salle de pierre où ils pratiquaient la magie.

Ils s’installèrent sur le rebord de la fenêtre, comme à leur habitude. Sur une petite table, quatre rangées de petites billes de bronze étaient alignées, de la plus petite à la plus grosse.
Amara était anxieuse, elle n’avait jamais travaillé sur du métal. Misugi prit ses deux mains.

- Tu as progressé à une vitesse incroyable ces derniers jours. Le métal est nettement plus difficile à travailler que le reste, mais tu y arriveras. Dans quatre jours, tu devras savoir fondre cette bille de bronze. Il montra une bille d’environ 2cm de diamètre. On travaillera dur, mais tu sauras le faire. A la fête, mardi soir, tu devras savoir faire fondre une bille d’argent de la même taille. J’ai choisi le bronze car il est, à peu de choses prêt, pareil que l’argent. Il fond à la même température. Le bronze est peut-être même un peu plus dur.

- Pourquoi me parles-tu d’une bille d’argent ?

- Cela signifiera la fin de ton apprentissage, tu te perfectionneras avec le temps.

- Bien…

Amara commença à mettre ses gants. Mais il l’arrêta d’un geste.

- Non. Tu crois que tu vas tenir la bille fondue dans ta main ?

- Hum, c’est vrai…

Misugi lui retira doucement les gants et les reposa sur la table.

- Regarde, je vais te montrer

Le jeune homme  s’approcha de la table. Il fixa une grosse bille de bronze. On voyait que la tâche lui demandait un effort considérable. Au bout de quelques minutes, la bille devint rouge et brillante. Puis elle se mit à fondre, se ramollissant d’abord, elle commença à s’aplatir.         A la fin, il ne restait qu’une flaque rougeoyante. Misugi s’éloigna de la table. Le métal durcit rapidement.

 

Le jeune homme s’approcha d’Amara et glissa sa main dans la sienne.

- On va faire la première rangée ensemble, d’accord ? Je te laisse faire, mais je suis là.

Il resserra ses doigts autour de la main d’Amara. Elle ferma les yeux et se concentra. Puis elle les rouvrit et fixa la petite bille qui se mit immédiatement à chauffer. En quelques secondes la petite bille avait entièrement fondu. Elle sourit, son pouvoir était tellement puissant lorsqu’il était allié à celui de Misugi.

 

- Regarde la grosse boule de métal là bas, deux sorciers compétents peuvent la faire fondre en moins de deux minutes…

Ils continuèrent l’exercice, faisant fondre chaque bille avec la même facilité. Amara était heureuse, elle aimait pratiquer la magie avec Misugi. Elle se tourna vers lui et s’approcha. Misugi, un peut surpris lui sourit maladroitement. Elle se glissa entre ses bras et il la serra doucement contre lui, resserrant ses bras autour de ses épaules.

Quelques minutes plus tard, tous les deux sursautèrent en entendant une voix. Maître Tsongor se tenait dans l’encadrement de la porte.

- Alors les enfants ? On travaille ?

- Oui maître, lui répondit Amara en lui adressant un sourire.

Misugi déposa un baiser sur la joue de son amie et s’éloigna doucement d’elle.

- Tu es prête à essayer seule ?

Amara acquiesça, le grand prêtre les observait toujours. Amara ouvrit les yeux et fixa la bille. Elle cherchait un point ou fixer son regard sur cet objet rond et lisse. La bille se mit à rougeoyer. Amara tenta, durant de longues minutes, de faire fondre le métal. Puis elle relâcha son attention. La bille refroidit lentement.

 

- On a beaucoup travaillé ce matin. On va sortir, je t’expliquerai plus en détail comment tu peux faire fondre cette bille.

Amara lui adressa un sourire de remerciement, l’exercice l’avait un peu fatiguée.

Il était 10h30. Ils descendirent et s’assirent sur un banc de pierre, devant la porte du bâtiment. Misugi lui expliqua comment procéder :

- Il faut faire pénétrer le feu au centre de la bille. Se concentrer sur ce centre et y envoyer l’énergie. Tu ne peux pas la faire fondre en t’attaquant seulement à la surface, tout d’abord, ça te fatiguerait trop, en imaginant que tu fasses fondre la bille en t’attaquant à elle couche par couche, en ne chauffant que sa surface. C’est comme le bois, sauf que le bois étant si facile à brûler, tu ne t’en es même pas rendu compte.

 

Le jour suivant, Amara parvint à chauffer une petite bille jusqu’à ce qu’elle se déforme.

Le surlendemain, elle travaillait avec acharnement depuis un bon moment. La jeune fille s’apprêtait à réessayer quand Misugi l’arrêta.

- Attend. Regarde bien la bille. Mémorise bien chaque détail. Voilà. Maintenant, ferme les yeux. Garde bien à l’esprit cette image. Concentre toi bien et envoie toute ton énergie. Garde les yeux fermés.

Amara, un peu surprise par cette nouvelle méthode, observa bien la petite bille de bronze. Elle ferma les yeux et visualisa l’image de la bille. Elle visa le centre, à l’intérieur du métal, et commença à chauffer la bille.

Au bout de quelques minutes, Misugi lui toucha l’épaule. Elle ouvrit les yeux. La petite flaque de bronze brillait devant ses yeux. Elle avait réussi.

Elle s’entraîna jusqu’au soir, elle parvenait à faire fondre toutes les billes, la plus grosse était celle de deux centimètres de diamètre.

La jeune fille progressait rapidement, le feu était plus présent en elle, il était prêt dès qu’elle commençait à se concentrer, il lui fallait moins de temps pour l’appeler à elle. Elle visait plus juste, le feu partait avec la bonne intensité.

 

• CHAPITRE 7 : La prophétie

 

Ce matin là, le dernier jour de son apprentissage, Amara passa la matinée à se reposer, elle se promena un peu dans les jardins avec Loulou et Misugi. Après le repas, ils montèrent dans la grande salle de magie. Loulou les quitta et se rendit dans une autre salle, un peu plus loin.

- J’aimerai bien essayer, avec toi, de faire fondre la grosse sphère de bronze que je t’ai déjà montré, avança Misugi quand ils furent seuls dans la salle. Je suis presque sûr qu’on peut y arriver, tous les deux.

Amara sourit, la sphère était énorme, ce serait un bon exercice, même si à l’inverse de Misugi elle était pratiquement persuadée qu’ils n’y arriveraient pas.

- Je veux bien essayer.

Ils s’approchèrent de la table.

- On va faire comme pour la première rangée de billes, la première fois que tu as travaillé le métal. Je te laisse faire, mais je suis avec toi. Mon pouvoir donnera plus de puissance au tien.

Amara observa la boule brillante qui était devant elle. Elle ferma les yeux et se concentra longuement. Quand le feu fut prêt, réchauffant doucement son ventre, Amara chauffa le métal.
Misugi se glissa derrière la jeune fille et la prit dans ses bras. Il posa sa tête sur l’épaule d’Amara et croisa les mains sur son ventre. Celle-ci posa ses mains sur celles de Misugi, elle sentait son pouvoir s’accroître. Quand il se serrait contre elle, Amara sentait le cœur de Misugi battre contre son dos.

Il ferma les yeux à son tour, visualisant la sphère déjà rougeoyante.

Au bout d’un moment, l’objet commença à se déformer. Aucun des deux ne voyait le changement mais la boule se mit lentement à fondre. Le métal brûlant grésilla un moment quand la flaque s’étala sur le support isolant. Les deux jeunes gens ouvrirent les yeux. Le bronze commença à durcir.

 

Amara se retourna vers Misugi. Ses yeux brillaient.

L’exercice n’avait pas duré plus de deux minutes, aucun des deux n’était fatigué. Misugi glissa timidement la main sur le visage d’Amara et lui caressa tendrement la joue. Amara lui sourit, il déposa un baiser sur ses lèvres, les effleurant à peine. Elle rougit légèrement.

Quelques instants plus tard il la prit par main.

- Viens.

Ils sortirent de la salle. Au lieu de se diriger vers l’escalier comme à leur habitude, Misugi l’emmena vers la droite. Au bout du couloir, il y avait un temple. Il fit signe à Amara de l’attendre, il devait aller voir le prêtre Tsongor.

Elle ne pouvait pas entrer dans le temple avant la cérémonie qui se déroulerait lors de la fête donnée en son honneur.

Amara s’assit sur un grand banc de bois et attendit. Misugi parlait avec le Grand Maître, le bruit de la fontaine couvrait les voix, Amara ne distinguait aucune de leurs paroles.

De longues minutes passèrent, puis Misugi sortit du temple. La jeune fille lui lança un regard interrogatif.

- Viens avec moi, je vais t’expliquer.

 

Il lui reprit la main et l’emmena hors du bâtiment.

Le soleil brillait. Il faisait chaud, une petite brise rafraîchissait agréablement l’air. Misugi et Amara se dirigèrent vers le Zaap et le traversèrent, quelques secondes plus tard, se retrouvèrent entre les grilles du cimetière. Ils allèrent jusqu’au bord du lac et marchèrent silencieusement sur la plage. Arrivés au bout, ils traversèrent une petite arche feuillue camouflée par une grande haie de lauriers en fleurs, les pétales roses contrastaient avec le vert foncé des feuilles.

Derrière, il y avait une petite plage de graviers blancs qui étincelaient au soleil. Ils s’assirent sur la plage, Misugi tendit les bras à Amara qui vint se blottir contre lui.

 

- Le grand prêtre m’a raconté une histoire tout à l’heure, une vieillie prophétie.

La jeune fille appuya sa tête contre l’épaule de Misugi.

- Raconte-moi.

Il l’enlaça et commença à lui raconter :

 

- La prophétie parle d’un enfant. Il y a quinze ans, un enfant est né. Au même moment, au fond du labyrinthe, un monstre s’est réveillé. L’enfant possède un des plus grands pouvoirs du monde, les pouvoirs du monstre même ne sont pas aussi puissants. S’il retrouve l’enfant et l’ensorcelle pour en faire son serviteur, ça serait une catastrophe pour notre monde qui ne connaîtrait pas un instant de paix.

 

Amara se serra plus fort contre le jeune homme qui la berça doucement. Il reprit :

 

- Par de puissants sortilèges, le père de l’enfant fut ensorcelé par le monstre et entra à son service. Il était devenu un homme cruel et sans cœur, il voulait tuer sa compagne et livrer son enfant à son maître. Celle-ci prit peur et s’enfuit sur un petit bateau marchand, elle abandonna l’enfant sur une île lointaine afin que quelqu’un le retrouve et s’en occupe. Quand elle revint, l’homme la tua sans pitié. Durant deux longues années, il parcourut terres et mers, brûlant tout sur son passage, afin de retrouver son enfant. Les sorts de localisations lancés par les démons ne fonctionnaient pas et il désespérait de le retrouver un jour. Personne ne savait ce qui le poussait à agir de la sorte. Tout ce que l’on savait c’est qu’il voulait son bébé.

En ce moment, on raconte qu’il le cherche toujours.

 

- Mais… le grand prêtre pense que l’enfant… enfin, pourquoi moi ?

Misugi la prit par la main et, entourant les épaules d’Amara de son bras, il la serra contre sa poitrine.

- Je ne fais que répéter ses paroles. Je ne sais pas quelle est la part de vérité de cette légende.

Amara resta silencieuse, cette histoire lui faisait un peu peur. Elle resta pensive un long moment. Toute l’histoire coïncidait avec sa propre histoire : elle avait été trouvée à l’âge de deux ans, ramenée d’une île lointaine. Et d’après ce qu’on lui avait dit, un démon l’avait déposée sur la place…

Au bout de quelques minutes, elle leva la tête. Elle passa ses bras autour de la taille de Misugi.

- Apprends-moi à chasser des monstres… je veux pouvoir me défendre s’il se passe quelque chose…

- Je t’apprendrai.

Il repoussa une mèche de cheveux qui cachaient le visage de la jeune fille et posa ses lèvres sur son front. Elle ferma les yeux et se laissa bercer. Elle sentait le cœur de Misugi contre sa poitrine. Il posa sa joue contre le front d’Amara et ferma les yeux à son tour. La douce brise caressait leur visage, chacun réfléchissait. Ils restèrent ainsi pendant de longues minutes.

- Je venais souvent ici quand j’étais petit. Il ne vient jamais personne, c’est ma plage. Elle est toujours ensoleillée, l’eau est chaude, on a une pleine vue sur le coucher de soleil quand la nuit tombe.

Amara se releva, il la suivit et l’enlaça. Mais elle se dégagea doucement.

- J’ai entendu quelque chose.

- Quoi ? Je n’entends rien…

 

Quelqu’un cria, de l’autre côté des lauriers. Les deux jeunes gens se précipitèrent sur la plage. Plus loin, quelqu’un était allongé sur les galets.

- Non ! Cria Misugi qui semblait avoir reconnu le petit garçon. Ama, va chercher Loulou !

 

Amara courut jusqu’au Zaap, elle le traversa et en courant vers sa chambre, faillit renverser Loulou qui descendait de la salle de magie. Elle prit Loulou par le bras et l’entraîna jusqu’au Zaap, puis jusqu’au blessé sur la plage.

Loulou s’approcha.

- Amagi ? Mais qu’est-ce qu’il s’est passé ?

Loulou posa ses mains sur le ventre du garçon et commença à murmurer d’étranges mots, des formules magiques. Puis elle fixa les blessures de l’enfant, c’étaient de graves brûlures.
Amara s’était approchée de Misugi.

- C’est Amagi, mon frère.

 

Quand ils regardèrent a nouveau dans la direction de Loulou, celle-ci se releva. Il n’y avait plus aucune trace de brûlure, Amagi ouvrit les yeux. Son frère s’agenouilla à côté de lui.

- Qu’est-ce qui s’est passé ?

- Un scarafeuille rouge…

- Hum…

- Je lui avais rien fait, je te jure !

- Il ressemblait à quoi ton scarafeuille ?

- Hum… rouge, avec des ailes jaunes et…

- Je sais ce que c’est un scarafeuille ! Il était…normal ?

- Bah oui ! Amagi venait de s’apercevoir pour la première fois de la présence d’Amara. Coucou !

 

Il ressemblait beaucoup à son frère mais ses yeux et ses cheveux étaient plus clairs. Il semblait avoir neuf ou dix ans. Il dévisagea la jeune fille puis se releva.

Misugi semblait pensif. Les scarafeuilles étaient des animaux pacifiques et n’attaquaient jamais personne… du moins sous leur forme animale ; et les monstres ne sortaient pas le jour.

- Bon, on va rentrer… Merci Lou, c’est pas que ça m’embête qu’il soit en piteux état mais je voulais savoir qu’est-ce qui l’avait attaqué.

- Bah, ça m’aura fait un entraînement supplémentaire. Au fait Ama, c’était ton dernier jour d’entraînement ! Comment ça s’est passé ?

Amara regardait Misugi qui semblait inquiet.

- Ama ?

- Hein ? Ah ! Oui super l’entraînement, je serais bientôt plus forte que Misu.

Misugi lui sourit, apparemment fier de « son apprentie ».

- Je voudrais bien voir ça ! Répliqua-t-il tout en sachant qu’elle avait parfaitement raison.

 

Il était plus de 18h quand ils rentrèrent. Misugi se dirigea vers les salles de magie.

- A tout à l’heure les filles !

Elles rentrèrent dans leur chambre.

- Où il est allé ? Questionna Loulou.

- Aucune idée…

- Il a peut-être une autre apprentie, taquina Loulou.

- J’ai vu aucun nouveau, répondit calmement Amara.

- Vous avez fait quoi cet après-midi ?

Amara lui raconta en détail la prophétie que lui avait raconté son ami, elle lui expliqua que toute l’histoire tenait debout.

- Bah, laisse tomber c’est n’importe quoi ses histoires de prophéties, il se fait vieux le grand prêtre !

- Il a pas pu deviner ma vie et inventer tout ça !

- Toutes façons, te prend pas la tête, pense plutôt à la fête de demain !

- Oui. C’est où ? Quand ?

- A la salle des fêtes, tout le monde peut rentrer et c’est demain à partir de 17h. C’est une fête en ton honneur, oublies pas ! T’as quelque chose à te mettre ?

- Euh… j’ai pas grand-chose.

- On s’occupera de tout ça demain ! Tu vas voir, tu seras la plus belle de la fête ! A part moi, bien sûr, plaisanta Loulou.

Elles discutèrent des vêtements et de la coiffure qu’elles allaient porter pour la fête. Loulou expliqua comment elle se déroulerait.

- D’abord, il y aura la cérémonie, on t’emmènera dans une petite salle  et tu passeras une épreuve de magie. Je ne peux pas te dire ce que c’est. Tu seras seule avec la grande prêtresse Samilia et Maître Tsongor. Quand tu auras obtenu le « diplôme », tu sortiras. On le saura au premier coup d’œil, si tu as réussi. Après, on ouvrira les Zaaps et chacun ira accueillir ses invités. Je vais inviter Guitou, et toi ?

- Seulement mes parents. J’ai pas beaucoup d’amis à cause des superstitions des gens du village à cause du jour ou on m’a trouvée… les parents empêchaient les enfants de jouer avec moi.

- Heureusement qu’on est là !

 

Les clochettes finirent par sonner l’heure du repas. Les deux jeunes filles partirent, bras dessus bras dessous.

Au dîner, Amagi se joignit à eux, il insista pour avoir la place à côté d’Amara. Il lui parla de choses et d’autres, Amara l’écoutait à moitié. Le jeune garçon avait dix ans et demi, il aimait s’habiller exactement comme son frère, il lui ressemblait beaucoup mise à part la taille. Amagi était plutôt petit pour son âge. Il parlait beaucoup, racontant sa vie à chaque personne qu’il croisait, contrairement à Misugi dont Amara ne savait finalement pas grand-chose. Il se tourna pour raconter aux autres l’épisode du scarafeuille.

- … je l’ai fait fuir en lui lançant des cailloux, il m’a même pas fait mal !

Amara éclata de rire, suivie par Loulou et Misugi qui firent de même. Les trois amis partirent discrètement à la fin du repas pendant qu’il racontait son aventure à la table voisine.

- Attention Ama, c’est un vrai pot de colle ! Comme t’as vu, il aime bien s’habiller comme moi. Et il aime aussi mes copines ! Et quand il commence à parler, tu peux plus l’arrêter ! Hein Lou ?

- Oh oui… soupira-t-elle, j’ai été sa dernière victime.

 

Ce soir là, Amara ne se coucha pas tard car elle comptait rendre visite à ses parents, tôt le lendemain matin.

 

• CHAPITRE 8 : La cérémonie

 

La jeune fille fut réveillée au petit matin par le tofu qui, en essayant de rentrer dans son lit, s’était emmêlé dans les draps.

 

Il faisait plus chaud dans son village qu’au berceau, elle habitait un des plus chaudes régions d’Amakna. L’herbe était plus jaune que verte, et le soleil chauffait déjà beaucoup malgré l’heure matinale. Elle croisa quelques villageois qui la saluèrent. Quand elle arriva devant l’allée qui menait chez elle, elle aperçut sa mère qui étendait du linge dans la cour de graviers. Elle courut le long de l’allée et alla embrasser sa mère. Elle l’aida à étendre le linge tout en discutant. Amara raconta ses journées au berceau. Puis son père rentra, aux alentours de 9h. Ils parlèrent longuement de choses et d’autres. Amara parlait du Dragon des Flammes, et ses parents répondaient par des nouvelles du village.

Amara apprit que le vieux roi était très malade et que les médecins disaient qu’il ne tiendrait pas une saison de plus. Il s’éteindrait au cours de l’été. Mais bon, les mêmes médecins avaient déjà prédis le même évènement, 13 ans auparavant…

La jeune fille leur parla de la cérémonie et les y invita. Ils devaient se rendre au Zaap vers 17h. Ils promirent d’y être, puis Amara rentra au berceau.

 

Loulou l’attendant dans la chambre.

- Ah ! Enfin !

- Ben, il est onze heures moins le quart !

- Oh toi ! On voit bien que t’as jamais fait les boutiques ! Allez viens !

Son amie ne lui laissa pas le temps de réfléchir et l’entraîna vers le Zaap. Elles atterrirent entre les rochers de la plage.

 

Loulou qui lui tenait le bras l’emmena dans une rue qui parut gigantesque aux yeux d’Amara. Elle lui fit visiter toutes les boutiques de vêtements de la rue, sans exception. Elle lui fit essayer des centaines de tenues. Amara qui n’avait pas son mot à dire la suivait dans les boutiques, elle n’avait jamais essayé tant de choses en si peu de temps ! Elle fut contente quand Loulou se décida. A vrai dire, elle dut reconnaître que la jeune fille savait ce qu’elle faisait.

La robe était magnifique. Elle était de couleur lilas et recouverte de paillettes argentées. Le haut était très serré et le col laissait avantageusement sa gorge à découvert, les manches, longues, étaient fines et serrées. La jupe en revanche était plutôt large et frôlait le sol quand elle marchait. Une fine couronne assortie à la robe accompagnait l’ensemble.

 

Amara poussa un soupir désespéré quand elle comprit que Loulou allait l’entraîner vers d’autres boutiques afin de lui trouver des chaussures.

Il était près de 14h quand elles eurent fini leurs achats.

 

Loulou porterait une longue robe bordeau fine et serrée. Elle était ouverte derrière, des lacets rouges se croisaient sur son dos, nu jusqu’à la taille.


Elles repartirent en direction de la plage, portant leurs paquets.
Amara s’arrêta devant une immense maison, un peu en retrait de la ville.

- Ouah ! Elle est immense cette maison ! On doit avoir une belle vue sur la mer, d’en haut !

- Ouais, tu veux visiter ?

- Tu plaisantes ???

- Bah non, viens voir.

Elles s’approchèrent du portail de métal noir et Loulou actionna la poignée. On entendit une voix près du portail.

- Oui ?

- C’est moi.

Loulou poussa le grand portail, Amara la suivit dans la grande cour. Des arbres bordaient l’allée entourée d’une vaste étendue d’herbe verte. Un homme vint à leur rencontre, il portait un costume noir, sa chemise était d’un blanc éclatant.

- Bonjour Lanlan.

- Bonjour Mademoiselle.

- Nous déjeunerons sur le balcon dans une demi-heure.

- Bien Mademoiselle.

 

Amara était visiblement impressionnée par ce qu’elle avait devait les yeux. La villa était encore plus imposante vue de près. Avec ses 3 étages, ses balcons et ses baies vitrées.

- Tu verrais ta tête ! Eh, c’est qu’une maison !

- Un château tu veux dire ! Y’a pas ça près de chez moi, j’ai jamais vu une « maison » aussi grande !

- C’est vrai qu’elle est pas petite, mais bon tu vas voir, y’a que deux étages qui son réellement habités.

 

Loulou s’avança jusqu’à la porte, Amara sur ses talons. Elles entrèrent. Le rez-de-chaussée n’était qu’une seule pièce, qui représentait le hall. Un grand escalier de marbre, au centre de la pièce, menait  l’étage supérieur. La pièce était éclairée par de nombreuses fenêtres et, à droite, une porte-fenêtre menait à une terrasse. Au dehors on apercevait de l’eau, comme un étang. Des arbres étaient plantés tout autour, pour faire de l’ombre.

Elles montèrent l’escalier. A l’étage, il y avait d’un côté les cuisines et une grande salle à manger, de l’autre côté, trois chambres et salles de bains, dont celles des parents de Loulou. Quelques pièces avaient été transformées en un appartement qui appartenait au majordome, Lanlan.

Les deux jeunes filles montèrent encore un escalier, ici il y avait un grand bureau, des espaces de rangement, quelques chambres ou autres pièces avaient été transformées en remises et étaient remplies de divers placards et boites de rangement. Un autre appartement, pour la femme de ménage faisait face à la grande chambre de Loulou.

Loulou gravit une échelle qu’Amara n’avait pas remarquée, au fond du couloir. Amara la suivit.

- Ma salle préférée ! Pour faire la fête !

Ce qui avait dû être un grenier avait été emménagé entièrement : une estrade était surmontée d’instruments de musique. De nombreuses tables et chaises étaient disposées çà et là, dans la salle.

Au fond, dans l’angle, se trouvait un grand bar.

 

Elles redescendirent et allèrent dans la chambre de Loulou.
La pièce était lumineuse, tous les meubles, ainsi que les murs étaient blancs. Une porte menait à la salle de bains, à leur droite. La porte-fenêtre en face de la porte, menait à un grand balcon et donnait une pleine vue sur la mer.

Elles sortirent. Sur une petite table de fer ronde, au milieu du balcon, le repas était servi. Elles mangèrent puis redescendirent. Loulou fit visiter les jardins à son amie, puis elles repartirent.

 

En arrivant, elles filèrent s’enfermer dans leur chambre.

- Hop ! On va voir qui sera la plus belle, maintenant !

Loulou aida Amara à s’habiller et à se coiffer : Un petit chignon derrière la couronne pailletée. Puis elle se prépara, les préparatifs avaient duré une heure environ.

Chacune trouvait que l’autre était plus jolie, et elles n’arrivaient pas à se départager.

 

A 16h30, la prêtresse Samilia vint chercher Amara pour l’emmener à la cérémonie.
Tous les autres arriveraient à la salle des fêtes à 17h précises.

Elle emmena Amara vers le Zaap au centre des jardins. Amara reconnut la salle où elle avait passé la première épreuve, le jour de son entrée dans l’ordre ; épreuve qu’elle n’avait d’ailleurs pas comprise. Elles se dirigèrent derrière la fontaine.

Il y avait, sur une table, un socle de plomb. Au dessous d’un trou, au milieu du socle, une bille d’argent d’environ deux centimètres et demi de diamètre était disposée au dessus d’un gros cube de bois.

Maître Tsongor et trois autres prêtres qu’Amara ne connaissait pas se trouvaient derrière la table.

- Tu dois faire fondre cette bille d’argent, dit l’un d’entre eux.

Amara n’était pas impressionnée, elle savait qu’elle pouvait le faire.

- Bonne chance.

Au signal, elle se concentra et appela le feu. Elle ferma les yeux jusqu’à ce qu’elle le sente prêt. Puis elle fixa la bille d’argent. Elle se concentra comme elle l’avait appris sur l’aspect de la bille et les courbes du métal, puis referma les yeux. Elle chauffa le cœur de la bille.

Celle-ci devint rouge vif et commença à fondre lentement. Le métal coula dans le cube de bois percé. Quand le métal eut totalement coulé, Amara ouvrit les yeux et attendit.

- Maintenant, tu dois réduire le cube de bois en cendres

Amara fixa le bois qui se consuma instantanément.

Les prêtres semblèrent surpris par la rapidité de l’opération.

Au milieu des cendres, un petit Dragon de métal.

C’était un bijou comme ceux que portaient toutes les personnes de l’ordre. Le métal était orangé et parcouru de reflets d’argent. Maître Tsongor prit la parole.

- C’est une des réactions de l’argent face à la magie. Tu dois le porter sur toi, c’est ce qui montre que tu appartiens à l’ordre du feu : Le Dragon des Flammes. Tu peux le porter comme bracelet, pendentif ou broche. La plupart des gens les utilisent comme broche discrète qu’ils utilisent pour attacher leur cape. Qu’est-ce que tu préfères ?

- Un bracelet.

Un des sorciers prit l’oiseau de métal et s’éloigna. Il revint quelques minutes plus tard, il avait fixé l’oiseau sur une chaînette qu’il passa autour du poignet de la jeune fille.

- Après avoir triomphé des deux épreuves, tu appartiens maintenant officiellement à l’Ordre du Dragon des Flammes.

- Le premier jour, si tu avais cédé à la panique, la petite lumière que tu as du apercevoir aurait grandi en se rapprochant de toi. En te touchant, elle t’aurait ramené à la sortie, dans la grotte ou tu as découvert le Zaap, et tu aurais tout oublié.

- Si aujourd’hui tu n’avais pas pu effectuer ce qui t’était demandé, tu n’aurais pas eu le droit de continuer à apprendre à utiliser la magie…

- Félicitations.

 

Amara fut reconduite au Zaap puis elle se retrouva au milieu de la salle des fêtes.

Tout le monde la regarda, puis un murmure parcourut la salle. Amara ramena ses mains devant elle, quand ils virent le petit bracelet d’argent, ses amis poussèrent un soupir de soulagement et tous applaudirent.

On fit entrer les invités. Quand Amara revint avec ses parents, tout le monde applaudit à nouveau. La musique commença et Misugi s’approcha de la jeune fille, ils devaient ouvrir le bal. Durant la soirée, Amara qui était déjà fatiguée à cause de sa matinée de shopping, dansa avec beaucoup de garçons de l’ordre et des invités. A chaque fois que la musique commençait, Amagi demandait à la jeune fille de danser avec lui. Amara accepta quelques fois, mais la plupart du temps elle se contentait de s’éloigner en riant. De grands buffets étaient dressés contre les murs de la salle de danse, et il y avait un grand choix de nourriture. Elle fit visiter les jardins et les bâtiments à ses parents.

 

Peu à peu, les invités partirent, et les parents d’Amara se retirèrent à leur tour, ils ne voulaient pas rentrer dans le noir car pendant la nuit il n’y avait aucune lumière sur le chemin.

Les habitants du berceau restèrent une grande partie de la nuit à danser dans la salle.
C’était une fête très réussie. La salle de danse se vidait petit à petit et chacun allait se coucher.

Amara alla faire un tour dans les jardins avant de dormir. Misugi la rejoignit peu de temps après. Ils n’avaient pas eu le temps de parler beaucoup ce jour-là, ils ne s’étaient pas vu de la journée, ni aux repas.
Misugi portait un costume noir qui contrastait avec sa peau claire. De petites lampes, accrochées ça et là dans les arbres jetaient une lumière verte sur toute l’étendue des jardins et se reflétaient sur la robe d’Amara.

 

Misugi s’approcha d’elle.

- Félicitations, le grand prêtre m’a raconté l’épreuve, tu t’es très bien débrouillée.

Il lui adressa un sourire rayonnant. Amara sourit  son tour et ne put s’empêcher de s’approcher plus près du jeune homme afin de le sentir tout contre elle. Il l’enlaça et la regarda avec tendresse. Amara passa ses bras autour du cou de Misugi et lui déposa un petit baiser juste au coin des lèvres.

Ils restèrent ainsi durant de longues minutes, Amara posa la tête contre l’épaule du jeune homme et il la berça tendrement.

Puis il s’éloigna un petit peu et la regarda.

- Tu es magnifique ce soir.

Il lui sourit et approcha lentement son visage de celui d’Amara, jusqu’à sentir les lèvres de la jeune fille tout contre les siennes. Il l’embrassa avec tendresse.

Amara lui sourit amoureusement. Elle se sentait bien.

Il passa le bras autour de ses épaules et ils prirent le chemin du retour.

 

Alors qu’ils marchaient lentement dans l’allée, ils entendirent un ricanement dans les buissons. Bien qu’il se doutait de qui était la personne qui se cachait là. Misugi s’approcha du buisson et y donna un coup de pied. Ils virent Amagi s’enfuir en riant.

- Il est collant quand il s’y met !!

- Bah… il a l’air jaloux, Amara rit doucement, tu aurais vu comme il me tournait autour pendant la fête !

- J’ai vu… bon, on rentre ?

Amara réprima un éclat de rire, Misugi aussi semblait jaloux. Elle reprit sa main et ils marchèrent en silence jusqu’au bâtiment. Il la raccompagna jusqu’à la porte de sa chambre.
Quand Amara rentra, Loulou la félicita. Puis elles se couchèrent. Amara était fatiguée par cette longue journée et s’endormit aussitôt.


CHAPITRE 9 A VENIR
• CHAPITRE 10 : Le sauvetage

 

Les jours qui suivirent, la jeune fille continua son entraînement, travaillant avec ardeur.

Un mois passa sans qu’il ne se passe d’événements particuliers.

 

Un beau jour au cœur de l’été, alors que Loulou et Amara étaient sorties et profitaient du soleil, allongées sur leur serviette de plage, elles perçurent un faible cri venant d’un buisson, au dessus de la plage.

Amara semblait inquiète, elle se leva et chercha l’origine du bruit. Elle se dirigea dans cette direction, écarta les branches d’un arbrisseau broussailleux et découvrit un homme, recroquevillé sur lui-même. Il gémissait faiblement et la douleur se lisait sur son visage. Il ouvrit les yeux, la fièvre empourprait son visage, il respirait avec difficultés. Quand il aperçut Amara, il s’agrippa à son bras, lui faisant presque mal. Amara le retourna sur le dos et l’allongea. Elle diagnostiqua de graves brûlures sur ses bras et sa poitrine. Une blessure saignait abondamment à son épaule. Amara, ne sachant que faire, appela Loulou. Le cri désespéré d’Amara la fit accourir et elle étouffa un cri en découvrant le jeune homme blessé. Elle s’approcha et repoussa Amara, la jeune fille, surprise, trébucha et se rattrapa de justesse à une branche.

 

Loulou semblait connaître le blessé, sans hésiter, elle détacha la ceinture de l’homme et vida le contenu de la sacoche qui pendait au flanc de celui-ci. Elle fouilla un instant parmi les fioles, les fleurs et les ustensiles répandus dans le sable. Observant par-dessus l’épaule de la petite fée, Amara reconnut le matériel d’alchimiste. Elle était troublée et ne remarqua pas tout de suite que Loulou lui faisait signe d’approcher.
- Ama ! Mais aide-moi enfin !

Elle lui tendit une petite fiole et un grand morceau de tissu.

- Occupe-toi de son épaule.

Loulou sortit de la sacoche la petite paire de ciseaux en argent qui servait à couper les tiges des fleurs les plus résistantes ainsi que les plus délicates, elle découpa maladroitement le haut de la tunique déjà en lambeaux, brûlée et tachée de sang.

Amara se pencha sur le blessé et versa le contenu de la fiole sur la plaie, elle la compressa ensuite fortement avec le tissu pour empêcher le saignement.
Elle réprima un petit cri d’horreur en détaillant la poitrine du garçon, sa peau était brûlée, des griffes zébraient son torse, laissant des marques jaunâtres…

Loulou battait nerveusement des ailes, murmurant ses incantations d’une voix faible. Son visage était baigné de larmes.

- Ama ! Je n’y arriverai jamais seule ! Gémit-elle, désespérée.

Amara utilisa la ceinture pour maintenir le tissu sur l’épaule du jeune homme. Elle contourna son corps et s’approcha de Loulou, sans hésiter, elle passa les bras autour des épaules de son amie et se concentra pour l’aider comme l’avait fait Misugi avec elle.

Loulou soupira de soulagement en sentant ses forces revenir et s’activa sur le corps du blessé. Les brûlures devinrent moins rouges, les griffes se rétractèrent.

 

Une fois les premiers soins donnés, Loulou détourna son attention de l’homme et se laissa tomber sur le côté. Amara, sentant son propre épuisement, réalisa l’effort qu’avait du fournir Loulou. Elle se leva et fit maladroitement quelques pas.

 

Elle du s’y reprendre à plusieurs fois pour retrouver un équilibre à peu prêt stable. Elle se dépêcha de regagner le berceau. Assise sur le socle de pierre, entre les rochers, Amara attendit. La lumière autour d’elle brillait faiblement. Elle attendit un long moment avant de réaliser qu’elle ne saurait activer le Zaap dans cet état. Elle ferma les yeux et se concentra, sa tête était douloureuse. Soudain elle se sentit transportée. Quand elle regarda autour d’elle, sa vision trouble lui montra un grand temple.
- Amara ?

La jeune fille leva les yeux vers le sorcier.

- Mais depuis quand n’arrives-tu plus à activer les Zaaps ? C’est…

Il s’interrompit en voyant la fatigue de la jeune apprentie.

- Amara, il y a un problème ?

- Un homme blessé sur la plage… plus en danger maintenant… Loulou…

L’esprit d’Amara était embrumé, elle ne trouvait plus les mots qui convenaient.

- Ne bouge pas Amara, nous allons envoyer de l’aide.

Le prêtre sortit, Amara resta seule au milieu de la pièce, cherchant à reprendre ses esprits.

Au bout de quelques longues minutes, quelqu’un entra dans le temple. C’était un jeune homme plutôt petit, il avait une étrange peau bleu- nuit, presque violette, de la même couleur que les petites ailes que l’on apercevait dans son dos. Il semblait heureux et paisible. Il s’assit devant Amara et la regarda. Il murmura quelques mots et la jeune fille se sentit tout de suite soulagée, ses idées se remettaient peu à peu en place. Elle se leva et ne ressentis plus rien des vertiges ressentis quelques instants plus tôt, elle se sentait parfaitement bien.

- Merci. On se connaît il me semble ?

- Je suis un ami de Misugi, Romanas.

- Oui c’est vrai je m’en souviens.

Amara sembla se souvenir de quelque chose.

- Je dois aller sur la plage !

Le garçon sortit. Malgré sa petite taille, Amara jugea qu’il devait avoir à peu prêt l’âge de Misugi.

Amara repensa à l’homme de la plage et se précipita jusqu’au Zaap de sortie. Elle accourut jusqu’au lieu où elles avaient découvert le blessé.

 

Quelques personnes s’y trouvaient, quelques fées s’affairaient autour de Loulou. Le blessé était réveillé et s’entretenait avec le Grand Prêtre. Il avait été installé sur une civière et couvert d’une couverture, il semblait encore très faible. Il parlait avec difficulté, grimaçant de douleur à chaque fois que sa poitrine se soulevait.

Loulou revint peu à peu à elle et ouvrit les yeux. Les fées autour d’elle finirent leurs incantations et elle se leva. Elle s’approcha de la civière. Ne tenant pas compte du Prêtre qui parlait, elle s’agenouilla prêt du jeune homme et prit la parole :

- Keazou ! Ce sont les dragœufs n’est-ce pas ?

- Loulou… oui les dragœufs… ils sont devenus méchants… comme tous les autres…

Keazou ferma les yeux et réprima une grimace de souffrance.

- Mais enfin de quels autres parles-tu ?

Le Prêtre intervint alors :

- Loulou, du calme. Ton ami a besoin de repos, nous parlerons de tout ça un peu plus tard.

- Merci Loulou… je n’aurai certainement pas survécu sans toi.

- Je n’allais tout de même pas te laisser mourir derrière ce buisson, le taquina Loulou.

Amara s’avança timidement, derrière Loulou. Le Grand Prêtre dit :

- Je crois que tu oublies Amara, Loulou. Elle a beaucoup contribué au sauvetage.

Amara croisa le regard du jeune homme et se sentit rougir, alors qu’il la regardait dans les yeux, son regard était reconnaissant. Il la remercia.

- Mais ce n’est rien, n’importe qui aurait fait la même chose ! Et puis j’ai pas aidé beaucoup…

Loulou était couverte d’une couverture, Amara, toujours en maillot de bain, s’aperçut qu’elle frissonnait. L’inconnu la dévisageait, elle-même ne pouvait s’empêcher de l’observer.

 

Au même moment, Misugi arriva à l’improviste derrière Amara et l’enlaça. Surprise, elle sursauta et se retourna afin de lui rendre son étreinte. Sans lâcher la jeune fille, Misugi se retourna vers le blessé.

- Bonjour Keazou.

A la surprise d’Amara, et de Keazou lui-même, le ton de Misugi avait quelque chose de froid, il semblait énervé. Celui-ci ne savait que dire au jeune homme allongé sur la civière. Son bras crispé autour de la taille d’Amara traduisait son humeur. Amara comprit que son ami n’avait pas apprécié le regard de Keazou et l’attention que celle-ci lui portait. La jeune fille exaspérée se détacha de l’étreinte envahissante de Misugi. Loulou quant à elle semblait tout à fait d’accord avec Misugi.

 

Si bien qu’Amara battit en retraite et alla s’asseoir un peu plus loin sur un rocher.
Le bouftou qui observait la scène depuis le début, s’approcha de sa jeune maîtresse. Elle le prit sur ses genoux et le caressa distraitement en observant la scène de loin.

Misugi discuta un moment avec Loulou puis il s’éloigna. Il adressa un petit signe de la main à Amara et rentra. Elle le suivit des yeux jusqu’à ce qu’il disparaisse entre les rochers. Puis elle reporta son attention sur le blessé. Il semblait dormir. Sur ordre du prêtre, quelques personnes soulevèrent la civière et le groupe se dirigea vers le Zaap. Loulou marchait à côté du blessé.

Amara suivit, derrière.

Keazou fut installé dans une chambre à part, en dehors des dortoirs. L’incident fut énoncé durant le repas.

 

• CHAPITRE 11 : L’enlèvement

 

Ce soir là, Misugi proposa à Amara d’aller s’entraîner sur la plage. Amara accepta l’idée et ils se rendirent jusqu’au bord de l’eau. Misugi posa un genou à terre et observa le sable. Avant de se relever, il trempa sa main dans l’eau et éclaboussa un petit tas de sable qu’il avait vu remuer, Amara recula en voyant un gros crabe en sortir. Le crustacé avait une énorme pince, démesurée par rapport à la taille de l’animal. La jeune fille songea qu’il aurait facilement pu tuer un jeune bouftou en quelques coups de pince.

Amara, occupée à détailler l’étrange animal, réagit enfin et appela le feu à elle ; elle fut surprise en sentant la résistance du crabe. Son épaisse carapace le protégeait du feu. La jeune apprentie fixa son attention sur les petites mandibules qui entouraient sa « bouche ». Là, la chair tendre n’était pas recouverte de carapace. Au bout de quelques minutes, le monstre « implosa » et bientôt, il ne resta qu’un petit tas de cendres qui se mêlaient au sable, sous la carapace intacte, ainsi que la massive pince. Elle ramassa la carapace et la pince et les fourra dans son sac à dos.
Ils s’amusèrent pendant un long moment, s’éclaboussant entre eux, exterminant les crabes et courant sur la plage.


Puis le jour commença à baisser, ils se promenèrent en silence sur la plage, main dans la main.

- Je n’aime pas cette histoire, à propos de Keazou…

Amara s’attendait à ce qu’il parle de ça, elle resta silencieuse.

- Je repensais à cette prophétie…

- Tu crois qu’elle a quelque chose à voir avec cette histoire ?

- Je n’en sais rien, mais les dragœufs…

- Que sont les dragœufs ?

- Des animaux, on raconte que ce sont des bébés dragons qui ont été ensorcelés pour garder à jamais leur état de bébé. Si l’on prend soin de les éviter, ils nous laissent tranquille. Et les bworks… ces créatures sont tellement bêtes qu’il ne songeraient jamais à attaquer qui que ce soit. Ils préfèrent s’amuser et errer dans leur village à la recherche de quelque d’objets sur lesquels abattre leur massue !

- Mais alors, comment expliquer les blessures de ce garçon, Keazou ?

- C’est là que je repense à la prophétie, si le maître du mal est aussi puissant que toi…

- Que faudrait-il faire pour l’arrêter ? Demanda Amara dans un élan de courage.

- Je n’en ai aucune idée malheureusement. Allons nous coucher, nous essayerons d’en apprendre d’avantage demain.

- Ecoute, chuchota Amara.

Misugi tendit l’oreille mais ne perçut aucun son.

- Je n’entends rien, qu’est-ce que…

- Justement, regarde les vagues, aucun bruit… et le vent dans les arbres là bas ? Tu ne trouves pas ça bizarre ?

 

- Oh ! Non !! Viens !

Il lui agrippa fermement le bras et l’entraîna jusqu’au cimetière. Il l’attira jusqu’à l’intérieur d’un caveau de pierre où ils se cachèrent derrière une grande pierre tombale. Dans le noir total, Amara jetait tout autour d’elle des regards effrayés, luttant pour ne pas céder à la panique. Ils s’assirent par terre, Amara se recroquevilla sur le sol de pierre froide. Misugi la maintint contre lui et murmura :

- Ne fait aucun bruit, surtout ne bouge pas. Je t’expliquerai.

Ils attendirent sans bouger, les minutes qui s’écoulèrent leur semblèrent être les plus longues de leur vie. Rien ne se passa. Misugi chuchota :

- Des démons… leur magie est si maléfique qu’elle crée une atmosphère lourde, étouffant chaque bruit. Parfois même, quand ils sont nombreux, un orage éclate, des nuages s’entassent, menaçants dans le ciel, le brouillard se lève…

- Mais que…

- Chut !!!

 

Soudain, des voix au dehors. Amara ne put réprimer un violent frisson d’horreur, un léger gémissement s’échappa de ses lèvres.

Tout aussi soudainement, ils entendirent un grincement puis un claquement métallique. Les deux jeunes gens ne voyaient rien de leur cachette, mais ils songèrent à la porte du caveau : une grille de fer forgé…

- Il est là ! Cria une voix au dehors.

- Amara, ne bouge surtout pas, murmura Misugi.

- Non ! Reste ! C’est moi qu’ils cherchent… gémis la jeune fille, paniquée.

- Je t’aime Amara.

Il se leva lentement et fis face aux démons, quatre d’entre eux avaient pénétré dans le caveau.

- Je suis là, je vous attends ? Déclara-t-il d’une voix forte, qui ne tremblait pas.


Malgré les circonstances, Amara ne put s’empêcher de ressentir une bouffée d’amour profond mêlé d’admiration pour le jeune homme.

Elle murmura d’une voix à peine audible pour elle-même.

- Je t’aime…


Une silhouette s’avança vers Misugi qui ne bougea pas. Il se concentra et l’homme poussa un glapissement de douleur.
- C’est tout ce que tu peux faire ? Ricana-t-il sinistrement.

Mais cette fois-ci, ce n’est pas un démon, mais quatre qui s’avancèrent vers lui. Misugi recula d’un pas et trébucha dans l’ombre.


Amara reprit ses esprits en entendant un bruit mat sur la paroi du caveau.

Oubliant les démons, elle se traîna jusqu’à l’endroit d’où provenait le bruit. Elle toucha enfin le bras de son ami et s’approcha de lui. Elle gémit en touchant la tête de Misugi, elle en retira une main couverte de sang. Sang qui maculait le sol tout autour du jeune homme…

 

Les quatre hommes la regardaient, visiblement surpris.
Amara, aveuglée par la haine, fixa le seul démon qu’elle distinguait à la lumière de la lune filtrant entre les barreaux de la grille métallique. Elle le brûla cruellement avant de se jeter sur lui et de le rouer de coups, toujours concentrée sur les brûlures qu’elle lui infligeait. L’homme hurla de toutes ses forces et tomba à terre, il eut quelques sursauts et cessa de bouger. Amara s’effondra sur lui, sans forces.

 

Deux d’entre eux la ceinturèrent et l’attachèrent avec de solides cordes.

- Occupez-vous du garçon.

Après une minute de silence, le démon se releva et annonça :

- Il est mort.

Amara s’évanouit  ces mots, hurlant de toutes ses forces malgré son état.

L’homme s’approcha de son compagnon à terre.

- Laisse-le, elle a du réveiller tout le village à crier comme ça, on file !

 

 

•••

 

 

Loulou se réveilla tôt, durant cette horrible nuit. Le jour n’était pas encore levé. Elle ne savait rien de ce qui s’était passé cette nuit là. Somnolant à demi dans la pénombre de sa chambre, la jeune fille sursauta quand on frappa violemment à la porte. Elle se leva en grommelant, encore toute endormie.

Elle alla ouvrir la porte.

 

Elle ouvrit la bouche en apercevant Maître Tsongor lui-même devant sa porte, mais il a devança :

- As-tu vu Amara ?

Loulou tourna la tête vers le lit de sa compagne et s’aperçut seulement de son absence. Elle hocha négativement la tête avec un air d’incompréhension totale. Elle allait poser une question, mais cette fois encore le Maître pris la parole :

- Merci Loulou, nous te tiendrons au courant.

Loulou haussa les épaules, se demandant ce qui se passait. Elle chassa bien vite ces pensées de son esprit et se remit au lit. Pensive, elle se rappela un rêve qu’elle avait fait dans la nuit. Une femme criait. Un étrange pressentiment lui serra le ventre et elle se demanda quelle était la part de réalité dans ce rêve. Continuant à y réfléchir, elle se rendormit.

 

A nouveau, bien plus tard ce matin là, Loulou fut tirée du lit par des coups frappés à la porte. On frappait doucement, comme de peur de réveiller l’occupante de la petite chambre. Loulou se leva et alla ouvrir. Cette fois-ci, la grande Prêtresse était là, le visage fatigué, comme si elle avait passé une longue nuit blanche, elle semblait avoir vieilli d’une dizaine d’années en une seule nuit.

Loulou lui proposa d’entrer.

-          Non Loulou, habille-toi vite, le Grand Maître veut te voir, ce qui se passe en ce moment est très grave.

-           

Loulou s’habilla le plus vite possible, sans même prendre le temps de fermer la porte. Elle accompagna la prêtresse jusqu’au temple. En passant devant une salle, elle reconnut Amagi, accompagné de deux adultes qui devaient être ses parents. La femme pleurait, le petit garçon, assis sur une chaise, regardait fixement dans le vide.

L’homme quand à lui était livide et se tenait au mur, comme pris de vertiges.

Loulou sentit son cœur s’emballer, elle devint très pâle et se retint au bras de la prêtresse pour ne pas tomber.

 

En arrivant au temple, elle reconnut dans la pièce quelques personnes parmi les amis de Misugi et Amara. Ils arboraient un air interrogatif. Bien sûr, aucun d’eux ne pouvaient imaginer, se dit la prêtresse. Même Keazou était là. Avec les évènements de ce matin, personne n’y avait plus pensé, pourtant, il était là, parmi eux. L’inquiétude se lisait sur son visage.
Loulou s’approcha de lui pour lui demander ce qui se passait, il allait répondre quand la porte s’ouvrit. Le grand prêtre s’avança, le silence se fit. Celui-ci avait lui aussi l’air épuisé et découragé, il tentait de rester digne mais ses mouvements étaient désordonnés, il marchait à la façon d’un automate et semblait complètement ailleurs.

Loulou sentit les larmes lui monter aux yeux, elle se serra contre Keazou qui la prit doucement dans ses bras.

 

Maître Tsongor leur faisait face, promenant dans la pièce, un regard triste.

Le prêtre se mit à parler, sa voix était étrangement rauque et tremblante.

Il leur résuma la situation, les cris d’Amara qui avaient donné l’alerte, les hommes envoyés dans la direction des cris. Le corps du jeune homme découvert dans le cimetière…

- …quand nous sommes arrivés, il était trop tard… Misugi n’a pas souffert…

A cette annonce, cris et sanglots envahirent la salle. D’autres personnes n’ayant pas réalisé ce qui s’était dit, attendaient, les yeux fixés sur le prêtre.

- Des démons ont attaqué, Misugi a voulu les repousser pour sauver son amie, les démons l’ont violement poussé. Sa tête frappant le mur de pierre, il est mort sur le coup…

 

Les pleurs continuèrent, prenant plus d’ampleur encore sur ces dernières paroles.

Loulou, tombée à genoux par terre, pleurait doucement contre l’épaule de Keazou qui la soutenait. Le visage de celui-ci reflétait la douleur, la haine. Il fixait les dalles de pierre qui s’étendaient sur le sol, devant lui.

- Nous avons trouvé le corps d’un des démons, il est mort ce matin suite à ses blessures. En revanche, la jeune Amara a disparu. Nous avons toutes les raisons de croire qu’elle est en vie et nous feront tout ce qui est en notre pouvoir pour la retrouver.

Le prêtre se retira, laissant là les adolescents dépités, chagrinés. Loulou pleurait, comme beaucoup d’autres dans la pièce. Keazou la berçait doucement. Il l’aida à se lever et la ramena dans sa chambre. Elle s’agrippa à lui quand il voulut la lâcher ; elle le serra de toutes ses forces en secouant la tête de gauche à droite, des larmes ruisselant sur son visage. Keazou continua a la bercer tout en lui parlant doucement pour la calmer. Quand elle cessa de pleurer, Keazou se leva. IL la prit dans ses bras et la fit se lever à son tour. Loulou n’opposa aucune résistance et se laissa guider. Le bras autour des épaules de son amie, Keazou l’emmena dans la grande salle où tous les élèves étaient réunis. Ils s’assirent sur un des bancs et attendirent. Le grand prêtre recommença son histoire, énonçant une seconde fois la mort du jeune homme. Loulou ne réagit pas, elle restait assise sur le banc, sans bouger. Comme elle, beaucoup ne semblaient pas avoir totalement réalisé ce qu’ils venaient d’apprendre.

 

Le prêtre continua son discours en expliquant la raison pour laquelle Amara semblait avoir été enlevée. Il leur raconta la prophétie et tout ce qui se déroulait depuis quelques tempes, entre autres, les animaux qui devenaient agressifs et la présence des démons rodant aux alentours des villages.

- … Misugi en laissant sa vie, a tenté de protéger l’enfant de la prophétie, et de ce fait, de prévenir le désastre qui se prépare dans ce monde. Son nom restera gravé dans les mémoires, ainsi que dans nos cœurs.

Tout le monde attendit la suite mais le grand Prêtre se tut. Peu à peu la salle commença à s’agiter. Keazou et Loulou se levèrent, au milieu des raclements de chaises et de bancs.

 

• CHAPITRE 12 : Prisonnière des démons

 

Quand Amara se réveilla, elle était allongée sur un vieux matelas. Elle avait la tête lourde et douloureuse. Elle ouvrit les yeux et regarda autour d’elle, il faisait sombre mais Amara estima qu’il devait faire jour. La pièce était petite, la jeune fille tandis la main hors du matelas et toucha le sol, le parquet de bois était humide et froid. Il émanait du matelas et d’ailleurs de la pièce toute entière une forte odeur de moisi et d’humidité.

 

Amara essaya de s’asseoir mais fut prise de vertiges et fut forcée de se rallonger. Elle ferma les yeux et se força a réfléchir. Pendant plusieurs minutes, rien ne lui vint à l’esprit mis à part la douleur lancinante qui lui vrillait la tête. Puis peu à peu, les souvenirs affluèrent dans son esprit. Elle revit le caveau sombre et les démons avançant vers son ami. La dernière image qui apparut devant ses yeux était le démon, annonçant d’une voix froide que Misugi était mort. Amara gémit à cette pensée, la douleur lui serrait le cœur, des larmes coulaient sur ses joues. Elle porta la main à son visage et ne put réprimer un cri en la voyant : sa main était toujours recouverte du sang de Misugi… ses jambes et le bas de sa robe étaient elles aussi tachées de sang. Amara en eut l’estomac noué et du se concentrer pour ne pas vomir.

 

Elle rouvrit les yeux et tenta de se concentrer sur ce qu’elle avait autour d’elle. Elle s’assit au milieu du matelas au prix d’un effort considérable et d’une violente douleur qui sembla exploser dans sa tête. Elle se sentait fiévreuse, et tremblait de tout son corps.

La jeune fille sursauta en sentant le sol bouger au dessous d’elle. Elle voulut mettre cette impression  sur le compte de son état de santé, mais un coup plus violent la fit tomber en arrière. Amara se sentait faible et lasse, elle avait peur. Elle s’allongea sur le dos, les mains croisées sur son ventre et ferma les yeux. Le sol, qui bougeait réellement de droite à gauche, la calmait. Elle perçut un bruit sourd et irrégulier qui raisonnait contre les murs comme… de l’eau ! Amara venait de comprendre qu’elle devait se trouver dans la cale d’un bateau… ce qui n’eut aucun effet rassurant sur elle, bien au contraire.

 

Elle résuma la situation : elle était seule dans une petite pièce sombre et moisie, dans le fond d’un bateau plein de démon qui naviguait vers une destination qui lui était inconnue. Par-dessous tout ça, elle n’était pas en mesure de faire quoi que ce soit, rien que le fait de marcher lui aurait été extrêmement difficile.

La jeune fille avait la gorge sèche, elle avait besoin de boire. Toute son attention fixée sur cette idée, Amara se rendormit.

 

 

•••

 

Les heures passaient au berceau, l’endroit était comme transformé par les récents évènements. Chacun ne parlait qu’à voix basse, les salles d’entraînement et jardins étaient déserts.

L’atmosphère, pesante, était insoutenable. La plupart des membres de l’ordre n’avaient qu’une idée en tête, se réveiller le lendemain matin pour s’apercevoir que tout cela n’ait été qu’un affreux cauchemar.

 

Keazou et Loulou furent convoqués au Temple. Maître Tsongor et la Prêtresse Samilia les y attendaient.
Le maître prit la parole :

- Je ne vais pas passer par quatre chemins et vous expliquer ce que j’attends de vous. Inutile de vous dire que la situation est très grave. Je suis allé au village ce matin pour prévenir les parents d’Amara, et des marchands m’ont affirmé avoir vu un navire prendre la mer, cette nuit. Il y a toutes les chances pour qu’Amara soit séquestrée à bord de cette embarcation.

- Il faut aller la chercher ! Je…

- Du calme Keazou, cette mission est très délicate. Les démons ne doivent en aucun cas se douter de ce que nous préparons. Nous savons qu’une île au large d’Amakna abrite un nombre important de démons, c’est en quelque sorte une base pour leurs marins qui leur permet de se ravitailler s’ils viennent de loin. La ville principale des démons se trouve au Sud-Ouest d’ici, on peut y accéder par la terre, mais il faut traverser d’immenses landes hostiles et dangereuses. Les démons préfèreront probablement s’y rendre par voie maritime. En effet, ils y parviendront plus rapidement que par la terre, et il sera plus difficile pour nous de les localiser. C’est sûrement là qu’ils emmènent votre amie.

Ce que nous savons aussi, c’est qu’ils ne lui feront aucun mal, ils doivent l’amener jusqu’à leur ville, saine et sauve, et en pleine santé.

 

Les démons sont nombreux et possèdent la force maléfique avec eux. Les créatures de la nuit sont leurs alliées. Nous aurons besoin de courage, mais aussi de beaucoup de volontaires. Nous devons mettre toutes les chances de notre côté. J’ai prévenu ce matin, une vieille femme du village. Elle avertira l’ordre de la Tortue des Eaux. Nous aurons besoin de toutes les formes d’énergie magique.
Toi, Keazou, il faudra que tu alertes l’ordre des Chevaliers de la Terre.
Loulo
u, je te charge simplement de le dire à ton ami, je sais que le passage vers le berceau des Serpents des Airs et près d’ici, il n’aura aucun mal à les informer de ce qui se passe. Nous déciderons dans les jours qui suivent de la manière dont nous nous organiserons.

Le prêtre les congédia. Loulou et Keazou sortirent dans le jardin.

 

Loulou semblait gênée, personne n’avait pensé à prévenir son petit ami, Guitou, et il ne savait sûrement pas ce qu’il s’était passé. Keazou sembla contrarié, ça faisait longtemps qu’il n’avait pas vu Guitou. En d’autres circonstances il aurait été heureux de revoir son ami, mais lui annoncer la terrible nouvelle de la mort de Misugi allait être dure. Guitou et Misugi étaient de très bons amis ; Guitou aurait beaucoup de peine.

Keazou savait que Loulou n’aurait pas la force de raconter l’évènement à son ami, et il savait que cette tâche lui revenait.

Des larmes avaient recommencé à couler sur les joues de la jeune fée. Keazou la serra tendrement contre lui :

- Tu veux aller voir Guitou ? Tu devrais passer la soirée avec lui.

- D’accord, allons-y, répondit Loulou d’une voix faible.
Mais elle ne bougea pas et resta serrée contre Keazou. Des larmes perlaient aux yeux du grand jeune homme dont le cœur se serrait en voyant la détresse de son amie. Il caressait doucement les cheveux de Loulou, ravalant ses propres larmes.

 

Il connaissait Misugi et son décès lui avait fait de la peine, mais plus encore, il ne supportait pas de voir souffrir ceux qu’il aimait.

Il comprenait la douleur de Loulou, Misugi était son meilleur ami et ils passaient beaucoup de temps ensemble. Elle appréciait aussi beaucoup Amara et son absence accentuait encore plus l’absence de Misugi.

 

Keazou eut une pensée pour Amara. Elle venait de perdre son petit ami qui était sûrement mort sous ses yeux alors qu’il essayait de la protéger. Et elle était emprisonnée dans un bateau avec une bande de brutes. Keazou, révolté, se jura d’aller la sauver coûte que coûte.

Il ne trouvait pas les mots pour consoler son amie, il passa la main sur la joue de celle-ci, essuyant quelques larmes, et y déposa un baiser.

Loulou lui sourit tristement et se leva.

Keazou la regarda, il la trouvait très jolie malgré ses cheveux en désordre, du à son réveil un peu brutal et les larmes qui continuaient à couler sur son doux visage.

- Viens.

Il lui rendit son sourire et la prit par la main.

 

La jeune fille le suivit à l’intérieur, le long du couloir jusqu’à sa chambre. Ils entrèrent et elle s’assit sur le lit d’Amara. Elle regarda les affaires de son amie d’un air malheureux.

Keazou alla chercher un peigne dans la salle de bain et vint s’asseoir derrière Loulou. Il entreprit de démêler les longs cheveux bouclés qui tombaient sur les épaules de son amie. Il y passa un long moment, ces gestes doux et appliqués semblaient calmer la jeune fille qui avait cessé de pleurer.

Quand il eut fini, il entraîna Loulou dans la salle de bain afin qu’elle puisse passer un peu d’eau sur son visage.

- On y va ?

Loulou acquiesça d’un léger signe de tête puis ils ressortirent. Ils marchèrent en silence, côte à côte, jusqu’au passage. Loulou l’activa, ils le traversèrent. Ils marchèrent ainsi jusqu’à arriver devant la maison de Guitou. Loulou frappa. Ils entendirent du bruit à l’intérieur et le jeune homme leur ouvrit. Il les invita à entrer, l’air heureux de les voir. Il allait leur demander s’ils allaient bien mais se ravisa en voyant le visage triste de Loulou. Ils s’assirent tous les trois autour de la table. Loulou lança un regard suppliant à Keazou. Comme personne ne parlait, celui-ci prit la parole :

- Guitou…

L’intéressé leva la tête vers Keazou qui continua :

- J’ai une très mauvaise nouvelle à t’annoncer…

Keazou, gêné, ne savait comment dire à l’homme qui le regardait d’un air inquiet que son ami était parti…

- Tu as entendu parler des démons qui rodaient aux alentours du cimetière ?

Le jeune homme répondit par un signe de tête affirmatif.

- Misugi et Amara étaient au cimetière hier soir… Malheureusement, il est apparu que les démons cherchaient Amara. Et… Misugi voulait protéger Amara… mais ils y avait quatre démons… ils ont… Misugi est… il est…

Keazou, la gorge serrée, n’arrivait pas à finir sa phrase. Loulou se leva et alla se blottir contre Guitou.

- Il est mort ? demanda-t-il. Keazou, Misugi est mort ?

- Oui… Je suis désolé.

Keazou baissa la tête/ Loulou avait recommencé à pleurer. Guitou ne réagissait pas, il semblait encore sous le choc de la révélation.

- Je vais vous laisser, tous les deux, avança Keazou. Vous devez avoir des choses à vous dire.

- Merci Keazou. C’est gentil de t’être occupé de Loulou et d’être venu jusqu’ici, répondit Guitou d’une voix blanche.

Le jeune homme s’avança vers la porte avec regret. La perspective de se retrouver seul ne l’enchantait guère. Il sortit. La nuit était belle, aucun nuage, le ciel étoilé. La lune éclairait les pavés de la rue. Keazou se promena un moment sur la plage puis rentra au berceau et se coucha immédiatement. Il n’avait pas faim.

 

 

•••

 

Il faisait chaud, Amara était entourée de flammes, elle transpirait. Au milieu du cercle de feu, elle discutait avec Misugi. Soudain, les griffes jaunâtres qu’elle avait déjà vues sur la poitrine de Keazou apparurent sur celle de Misugi. Quand elle voulut s’approcher pour le soigner, il recula d’un pas et tomba dans les flammes. Quand la jeune fille voulut le suivre et traversa le mur de feu, le monde bascula autour d’elle, elle se retrouva dans un caveau sombre, éclairé par la lune. Misugi tombait en arrière et heurtait le mur, la scène se déroulait indéfiniment devant les yeux d’Amara. Elle cria.

 

La jeune fille se réveilla, elle criait. Elle regarda autour d’elle et éclata en sanglots. La soif lui brûlait la gorge et elle revoyait sans cesse les images de son rêve.

Quand elle entendit des bruits de pas derrière la porte, elle se tut et se recroquevilla au bord du matelas sur lequel elle était allongée. Elle ferma les eux et attendit, tremblante et effrayée comme un petit animal pris au piège.
La porte s’ouvrit dans un grincement, quelqu’un entra. Amara n’osa pas ouvrir les yeux. Elle resta immobile et attendit encore. Elle sentait le regard du démon braqué sur elle. La jeune fille l’entendit poser quelque chose. Une nouvelle fois, la porte s’ouvrit et se referma.

 

Amara resta ainsi de longues minutes, guettant le moindre bruit, le moindre mouvement anormal. Quand elle fut certaine que le démon était parti, elle se risqua à ouvrir un œil.

Se voyant en sécurité, elle se rassit. Son mal de tête persistait mais il s’était atténué. Au début, elle ne remarqua rien de différent autour d’elle, jusqu’à ce que son regard soit attiré vers le coin de la pièce. Elle y aperçut un grand récipient de bois. La jeune fille avança vers l’objet, marchant à quatre pattes sur le sol froid. Quand elle s’en approcha, Amara ressentit un élan de reconnaissance pour le démon ; le récipient était plein d’eau douce. A côté, un morceau de pain frais était posé à même le sol.

La jeune fille étancha sa soif, buvant avidement. Mais, l’estomac noué, elle ne toucha pas à la nourriture. Avec le reste de l’eau, Amara nettoya le sang sur ses mains et ses jambes.

Elle retourna ensuite sur le matelas. Elle se sentait un peu mieux mais la fièvre persistait. Amara tremblait de froid.

 

Elle tenta de se mettre debout mais sans succès, elle se sentait encore trop faible. Elle s’interrogea sur son état de santé. Pourquoi était elle malade ?

Elle se souvint avoir déjà ressenti des symptômes similaires lorsqu’elle avait aidé Loulou à sauver Keazou. C’était dû à l’énergie qu’elle avait dû fournir. Mais elle ne se souvenait pas avoir utilisé le feu récemment et se demanda ce qu’il lui arrivait.

Amara se demanda ce qui allait lui arriver à présent et si quelqu’un viendrait la délivrer.

 

 

•••

 

Keazou dormit mal cette nuit là, les griffes sur sa poitrine étaient encore douloureuses, rouges et brûlantes. Mais il savait qu’après les prochains soins des fées il n’y paraîtrait rien. Il se leva de bonne heure, ne supportant plus de rester inactif, il alla jusqu’au temple. Le grand prêtre ne dormait pas non plus, il l’invita à entrer. Le jeune homme s’avança, dans la pénombre. La flamme vacillante des bougies rendait l’endroit étrange et mystérieux. Keazou ressentit un certain respect pour ce lieu, ne possédant pas l’énergie du feu en lui, il s’y sentait étranger. On distinguait le ciel étoilé entre deux colonnes, le silence était total. Intimidé, Keazou n’osait parler, de peur de déranger le prêtre Tsongor. Celui-ci semblait épuisé, il était assis sur un siège de pierre, au milieu du temple.

 

Il baissa les yeux sur Keazou.

- Pourquoi es-tu venu jusqu’ici Keazou ?

- J’ai été envoyé par mon maître pour vous prévenir de ce qu’il se passait. Mais vous semblez être déjà au courant depuis plus longtemps que lui… Sûrement parce qu’A… l’enfant de la prophétie était parmi vous.

- Oui, en effet. Misugi est venu m’avertir qu’Amara avait un pouvoir particulièrement puissant. C’est lorsqu’il m’a raconté son histoire que je leur ai parlé de la prophétie. Je n’ai jamais autant souhaité me tromper… Nous devons agir, pas seulement pour Amara mais aussi pour le monde entier. Si le maître des forces maléfiques la retrouve, le monde sera transformé en un véritable enfer.

- La solution la plus facile serait de… d’empêcher à jamais que le mal s’empare de l’enfant. Voyant l’air alarmé de Keazou, le grand prêtre s’empressa de continuer : Méthode que je refuse d’appliquer tant que nous pourrons faire autrement. Le plus urgent est de récupérer Amara. Pour ce faire, nous réunirons les meilleurs éléments de chaque ordre afin qu’ils partent la secourir. Les démons sont très forts et il faudra être prudent. Ils se trouvent actuellement à l’est d’Amakna, ils voguent assez loin des rivages et des îles pour ne pas être aperçus. Si nous sommes rapides et efficaces, nous les rattraperons avant qu’ils n’aient contourné le port de Sufokia. Pendant ce temps, nous commencerons à constituer une « armée », ici, à Amakna. Il faudra se battre, et si nous devrons aller jusqu’à détruire le maître du mal, nous le ferons. Les démons, en enlevant Amara, ont déclaré la guerre, il nous faudra contre-attaquer. Des éclaireurs seront envoyés près des villes et des îles regroupant une majorité de démons. Ici les meilleurs recevront une formation adaptée à l’épreuve qui se prépare. Nous feront venir la milice de la ville de Bonta afin de donner un entraînement intensif à tous ceux qui le souhaitent. J’ai prévenu quelques personnes, tu partiras avec eux dès le levé du jour. Tu les guideras jusqu’à ton maître. Revenez immédiatement jusqu’ici avec les meilleurs des Chevaliers de la Terre. Explique en détail la situation à ton maître et dit lui de se mettre en route avec un maximum de volontaires.

- Bien, qui partira avec moi ?

- Les fées Loulou, et DrouVirus. Djahil et Beothien qui ont spécialisé leur apprentissage vers la création d’armures et de boucliers extrêmement puissants, et Globox qui a réussi à former ses animaux au combat. Vous devrez sûrement vous battre, faites attention à chaque animal que vous croiserez, restez tout le temps ensemble, ne faites confiance à personne. Vous promettre que la mission est sans danger serait vous mentir, je ne puis qu’espérer que vous ne rencontriez pas trop de difficultés. Reviens ici dans une heure environ, je vais prévenir tes compagnons, vous devrez être partis quand apparaîtront les premiers rayons du soleil. Tient-toi prêt.

 

Le jeune homme acquiesça d’un air sérieux et se dirigea vers le réfectoire, il devait manger et prendre quelques provisions pour avoir l’énergie d’entreprendre cette expédition. Il sortit ensuit dans les jardins des alchimistes et cueillit quelques plantes utiles pour ses potions et médicaments, il jugea utile d’emporter sa sacoche d’alchimiste, il l’accrocha à sa ceinture à côté de son épée puis se rendit devant le temple. Quelques personnes y étaient rassemblées, le berceau commençait à s’éveiller, on entendant de toute part bruits de pas et chuchotements.

 

• CHAPITRE 13 : Expédition pour Amara

 

Au lever du soleil, tout le berceau était assemblé dans le temple. Le grand prêtre activa le Zaap et ils furent transportés devant l’entrée de la petite grotte.

Les six jeunes gens étaient prêts à partir.

Une des jeunes filles portait une robe jaune pâle et se tenait près d’un jeune homme aux ailes noires. C’étaient Globox et DrouVirus ; ils étaient suivis par un étrange attroupement de créatures, l’une d’entre elle semblait formée totalement de gros blocks de pierre, c’était un Craqueleur, il marchait d’un pas lent et lourd. Keazou reconnut aussi un vieux bouftou, un sanglier aux défenses imposantes et une femelle sanglier suivie de deux marcassins, c’était le sanglier de Misugi et ses petits. Près de là, deux jeunes hommes avaient un bouclier brodé sur leur tunique. L’un portait une tunique rouge foncée, l’autre une noire. Ils semblaient calmes et regardaient leurs camarades. Ils s’appelaient Djahil et Beothien. Loulou était accompagnée de Keazou.

 

Le prêtre s’approcha d’eux et leur recommanda encore une fois la prudence et leur souhaita bonne chance. Il prit ensuite Keazou à part et lui indiqua l’itinéraire qu’ils devraient prendre. Il lui confia la responsabilité de diriger l’expédition.

 

Le soleil était en train de se lever quand ils partirent. Le reste du berceau les regarda partir sans un mot, quelques uns agitaient machinalement la main. Le petit groupe partit vers le Sud-est, en route pour le camp des Chevaliers de la Terre. Ils s’arrêteraient ce jour-là au port de Sufokia ou ils feraient une halte pour la nuit.

 

 

•••

 

Cette nuit encore fut pénible pour Amara. La jeune fille fit encore de nombreux cauchemars. Elle tremblait de froid, recroquevillée sur elle-même. Le froid et l’humidité qui s’infiltraient partout créaient une atmosphère glaciale. Amara ouvrit les yeux et sursauta violement, un homme se tenait dans l'encadrement de la porte, le vent s'engouffrait dans la pièce accentuant encore le froid qui régnait autour de la jeune fille.

Amara, fiévreuse, regardait l'homme en tremblant, il s'approcha d'elle et referma la porte, la jeune fille ne voyait pas bien mais il avait quelque chose dans les mains.

 

Un grattement se fit entendre à la porte, l'homme se retourna et l'ouvrit.

Amara se retint de crier quand la créature entra. Comme lors de sa rencontre avec l'Abraknyde, elle pensa que ces créatures n'existaient que dans les contes pour enfant.

La créature s'approcha d'Amara. La jeune fille effrayée recula jusqu'à se retrouver dos au mur. L'homme posa la main sur la tête de la créature qui arrêta de bouger. Amara la regarda fixement, l'animal avait une couleur rouge vif et était couvert d'écailles. Il s'agissait d'un dragonnet, dragon connu par sa petite taille même à l'age adulte. Le dragonnet arrivait à la taille de celui qui semblait être son maître. Il possédait d'énormes pattes griffues et de petites ailes qui semblaient ridicules par rapport à son corps massif et à  sa grosse tête. Une épaisse vapeur sortait de ses naseaux quand il soufflait, il semblait jeune et vif.

 

Amara, perdue, jeta un regard au démon. Il lâcha l’animal qui se jeta sur elle. Elle hurla et ferma fort les yeux. Mais l’animal se contenta de renifler la jeune fille, la parcourant de son museau chaud, lui soufflant son haleine tiède sur le visage.

La jeune fille rouvrit les yeux lentement, étonnée de ne ressentir aucune douleur, et tenta de se faire toute petite.

Le démon eut l’air amusé lorsque le dragonnet revint vers lui. Il s’approcha de la jeune fille encore tremblante et l’appela par son prénom :

- Amara ?

Elle leva les yeux, effrayée et tenta de reculer encore. Dans son esprit, une idée était profondément ancrée : L’un de ces démons avaient tué son ami, ils étaient dangereux.

Le démon n’insista pas. Il déposa quelque chose sur les genoux d’Amara avant de partir.

 

Une fois l’homme parti, elle s’intéressa à ce qu’il lui avait laissé. A nouveau, elle ne put réprimer un élan de gratitude envers le démon qui venait de la quitter en sentant le lourd et chaud tissu orangé de sa cape, pliée sur ses genoux. Elle se rappela avec douleur l’avoir laissée près de Misugi dans le caveau. Elle se demanda pourquoi un ou plusieurs de ces démons prenaient relativement soin d’elle après l’avoir ainsi enlevée et enfermée. Elle se sentait faible, elle déplia la lourde cape et la mis sur ses épaules. Déjà, elle aurait moins froid. Elle s’allongea lentement, sa tête recommençait à bourdonner, elle n’avait plus envie de réfléchir.

Une fois de plus, elle sombra dans un sommeil comateux où elle revoyait des images d’horreur des dernières nuits, gémissant dans son sommeil.

 

 

•••

 

Le jour finit de se lever lorsque les six compagnons quittèrent le village d’Amakna. Ils se dirigèrent vers les épaisses forêts qui bordaient le village. Keazou marchait aux cotés de Loulou, à la tête du groupe ; Un rang s’était formé naturellement entre les compagnons. Derrière Keazou et Loulou se trouvaient DrouVirus et Globox. Beothien et Djahil discutaient à voix basse derrière eux et les animaux fermaient la marche.

Loulou semblait marcher machinalement, à demi réveillée. Mais elle avait l’air d’aller mieux que la veille, ce qui suffit à réjouir Keazou.

 

A l’entrée de la forêt, le jeune homme les fit s’arrêter d’un signe de la main.

- Nous devons faire attention, je ne sais pas si le mal est arrivé jusqu’ici, la forêt est peut-être infestée de monstres et autres créatures sauvages. Nous ferions mieux de nous regrouper au mieux afin de nous préparer à toute éventualité. Je partirai devant avec DrouVirus et Djahil, derrière moi, Beothien et Loulou. Globox fermera la marche, prête à envoyer ses animaux au combat. Si nous sommes attaqués, Beothien et Djahil nous protègerons immédiatement avec leurs boucliers, les fées soigneront les blessés tout au long du combat. Si les ennemis sont nombreux, Beothien et Djahil ont leurs bâtons. En cas de besoin, Globox pourra intervenir en même temps que ses animaux. Est-ce que ce système convient à tout le monde ?

Tous acquiescèrent et se tinrent à la place qui leur avait été désignée.

- Bien. Avançons prudemment même si cela nous demandera plus de temps pour atteindre notre but. 

 

Le groupe pénétra dans la forêt et suivirent un petit sentier. Chacun était sur ses gardes, ils ne parlaient guère. Une majeure partie de la matinée se passa sans incidents et les six compagnons s’arrêtèrent pour déjeuner dans une ambiance plus détendue. Keazou proposa une halte aux alentours de midi, dans une clairière bordée d’arbres. Ils s’assirent sur des souches ou sur de grosses pierres et commencèrent à manger en silence. Keazou ne connaissait aucun de ses compagnons mis à part Loulou. Il porta son regard sur elle, assise au pied d’un arbre, elle le regardait. Il alla s’asseoir à côté d’elle.

- Comment tu te sens ?

Elle continua de le regarder sans un mot. Il réalisa qu’elle ne lui avait pas parlé depuis l’annonce de la mort de Misugi. Elle semblait constamment plongée dans ses pensées.

- Ca va… Combien de temps reste-t-il avant d’arriver à Sufokia ?

- Nous y arriverons un peu avant la tombée de la nuit si tout se passe bien.

- Quand arriverons-nous à destination ?

- Dans quatre à cinq jours, toujours si tout se passe bien.

- Où est Amara ?

- A bord d’un bateau de démons, à l’est d’Amakna.

Elle sembla pensive une fois de plus.

- Mange Loulou.

- Non merci, je n’ai pas faim.

Il s’agenouilla devant elle et lui prit les mains.

- S’il te plait, mange un petit peu.

Il lui déposa un baiser sur la joue et s’éloigna.

 

Globox était appuyée contre un gros orme, DrouVirus assis sur une de ses branches basses. Keazou se dirigea vers eux. Le Craqueleur, immobile, ressemblait à s’y méprendre à un gros tas de pierre. Le jeune homme eut un mouvement de recul en le voyant bouger. Le bouftou de Globox semblait épuisé, il était couché plus loin, sur le chemin. Le sanglier de Misugi allaitait ses deux petits, celui de Globox reniflait les buissons, tout autour, Djahil et Beothien s’étaient rapprochés et tous étaient assemblés. Loulou restait toujours en retrait, elle regardait le bouftou endormi. Keazou demanda :

- Tout le monde va bien ?

Ses camarades hochèrent la tête.
- Nous allons nous reposer un moment avant de repartir, nous sommes presque à mi-chemin du port.

- Où va-t-on au juste ? Demanda DrouVirus en descendant de la branche sur laquelle il était perché.

- Au berceau des Chevaliers de la Terre.

- Il est loin d’ici ?

Maintenant, tous étaient à l’écoute de Keazou. Même Loulou s’était rapprochée et écoutait.

- Quand nous arriverons à Sufokia, nous ferons une halte jusqu’à demain matin. Ensuite nous traverserons la côte d’Asse, nous passerons la nuit en bord de Mer. Nous traverserons ensuite les champs et ferons une halte d’une demi-journée au village des Tofus Perdus afin de nous ressourcer pour la plus grosse partie de notre expédition : Nous partirons dès l’aube pour traverser le haut de la Presqu’île des Dragœufs. Selon l’heure où nous arriverons au camp Bwork, nous le traverserons ou camperons avant d’y pénétrer. Il nous faudra donc entre trois et quatre jours pour atteindre les Chevaliers. Toujours si notre traversée se passe bien. Cette durée peut varier si nous avons à nous battre, auquel cas nous devrons nous arrêter plus longtemps et plus souvent. Si nous sommes attaqués par les dragœufs nous devrons probablement marcher de nuit, je ne tiens pas à être surpris par un dragoeuf dans mon sommeil si nous campons sur leur territoire.

- Mais… n’y a-t-il pas une route plus sûre et plus directe pour aller au camp Bwork ? Si nous allions directement du port jusqu’au camp ?

- Oui c’est vrai, mais tu oublies le labyrinthe… Les démons ne doivent surtout pas savoir ce qui se prépare, or beaucoup d’entre eux rodent autour du labyrinthe, nous devrons faire un grand détour pour le contourner sans passer devant l’entrée. De même pour les cimetières. C’est pour plus de sûreté que nous faisons ce détour.

Il leur fit signe de se lever et demanda :

- Vous êtes prêts à repartir ?

Ils acquiescèrent et reprirent la marche. Globox prit la parole.

- Ce sera plus prudent mais plus long. N’est-il pas urgent de secourir Amara ?

- Nous avons la certitude qu’Amara est en sécurité. Il est bien sûr important de la secourir au plus vite, mais il ne faut prendre aucun risque si nous voulons réussir à reprendre Amara aux démons.

- Comment va-t-on la retrouver ? Questionna Beothien alors qu’ils continuaient à avancer dans la forêt.

- Je ne sais pas, les prêtres de l’Oiseau des Flammes essayent sûrement de localiser le bateau.

- Des espions de l’ordre du serpent des airs ont été envoyés sur la trajectoire du bateau, il y en a à terre le long des côtes, d’autres sur des bateaux marchands, d’autres encore sur les îles aux alentours d’Amakna.

 

Keazou se retourna, c’était Loulou qui avait parlé.

- Voilà, donc en arrivant au berceau, nous devrions être informés de l’endroit précis où se trouve le bateau. Une équipe sera envoyée avec des instructions précises pour sauver Amara.

- Tu connais Amara ?

- Je l’ai déjà vue, c’est elle qui m’a trouvée avec Loulou, mais je ne la connais pas personnellement. Et vous ?

- C’était la petite amie de Misugi… j’ai déjà discuté avec elle, elle a l’air sympa. Ca fait pas longtemps qu’elle est arrivée au berceau, répondit DrouVirus.

- J’ai remarqué qu’elle avait des animaux, elle pourrait essayer de les dresser. J’aimerai bien discuter avec elle, ajouta Globox.

- Moi, je l’ai déjà vue, elle est jeune mais elle est très jolie, dit Beothien, plaisantant à moitié.

- Très jolie c’est vrai, commenta Djahil. Elle avait une mignonne petite robe bleue quand elle est sortie l’autre jour.

Cette remarque provoqua quelques sourires.

- Et toi Loulou ? Lui demanda Djahil.

- Misugi était mon meilleur ami. Amara est une bonne copine, elle est dans la même chambre que moi au berceau. Nous restions souvent ensemble depuis qu’elle est arrivée.

 

Ils continuèrent ainsi à discuter tout en marchant d’un bon pas sur le sentier.

- Attendez, la forêt devint plus dense ici, on va devoir se serrer. Essayez quand même de plus où moins conserver votre position. Nous sommes facilement repérables. Soyez vigilants, nous ferons une pause en sortant de la forêt.

Le sentier se finissant, le groupe s’engouffra au cœur de la forêt. Keazou sortit son épée, coupant les branches encombrantes. DrouVirus parti devant lui, dégageait les ronces gênantes avec son petit couteau de chasse, se faufilant sous les grosses branches avant que Keazou ne les coupe, rendant ainsi leur progression plus aisée.

 

DrouVirus s’arrêta d’un coup.

- Attention.

Keazou repassa devant, ils étaient arrivés dans une grande clairière. Devant eux s’avançaient cinq Abraknydes, grands et menaçants. Ils balançaient les énormes branches qui leur servaient de bras au dessus de leur corps, un gigantesque tronc creux, parsemé de petites branches feuillues. De grosses araignées rampaient aux côtés des arbres, apparaissant sous une racine où une autre. Ces araignées maléfiques, énormes, bâtissaient leurs nids au creux du tronc des Abraknydes, tissant leurs toiles entre leurs branches, et à l’intérieur des arbres.

Le groupe s’avança dans la clairière. Les Abraknydes se dirigèrent vers les jeunes gens, balançant leurs branches de manière ridicule. Un Abraknyde, malgré sa force, n’était pas particulièrement malin.

 

Immédiatement, Beothien et Djahil créèrent de puissants boucliers. Vinrent ensuite les sortilèges des fées qui donnaient force et courage aux combattants.

Keazou courut vers un Abraknyde, fit tournoyer son épée et l’abattit sur la créature qui devint folle, tentant d’agripper le jeune homme de ses branches grossières. Keazou frappa encore, l’Abraknyde ne fut bientôt réduit qu’à un petit tas de bois.

Les fées soignaient les combattants tour à tour par des sorts simples mais efficaces.

Beothien créa un bouclier enflammé qu’il dirigea vers le sol, devant les deux arbres qui allaient abattre leurs branches sur le crâne de Loulou et le poussa sur le bouclier de Beothien d’un coup de bâton. L’arbre s’enflamma immédiatement et il n’en resta rapidement plus qu’un tas de cendres chaudes.

Globox qui était restée derrière, envoya son Craqueleur se battre contre un Abraknyde particulièrement gros. Le Craqueleur, de ses énormes bras de pierre, broyait littéralement le bois mince qui composait le corps de la créature. Les deux sangliers tournaient autour des deux Abraknydes suivants, les repoussant sur le bouclier, de leurs puissantes défenses.

Beothien et Djahil maintenaient le feu sur le bouclier. Bientôt, apparurent deux autres tas de cendres fumantes.

 

Des sourires naquirent sur les lèvres des combattants essoufflés. Le combat avait été rapide et relativement facile, une parfaite coordination avait été présente tout au long du combat et au final, l’attaque les avait diverti.

Ils reprirent leur marche en direction de la mer. Ils s’arrêtèrent en milieu d’après-midi au bord d’un grand étang. L’eau avait une couleur douteuse et personne ne voulut trop s’approcher du bord. On distinguait sous la surface des silhouettes de gros poissons, filant sous les nénuphars et autres plantes aquatiques de couleur verdâtre. L’endroit n’avait rien d’accueillant mais les arbres bordant le sentier leur procurait une ombre agréable, il faisait encore chaud et tous furent heureux de se reposer un moment.

 

• CHAPITRE 14 : ShadowTony

 

Pendant ce temps, seule au fond de sa prison, Amara aurait donné cher pour voir à nouveau la lumière du soleil. Physiquement, elle se sentait mieux. Elle avait beaucoup dormi, et ces dernières heures au chaud, enroulée dans sa cape lui avaient été bénéfiques ; elle ne tremblait plus. Ses maux de tête persistaient néanmoins, et elle était complètement perdue. Elle avait du mal à remettre de l’ordre dans ses idées afin de pouvoir penser clairement.

 

Elle était réveillée, adossée à la paroi de la cabine, sa cape sur les épaules, écoutant les bruits autour d’elle. Le bateau tout entier grinçait, les vagues faisaient du bruit en s’écrasant sur la coque.

Amara entendait parfois des voix et bruits de pas de l’autre côté de la porte. Elle se demanda depuis combien de temps elle était là : dans ses longues périodes de sommeil, la jeune fille avait perdu toute notion du temps qui passait. Elle estima avoir passé quelques jours dans cette pièce : elle distinguait le jour où elle était arrivée, le jour où on lui avait apporté de l’eau, et le jour où elle avait retrouvé sa cape, mais n’avait pas la certitude que tout cela ne s’était pas passé en un seul jour.

En pensant à l’eau que le démon lui avait apportée, elle s’aperçut qu’elle avait soif. Elle regarda en direction du pain qui était resté dans le coin de la pièce ; son estomac lui réclamait de la nourriture, mais elle se sentait incapable de manger quoi que ce soit.

Elle ressentit au même moment une violente envie d’aller aux toilettes. Elle savait d’expérience qu’elle pourrait se retenir encore au prix de fortes douleurs au bas-ventre.

La jeune fille se leva, lentement. La tête lui tournait encore. Elle fit quelques pas maladroits et se retint au mur de bois, froid et humide. Elle avança vers la porte en titubant, la douleur recommençait à cogner dans sa tête.

Amara n’avait pas particulièrement peur, jusqu’à maintenant, elle avait eu à boire et à manger, on lui avait même rendu sa cape. Visiblement, on ne cherchait pas à lui faire du mal. Elle fit quelques pas de plus vers la porte et s’arrêta. Elle s’adossa au mur afin de se stabiliser et de chasser les vertiges qui l’assaillaient.

Au bout de quelques minutes, elle quitta la paroi de bois et s’assura qu’elle pouvait marcher, presque normalement. Elle s’approcha de la porte et tourna délicatement la poignée. A sa plus grande surprise, la porte s’ouvrit en grinçant. Amara attendit que la porte s’ouvre totalement et avança. Devant elle, il y avait des empilements de caisses et sacs de toile. Il régnait la même obscurité que dans la petite pièce où elle se trouvait. L’obscurité n’était troublée que par quelques raies de lumière qui venaient du « plafond ».

 

Amara avança lentement. Elle perçut un mouvement à sa gauche et se retourna en sursautant.

Dans l’ombre, elle n’avait pas vu l’homme à demi masqué par la porte.

- Alors, tu veux sortir ma belle ?

Amara ne répondit rien à la question. L’homme s’avança vers elle, elle recula d’un pas et l’observa.

L’homme était massif, ses énormes bras dépassaient d’une veste de marin sale et déchirée. Ses cheveux emmêlés, autant que sa barbe, semblaient n’avoir jamais été lavés. Son pantalon, trop court, était déchiré lui aussi et la fermeture éclair, au dessous de sa ceinture débouclée était ouverte.

 

Amara fut heureuse qu’il fasse noir car l’obscurité cachait la grimace de dégoût qui devait s’afficher sur son visage. Les odeurs qui se dégageaient de l’homme, mêlées à celles de l’alcool, étaient insoutenables.

Il lui tandis sa bouteille – sûrement du rhum. –

- T’as soif ma jolie ? Viens par là.

Amara recula encore.

- Allez viens, tu m’aimes pas ? Moi je t’aime, viens avec moi !

Il arriva à sa hauteur et lui agrippa fermement le bras. Elle gémit de douleur.

- T’aimes pas avoir mal ma belle ? Viens je te ferais pas mal, viens voir je te fais visiter ma chambre.

Amara tenta de se dégager mais il lui serra plus fort le bras, elle gémit a nouveau. Il l’attira vers lui.

- Dis, t’as perdu ta langue ? Allez montre la moi !

Il approcha son gros doigt sale de la bouche de la jeune fille…

- LACHE LA !

Le gros homme lâcha Amara qui recula vivement jusqu’à la porte de sa chambre, soucieuse de mettre le plus de distance possible entre ce monstre et elle. Il se retourna en grondant.

- C’est bon quoi, on peut même plus s’amuser sur son propre bateau !

- Tu ne dois pas abîmer la marchandise, le maître ne serait pas content. Et puis tu n’as pas vu ce qu’elle a fait au cimetière. Tu devrais la laisser tranquille.

Amara n’écoutait pas ce qu’ils disaient, elle se remettait peu à peu de sa peur. Elle se retourna et regarda l’homme qui parlait. Il était grand et totalement habillé de noir. Une grande cape descendait élégamment le long de son dos, touchant presque le sol. Amara ne distinguait pas son visage recouvert par la même capuche noire que celle des autres démons.

- Si tu l’embêtes, okay mais c’est à tes risques et périls. Mais je t’interdis de la toucher. Tu auras autant de jouets que tu veux quand le maître aura le sien.

Mais le gros homme était parti.

Amara regarda l’homme qui lui était venu en aide, elle ne l’avait jamais vu. Lui aussi était grand et mince, son teint pâle était accentué par ses longs vêtements noirs. Elle resta immobile, impressionnée par le démon qui se tenait dans l’encadrement d’une porte. Il se retourna et donna un ordre d’une voix froide avant d’entrer dans la pièce derrière lui, sans un regard à Amara.

 

Un autre démon apparut à sa place. La jeune fille ressentit un peu de soulagement en reconnaissant l’homme qui lui avait rendu sa cape. Mais elle chassa vite ce sentiment, c’était un démon.

- Retourne dans la cabine, et ne te frotte pas trop à cet alcoolique de capitaine, il aimerait trop ça…

Amara ne se fit pas prier et rentra dans sa « chambre », le démon sur ses talons. Elle s’approcha de la paroi de la cabine et s’y adossa. Le démon entra derrière elle et referma la porte.

- Tu as l’air d’aller mieux.

Elle le dévisagea. Comme l’autre démon, sa peau était très claire. Il avait les yeux de couleur marron clair, un peu comme ceux d’Amara. Son visage était à demi caché par l’ombre d’un capuchon de tissus noir, épais. Ses vêtements aussi étaient noirs, une longue cape, sur ses épaules, était assemblée avec une pièce de tissus par de petites attaches d’argent, formant une grande et élégante tunique noire.

- Eh bien ? Tu ne veux pas me parler ? Qu’est-ce que tu faisais dehors si tu ne veux pas parler ?

Il s’approcha un peu d’elle. Elle resta sur ses gardes mais ne bougea pas. Elle rougit légèrement.

- Je voulais aller…

La jeune fille se rendit compte que c’étaient les premiers mots qu’elle prononçait depuis son enlèvement. Les derniers mots qu’elle avait prononcés avaient été adressés à Misugi, dans le sombre caveau.

Plongée dans ses pensées, elle revint à la réalité en entendant la voix du démon qui avait dû remarquer son trouble.

- Ca va Amara ?

- Oui, je…

- Où voulais-tu aller ?

- Je… cherchais les toilettes, marmonna-t-elle en rougissant de plus belle.

- Oh… c’est vrai, je n’ai pas pensé à ça. Excuse-moi.

Amara ouvrit la bouche, surprise, mais ne sut que dire. Le démon venait de s’excuser de ne pas assez avoir pris soin d’elle ! Elle réfléchit, cherchant s’il pouvait y avoir un piège dans ses excuses. Elle regarda le démon d’un air incompréhensif qu’il fit mine de ne pas remarquer.

- Je vais t’y amener, viens.

 

Amara, réticente, finit quand même par le suivre dans l’autre salle. Elle se sentait bizarrement mieux. Elle arrivait à marcher normalement et seule une légère douleur persistait dans sa tête. Le démon, devant elle contourna les entassements de caisses et sacs de toiles. Un petit escalier de bois abrupt et étroit menait à une trappe. Le démon monta et l’ouvrit.

Amara, éblouie, ferma les yeux et recula hors du carré de lumière. Cela faisait plusieurs jours qu’elle n’avait vu aucune lumière. Sa tête recommença à lui faire ma. Elle se frotta les yeux et s’obligea à regarder une nouvelle fois la lumière du jour. Le soleil semblait être juste au dessus de la trappe ; il ne devait pas être loin de midi. Le démon sortit. Amara commença à gravir les marches de l’escalier grinçant et sortit sur le pont du bateau. Le vent soufflait fort, faisant claquer les lourdes voiles. Le soleil n’était pas aussi haut qu’elle l’avait pensé et elle jugea que l’après-midi était déjà bien entamée. Une fois que ses yeux se furent habitués à la vive lumière, elle regarda autour d’elle. En faisant un tour sur elle-même et en regardant aussi loin que ses yeux le lui permettaient, la jeune fille ne voyait que de l’eau. Le vent créait d’énormes vagues qui venaient s’écraser sur la coque du bateau.
Aucune terre en vue, aucune île à proximité.

Sur le bateau, Amara se trouvait juste devant le mât, où étaient accrochées les grandes voiles.

Derrière le mât, elle apercevait le pont supérieur ou menait une échelle de bois adossée à la cabine principale du bateau. Elle se retourna, elle vouait à présent l’avant du bateau, une sculpture de bois semblait avoir été ajoutée après la construction du bateau, elle représentait l’image symbolique du démon, avec de petites cornes, une queue fourchue  et de grandes ailes pointues.

Des démons étaient assemblés à l’avant du bateau, il y en avait sept qui s’étaient levés et regardaient la jeune fille et celui qui l’accompagnait.
Celui-ci toucha l’épaule d’Amara et la poussa doucement devant lui, vers la cabine, à l’arrière du bateau.

Amara jeta un coup d’œil derrière elle, les démons les fixaient toujours d’un air malveillant. Ils étaient tous vêtus de la même manière ; leurs longues capes noires battaient leurs jambes avec de petits claquements secs. Ils n’avaient pas l’air ravis d’être là, et encore moins de voir leur prisonnière sur le point.

Il faisait froid, la jeune fille frissonna. Elle n’avait pas emporté sa cape. Ses jambes sortaient de l’engourdissement causé par les longs jours passés sans marcher. Elle sentait le vent glacé à travers ses vêtements d’été. Le vent s’engouffrait dans sa robe courte dont le fin tissu bleu était un peu déchiré, la faisant trembler de la tête aux pieds.

Le démon repassa devant la jeune fille et ouvrit la porte de la cabine. Amara entra à sa suite.

 

L’intérieur était beaucoup plus spacieux que le reste du bateau, il semblait aussi plus grand que ce qu’on voyait de l’extérieur.

Amara se trouvait dans un couloir, sur les murs, des lanternes l’éclairaient.
Le démon ouvrit une petite porte à droite. Ils entrèrent.

La pièce ressemblait à une grande cuisine désordonnée.

- Je te laisse ici, tu trouveras de l’eau qui chauffe dans le chaudron là-bas.

Il montra le fond de la petite pièce.
Amara aperçut un chaudron où l’on voyait de l’eau bouillonnante, un grosse louche était accrochée au mur au dessus d’un tonneau et des récipients en bois tels que celui dans lequel on lui avait donné à boire étaient entassés sur une étagère de bois.

Amara se retourna pour remercier le démon mais celui-ci était déjà parti. La jeune fille repoussa la porte pour la refermer.
Elle regarda autour d’elle mais ne vis pas de toilettes, c’était pourtant bien ce qu’elle avait demandé…

Elle avança vers le centre de la pièce. Amara fut surprise de voir que ce qu’elle avait pris pour une autre paroi de bois, à sa gauche, était une rangée de quatre petites portes.
Quand elle s’approcha, rien qu’à l’odeur, elle sut qu’elle avait trouvé ce qu’elle cherchait.

Elle pensa que le bateau était vraiment bien aménagé pour un bateau de démons.

Elle s’approcha en fronçant le nez, l’odeur était difficile à supporter.
La jeune fille ouvrit les quatre portes, s’attendant à voir des lieux sales et dégoûtants. Au lieu de ça, elle aperçut derrière chacune d’elles une sorte de siège de bois percé d’un trou au milieu. On entendant des gargouillements d’eau à l’intérieur et Amara soupçonna les trous d’être reliés à des conduits menant directement à la mer. La forte odeur provenait probablement du fait qu’il ne semblait pas y avoir de système de chasse d’eau. Elle entra en retenant sa respiration et en essayant d’ignorer le dégoût que lui inspiraient les odeurs des lieux. Elle se dépêcha de faire ce qu’elle avait à faire et sortit précipitamment

Arrivée loin des petites portes de bois et des cuvettes malodorantes, elle inspira profondément.
La jeune fille ne supportait pas de laisser derrière elle un endroit encore plus sale que ce qu’il n’était avant son entrée, question d’éducation. Elle retourna près du chaudron. Avec la louche, elle remplit une bassine d’eau bouillante et retourna près des « toilettes » qu’elle venait d’utiliser. Elle vida l’eau bouillante dans la cuvette.

« Au moins, pensa-t-elle, ce sera relativement propre la prochaine fois que je viendrai. »

Amara se sentait mieux. Elle avait moins peur, quelqu’un parmi les démons semblait veiller à ce qu’il ne lui arrive rien de mal. La jeune fille ne lui faisait pas totalement confiance – c’était un démon –  mais au moins, elle avait eu à boire, une couverture et il l’avait conduite là où elle le demandait. Elle resterait méfiante avec tous les démons, mais aurait sûrement plus tendance à se tourner vers celui-ci en cas de besoin…

La jeune fille restait là, pensive, au milieu de la pièce. Elle fut tirée de ses pensées par un crépitement bruyant du feu sous le chaudron.

Elle se dirigea dans cette direction et remplit à nouveau une bassine d’eau chaude.

Elle dut attendre quelques minutes que l’eau refroidisse avant de pouvoir tremper ses mains dans la bassine.

 

Amara releva un peu sa jupe et finit de nettoyer ses jambes et ses bras. Elle remarqua un hématome sur sa cuisse gauche, au dessus du genou, il était douloureux lorsqu’elle le touchait. Elle alla vider sa bassine dans les toilettes et la remplit à nouveau avec de l’eau bouillante. Au bout de quelques minutes, elle plongea ses mains dans l’eau et les porta à son visage.

L’eau chaude lui fit du bien, elle frotta ses yeux gonflés et rougis par les larmes versées dernièrement. La chaleur de l’eau la soulagea et elle répéta son geste à plusieurs reprises, penchée au dessus de la bassine d’eau posée sur un gros tonneau, sa jupe retroussée jusqu’au dessus de ses cuisses.

Elle s’efforçait de penser le moins possible à Misugi et à tout ce qui s’était passé jusque là. Elle s’interrogeait néanmoins sur la destination du bateau et sur ce qu’elle allait devenir.
Tout en continuant à porter l’eau chaude à son visage, Amara se mit à penser à ses amis et au berceau.
Elle se demanda q’ils viendraient la chercher.

 

 

○○○

 

 

Pendant ce temps, dans une pièce toute proche, à bord du bateau, un groupe de 6 démons étaient assis autour d’une table. Celui qui semblait être leur chef était debout devant eux et parlait avec animation.

- Pourquoi elle est en pleine forme la fille ? Après toute l'énergie qu'elle a employé pour réduire en cendres l'un des nôtres... elle n'a pas mangé ni bu, elle dort dans le froid. ShadowTony toi qui semble prendre cette affaire très à coeur, tu peux m'expliquer ça ?

- Ca m'étonnerait que le grand maître ait besoin d'une gamine à moitié morte et sans aucuns pouvoirs. Il vous punirait probablement s'il connaissait votre comportement vis-à-vis de l'enfant, répondit froidement ShadowTony.

Le chef des démons resta silencieux. Son visage, impassible, ne reflétait aucunes de ses émotions. Un long moment de silence, lourd et pesant s’installa. Ils attendaient tous que le chef parle, les yeux baissés vers la table.

Quelques minutes passèrent avant que le chef ne reprenne la parole. Tous les démons eurent un bref sursaut. La voix du chef était froide et trahissant l’humeur de l’homme qui semblait frustré.

- Bon, si tu tiens tellement à ce qu'elle soit en pleine forme, tu seras le seul à l'approcher. Tu n'étais pas là au cimetière quand elle s'est attaqué et a tué l'un de nous...

 

Un autre démon se leva, il était de ceux que l'on appelait Sadida. Les Sadidas étaient des hommes et femmes normaux, mis à part une épaisse fourrure de diverses couleurs qui recouvrait l'intégralité de leur corps. On racontait que ce peuple vivait, il y a fort longtemps, dans les montagnes froides et enneigées du grand Nord. Dans les temps ancien, ils avaient tellement prié les dieux de leur offrir un peu de chaleur, que celui-ci les avait couverts de cette chaude et soyeuse fourrure.

Bien sûr, tout cela n'était qu'une légende que l'on aimait croire et raconter, mais personne ne savait réellement ce qui leur était arrivé. A l'heure actuelle, les Sadidas peuplent le monde au même titre que les autres êtres humains ou bien les fées.

La fourrure et ses couleurs étaient héréditaires.

 

Aussi, celui qui se levait était de trois couleurs aux variances sombres : le bleu, le vert et le rouge.

- Vous n'étiez pas non plus au cimetière. Il a tué le petit ami de l'enfant, celle-ci n'a fait que le venger.

- Oui c'est vrai, mais tu l'as vue toi, Lay. Tu sais que cette fille est dangereuse. Mais ce problème ne m'intéresse pas, tu n'auras qu'à t'occuper d'elle toi aussi ça m'est égal. En tout cas moi, je ne m'y risque pas.

- Vous...

- Non ShadowTony je ne suis pas un lâche ! Tu n'as même pas idée des missions que le maître m'a confiées. Si je mourrais, les plans du maître seraient à jamais brisés.

- Bien

Le dénommé ShadowTony se leva et sortit, claquant la porte derrière lui. Il détestait cet homme ainsi que la façon dont il parlait.

 

Il se dirigea vers la "salle de bain" et ouvrit la porte sans faire attention, il se sentait en colère et ne pensait pas à la jeune fille qui se trouvait dans la pièce.

Il ouvrit la porte brutalement et resta littéralement cloué sur place. La colère s'enfuit d'un coup quand il aperçut Amara. Elle n'avait pas bougé, elle était appuyée sur le tonneau de ses deux bras, sa jupe relevée dévoilait une fine tache de naissance à l'arrière de sa cuisse gauche. La jeune fille l'ignora, elle pleurait doucement.

ShadowTony la regarda, elle était jolie. Il la trouvait même très jolie.

Il l'observa pensivement avant de baisser les yeux, légèrement honteux. "Non, pas elle... Je ne dois même pas la regarder, pensa-t-il. Je dois veiller sur elle..."

Il était très troublé et appela doucement :

- Amara ?

Elle se retourna et le fixa. Son visage était pâle. Elle essuya les larmes sur ses joues.

- Amara ? Répéta-t-il.

Elle baissa les yeux et s’approcha de lui.

- Tu sauras retrouver « ta cabine » ?

 Elle acquiesça d’un signe de tête silencieux.

- Retournes-y, essaye de rester loin des autres démons et du capitaine.

Amara eût une grimace en pensant au capitaine et leva les yeux vers le démon.

- Je te rejoints tout de suite, dit-il doucement.

 

• CHAPITRE 15 : Fraternité

 

La jeune fille attendit que ShadowTony soit parti pour sortir de la pièce. Elle retourna jusqu’à la petite cabine, les démons l’ignoraient. Seul le gros pirate poussa un grognement à son passage ; elle se hâta de regagner sa cabine, récupéra la cape qu’elle avait laissé sur le matelas et l’accrocha autour de ses épaules. Elle resta debout appuyée contre le mur du fond. Elle ne savait toujours pas quoi penser de ce démon, d’instinct elle s’était fiée à lui. Elle espérait qu’il lui apporterait quelques explications.

Peu de temps après, elle leva les yeux sur la porte qui s’ouvrit. Le démon entra et la porte se referma sur lui. Il avait dans ses mains une sorte de grand bol en bois et une longue bougie de cire blanche.

L’homme regarda autour de lui.

- Ca manque un peu de table et de chaises ici. Mais bon, ça ira. Assied-toi Amara.

Il s’approcha d’elle et fixa la bougie allumée au sol, tout près d’eux.
Amara s’exécuta et s’installa sur le matelas.

 

A nouveau, malgré sa robe déchirée, ShadowTony trouva la prisonnière très belle et en ressentit une sorte de fierté.

Il fut tiré de ses pensées par Amara qui dit :

- Vous connaissez mon prénom…

- Je vais t’expliquer tout ça. Pour l’instant tu dois avoir faim, non ?

Il lui tendit le bol. Il contenait une épaisse soupe de légumes. Une grossière cuillère en bois dépassait du bol.

La jeune fille s’aperçut avec étonnement qu’elle avait réellement faim. L’odeur de la soupe avait réveillé son appétit. Une foule de questions se bousculaient dans sa tête.

- Merci… pourquoi est-ce que…

- Je vais tout t’expliquer, répéta-t-il. Mange.

Il montra le matelas d’un signe de tête.

- Je peux m’asseoir ?

La jeune fille se poussa sur le côté afin de lui laisser de la place. Il s’assit à côté d’elle.

- Merci.

Elle commença à manger. La soupe chaude apaisait son estomac affamé.

- Bon - Je vais te révéler des choses que nous devrons être les seuls à savoir, c'est très important.

Amara hocha la tête. Soupçonnant toujours un piège, elle avait décidé de lui en dire le moins possible.

- Tout d'abord, je ne suis pas un démon.

Il se releva.

- Attends.

Il sortit et longea la grande salle où il vérifia s’il n’y avait personne qui pouvait les espionner.

Il revint dans la cabine et ferma soigneusement la porte, il répéta :

- C’est très important.

 

- Qu'est-ce qui peut vous différencier d'un démon ?

- Les démons sont… comme es monstres, mais au niveau humain. Ils ont été soumis aux forces démoniaques et ont perdu toute humanité. Leur âme en quelque sorte. Tu connais la prophétie il me semble ?

- Oui.

- Eh bien, à partir de maintenant, la plupart des démons que tu croiseras ont été ensorcelés par le maître du mal lui-même. Non seulement ils ont perdu le statut de l’être humain tout en gardant leur intelligence, mais ils ont été dotés d’une grande cruauté et d’une immense détermination à accomplir les « missions » que le maître leur donne. Pour l’instant leur mission est de te ramener à leur maître.

 

- Mais si vous n'êtes pas un démon... Que faites vous à bord de ce bateau ? demanda Amara qui ne comprenait pas vraiment ce que l'homme lui disait.

Il réfléchit.

- Tu n'es pas obligée de croire ce que je vais te dire, mais j'aimerai que tu le saches. La prophétie parle d'un enfant qui serait recherché par son père, n’est-ce pas ? Il se trouve que cet homme est mon père. Et que, de ce fait, étant trop âgé pour être celui dont parle la prophétie, l’enfant serait mon petit frère. Et plus précisément ici, ma petite sœur.

- Et... cette petite sœur, c’est moi…

- Oui, donc tu comprendras au moins pourquoi je me suis un peu occupé de toi quand tu es arrivée ici.

Amara avait du mal à croire ce qu'il venait de lui dire. Mais elle avait encore de nombreuses questions à poser et ne pouvait plus retenir sa curiosité.

 

- Pourquoi êtes-vous avec les démons ?

- Tu as vu comment ils te traitaient ? Quand mon…

Il se reprit avec un sourire :

- Quand notre père a envoyé ses hommes chercher l’enfant – toi – je lui ai fait la fausse promesse de te ramener coûte que coûte. Aucun des démons ne sait que je ne suis pas de leur côté. J’ai pu prévenir du monde sur le continent – le tofu n’est peut-être pas très malin, mais il a une très bonne mémoire. Et un tofu adulte vole très bien – ce qui m’a permis de leur donner de nombreux renseignements. Je n’ai pas eu de réponse, mais je suis certain qu’ils ont eu mon message.

 

- Qui est notre père ?

- Malheureusement, c’est un des plus cruels démons qui existe… c’est parce qu’il a été ensorcelé il y a très longtemps, peu de temps après ta naissance. Je ne sais pas si le sort ne sera pas irréversible pour lui.

 

- Est-ce que vous savez quelque chose sur le jour où l’on m’a retrouvée près de la fontaine ?

- D’après ce qu’on raconte, le démon qui t’a amenée là avait des pouvoirs si puissants qu’il a réussi à se libérer de l’emprise du mal et à s’enfuir. C’est tout ce que je sais.

 

Amara ne pouvait plus s’empêcher de parler, elle avait l’impression d’avoir de plus en plus de questions qui affluaient à son esprit.

- Vous connaissez mon prénom… quel est le votre ?

- Oh, bien sûr.

Il se leva et fit face à la jeune fille.

Il était couvert d’une fine tunique noire reliée sur les cotés par des attaches d’argent. Une capuche masquait ses cheveux et une grande partie de son visage. Il retira la capuche, dévoilant des cheveux d’un vert très clair et un visage pâle, fin.

Il desserra ensuite les fines attaches d’argent sur els côtés de la tunique noire et la fit passer au dessus de sa tête.

Amara fut surprise, le jeune homme portait des vêtements où se mêlaient l’orange foncé et le vert clair, de couleur semblable à celle de ses cheveux. Ses vêtements ressemblaient à ceux de Misugi, un simple short et un débardeur assorti.

Amara l'observa attentivement, il était indéniable qu'ils étaient de la même famille.

Les traits du jeune homme étaient semblables à ceux d'Amara, et ils devaient en plus de ça avoir, à quelques années près, le même âge.

 

Bien qu’Amara n’ait crû, à travers les vêtements noirs de démon, qu’elle avait à faire à un homme beaucoup plus âgé qu’elle, c’était un visage d’adolescent qui était apparu sous la lourde capuche.

- Je m’appelle ShadowTony.

- Tu n’as pas l’air beaucoup plus vieux que moi.

- Tu as eu quinze ans au début de l’été, je viens d’en avoir 16.

 

- Est-ce que tu peux me dire quelque chose sur notre mère ?

- Oui, on raconte beaucoup de choses sur elle. Quand j’allais avoir un an, elle n’avait déjà plus le droit de m’approcher. Notre père me gardait tout le temps auprès de lui. A ta naissance, il a essayé de t’enlever, en vain ? Notre mère t’a emmenée avec elle sur une île inconnue. Elle est revenue, disant que tu t’étais noyée dans la mer. Mais celui que les démons appellent « maître » savait que tu n’étais pas morte, il a envoyé des milliers d’hommes à ta recherche. Mon père qui s’était juré de te retrouver m’a emmené avec lui sur son bateau. Il a torturé notre mère pour savoir où tu étais, voyant qu’elle ne voulait rien dire, il l’a tuée. Il a ensuite parcouru terres et mers à ta recherche. Mais d’autres bateaux de démons te recherchaient, c’est comme ça que deux ans après ta disparition, notre père a entendu une histoire racontant qu’un démon avait sauvé un enfant et l’avait confié à un petit village. Il a continué à chercher cet enfant mais un puissant sortilège, où plutôt une protection avait été accordée a l’enfant et malgré tous les sorts de localisation que lançaient les démons, il était impossible de te retrouver. Du moins jusqu’au moment ou tu as utilisé la magie pour la première fois. Quant à moi, j’ai été élevé par des démons et parmi eux. J’écoutais dans les tavernes tout ce que l’on racontait sur l’enfant qui devait être mon frère.

Il sourit à cette phrase.

- Tout petit déjà, je m’intéressais à cette histoire et me suis promis de te retrouver un jour. Ayant été élevé par des démons, tous on cru que j’en étais un moi-même. Notre père est devenu Roi de Brakmar, la ville des démons, à l’aide du maître. Il attend que nous te ramenions à lui.

 

 

•••

 

Pendant qu’Amara discutait avec son frère nouvellement retrouvé, la troupe de Keazou était repartie du bord de ce petit étang où ils avaient fait une pause. Après un long après-midi de marche sur un petit sentier de campagne sans incident notable, le groupe marchait dans une plaine d’herbe sèche aux belles couleurs du chaud été qui avait débuté.

A l’horizon, il leur semblait voir la mer, à seulement quelques heures de marche. Le soleil déclinait peut à peu, créant un reflet doré sur l’herbe sèche de la plaine. Le spectacle était magnifique.

Les sept compagnons marchaient calmement, sans parler. La température était idéale pour voyager en ce début de soirée.

- Nous sommes dans les temps jusqu’à présent. Nous arriverons dans un petit peu plus de 2h30 à Sufokia où nous logerons à l’auberge du port jusqu’à demain matin. Le voyage de demain devrait être agréable, nous marcherons toute la journée en bord de mer. Il devrait faire beau et nous passerons la nuit à la belle étoile.

Ils continuèrent leur route ainsi à travers la plaine. Une forte brise maritime s’était levée au fur et à mesure qu’ils approchaient de la mer.

Ils marchaient un peu plus vite, pressés d’arriver, quand soudain DrouVirus montra un point au loin et s’exclama :

- C’est le port, nous sommes presque arrivés !

- En effet, répondit Keazou, nous devrions arriver dans une demi heure maximum.

Il marchait en tenant la main de Loulou. Celle-ci avait l’air totalement indifférente à tout ce qui l’entourait. Elle suivait la marche, s’arrêtait quand ils s’arrêtaient, repartait quand ils se remettaient en route.
Chacun respectait son silence tout en essayant de ne pas l’exclure des conversations.

Keazou comprenait que son amie ait besoin de temps. Elle était malheureuse. Mais il espérait que ce voyage lui changerait un peu les idées, l’aidant à mieux vivre la perte de Misugi.

Keazou aimait énormément Loulou et il voulait l’aider. Il l’emmènerait avec lui partout où il irait désormais, pensa-t-il, il ne voulait plus la laisser seule.

Guitou viendrait avec eux s’il le voulait, mais Keazou n’abandonnerait pas Loulou. Sans se l’avouer vraiment, Keazou savait que c’était surtout lui qui aurait besoin de son amie dans cette aventure.

 

• CHAPITRE 16 : Les frères Bouzouf

 

Il était toujours plongé dans ses pensées lorsqu’ils entrèrent sur le chemin de pavés qui menait au port. Des gardes étaient postés sur la route, Keazou s’approcha d’eux et leur expliqua la situation. Les gardes prirent la tête du groupe et l’escorta jusqu’en haut d’une grande colline à proximité du port, où ils avaient une belle vue sur la ville. Tous poussèrent des exclamations en regardant Sufokia du haut de la colline.

La ville était en fait bâtie sur l’eau. De grandes plates formes semblaient flotter sur les vagues de la crique. De très jolies maisons étaient construites sur ces plates formes, des fois sur plusieurs étages, ou sur des plates formes surélevées reliées par des ponts de rondins. De grandes arches fleuries apparaissaient çà et là, certaines façades de maisons étaient couvertes de plantes grimpantes d’où pendaient des grappes de fleurs multicolores.
Le garde les laissa à leur contemplation un instant avant de prendre la parole :

- Vous devez prendre le pont là-bas.

Il pointa du doigt un très grand pont qui reliait la terre à la ville.

- Après, tournez directement à  droite jusqu’au bout de la plate forme, un pont vous conduira à l’auberge.

Il montrait maintenant un étrange point rouge au milieu d’une plate forme.

Le garde les raccompagna jusqu’à l’endroit où ils l’avaient rencontré, il leur indiqua la direction du pont et les salua.

Le groupe se dirigea dans la direction indiquée et traversa le pont. L’énorme craqueleur le faisait grincer sous son poids, Keazou ne semblait pas très rassuré quand il regardait l’eau sur les côtés du pont. Celui-ci était très long, beaucoup plus qu’ils ne se l’étaient imaginé en le voyant de haut. Ils se hâtèrent de le traverser et tournèrent à droite, suivant les conseils du garde.
Peu de temps après, ils finirent par rejoindre la plate forme de l’Auberge. Le bâtiment ressemblait à un énorme igloo de couleur rouge vif. Devant l’entrée, un panneau annonçait « Chez Timberrrrr, spécialités marines. »

Ils entrèrent. L’auberge était déserte, seul un homme, au comptoir, les accueillit.
- Bonjour m’sieur dames. Qu’est-ce que j’peux faire pour vous ?
Keazou s’approcha. L’homme portait un costume de marin.
- Nous voudrions dîner et passer la nuit ici, ainsi que prendre le petit déjeuner à l’auberge et emmener quelques provisions pour la journée. Nous sommes six.
- Pas d’problèmes vieux. Installez-vous.
Les jeunes gens assemblés au centre de la pièce semi-circulaire prirent place autour d’une grande table rectangulaire de bois simple. Autour d’eux, d’étranges instruments étaient posés sur des étagères, le long des murs. Hachoirs, couteaux et autres instruments de cuisines ainsi que d’autres accessoires de pêche étaient exposés là. Par les fenêtres, de petits hublots, on apercevait la mer, où le soleil ne tarderait pas à se coucher.
Le marin du comptoir revint et s’approcha de la table.
- Z’aimez le poisson j’espère, parce qu’ici y’a qu’ça !
Tous acquiescèrent.
- Bon, j’vous apporte l’plat du jour.

A la table, tout le monde commença à discuter, content de pouvoir s’asseoir après cette longue marche. Des odeurs de poisson grillé émanaient des cuisines, les faisant saliver.
Quelques minutes plus tard, un joyeux salut leur fit tourner la tête vers la porte des cuisines.
- Bonjour tout le monde !
Les six compagnons sourirent à la vue de ces étranges personnages. Tout habillés de bleu, les serveurs s’approchèrent d’eux en faisant de grotesques mimiques qui firent rire tout le monde. Les mains chargées d’assiettes, ils servirent Keazou et ses amis avec une étrange agilité vu la vitesse à laquelle ils tournoyaient autour de la table. L’un des deux serveurs portait une longue cape noire et un ridicule chapeau haut de forme de la même couleur. Il s’inclina avec élégance devant la table, malheureusement son grand chapeau tomba, rendant la situation encore plus ridicule.
- Les frères Bouzouf pour vous servir.
- Laissez les clients tranquilles, au boulot les frères guignols, gronda le marin.
Le deuxième serveur ramassa le chapeau de son frère et le posa sur sa tête. Il se redressa et dit d’un air sérieux :
- Aujourd’hui pour notre aimable clientèle, beignets de Greu-Vette et crabe Sourimi maison sur son lit d’œufs de goujon. Le tout accompagné d’une succulente sauce citronnée et de sa feuille de menthe sauvage. Petit vin blanc de pays offert.
Les deux jeunes hommes semblaient avoir une vingtaine d’années, ils avaient un visage gai et moqueur. Ils se retirèrent, tournoyant toujours dans la salle.
Chacun commença à manger, faisant quelques commentaires sur l’excellence de la nourriture.
A la fin de l’entrée, les frères Bouzouf revinrent et les assiettes furent débarrassées aussi vite qu’elles étaient arrivées.
Le plat principal dégageait une succulente odeur alors que les serveurs posaient les assiettes sur la table. Le serveur qui avait maintenant le chapeau annonça :
- Filet de truite grillée et sa sauce aux petits légumes. Poissons panés du port et Poisson-Chatons entiers nappés d’une légère sauce aux champignons d’Amakna. Le tout servi avec une pomme de terre dorée au four.

Les six compagnons mis en appétit par l’entrée se mirent à manger joyeusement leur plat. Loulou ne parlait pas beaucoup, mais elle semblait apprécier l’ambiance et le repas. Keazou était heureux qu’elle se détende un peu.
Les Bouzouf placèrent deux grands tabourets près de la table et s’y installèrent. Ils engagèrent la conversation :
- Qu’est-ce qui vous amène par ici ? Demanda l’un des deux.
- Attends, attends Dark, on s’est même pas présenté, répondit celui au chapeau.
- Ah, oui, c’est vrai. Vas-y.
- On est les frères Bouzouf. Moi c’est Warrior, ou War. Lui c’est Dark.
- Et vous ?
Tout le monde donne son prénom, ils dirent brièvement d’où ils venaient.
War, le serveur au chapeau, montra le petit oiseau d’argent de la chaîne qu’il portait autour du cou.
- Moi aussi je viens de là-bas, enfin… ça fait quelques années déjà. Alors, qu’est-ce que vous venez faire à Sufokia ?
Keazou regarda ses compagnons puis prit la parole.
- Nous allons au camp des Chevaliers de la Terre.
A ces mots Dark annonça que c’est de là qu’il venait, montrant une broche d’argent aux reflets verts, le même métal que celui qui figurait sur le pommeau de l’épée de Keazou.
- Bon… Nous allons chez les Chevaliers de la Terre pour chercher de l’aide. Quelqu’un a été enlevé par des démons et nous avons besoin d’un maximum de volontaires pour combattre les démons.
- Oh… d’accord.
Les assiettes s’étaient vidées pendant la discussion. Les serveurs se relevèrent et débarrassèrent la table. Ils revirent avec six coupes à dessert qu’ils posèrent devant leurs hôtes. Dark s’éloigna pendant que War présentait le dessert :
- Coupes de glace aux fraises mixées des côtes d’Asse recouvertes d’une quantité phénoménale de crème chantilly.
En effet, les coupes débordaient de chantilly, quelques grosses fraises bien mures étaient disposées autour d’une boule de glace rose.

- Et maintenant, que le spectacle commence !!!
Les six compagnons se tournèrent vers le fond de la salle. Une mince estrade de bois qu’ils n’avaient pas remarquée se trouvait dans l’angle de la salle. A droite de l’estrade, un grand rideau rouge. A gauche, un gros coussin de velours. War disposa deux grands bougeoirs sur la table et les alluma. Pendant que Dark allumait les torches autour de l’estrade, War fit le tour du restaurant et éteignit toutes les bougies.
Les six compagnons, surpris, s’échangeaient regards et sourires curieux. War jeta le chapeau à son frère et disparut derrière le grand rideau, à l’extrémité de la scène.
Dark plaça le chapeau sur le haut de son crâne.
- Mesdames, mesdemoiselles, messieurs, bonjour ! Bienvenue dans mon humble théâtre.
La voix de War se fit entendre à travers le rideau.
- Bouhhhhhhh !
Dark l’ignora et prit un air outré.
- Votre venue n’étant pas attendue, Nobles visiteurs, nous n’avons pas eu le temps de vous préparer un spectacle digne de votre rang. C’est pourquoi je vais vous chanter quelques petites chansons de ma composition.
Et Dark se mit a chanter, au plus grand désespoir de son public.
- Oh doux soleil d’AAAmakna ! Qui brille au desssssus de moâaâaâAaa ! Pourquôaa m’as-tu laisséééé !?

Alors qu’il chantait, de minces éclairs brillèrent sur la scène dans un bruit assourdissant, éclairant la pièce de flashes bleutés. Ce qui ne semblait pas gêner le chanteur.
- Pourquôa m’as-tu laisséééé !? Si seuuul au mondeuuuh… Je t’ai aiiiméééee, mon am…
A ce moment, tout le monde se mit à rire : le chapeau du chanteur venait de tomber, renversé par un gros tofu. War qui était sorti de derrière le rideau tenait un autre tofu dans chaque main.
- Silence ! Faites cesser cet horrible bruit !
Il lança un autre tofu sur le chanteur qui l’évita. L’oiseau se posa au sol un peu plus loin, en voletant gracieusement.
- Tu me le payeras vile créature ! Cria Dark en sortant un hachoir à poisson. Approche que je t’ouvre le ventre !

War s’approcha courageusement. Dark, faisant mine d’être hors de lui, se jeta sur celui qui avait gâché sa chanson. Ce dernier, plus vif, l’évita. Dark continua dans son élan et s’arrêta net devant une étrange créature.
Cette créature, toute petite, avait une épaisse peau grisâtre et un énorme nez sur lequel reposaient de petites lunettes rondes. Il ressemblait à un petit homme particulièrement moche, avec une grosse tête aux yeux globuleux et aux oreilles pointues. Il portait dans ses mains un gros livre qu’il tenait à l’envers : c’était un Bwork Mage. Les quatre gros tofus le suivaient de près.
En ce qui concernait sa taille, il devait arriver aux genoux de Dark, pourtant celui-ci recula de quelques pas. War le regardait, le sourire aux lèvres.
Dark recula encore. Le Bwork fit claquer son livre en le fermant et en le rouvrant. Un éclair apparut dans un grand bruit aux pieds de Dark qui fit un bond en arrière pour atterrir sur le coussin de velours qui avait sûrement été placé là à cet usage.

 
Rapide, Dark sortit un arc de derrière le coussin et se leva.
La créature n’avait pas bougé mais les quatre tofus étaient tous au milieu de la pièce. Quand Dark tendit la corde de son arc, une fine flèche apparut. Il la décocha vers le groupe de tofus qui commença à piailler d’un air indigné en courant sur la scène.

- Alors perturbateur ? Tu préfères ça plutôt que ma chanson ?

- Oui !

Une volée de flèches fusèrent vers War, se heurtant au mur tout autour de lui et disparaissant en touchant le mur.

Les tofus piaillaient furieusement, le bwork grognait et illuminait la scène de ses éclairs bruyants.

War s’écria :

- STOP !

Et tout se figea sur la scène. Dark, les mains sur son arc, regardait les quatre tofus, assis sur leur derrière, les yeux levés vers War. Le Bwork restait là sans bouger.

 

War s’approcha des quatre tofus qui volèrent vers lui et les prit dans ses mains. Dark se leva et lui fit face. Il jeta un œil au public amusé qui finissait de manger et annonça :

- Et maintenant pour vous, après le lancer de tofu, la chasse au tofu et le concert des tofus, les Bouzouf sont fiers de vous présenter un spectacle inédit et inoubliable : Le vol des tofus !

War commença, il lança un tofu à Dark qui le rattrapa. Il fit de même avec les trois autres tofus et Dark se mit à jongler avec les quatre boules de plumes jaunes. Les oiseaux voletant plus haut que de simples balles, les deux comédiens n’avaient aucun mal à jongler avec les petites bêtes qui semblaient beaucoup s’amuser.

Les frères Bouzouf exécutèrent de nombreuses figures en lançant les tofus en l’air, les faisant se croiser, se doubler. Après nombreux tours de passe-passe, les Bouzouf posèrent délicatement les tofus par terre.


Tout le monde éclata de rire : les petits animaux semblaient avoir le tournis et marchaient dans tous les sens. L’un deux roula sur lui-même et tomba hors de l’estrade. Globox le récupéra et le porta jusqu’à la scène. Elle le posa dans le chapeau renversé. Les comédiens saluèrent et tout le monde applaudit vivement en riant.

 

Les sept compagnons, l’estomac plein, totalement détendus, ressentaient  présent la fatigue de la journée. Une fois la table débarrassée, les deux comédiens redevenus serveurs accompagnèrent les jeunes gens à l’étage. Il n’y avait que deux chambres, les deux filles prirent la plus petite, les quatre garçons, la plus grande. Ils partiraient dès le lever du jouer et décidèrent de se coucher immédiatement.

 

 

•••

 

Dans la sombre cabine du bateau, Amara avait du mal à croire ce que lui disait ShadowTony… Pourtant il semblait sincère, et sa version des faits collait parfaitement à la réalité. ShadowTony ne ressemblait plus au démon pour lequel il s’était fait passer. Il souriait beaucoup. Quand il réfléchissait, sa ressemblance avec Amara était frappante.

- J’ai  été élevé seul au milieu de milliers d’hommes et de femmes tous plus cruels les uns que les autres, je te laisse imaginer le nombre de fois où j’ai eu l’occasion de sourire durant toutes ces années. Les démons, eux, sont heureux quand tout va mal, ils éclatent de rire quand ils voient le sang couler… La vie de quelqu’un de « normal » parmi eux n’est pas vraiment heureuse. Il faut avoir le cœur bien accroché pour supporter tant de cruauté.

- Mais il y a d’autres personnes comme toi parmi les démons ?

- Oui, pas beaucoup mais il y en a. Il y en a même un autre sur ce bateau. Je le connais depuis très longtemps. Mais comme tout le monde sur ce bateau, il n’a pas le droit de s’approcher de toi. Le chef a dit à tous les démons que tu étais dangereuse. Ils ne sont pas autorisés à s’approcher de toi, mais je crois que même s’ils le pouvaient ils ne le feraient pas.

 

Amara resta bouche bée. Elle ? Faire peur à toute une bande de démons ?

- Mais je ne me soucie pas de ce qu’il dit. Ces démons sont idiots. Si je n’avais pas été là tu serais probablement en train de mourir de faim et de froid… Ils sont bêtes, leur maître doit absolument te trouver vivante…

- Et l’ami dont tu parles, il a… peur ? De moi ?

- Non, ça m’étonnerait. Mais il n’a pas autant de droits que moi sur le bateau. En tant que fils du roi de Brakmar, je peux me permettre de ne pas obéir au chef. Il ne m’aime pas beaucoup d’ailleurs, et je le lui rends bien.

 

- Qui est le… gros homme qui se trouvait dans la pièce à côté ? Il ne ressemble pas à un démon.

- C’est… le capitaine de ce bateau. Tout son équipage l’a quitté, sûrement en quête d’un autre capitaine. Celui-ci est constamment saoul.  D’ailleurs nous lui avons échangé quelques bouteilles de Rhum contre son bateau… Nous l’avons emmené avec nous, il ne doit pas répéter partout le peu de choses qu’il connaît à propos des plans des démons.

 

Les deux jeunes gens parlaient comme ça depuis le début de la soirée, Amara posant toujours plus de questions. Le soleil était couché depuis un moment déjà mais ils ne se lassaient pas l’un de l’autre. Ils parlaient à mi-voix pour ne pas attirer l’attention.

- Je n’arrive toujours pas à y croire. Il y a seulement quelques mois je vivais dans une petite chaumière aux abords d’Amakna avec ma sœur adoptive et ses parents, avec pour seuls amis un petit tofu et un jeune bouftou. Découvrir la magie a déjà été suffisamment surprenant, puis il y a eu le berceau, mes amis, Loulou ma compagne de chambre… Puis il y a eu Misugi…

Sa voix se brisa quand elle prononça son nom.

- Je suis désolé Amara… ça doit être vraiment terrible pour toi… ça n’aurait pas dû arriver.

Amara secoua la tête, des larmes coulaient sur ses joues. Le jeune homme semblait sincèrement désolé, et les larmes d’Amara le rendaient triste.

C’était la première fois qu’il la voyait, il avait passé seulement quelques heures à ses côtés, pourtant il l’aimait déjà énormément et ressentait une certaine affection pour la pauvre jeune fille. Il s’approcha d’elle et lui posa la main sur l’épaule en signe de réconfort.

Elle continua son récit d’une petite voix.

- Ensuite, nous avons trouvé un homme sur la plage qui avait été blessé par des monstres dont j’ignorais totalement l’existence… Peu de temps après je me fais enlever par des démons, qui représentaient encore une chose nouvelle pour moi. Ces démons tuent… quelqu’un sous mes yeux. Puis je suis enfermée dans cet horrible endroit, dans le froid, sur un bateau ou des hommes sanguinaires ont peur de moi. Pas longtemps après, un démon m’effraye et je manque de me faire dévorer par un dragonnet…

ShadowTony rit légèrement.

- Il n’est pas méchant, c’est le mien. Je suis désolée, je ne voulais pas t’effrayer Je savais qu’il ne te ferait pas de mal.

Des larmes coulaient toujours sur le doux visage d’Amara. Elle n’avait pas eu l’occasion de confier ce qu’elle avait sur le cœur à qui que ce soit et voilà qu’elle se mettait à parler avec un parfait inconnu.

- Et maintenant, l’homme qui me faisait peur, avec son dragonnet, m’annonce qu’il est mon frère… Tu ne trouves pas tout ça exagéré quand toutes ces aventures arrivent à une seule personne en si peu de temps ?

- C’est vrai… et je sais malheureusement que ça n’est pas fini.

 

- Que va-t-on faire quand nous sortirons d’ici, ShadowTony ?

- Je n’en ai pas la moindre idée. Pour ma part je pense essayer d’empêcher certaines choses de se passer ; le maître m’a confié certaines missions que je veux l’empêcher d’accomplir. Il faut mettre toutes les chances de ton côté.

- Et moi ? Qu’est-ce que je devrai faire ?

- Tu resteras avec ceux qui viendront te délivrer, ils sauront ce qu’il faut faire. Quand j’aurai fait ce que je dois faire, je reviendrai près de toi pour t’aider dans ta quête.

Amara sourit faiblement.

- Merci…

- Je vais partir maintenant, il se fait tard, les autres vont se demander si tu ne m’as pas attaquée, dit-il, un soupçon d’ironie dans la voix. Tu devrais dormir, je repasserai demain.

- D’accord, lui répondit-elle en souriant. Bonne nuit.

Il se leva et ramassa les vêtements noirs, il les remit et sorti d’un air faussement majestueux.

Amara rit légèrement avait de souffler sur la bougie qui s’éteignit, plongeant la pièce dans le noir total.

 

Elle se coucha et se recouvrit de la lourde cape orangée. Elle ferma les yeux et repensa longuement à cette conversation, un léger sourire aux lèvres.
Elle se sentait mieux, moralement. Elle avait pu se confier à quelqu’un et avait enfin eu des réponses aux questions qu’elle s’était souvent posées. Elle n’était plus désespérée comme au début. Elle n’était plus seule à bord du bateau, il y avait quelqu’un qui s’occupait d’elle et qui semblait l’apprécier : son frère, ShadowTony.

De plus, ses amis viendraient sûrement la secourir, ShadowTony leur avait envoyé un message et ils savaient où elle était.

La jeune fille s’endormit sur ces pensées, soulagée.

 

 

•••

 

Une fine horloge de chêne fit tinter ses petites clochettes dans le silence nocturne de Sufokia. Dans une petite auberge du bord de mer, six voyageurs s’éveillent d’un profond sommeil. Le soleil n’est pas encore levé, il est encore très tôt.

 

Keazou sortit de sa chambre alors que ses compagnons se réveillaient. Il frappa à la porte de la chambre des filles et s’assura qu’elles étaient réveillées, puis il descendit. Le petit déjeuner était servi sur la grande table. Devant la porte des cuisines, les deux serveurs ne semblaient pas bien réveillés. Ils étaient debout, appuyés l’un sur l’autre, les yeux à moitié ouverts. War ouvrit un œil.

- ‘Alut Kea.

- Salut les gars, ça va ? Demanda-t-il en souriant.

- Ouaip ça va, vous voulez à manger pour la route ?

Keazou acquiesça et les frères partirent dans les cuisines. Peu à peu les compagnons de Keazou vinrent s’asseoir près de lui, à table.

Sur la table, du pain frais, du beurre et des confitures étaient entourés de carafes de lait, café et jus de fruits. Les animaux de Globox qui étaient restés dans la grande salle se réveillaient à leur tour. La jeune fille leur donnait quelques choses à manger.

Les Bouzouf se joignirent à eux pour déjeuner. Tous les huit se réveillaient doucement en déjeunant. Le soleil avant de se lever donnait une magnifique couleur rose au ciel qui s’éclaircissait peu à peu et à la surface de l’eau. La pièce s’éclairait, le temps allait à nouveau être parfait jusqu’à la prochaine étape de leur voyage.

 

A la fin du petit déjeuner, les deux serveurs apportèrent aux voyageurs des provisions dans des sacs en papier. Ils les rangèrent dans leur sac puis partirent, non sans avoir salué chaleureusement les serveurs.

Ils retraversèrent le ponton de rondins puis le grand pont qui menait à la terre ferme. Ils grimpèrent sur la colline d’où ils avaient contemplé la ville, la veille. Ils regardèrent le soleil se lever sur la mer.

Ils reprirent ensuite leur route vers le Sud. Ils devaient longer la côte jusqu’au soir.

Ils continuèrent leur route dans la plaine d’herbe sèche. La brise maritime apportait une agréable fraîcheur à l’air.

Après une heure de marche dans la plaine, les jeunes gens arrivèrent dans un bosquet de grands arbres et buissons touffus. Ils avancèrent lentement. Soudain Djahil qui se tenait à droite de Keazou fit un brusque écart et bouscula son compagnon.

Le groupe s’arrêta, Djahil venait d’éviter un groupe de deux jeunes Milimulous qui se battaient, plantant leurs petits crocs pointus l’un dans la fourrure de l’autre.
Quand les deux jeunes animaux aperçurent le groupe de voyageurs, l’un des deux se mit à grogner en les menaçant de ses petites pattes griffues. Ils étaient petits, n’arrivaient même pas à l’épaule de DrouVirus.

Les six compagnons ignorèrent les animaux et voulurent continuer leur route. Mais les Milimulous leur barrèrent la route. L’un d’eux poussa un rugissement sonore. Les jeunes gens s’immobilisèrent en entendant le même cri, fortement amplifié, plus loin dans la forêt.

Ils regardèrent dans cette direction et tendirent l’oreille. Les grognements d’une bête se rapprochaient à toute vitesse. Reprenant leurs esprits, Djahil et Beothien commencèrent a créer leur bouclier, les fées murmurèrent quelques paroles magiques, et les six compagnons se préparèrent au combat.

Tout à coup, une ombre gigantesque leur cacha le soleil : une bête monstrueuse écartait les buissons et petits arbres, prête à se jeter sur eux. L’animal ressemblait aux petits Milimulous, mais ils étaient de couleur claire, presque blanche, avec des reflets violets. Ils avaient une grosse tête avec de petites oreilles et un long museau, une mâchoire puissante et des crocs… tranchants.

C’était un Meulou. Il mesurait plus de deux fois la taille de Keazou et avait des pattes énormes pourvues de longues griffes pointues.

Il se tenait sur ses pattes arrière et les regardait de ses yeux rouges et cruels.

Les jeunes gens reculèrent, pris au dépourvu par l’énorme monstre.

 

Beothien lança son bouclier enflammé sur le sol, sous les pattes du Meulou, mais celui-ci, rapide et agile s’empressa de sortir de la zone brûlante, ce qui eut pour effet de le mettre en colère. Les bâtons de Djahil et Beothien étaient inutiles contre l’énorme animal, aussi ne prenaient ils pas le risque de s’en approcher. Globox lança son craqueleur à l’attaque, mais même lui ne faisait qu’un peu plus de la moitié de la taille de la bête ; il avait beau le rouer de coups, l’animal ne s’en préoccupait même pas.

Mais quand le Meulou voulut s’approcher de Loulou, le Craqueleur lui agrippa la patte et l’empêcha de bouger un instant. L’animal se dégagea et envoya le craqueleur s’écrouler contre un arbre. Le Meulou se tourna vers Globox et se rua sur elle, il la blessa violement au ventre.

Loulou courut courageusement vers elle et commença à la soigner. DrouVirus, furieux, détacha un fin marteau de métal qui était attaché à sa ceinture et le lança sur le museau de la bête, tel un gros boomerang.

Au même moment, Keazou qui avait profité de la diversion pour se glisser entre les pattes du géant, son épée à la main, lui entailla cruellement le flanc. Le Meulou glapis de douleur en recevant le marteau sur le museau et hurla en sentant l’épée de Keazou le blesser. Mais les coups n’eurent à nouveau pour effet que de redoubler la fureur de l’animal qui, aveuglé par le sang qui giclait des blessures causées par le marteau, se jeta au milieu du groupe. Globox, à nouveau sur pieds, envoya d’un coup l’énergie qu’elle avait accumulée après les soins. Le feu brûla le ventre du Meulou qui hurla à nouveau, une entaille de peau brûlée apparaissant sur son ventre.
Devant la folie de la bête, les six compagnons commençaient à envisager la fuite, quand soudain l’animal se retourna, malheureusement pour lui : une volée de traits lumineux se plantèrent dans son épaisse peau. Soudain un homme surgit des buissons et se glissa vers la bête, envoyant du feu vers lui.

DrouVirus cria :

- C’est War !

Quand le Meulou voulut se retourner vers eux, un nouvel assaut de petites flèches lumineuses lui tomba dessus. Il hurla, et à sa voix se mêla le cri de guerre de Dark qui sauta avec agilité de la branche sur laquelle il était perché. Son arc à la main, il décochait des flèches magiques sur l’animal fou.

Il vint se ranger aux côtés des six compagnons, War en fit autant.

- Salut les copains, besoin d’un coup de main ? Lança Dark avant de continuer à tirer sur la bête pour la maintenir à distance.

Les deux fées se concentrèrent en même temps que Djahil, DrouVirus, Globox et War. Quelques instants plus tard, une vague de flammes jaillit vers le Meulou et le terrassa. L’animal fut projeté sur une grosse pierre et ne se releva plus. Tour sembler fini lorsque War cria :

- Attention !

Au même moment des éclairs vinrent s’écraser juste derrière Loulou. La jeune fille sursauta violement et fit volte-face. Un des éclairs du Bwork Mage de War venait d’anéantir le Milimulou qui s’était glissé en silence derrière la jeune fée. Le deuxième Milimulou prit la fuite.

Chacun reprenait son souffle. Le combat aurait bien pu tourner à la catastrophe sans l’intervention de leurs amis.

- Eh ben, on peut dire que vous tombez à pic vous deux. Qu’est-ce que vous faites dans le coin ? Demanda Djahil.

- Ben…vous nous avez dit que vous aviez besoin du maximum de volontaires. Après réflexion, on s’est dit qu’on était volontaires.

War acquiesça aux paroles de son frère en souriant.

- Oui, on pensait que vous auriez besoin de deux hommes beaux et forts pour vous tenir compagnie, ajouta-t-il.

Keazou sourit.

- Vous êtes les bienvenus les garçons, c’est gentil de vous joindre à nous.

Dark rangea son arc et s’assit dans l’herbe à côté de Loulou qui se remettait de sa peur. Il sortit une pomme de son sac et croqua dedans avec appétit.

- Tout ça vaut bien un petit en-cas !

DrouVirus sourit et s’assit à côté d’eux, suivant l’exemple, tout le monde fit de même. Ils ouvrirent leur sac, le pique-nique prévu était assez conséquent, tout était bien rangé et emballé, chacun sortit une pomme de son sac et la mangea en silence.

Keazou regardait le Meulou immobile.

- En tout cas la prochaine fois que je croiserai un animal, même plus petit que Drou, je m’attarderai pas près de lui.

- Oui, vous avez pas eu de chance, d’habitude c’est plutôt des scarafeuilles par ici. Il n’y a pas beaucoup de Meulous, répondit War, souriant toujours.

- En tout cas il y en a un de moins maintenant, plaisanta Djahil.

 

Beothien tenta de retenir un gémissement lorsqu’il bougea le bras. Il releva sa manche légèrement déchirée. Une fine coupure teintait son avant bras de rouge.

La douleur se lut sur son visage durant quelques secondes, puis il reprit une expression neutre. Loulou s’approcha et murmura quelques mots. La très légère coupure se referma, ne laissant qu’une marque claire à l’endroit de la blessure.

Keazou trouvait ce jeune homme très étrange. Beothien parlait peu, il réagissait à certains moments, mais à d’autres il restait totalement indifférent à ce qui l’entourait. Keazou le trouvait vraiment lunatique.

Le bras de Beothien était toujours douloureux, DrouVirus essayait de le soigner, la douleur diminua mais ne disparut pas totalement.

- Merci Drou et Lou, ça va aller maintenant, avança-t-il avec un faible sourire. Ce n’est qu’une coupure.

Les fées retournèrent s’asseoir.


Keazou se leva et trébucha sur un tofu, il se rattrapa à une branche toute proche. En voyant le tofu, il eut une brève pensée pour Amara. Il sourit et demanda à War :

- D’où ils viennent ces tofus ?

A ce moment, le Bwork Mage vint récupérer le tofu qui frottait sa tête à la botte de Keazou.

- Et lui ? D’où il vient ?

War sourit encore plus au souvenir de sa rencontre avec ses animaux, il raconta :

- Elle. C’est une femelle. Avant de travailler au port, j’étais dans une auberge de campagne, à Amakna. Je vivais dans la ferme qui livrait ses produits à l’auberge. Un jour, en ramassant les œufs de tofu de la ferme, je rencontre une drôle de maman tofu au milieu de l’un des nids. Le Bwork Mage avec son livre était assis à l’arrière du nid, quatre tofus nouveau nés dormaient devant elle. Bof, elle avait pas l’air méchante, alors je l’ai laissée là. Durant les deux mois que j’ai passé à la ferme. Le Bwork a pris l’habitude de me suivre. Les tofus ont grandi et ont pris l’habitude de suivre le Bwork. Donc voilà, je me retrouve avec cinq animaux qui me suivent comme mon ombre. Les tofus ont une bonne mémoire, on s’est amusé à leur apprendre des tours.

- D’ailleurs ça tombe bien, comme vous avez pu le voir, le marin du port et la déco de l’auberge ne sont pas très gais, il fallait mettre un peu d’animation pour garder les clients, continua Dark, plaisantant à moitié.

 

Les huit compagnons se levèrent et reprirent leur marche. Au bout de quelques minutes ils sortirent du petit bosquet. Ils avancèrent sur la plage. A perte de vue, il n’y avait que la mer, bordée d’une immense plage de sable clair. L’air frais du matin faisait onduler l’eau, au milieu des vagues.

A nouveau, Keazou eut une pensée pour Amara, il repensa au moment où il l’avait vue sur la plage, après avoir été soigné par les fées du berceau.

Ils continuèrent à marcher ainsi au milieu du sable pendant une grande partie de la matinée.

 

• CHAPITRE 17 : Le Dragon rouge

 

Amara dormit mieux cette nuit là, elle savait qu’elle avait fait cette nuit quelques rêves étranges et effrayants, mais elle ne s’en souvenait pas, c’était sûrement mieux comme ça.

Sa tête lui faisait un peu mal, mais sans plus. Elle resta allongée, blottie sous la cape qui représentait tout le peu de chaleur qu’elle pouvait trouver dans cette sinistre petite cabine.

Le bruit de l’eau ainsi que les mouvements du bateau al berçaient, elle ferma les yeux et recommença à somnoler.

Puis elle s’endormit totalement, elle ne s’était pas encore remise de sa fatigue des derniers jours et avait besoin de sommeil.

Elle se réveilla quelques heures plus tard, au bruit de la porte qui se refermait.
Elle ouvrit les yeux, sortant d’un profond sommeil et sourit en apercevant son frère qui fermait soigneusement la porte. Il se tourna et lui rendit son sourire avant de s’asseoir au bord du matelas, tout près d’elle.

- Bonjour.

- Bonjour, dit-elle avec un sourire. Quelle heure est-il ?

- Il est pas loin de 10h30.

Amara s’assit à côté de ShadowTony et s’étira, elle avait du mal à s’éveiller totalement.

Il lui tendit un morceau de pain frais.

- Je suis désolée, je pense que c’est tout ce que l’on pourra trouver pour le petit déjeuner.

Elle sourit à nouveau.

- Les autres ne vont pas trouver bizarre que tu passes tant d e temps avec moi ?

- Je suis censé t’interroger pour découvrir des indices sur les moyens de lutter contre ceux qui voudraient te récupérer. Je suis chargé d’en apprendre le maximum sur toi ?

- Oh…

Amara sembla perplexe.

- Et si tu voulais en apprendre plus sur moi, le meilleur moyen serait de me mettre en confiance en me racontant certaines choses sur toi et en m’avouant être mon frère, tu aurais pu, comme ça, me poser des questions auxquelles j’aurai répondu en toute insouciance.

- J’aurais pu.

Le jeune homme sembla contrarié et peiné à ces mots. Il resta silencieux.

- En même temps, tu n’es pas obligée de me parler…

D’un geste, elle glissa sa main dans celle de ShadowTony pour se faire pardonner.

- Ce n’est pas ce que je voulais dire. Ne me demande pas pourquoi, mais je te fais confiance. Je pense que tu es ce que tu dis être.

Le jeune homme sourit légèrement. Amara remarqua une fois de plus à quel point il lui ressemblait, elle resserra sa main autour de celle de son frère.

Ils restèrent silencieux un moment.

 

La jeune fille se sentait fatiguée. Sa tête recommençait à être lourde. Ses yeux se fermaient doucement.

- Amara ? Ca va ?

Elle entendait la voix de ShadowTony mais elle lui semblait lointaine, légère. La jeune fille se sentit glisser dans le sommeil.

 

 

○○○

 

 

ShadowTony retint sa sœur qui venait de s’endormir brusquement. Il l’allongea doucement sur le matelas.

- Amara ?

Il l’appela plusieurs fois, la jeune fille était totalement immobile, sa poitrine se soulevait au rythme régulier de sa respiration. Elle semblait dormir, mais ShadowTony n’arrivait pas à la réveiller.

C’est quand il prit sa main entre les siennes qu’il remarqua quelque chose d’étrange. Le poignet de la jeune fille rougeoyait. Il approcha les doigts, son poignet dégageait une puissante lumière. ShadowTony toucha le fin bracelet d’argent qui brilla tellement fort que toute la pièce fut illuminée. La jeune fille tremblait légèrement.

ShadowTony sentit une faible chaleur sur sa poitrine, il dégagea son amulette, le petit oiseau d’argent semblable au bracelet d’Amara était devenu totalement rouge.

Le métal ne ressemblait plus à de l’argent, la couleur orangée mêlée de reflets d’argent avait totalement disparu au profit d’une couleur rouge vif, brillante, un peu comme le cœur des rubis que l’on trouvait dans les montagnes. Il rougeoyait légèrement, Amara gémit dans son sommeil.

La lumière de son bracelet baissa lentement, jusqu’à ne former qu’un halot de lumière claire au niveau de son poignet.

ShadowTony serra la main de sa petite sœur, le bracelet rayonna plus fort pendant un instant. Il ne savait que faire devant ce phénomène, il regardait Amara.

Elle gémit à nouveau et serra fortement la main de ShadowTony.

Le phénomène durait depuis une dizaine de minutes quand Amara ouvrit les yeux. Elle battit des paupières et regarda le jeune homme d’un air hébété.

- Amara ? Ca va ? Répéta-t-il.

Elle se rassit et secoua vivement la tête. Elle n’avait plus mal, elle se sentait bien.

- Qu’est-ce que… dirent-ils en chœur.

Ils se sourirent.

- Tu t’es endormie, d’un coup. Regarde ton bracelet.

Amara porta la main à son poignet brillant.

- Pourquoi… qu’est-ce que c’est ?

- Aucune idée. Comment tu te sens ?

- Mieux que tout à l’heure…

ShadowTony ne savait que répondre, il n’avait pas la moindre idée de ce qui avait pu se produire et aucun des deux n’avait déjà vu quelque chose de semblable.

La jeune fille toucha le pendentif, au cou de son frère. Son bracelet se remit a scintiller.

- Pourquoi est-ce que le tien est rouge ?

- Il ne l’était pas jusqu’à présent.

- Mais… tu as vécu au berceau ?

- Non, les démons aussi suivent un enseignement magique. Mais la différence est qu’on nous apprend à tuer, à s’entraîner pour devenir plus fort… Mon amulette était de la même couleur que la tienne avant que ton bracelet ne se mette à briller. Enfin, ce qui compte c’est que nous allions bien, non ?

- Oui, c’est vrai. Ca ne doit pas être important…

Mais la jeune fille s’inquiétait.

- C’est quand même bizarre…

- Oui, mais bon, impossible d’en savoir plus pour l’instant…

- J’espère que quand on viendra me chercher, quelqu’un le saura. A ce propos, combien de temps allons-nous encore rester ici ? Depuis combien de temps suis-je ici ?

- Tu es arrivée le 02 août dans la nuit. Nous sommes le 06. Ensuite, je ne sais pas quand les secours arriveront. J’ai précisé que nous étions 14 démons de tous les ordres, dont quelques uns de très puissants.

- Où sommes nous exactement ? Tu le sais ?

- Oui. Nous contournons une île qui a été conquise par notre père. Si nous voulons atteindre Brakmar sans être vus, nous devons rester loin des rives et des zones de pêche. Le voyage aurait du durer plus de trois semaines si ils n’avaient pas su où tu te trouves. Normalement, il était impossible de nous localiser. D’ailleurs, s’ils ne nous avaient pas remarqué quand nous sommes parti – mon craqueleur a « sans faire exprès » fait rouler bruyamment un empilement de tonneaux jusqu’au port – ils seraient en train de nous rechercher à terre. Donc ils doivent à présent être en train de se préparer. C’est vrai que nous sommes nombreux et puissants à bord de ce bateau, et je veux qu’ils ne prennent aucun risque. La mort de ton ami était une mort de trop…

 

- Merci ShadowTony… Merci.

Amara venait de prendre conscience, à ces mots, qu’il l’avait réellement sauvée à plusieurs reprises. Et que sans lui, non seulement ses amis ne sauraient pas où la rechercher, mais en plus elle souffrirait, à moitié morte de faim et de froid, avant d’être livrée à son père.

Elle s’approcha de lui et le prit dans ses bras.

Le jeune homme, surpris et gêné par cet élan d’affection dont il n’avait pas l’habitude, failli reculer, plus habitué à être frappé qu’à être câliné. Mais il s’en empêcha et essaya de se détendre. Il posa maladroitement ses mains dans le dos de sa petite sœur. Le cœur battant, il la serra contre lui. Elle s’éloigna, plusieurs minutes plus tard, et lui adressa un grand sourire.

Elle était tellement mignonne… ShadowTony était troublé par la présence de la jeune fille près de lui, jamais personne ne l’avait regardé de cette façon, et l’amitié d’Amara lui réchauffait le cœur.

 

 

○○○

 

 

Amara le regardait, le regard du jeune homme était fixé au sien. Il semblait pensif. Amara se demandait à quoi il pensait, il avait l’air heureux. Il détacha son regard de celui d’Amara et tourna la tête.

- Tiens-moi au courant si ton bracelet se met à refaire des trucs bizarres.

- Promis.

Elle regarda son poignet qui brillait.

Il semblait luire plus fort quand son frère la touchait. Le bracelet avait l’air presque vivant. Amara essaya de le détacher, pour l’examiner, mais la petite attache avait disparu, la chaînette continue reliait les deux cotés de la petite plaque où figurait l’oiseau de métal.

La jeune fille avait du mal à distinguer le petit oiseau sous la lumière du bracelet.

- Tu as besoin de quelque chose ?

- Ca va… J’ai hâte de m’en aller d’ici.

- Moi aussi tu sais, j’espère qu’ils ne tarderont pas trop.

- Qu’est-ce qu’ils font à ton avis ?

- Je ne sais pas exactement, je suppose qu’ils doivent rassembler une équipe formée de chacun des ordres. Il serait difficile de battre les démons uniquement par le feu.

- Pourquoi ?

- Parce que cette « troupe » de démon est elle-même composée de tous les ordres. Imagine par exemple que les sorts de l’eau soient envoyés sur vos flammes, ou que nos boucliers ne puissent être traversés que par des épées ? Tu comprends ?

- Oui… Mais nos Zaaps mènent aux quatre coins du pays, ça devrait aller vite, non ?

- Hum oui, c’est vrai… Mais quelqu’un qui ne possède pas le feu ne pourra utiliser que le Zaap principal…

- Keazou…

- Peut-être. Et de toutes façons, les démons ont beaucoup d’espions aux sorties de vos Zaaps. Tes amis devront peut-être faire de grands détours pour ne pas éveiller l’attention des espions.

 

Amara soupira.

- Ca va être long… Heureusement que tu es là.

- Oui, mais je vais devoir rejoindre les autres maintenant.

- Je peux sortir ?

- Sûrement pas sans surveillance.

- Si je suis avec toi ?

- Le chef m’attend… bon, je vais voir ce que je peux faire. Je reviens dès que je peux.

- D’accord, à tout à l’heure.

Le jeune homme se leva et sortit. Il adressa un signe de main à Amara avant de refermer la porte. La jeune fille fut à nouveau plongée dans l’obscurité, l’intensité de la lumière rougeoyante avant diminué brusquement jusqu’à ce que le bracelet redevint normal. Il était devenu rouge lui aussi, de la même couleur que les pierres de rubis. Le petit oiseau restait tiède contre la peau du poignet d’Amara.

 

 

○○○

 

 

ShadowTony sortit de la petite pièce sombre.

Le métal rouge de son médaillon était chaud lui aussi, le jeune homme le glissa sous ses vêtements noirs. Il s’interrogeait sur cet étrange évènement qui venait de se produire. Il ne voulait pas en parler.

Le chef l’attendait pour lui donner des ordres de sa voix méprisante. Il n’avait aucune envie de le voir, mais le chef prenait plaisir à le convoquer et à lui donner des ordres.

Ce jour là, il voulait discuter de leurs plans, seul à seul. ShadowTony finissait par se demander s’il ne manquait pas au chef quand ils n’étaient pas ensemble.

 

ShadowTony espérait croiser Lay sur le pont en allant jusqu’au bureau du chef, mais il ne le vit pas. Celui-ci devait être dans les cuisines. Le jeune homme traversa le pont rapidement et entra dans la cabine principale.

Il s’efforçait de prendre un air neutre. Malgré que cette visite soit une corvée, pour lui, il semblait calme et posa quand il frappa à la porte du bureau. Une voix l’invita a entrer :

- Entre mon très cher ami.

ShadowTony serra les poings, il n’aimait pas que l’on se moque de lui. Il prit un instant pour se calmer et entra.

- Bonjour ShadowTony, comment vas-tu ce matin ? Demanda-t-il doucement.

- Vous vouliez me voir ?

- Oui, j’ai envie de discuter avec toi, tu veux boire quelque chose ?

- Que voulez-vous ?

- Ne sois pas agressif comme ça mon ami. Je sais que tu ne m’aimes pas, mais tu aimes ton père, n’est-ce pas ?

- Oui, c’est exact.

- Bien. Tu ne songes donc pas à nous trahir, n’est-ce pas ?

- Bien sûr que non, mon père a entière confiance en moi.

- Oui. Et moi aussi. C’est pourquoi j’aimerai discuter avec toi.

 

ShadowTony bouillonnait intérieurement, il avait envie de monter à cet homme la haine qu’il ressentait envers lui. Il ne savait pas pourquoi cet homme persistait à vouloir « discuter » avec lui régulièrement. Sûrement lui était-il utile. Peut-être trouvait-il amusant de l’énerver.

Il resta silencieux.

- Tu as fait connaissance avec la prisonnière, comment s’appelle-t-elle déjà ?

- Amara.

- Bien. As-tu appris des choses sur elle ?

- Oui, mais peu de chose susceptibles de vous intéresser.

- Par exemple ?

- Elle m’a parlé d’elle. Je ne lui ai pas encore posé de questions précises.

- Comment as-tu fait pour la faire parler ?

- J’ai réussi à la mettre en confiance, je me suis présenté comme un ami.

- Penses-tu pouvoir en apprendre d’avantage ?

- Evidemment. Mais elle-même ne connaît pas grand-chose, apparemment. Mais je peux en apprendre plus long, c’est évident.

- Alors fais-le. Et tient moi informé de tes découvertes.

ShadowTony se rappela des pensées qu’il avait eu avant d’entrer dans la pièce. Il lui donnait des ordres de son horrible voix. Cela faisait si longtemps que cet homme « s’amusait » à le pousser à bout de nerfs… Durant toutes ces années, ShadowTony avait appris à le connaître. L’homme était sournois, fourbe et cruel avec ses ennemis. Il vouait sa vie au « Maître » car il entretenait l’espoir égoïste d’obtenir les faveurs de celui-ci à tout prix. Démon jusqu’au fond de lui, il aimait la souffrance, la mort de ses ennemis. Et rien ne l’amusait plus que de convoquer ShadowTony et de « discuter » avec lui, de sa voix méprisante, le regardant avec ses yeux de serpent…

ShadowTony le haïssait purement et simplement, et il ne savait pas pourquoi celui-ci exerçait cette emprise sur lui.

- Est-ce qu’elle est dangereuse ?

- Bien sûr que non.

- Elle a tué…

- Elle ne le sait même pas.

- De quel ordre est elle ?

- Celui du feu, mais je ne l’ai jamais vue faire de la magie.

- Bien entendu, et pourquoi crois-tu qu’elle n’utilise pas de magie ?

- Je p…

- Elle a tué ! Elle souffre ShadowTony. Elle n’y a jamais été entraînée, elle a mal. Pour l’instant, elle ne connaît que les souffrances physiques de son acte. Bientôt, sa conscience la rongera, puis elle y prendra goût, elle tuera tous ceux qu’elle aime, elle deviendra comme nous.

- Non.

- Si, ShadowTony. Elle ne sera pas lâche comme toi, elle deviendra comme son père, elle aimera tuer. C’est son destin.

ShadowTony ne répondit rien. Il serrait les poings, sous la table, se retenant de frapper celui qui l’insultait et venait de le traiter de lâche.

Le chef se leva, ShadowTony en fit autant. Quand le chef lui posa la main sur l’épaule, ShadowTony s’écarta vivement. Il souffla :

- Ne me touchez pas.

Le chef eut un sourire.

- Continue à questionner notre petite amie.

ShadowTony eut du mal à lui répondre affirmativement.

- Fais attention. Elle est dangereuse.

- Vous avez peur d’elle.

- Non.

- Je ne vous crois pas.

- Fais comme tu le voudras, mais cela m’embêterait qu’une enfant tue mon ami.

- Vous avez besoin de moi, vous n’auriez jamais eu le courage de venir ici, sans moi.

- Détrompe toi.

 

L’affront entre les deux hommes faisait monter la tension, le regard froid d’un côté, la fureur retenue et couverte par des arguments intelligents, de l’autre. Cela se passait de cette façon à chaque entrevue.

Quand ils se quittaient, chacun pensait avoir gagné la bataille à sa façon.

Le jeune homme soutint le regard de son ennemi.

- C’est tout ce dont vous vouliez discuter ?

- Tu es donc pressé de me quitter ?

- Oui.

- Eh bien, tu peux partir. La porte est ouverte.

ShadowTony se dirigea vers la porte.

- Apporte-moi d’autres informations.

Le jeune homme sortit, cette entrevue l’avait d’autant plus énervé qu’elle avait été totalement inutile. Il ne supportait plus de vivre à proximité de cet homme…

Il réfléchit un instant. S’il s’enfuyait avec Amara, ils seraient forcément retrouvés. Il n’y avait d’autres solutions que d’attendre sans rien faire… ShadowTony avait hâte que l’on vienne chercher Amara, après quoi il pourrait partir. Et pourquoi pas se venger du chef. Ce chef avec qui il restait depuis toutes ces années sur les ordres de son père et dont il ne connaissait même pas le nom… Mais son père ne savait pas ces choses là, le chef était son homme de confiance, son ami.

Le roi de Brakmar, à sa manière, aimait son fils. Il voulait le préparer au trône qu’il obtiendrait. Le jeune prince aimait son père lui aussi, mais il était bien décidé à tout faire pour l’empêcher d’accomplir ses sombres desseins.

 

ShadowTony était seul dans le couloir quand il perçut une grande agitation au dehors, il s’approcha de la porte mais celle-ci s’ouvrit brusquement, il se trouva nez à nez avec Lay qui semblait très agité.

- Ah ! ShadowTony ! Viens !

Le jeune homme suivit son ami sur le pont du bateau. Un groupe de démons courrait après un tofu qui volait devant eux. Il leur mettait de féroces coups de becs quand ils approchaient leurs mains.

- C’est toujours la même histoire ! Lay, immobilise-les !

Le dénommé Lay se concentra en fixant le sol du bateau, de grandes tiges de plantes vertes au petites épines en sortirent et s’enroulèrent autour des chevilles des démons, les immobilisant en griffant légèrement leurs chevilles. Le tofu vola jusqu’à son maître. Lay s’apprêtait à annuler le sort d’immobilisation mais ShadowTony l’interrompit.

- Attends.

Lay leva les yeux vers son ami, celui-ci lui adressa un petit signe de tête avant de s’avancer vers les démons.

- Bonjour messieurs. Il est amusant de courir après un tofu, hein ?

Les démons baissèrent les yeux.

- Et votre grande bêtise vous pousse à essayer de voler un parchemin vierge. Quels hommes de confiance vous faites. Vous saviez que ce parchemin ne vous était pas destiné, non ?

A ces mots le jeune homme détacha la petite lettre de la patte de l’oiseau et la montra aux démons, rien n’y était écrit.

- Vous êtes bêtement tombés dans mon piège.
Un des démons osa prendre la parole :

- On ne savait pas que c’était le votre ShadowTony…

- Menteur ! A chaque fois vous essayez. J’aurais pensé que vous seriez moins bêtes cette fois. Vous vous trouvez malins maintenant ? Moi non. Tâchez que cet incident ne se reproduise plus.

Il adressa un nouveau signe de tête à Lay et les plantes disparurent.

- Merci, Lay.

- De rien, même moi je ne peux pas approcher mes mains du tofu.

- Brave bête.

- Pourquoi y’a rien d’écrit ?

- Bon, viens.

Il prit Lay par le bras et l’entraîna par la petite trappe.

 

• CHAPITRE 18 : Nouvelles du continent

 

Amara était assise sur le matelas, elle s’ennuyait. Elle aurait aimé sortir, ne voir que ces parois de bois et cette obscurité était plutôt déprimant.

Soudain Amara entendit des pas dans la pièce à côté, au même moment son bracelet se mit à scintiller. Il ne brillait pas très fort mais son éclat était accentué par le peu de lumière qui régnait dans la pièce.

Quelques instants plus tard, la porte s’ouvrit. ShadowTony entra, suivi d’un homme qu’Amara ne connaissait pas. Elle se leva.

- Bonjour.

- Salut, je m’appelle Lay.

- Plus tard les présentations, nous avons quelque chose de plus important à faire.

Il posa le tofu dans les bras d’Amara.

- Asseyons nous.

ShadowTony et Amara prirent place sur le matelas. Lay s’assit devant eux, le dos appuyé à la porte.

- Quelqu’un du continent m’a envoyé un message. Et ce doit être la personne qui a reçu mon tofu.

Amara sourit.

ShadowTony déroula le parchemin.

- Il n’y a rien dessus, remarqua Amara.

ShadowTony fixa le parchemin quelques secondes, de minces lettres rouges orangées apparurent.

Lay s’approcha pour lire par-dessus leur épaule.

- Il n’y a toujours rien.

- C’est normal, tu ne peux pas le lire. Ecoute plutôt.

Le Sadida retourna docilement s’asseoir, ShadowTony commença à lire.

 

Je ne vous connais pas mais je vous remercie de vos renseignements. Actuellement, une équipe de jeunes gens du berceau sont en route vers le camp des Chevaliers de la Terre afin de ramener quelques volontaires jusqu’ici. J’aimerai avoir d’avantages de renseignements sur les démons qui gardent Amara, ainsi que sur la position de votre bateau.

J’aimerai aussi m’assurer que vous dites vrai et qu’Amara est avec vous en bonne santé.

Nous vous tiendrons au courant, normalement nous viendrons récupérer votre prisonnière dans moins d’une semaine. Tenez vous prêts.

En espérant ne pas me tromper en vous accordant toute ma confiance, je vous prie de prendre bien soin d’Amara durant ces quelques jours.

 

M. Tsongor                                                                                     Le 06/08/05 au berceau de l’oiseau des flammes

 

Le visage d’Amara affichait un sourire rayonnant. Non seulement il était sûr à présent que quelqu’un viendrait la chercher, mais elle avait ici une preuve que ShadowTony ne lui avait jamais menti.

ShadowTony aussi semblait content de ce courrier, ou plutôt soulagé.

- Merci Lay, il n’aurait pas fallu que cela tombe entre les mains du chef.

Mais Lay semblait sceptique.

- Je ne comprends pas.

- C’est pourtant simple. Les amis d’Amara vont venir la chercher, je leur ai donné toutes les informations pour qu’ils nous trouvent et puissent récupérer Amara sans danger.

- Mais pourquoi ? Et ton père ?

- Réfléchis. Entre une petite sœur adorable, qui ne ferait pas de mal à une mouche, et un roi cruel et sans cœur, qu’est-ce que tu choisirais ?

- Evidemment, vu comme ça…

- Ecoute, quand ils auront récupéré Amara, je partirai. Est-ce que tu viendras avec moi ?

- Tu songerais à me laisser tout seul ici avec ces gens là ?

- Bien sûr que non, répondit ShadowTony avec un sourire.

 

Amara, elle, relisait la lettre de Maître Tsongor.

- Il parle de venir d’ici une semaine, vous croyez que les démons se doutent de quelque chose ?

- Ca m’étonnerait beaucoup.

- Je me demande où nous irons, après.

Les trois jeunes gens discutèrent un moment puis Lay repartit aux cuisines.

- Je verrai cet après-midi s’il est possible de te laisser aller sur le pont. Tu as faim ? Demanda ShadowTony.

- Merci, pas pour l’instant, répondit-elle.

- Bon, je vais aller voir ce qu’il se passe dehors. Nous répondrons à cette lettre cet après-midi. A tout à l’heure.

- A tout à l’heure, lui répondit-elle en souriant.

Il sortit et referma la porte derrière lui, à nouveau la lumière, au poignet d’Amara, diminua peu à peu.

 

 

•••

 

Le soleil, haut dans le ciel, réchauffait fortement la température. Ses reflets dans le sable clair éblouissaient les huit compagnons. Ils discutaient gaiement, leur marche rythmée par le bruit des vagues.

Il était déjà plus de midi et ils n’avaient fait que de courtes pauses durant la matinée, mais personne ne se plaignait, le temps était magnifique, de même que le paysage autour d’eux. Loulou regardait autour d’elle silencieusement. Keazou regrettait un peu les bavardages de son amie qui parlait beaucoup d’ordinaire. Elle ne parlait guère mais n’arborait plus cet air triste qui se lisait sur son visage depuis quelques jours.

Le soleil d’été faisait briller ses longs cheveux et sa peau déjà hâlée par le soleil. Keazou l’admirait en marchant à quelques pas derrière elle. Ses vêtements d’été courts, mettaient son corps en valeur.  A ce moment là il ne put s’empêcher de repenser au jour où il avait été sauvé sur la plage. Il se rappela avoir eu à la fois un regard sur son amie dans son petit bikini rouge vif et un regard sur la douce jeune fille qui se tenait derrière elle, frissonnant dans son simple maillot de bain bleu azur. Son air timide et enfantin lui avait plu. De la même façon que Loulou, la jolie jeune femme au visage rieur et au tempérament de feu lui plaisait. Les deux jeunes filles étaient totalement différentes mais elles se complétaient et avaient toutes les deux leur charme. Loulou le savait et ne s’en cachait guère. Amara, elle, avait un charme naturel dont elle ne se rendait pas compte, c’est ce qu’aimait Keazou chez elle.

A cette pensée, Keazou se trouva un peu bête. Il n’avait vu Amara qu’une ou deux fois et ne lui avait jamais parlé. Il la trouvait très jolie, mais rien de plus. Du moins c’est ce qu’il s’efforçait de penser.

 

En revanche, son amie, Loulou marchait juste devant lui. Ses longues ailes noires scintillaient au soleil, des reflets bleu nuit les parcouraient. Il la rejoignit, c’est elle qui était à la tête du groupe. Il posa sa main sur son épaule tout en faisant stopper le groupe.

- On va s’arrêter là, Loulou.

Il lui montra un endroit à l’ombre, plus haut sur la plage, en bordure de la petite forêt qui longeait la plage. Ils allèrent s’asseoir à l’ombre dans le sable. Il était 13h environ.

- Le voyage est très calme, commenta Dark en commençant à manger.

- Calme ? Tu trouves ça calme de se faire attaquer par un énorme Meulou ? Répliqua War.

- Oh… bof.

A ce moment Beothien se leva, coupant court à la discussion. Devant le regard interrogateur des autres, il dit d’un air rieur :

- Je vais là où vous ne pouvez pas aller pour moi.

- Okay, fais attention, ne t’éloigne pas trop. Lui recommanda Keazou.

- Oui Maman.

Beothien partit, s’enfonçant dans la forêt derrière eux.

« Décidément très étrange ce Beo », se dit Keazou.

Oubliant l’incident, ils se remirent à manger.

 

 

○○○

 

 

Beothien marchait dans la petite forêt, regardant partout autour de lui. Soudain une voix féminine l’interpella.

- Attention Stradivarius. Ne bouge pas !

Le jeune homme s’arrêta net. Regardant toujours autour de lui. Quelques instants plus tard, une forme se dessina entre les branches d’un petit arbre, devant lui.

Une jeune femme d’une grande beauté venait d’apparaître. Elle portait des vêtements courts, de cuir rouge. Un long manteau de cuir noir recouvrait son dos et ses épaules, elle portait de grandes bottes de cuir souple totalement noir. Un voile de tissus noir cachait ses cheveux et le bas de son visage, deux fines dagues étaient accrochées à sa ceinture.

- Ah ! Xellia, tu es là.

Il voulut s’approcher d’elle.

- Ne bouge pas !

- Mais…

- Recule Stradivarius.

Il leva les yeux vers elle, elle souriant. Beothien, rassuré, recula de quelques pas.

La jeune femme lança agilement l’une de ses dagues devant l’endroit où se tenait précédemment Beothien. Une petite explosion silencieuse produit un halot jaune qui souffla toute chose autour de lui. Les feuilles et petites branches furent projetées plus loin, les objets plus gros étaient légèrement déplacés, d’autres comme les grosses pierres se fissuraient.

- Un piège. Pourquoi ?

- Au cas où.

Beothien s’approcha de la jeune femme et l’embrassa. Ils s’enlacèrent et Beothien chuchota :

- Tu as été très discrète. C’est bien. Personne ne t’a vue ?

- La fée m’a aperçue, mais le Milimulou a détourné l’attention.

- Ca va devenir difficile maintenant, la forêt laissera bientôt place aux champs.

- Oui je sais… Je devrai rester plus loin.

- Non, c’est trop risqué. Je veux que tu partes devant. Nous allons au village des Tofus Perdus. Essaye de prendre de l’avance et de nous y attendre.

- Entendu Stradivarius.

- Pars maintenant, tu avanceras plus vite que nous. Sois prudente.

Il l’embrassa à nouveau et la regarda partir. Sa silhouette s’effaça peu à peu. Ce mode de « camouflage » était propre aux Serpents de l’Air.

Beothien s’empressa de rejoindre les autres sur la plage.

 

 

○○○

 

 

Le groupe finissait de manger, on ne prêta guère attention au retour de Beothien.

Ils repartirent un moment après. Keazou demanda :

- Vous êtes prêts ? L’après-midi va être long et la nuit tombée, nous dresserons notre camp sur la plage.

Ils discutaient tout en marchant.

- Il faudra faire des tours de garde cette nuit, remarqua Drou.

- Oui, mais nous sommes huit, nous pourrons facilement nous partager la tâche.

 

Aucun incident ne survint durant l’après-midi, le groupe s’arrêta dès que le jour commença à baisser.

 

 

•••

 

 

 

Peu de temps après midi, Amara entendit quelqu’un venir, son bracelet se remit à luire.

Quand ShadowTony entra, elle montra le bracelet et dit sur un léger ton ironique :

- C’est pratique ce truc.

ShadowTony était content, la voir sourire de cette façon, heureuse de savoir qu’elle allait bientôt quitter cet endroit, oubliant un instant Misugi, lui faisait plaisir.

Il vint s’asseoir tout près d’Amara.

- Nous allons répondre à la lettre, d’accord ?

- Oui, d’accord.

Il sortit un rouleau de parchemin, une petite plume de Corbac et une bouteille d’encre de l’intérieur de son manteau.

- Hum… Attends une seconde.

Le jeune homme se leva et sortit. Il revint quelques minutes plus tard, traînant une grosse caisse qui semblait vide. Il la posa devant eux.

- Voilà.

Il revint s’asseoir près d’elle et commença à écrire.

 

Nous avons bien reçu votre message, Amara est juste à côté de moi.

Actuellement, nous nous trouvons au Sud-Ouest de l’Ile des Wabbits. Dans une semaine exactement, nous serons bien à l’est d’ici, quelque part entre cette île et l’Ile de Moon. Vous n’aurez aucune difficulté à nous repérer si ce temps perdure.

Sur ce bateau, quatorze démons sont présents, en comptant mon ami et moi qui sommes de votre côté.

Notre chef est puissant. C’est un archer, maître du feu, mais il est très rapide. Il vise bien.

Notre équipe est malheureusement très bien constituée : deux fées, deux Sadidas, deux Maîtres des Boucliers, trois Maîtres de la Terre, un Maître des Eaux et un Maître du Temps.

Tous ont un très bon enseignement en matière de magie noire et tuent sans regrets.

Quant à nous, il y a un Sadida et moi-même, Maître du Feu. J’ai avec moi mon Dragonnet et mon Craqueleur ainsi que ce Tofu voyageur.

Je pense qu’il vous faudra une équipe semblable et légèrement plus nombreuse pour venir à bout des démons. L’effet de surprise sera votre meilleur atout.

Je laisse Amara finir cette lettre, ce qui pourra vous assurer de sa présence, en bonne santé, à bord du bateau.

 

Amicalement                      

ShadowTony          

 

- Voilà, dit-il à Amara qui se tenait alors contre lui et lisait par-dessus son épaule. Est-ce que ça te convient ?

- C’est parfait. Que sont les îles dont tu parles ?

- Ces deux îles sont liées l’une à l’autre. Un jour, les deux rois de ces îles, Moon et le Wa se sont disputé a cause d’un objet magique qu’ils avaient trouvé. C’était il y a très longtemps. Lors de leur dispute, chacun des rois a utilisé cet objet magique contre l’autre île. Le peuple du Wa a été totalement transformé. Le sort a transformé chaque individu en créature étrange, entre l’homme et une espèce de lapin… difficile à décrire sans l’avoir vu. Le peuple de Moon quant à lui a subit une toute autre transformation. Chaque personne a en fait été changée en… ce qui se trouvait près d’elle. On trouve par exemple des hommes cocotiers, des buissons vivants et des plantes gélatineuses vivantes. Ou bien encore des squelettes qui se trouvaient là par hasard. Moon et sa garde ont été transformé en singes. Depuis toutes ces années, les deux peuples sont condamnés à ne jamais changer de forme, ni d’âge. Ils sont totalement pacifiques mais si on les tue, ils réapparaissent quelques jours plus tard. C’est là leur malédiction.

Amara ne répondit rien, cette histoire lui paraissait invraisemblable, pourtant plus rien n’étonnait la jeune fille.

- J’aimerai les voir, un jour.

 

ShadowTony lui sourit et passa le bras autour de ses épaules.

- Autre chose, pourquoi parles-tu de « Maîtres » ?

- Oh… c’est vrai, tu ne connais rien du monde des démons. Vous, vous avez des « ordres » et ces ordres ont des noms. Nous, nos ordres n’ont pour nom que leur élément et ceux qui en suivent l’enseignement sont appelés par leur rang : Maître, Novices, Apprentis. C’est ce qui permet de connaître notre niveau, alors que vous parlez plutôt en nombre d’années passées au berceau. Tu comprends ?

- Oui je comprends. Mais dans ce cas… Les Sadida, les Maîtres des Boucliers et du Temps ? Ils ne font pas partie des quatre éléments. Qui sont-ils ?

- Oh… Je vais t’expliquer.

Amara rougit légèrement.

- Désolée, je ne connais la magie que depuis peu de temps…

- C’est normal, ne t’en fais pas. Ces personnes font partie des ordres que tu connais. Pour vous, il y a l‘Ordre du Temps et les Créateurs de Boucliers. Les Sadida sont les gens comme Lay, mon ami que tu as vu tout à l’heure.

Il lui conta la légende des Sadida.

- Les Créateurs de Boucliers font partie de l’Ordre du Feu, ils reçoivent leur enseignement avec vous. L’Ordre du Temps est constitué d’une minorité d’êtres très étranges. Ils sont très petits et ont l’apparence de jeunes adultes, mais certains d’entre eux ont plus de trois cents ans ! Pour les Sadida, nous les appelons aussi Maîtres des Plantes. S’il y a des plantes où ronces dans les parages, ils peuvent en faire ce qu’ils veulent. S’il n’y en a pas, aucun problème : ils en font apparaître. Ils le peuvent même avec de petits arbres et buissons. Par ailleurs, dans leur clan, on créait d’étranges poupées de tissus qu’ils pouvaient animer. Certaines utilisent de puissants sortilèges tout de même, ces poupées possèdent un dixième de la puissance de leurs créateurs au niveau de leurs pouvoirs. Certaines par exemple, utilisent des sorts de soin ou de puissantes attaques.

- Je n’en avais jamais entendu parler. Merci.

- Tu finis la lettre ? Les gens du berceau l’auront d’ici quelques heures.

- D’accord.

Elle prit la plume et commença à écrire à la suite de la lettre de ShadowTony. Cette fois-ci c’était lui qui était appuyé contre elle et lisait ce qu’elle écrivait.

- Qu’est-ce que je dois écrire, au fait ?

- Tout ce que tu veux, nous avons le temps.

- Bon…

 

Chers amis du berceau,

 

Nous venons de recevoir votre lettre, je vous remercie de vous inquiéter pour moi. Il est vrai que mes débuts ont été très difficiles à bord de ce bateau. Heureusement que ShadowTony était là.

J’étais malade quand je suis arrivée ici, je faisais aussi beaucoup de cauchemars. Ma tête était si douloureuse que les vertiges m’empêchaient de marcher. Je ne comprends pas ce qui s’est passé pour que j’aille si mal. Peut-être ai-je été empoisonnée ?

J’étais dans une petite cabine de bois glacée et humide, sur un matelas. Je n’ai pas pu manger pendant plusieurs jours. Puis ShadowTony est arrivé et m’a apporté à boire et à manger. Il m’a rendu ma cape. Aujourd’hui, je ne suis plus malade. Je me suis rétabli peu à peu, mais je m’ennuie beaucoup quand mon frère n’est pas là. Car ShadowTony est mon frère, mon père est le roi des démons, à Brakmar. ShadowTony m’a raconté beaucoup de choses et a répondu a mes questions, je m’ennuie moins quand je discute avec lui. J’aimerai sortir et regarder la mer, j’en ai marre d’être enfermée dans le noir.

A ce propos, il s’est passé quelque chose d’étrange hier, quand ShadowTony m’a touché le bras, je me suis endormie. Il parait que quand je dormais mon bracelet s’est mis à briller très fort. A chaque fois que ShadowTony s’approche de l’endroit où je suis, mon bracelet se remet à scintiller. Les oiseaux sont devenus rouges, celui de son médaillon comme celui de mon bracelet. Pourquoi ?

Voilà, j’attends votre venue avec impatience, je vous souhaite bonne chance, surtout à ceux qui sont partis chercher de l’aide.

 

A très bientôt, je l’espère 

Amara

 

- C’est parfait, dit ShadowTony avec un sourire. Regarde, maintenant.

Le jeune homme se concentra un instant, puis les minces lettres s’effacèrent.

- C’est un procédé peu connu, les prêtres et les personnes importantes le maîtrisent, j’ai la chance que mon père soit roi et me l’ait appris.

Il roula le parchemin et l’accrocha à la patte du gros tofu.

- Il n’en a pas l’air, mais c’est un facteur très efficace. Il n’a qu’à gonfler ses plumes et battre un petit peu des ailes et il s’envole tout doucement dans les airs. Lay est sur le pont, je peux lui demander de « te surveiller » si tu veux sortir.

- Oui j’aimerai bien, c’est possible ?

- On va voir ça, viens.

Ils se levèrent. Il la prit fermement par le bras.

- Excuse-moi, mais ce serait bête que les démons se doutent de quelque chose maintenant ! Lay devra peut-être t’attacher pour « faire en sorte que tu ne te sauves pas » mais il fera attention à ce que ça ne te gêne pas, tu es d’accord ?

- D’accord.

 

Ils sortirent tous deux sur le pont, Lay était assis sur un tonneau, au milieu du bateau.

ShadowTony la « traîna » jusqu’à lui, elle le suivit docilement.

Il dit d’une voix forte :

- Surveille bien Amara, je vais fouiller sa chambre, qui sait ce qu’elle aurait pu y cacher. De toute façon un peu de vent froid lui fera le plus grand bien.

Un démon s’approcha :

- N’avez-vous pas peur qu’elle utilise la magie pour se sauver ?

- Non, elle est encore trop faible pour ça. Et puis où voudrais-tu qu’elle aille ? Ne t’inquiètes pas. Ils resteront dans un coin pour que vous n’ayez pas peur…

Les démons restaient tout de même loin du petit groupe, celui qui avait parlé s’éloigna.

- Bon, Lay ça ne te dérange pas ? Chuchota-t-il.

- Non pas du tout.

- Si tu l’attaches, vas-y doucement s’il te plait.

- Pas de problèmes.

- Allez là-bas.

Il montra l’avant du bateau.

- OK, t’inquiètes pas.

- Et toi ? Où tu vas ? Demanda Amara à voix basse.

- Je dois d’abord envoyer le Tofu, puis je dois écrire à mon père pour lui dire qu’aucun incident ne va perturber nos plans. Soyez prudents.

 

ShadowTony s’éloigna et retourna à sa cabine, non loin de celle d’Amara.

Lay prit à son tour le bras d’Amara et l’emmena à l’endroit indiqué par ShadowTony. Ils montèrent quelques marches. Ici les bords du bateau étaient surmontés d’une balustrade de bois. Ils s’en approchèrent et s’assirent, leurs jambes pendant dans le vide au dessus de la mer. La balustrade les mettait en sécurité en les empêchant de tomber par-dessus bord.

- Bon, je vais devoir t’attacher. Tu me dis si ça te gène. Mets tes mains comme ça.

Il lui positionna les deux mains à plat l’une contre l’autre. Il se concentra un instant et de fines plantes aux douces feuilles s’enroulèrent autour des poignets de la jeune fille.

Une sensation bizarre l’envahit, elle se sentait très bien mais une idée s’imposait à son esprit : elle e pouvait pas bouger.

En effet, elle essaya de remuer ses jambes, celles-ci bougèrent faiblement, elle n’aurait pu marcher. Pareil pour ses bras.

- C’est bizarre au début, hein ?

- Oui, mais ça va.

- Les effets de cette plante sont très étranges.

 

Amara regarda autour d’elle, au moins elle pouvait tourner la tête. Aucune île n’était en vue, comme la première fois qu’elle était sortie. Le vent avait faibli, il faisait beaucoup moins froid. Le soleil brillait et le ciel était d’un bleu magnifique.

Elle ne savait pas quoi dire à Lay, il n’était pas bavard. En l’observant, elle vit qu’il regardait la mer d’un air triste. A cet instant, Amara pensa qu’il avait l’air très malheureux. Les yeux humides et brillants, il avait la tête appuyée contre la balustrade. Amara en eût le cœur serré. Elle aurait aimé le réconforter mais ne savait pas comment s’y prendre, lui demander ce qu’il avait aurait été indiscret.

 

Lay soupira à côté d’elle, il ne semblait pas décidé à parler. Amara regarda la mer à son tour, ne voir que de l’eau à perte de vue était impressionnant, le bateau n’allait pas très vite, la mer était très calme.

Elle tourna la tête vers Lay qui lui dit :

- Pourquoi as-tu l’air si heureuse Amara ?

- Je ne suis pas heureuse. Simplement optimiste. Je suppose que tu sais ce qu’ils ont fait… au cimetière…

Sa voix tremblait légèrement, elle luttait pour ne pas pleurer, troublée par l’attitude du jeune homme et la pensée de Misugi.

- Oui je le sais… C’est pourquoi je t’ai posé cette question… Je ne sais pas comment tu peux encore arriver à sourire.

- Evidemment c’est dur… Je souffre beaucoup.

Des larmes perlèrent malgré elle aux coins de ses yeux.

- Mais je me dis que la vie continue… au début sur le bateau j’étais totalement désespérée, perdue ? Mais c’est parce que je croyais que je ne m’en sortirais pas, j’étais seule ici, on allait me livrer à des démons encore plus cruels que ceux qui m’ont enlevée, ceux qui ont…

Elle étouffa un sanglot, depuis qu’elle avait commencé à parler, les larmes coulaient sur ses joues sans qu’elle puisse les retenir.

- Tu comprends ? Maintenant il y a quelqu’un qui m’aide, quelqu’un a qui j’ai pu parler et me confier. Je sais que ShadowTony ne remplacera jamais Misugi, mais on ne peut pas revenir en arrière, et je sais que je vais devoir continuer à vivre sans lui, et qu’il faut que je surmonte ma douleur. Je ne veux pas baisser les bras.

- Tu es courageuse…

- Je ne sais pas… mais tout ce que je veux c’est vivre ma vie. Normalement. Je ne sais pas si je pourrais être « courageuse » si je perdais d’autres personnes qui me sont chères… Mais pour l’instant je veux continuer à avancer.

- Oui tu as raison… mais ce n’est pas facile, il faut beaucoup de volonté…

- Qu’est-ce qui t’es arrivé ?

- C’est les démons… dans le quartier où j’habitais, à Brakmar. Ils ont enlevé toutes les femmes et en ont fait des démones… Au début personne ne le savait, mon amie était parmi elles. Au début, tout allait bien, puis elle a commencé à sortir la nuit, à me cacher des choses. Je souffrais énormément de son attitude, j’ai essayé de lui parler. Elle m’a simplement dit « c’est pour ton bien, tu verras ». Je l’ai crue aveuglément. C’est quand je l’ai vue tuer que j’ai compris ce qu’ils avaient fait. Je l’ai suivie une nuit et j’ai vu ce qu’elle faisait, avec les autres démones… Je l’ai vu tuer des hommes, des femmes, des enfants… Elle n’était plus elle-même. Et ils l’employaient pour me rendre comme eux, j’ai du m’enfuir sur ce bateau, tout laisser pour fuir la femme que j’aimais, car je savais que je finirais par leur céder… Je regrette de l’avoir laissée, de ne pas m’être battu…

 

Il reprit après un court moment de silence.

- Mais je ne veux pas t’ennuyer avec mes histoires, tu ne peux rien y faire de toutes façons.

- Désolée, mais tes histoires m’ennuient moins que le silence. Peut-être que je ne peux rien arranger, mais ça fait du bien de parler. Est-ce que tu en as déjà discuté avec quelqu’un ?

- ShadowTony mon seul ami est très occupé en ce moment…

- Quand les secours viendront, vous passerez beaucoup de temps ensemble. Il m’a parlé de missions qu’il devait effectuer.

- Oui, je le suivrai.

- Le sortilège qui emprisonne les démons ensorcelés par le Maître sera brisé quand nous aurons déjoué ses plans. Tout redeviendra comme avant. En tout cas je me battrai pour ça ! Si nous nous unissons tous, nous pourrons vaincre le mal, tu es d’accord avec moi ?

- Oui, bien sûr.

- Tu dois aussi te battre… imagine quand tout sera fini, tu rentreras chez toi, tu retrouveras ta compagne… C’est ce que tout le monde veut.

- Oui, tu as raison Amara.

 

Ils se remirent à regarder la mer silencieusement, réfléchissant. Ils passèrent un long moment ainsi ? L’après-midi était déjà bien avancée quand ShadowTony les rejoignit. Il vint s’asseoir entre eux deux.

- Voilà. Mission accomplie. Nous n’avons plus qu’à attendre une réponse, dit-il.

- Pff qu’est-ce qu’on va bien pouvoir faire pendant une semaine, lui demanda Amara.

- Ben… attendre…

- Est-ce que nous aurions dû nous arrêter quelque part avant d’arriver à Brakmar ?

- Normalement non, nous allons à Brakmar directement et le plus vite possible…

 

Amara pensa à se lever, mais elle ne pouvait toujours pas bouger.

- Vraiment efficace cette plante.

Lay sourit faiblement.

- Oui, mais des contresorts peuvent facilement la neutraliser.

- Il y a encore beaucoup de choses que je ne connais pas sur la magie…

- Bien sûr ! Mais nous aussi tu sais. Si tu as eu l’Oiseau c’est que tu connais les brases, tout est dans l’entraînement à présent.

En pensant à ses entraînements, le sourire d’Amara s’effaça. Avec qui allait-elle s‘entraîner maintenant que Misugi n’était plus là ? …

 

ShadowTony posa sa main sur celle d’Amara d’un air désolé.

- Tu peux la libérer, Lay, murmura-t-il.

La petite corde végétale disparut du poignet de la jeune fille qui serra la main de son frère.

Tous trois tournèrent la tête vivement quand un démon cria :

- Lay !!!

Le jeune Sadida soupira et se leva.

- A tout à l’heure.

Il partit, ShadowTony et Amara se levèrent aussi, il lui reprit le bras.

- Nous allons rentrer, d’accord ?

- Oui.

- Je préfère discuter à l’intérieur, c’est moins risqué, dit-il en montrant les démons discrètement.

Amara acquiesça d’un petit signe de tête et tous deux retournèrent jusqu’à la petite cabine.

Eclairés par le bracelet de la jeune fille, ils n’avaient même plus besoin de bougie. La pièce était suffisamment éclairée pour que, près du bracelet, les deux jeunes gens puissent se voir, se regarder.

 

Amara se surprit à penser à Œil-de-loutre, sa grande sœur. Elle se rappelait quelques soirées passées dans leur petite chambre mansardée, à la faible lueur d’une petite bougie. Œil-de-loutre lui manquait aussi beaucoup, et les moments passés avec ShadowTony lui rappelaient Œil-de-loutre. Elle sourit à ShadowTony qui lui rendit son sourire.

 

 

○○○

 

 

De son côté, ShadowTony ressentais d’étranges sentiments. Chez les démons, il avait réussi à se faire aimer et respecter par beaucoup, mais il n’avait qu’un seul ami proche, Lay. Mais depuis que le Maître était revenu, il avait eu peu d’occasions de parler avec lui, ça lui manquait.

Il pensa tout d’abord que c’est ce qui faisait qu’il aimait être avec Amara, à cause de ces instants privilégiés qu’il passait seul à seule avec elle, à discuter de tout et de rien. Mais il s’aperçut vite que c’était autre chose. Il se sentait proche d’elle, il lui semblait avoir enfin trouvé ce qu’il désirait depuis longtemps.

En effet, plus son père cherchait « l’enfant », plus ShadowTony cultivait le désir de rencontrer cet enfant. Et il l’avait enfin retrouvée, il parlait avec elle et pouvait la regarder, la toucher.

Amara lui ressemblait beaucoup, tant physiquement que par sa manière de penser. Depuis leur rencontre, il faisait en sorte de pouvoir passer le plus de temps possible avec elle. Chacun était curieux de connaître le monde de l’autre, sa vie, l’endroit d’où il venait. Mais ShadowTony n’osait pas trop lui poser de questions, il ne voulait pas qu’Amara croie qu’il l’interrogeait réellement au profit du Maître. La confiance que lui accordait la jeune fille lui était précieuse. Par chance, Amara parlait naturellement et lui disait ce qu’il voulait savoir sans qu’il n’aie besoin de le lui demander.

ShadowTony avait hâte de pouvoir partir de cet endroit, mais en même temps, il n’avait pas envie de quitter Amara, il avait peur de ne pas la revoir avant un long moment. Mais il ne pouvait pas l’emmener, c’était beaucoup trop risqué et il ne devait pas faire passer son intérêt personnel avant la survie d’Amara. C’est exactement ce que le Maître aurait voulu qu’il fasse, et il ne pouvait se le permettre.

 

 

○○○

 

 

ShadowTony était à nouveau plongé dans ses pensées. Amara lâcha sa main et s’allongea sur le matelas, derrière lui. Il se tourna et la regarda.

- Où as-tu eu cette cape ? Je n’en ai jamais vu de pareilles.

- Oh… Mes parents adoptifs me l’ont donnée avant que je ne parte au berceau. Il parait que je l’avais sur moi quand ils m’ont trouvée.

La jeune fille raconta le jour où on l’avait trouvée, à la fontaine, tel que le lui avaient raconté ses parents.

- Regarde.

 Elle sortit la longue chaînette qu’elle avait autour du cou, où les trois petites clés étaient accrochées.

- Je l’avais autour du cou quand on m’a trouvée.

ShadowTony prit les petites clés dans sa main, au dos figurait une inscription gravée : Amara.

- Tu ne sais pas d’où ça peut bien venir ?

- Non. J’aimerais bien le savoir. Rien ne parle de cape ni de trois petites clés dans les livres de la bibliothèque. Je crois que je ne le saurais jamais ;

- Je ne pense pas que notre mère te les ait donnés, elle ne t’avait même pas encore donné de nom et ne t’avait présentée à personne, d’ailleurs la plupart de démons ne savent pas que « l’enfant » est une fille.

Ils discutèrent longtemps à nouveau.

 

En début de soirée, on frappa à la porte. ShadowTony se leva vivement.

- ShadowTony ? C’est moi…

ShadowTony se rassit calmement en reconnaissant la voix de Lay.

- Tu peux entrer.

Le Sadida entra et referma la porte.

- Tu nous as fait peur, Lay.

- Désolé... j’apportais à manger. Je suppose que tu ne mangeras pas avec eux, ShadowTony ?

- Tu supposes bien.

- C’est encore de la soupe, pour changer. Je me permets de me joindre à vous.

Il posa la grosse casserole sur la caisse de bois et la rapprocha du matelas. Il servit ensuite trois bols de l’épaisse soupe de légumes.

 

Amara se releva et s’assit au bord du matelas à côté de ShadowTony. Lay reprit place devant eux, adossé à la porte. Dans la petite cabine, il y avait à peine la place pour les trois personnes, la caisse et le matelas.

- Merci Lay, dit Amara. C’est gentil de ta part.

Ils se mirent à manger.

 

• CHAPITRE 19 : La tempête

 

Le jour commençait à baisser quand les huit compagnons s’arrêtèrent. Le campement fut dressé sur une grande plage.

Keazou et DrouVirus partirent chercher du bois pour allumer le feu pendant que les autres se préparaient avec des feuilles et pommes de pins trouvés au bord de la petite forêt.

Quand les deux jeunes hommes revinrent, le feu fut rapidement allumé. Chacun déballa les provisions qui lui restaient et Dark annonça :

- Nous n’avions pas prévu que le pique-nique était à la fois pour le matin et le soir. Nous n’avons plus grand-chose.

DrouVirus lui demanda :

- Est-ce qu’il y a quelque chose à chasser par ici ?

- Hmm… oui dans les champs il y a des Tofus, Bouftous et sangliers sauvages.

- Nous pourrions peut-être en attraper quelques uns ?

- C’est une bonne idée.

- Je suis chasseur, et Glo est très bonne cuisinière.

- OK, allons y.

- Kea, viens avec moi, lança-t-il au jeune homme avant de se tourner vers les autres. Nous revenons tout de suite.

 

Les deux garçons s’éloignèrent de la plage et contournèrent la petite forêt. Ils arrivèrent bientôt au bord d’un champ de blé et d’avoine, où courraient des dizaines de petits tofus sauvages aux plumes jaunes et duveteuses.

- Ca fera l’affaire, non ?

- Oui, je pense.

DrouVirus détacha sa cape et dit :

- Bon… si ça ne t’embête pas, tu vas avancer au milieu du champ et faire peur aux Tofus pour les rabattre vers moi.

- D’accord, pas de problèmes.

Keazou s’avança au milieu des Tofus qui voletèrent plus loin, il avança lentement derrière eux et, au signal de DrouVirus, commença à leur courir après en agitant les bras. DrouVirus abattit la cape sur le groupe de Tofus qui fonçaient droit sur lui et en emprisonna quelques uns. Ils s’occupèrent de ceux-ci et recommencèrent l’opération. Ils en attrapèrent une quinzaine ainsi. Sur le chemin du retour, ils croisèrent Dark qui vint rapidement à leur rencontre.

 Je vais faucher un peu de blé pour compléter notre repas.

- Bonne idée, lui répondit DrouVirus.

Celui-ci donna leurs gibiers à Keazou et commença à ramasser de longues et fines tiges de bois pendant que Dark fauchait le blé avec une petite faux. Quand ils arrivèrent au campement avec les Tofus, tout le monde les applaudit. Ils les donnèrent à Globox qui commença à les préparer. Pendant ce temps, Dark revint avec de nombreux épis de blé dans les bras, il en distribua à tout le monde.

- Il nous faudrait un récipient… Dit War en tournant la tête vers les tofus qui venaient de manger des graines dans une grande gamelle de métal.

- Bon ben en voilà un.

Il rinça le récipient avec un peu d’eau de mer.

Tout le monde s’appliqua à séparer les petits grains de blés des épis et a les déposer dans la gamelle.

- Quelqu’un a de l’eau, au moins ?

- Oui, oui !

Keazou lui fit passer sa gourde et Dark la versa dans le récipient plein de blé.

DrouVirus alluma un nouveau feu où il ne laissa que les braises. Dark posa la gamelle dessus pour faire cuire le blé comme on aurait préparé un plat de pâtes.

Pendant qu’ils faisaient ça, Globox avait plumé et embroché les petits oiseaux qui seraient délicieux une fois grillés.

Pour les protéger du sable, elle les posa sur une vieille cape marron qu’elle avait étendu au sol. Les Tofus n’étaient pas gros et il y’en avait deux sur chaque petite tige de bois.

Dark, avec une petite tailladeuse d’arc, tailla des branches de bois dur et les planta profondément dans le sable de sorte que l’on puisse poser les « brochettes » dessus, au dessus du feu.

Tout était enfin prêt et ils n’avaient plus qu’à attendre que ça cuise en surveillant la nourriture.

 

Les deux gros Sangliers qui ne semblaient pas apprécier le sable s’étaient éloignés vers la forêt où ils cherchaient glands et racines à manger.

Le gros Bouftou quant à lui, dormait, blotti devant le feu, près des huit compagnons assis en cercle.

L’énorme Craqueleur savait se faire très discret, il restait toujours en retrait, à quelques mètres de sa maîtresse.

 

Une fois le blé cuit, le plat passa entre les mains de chacun. Les Tofus sauvages finirent de cuire, ils étaient délicieux, grillés et croustillants.

 

- Bon, après ce succulent repas, il va falloir se décider pour les tours de garde. Tout d’abord, nous avons avancé beaucoup plus vite que prévu aujourd’hui, et nous arriverons aussi rapidement dans le Clan des Sadida qu’au village des Tofus Perdus si nous avançons aussi rapidement qu’aujourd’hui. Nous nous arrêterons dans ce village plutôt au retour, si ça ne dérange personne.

Les jeunes gens se regardèrent, Beothien semblait contrarié mais ne dit rien, ils étaient tous d’accord.

- Nous venons de voir que l’on peut très bien se débrouiller sans devoir emporter des provisions. Regardez.

Keazou sortit une grande carte, la déplia sur le sable et la leur montra en leur donnant des explications :

-  Nous sommes ici en bord de plage. Il faut traverser les champs directement jusqu’à la pleine des dragœufs sans faire de détour par le village des tofus perdus. Nous marcherons peut-être une petite partie de la nuit sur la plaine des dragœufs mais sûrement moins que si on avait passé du temps au village. Regardez, nous aurions dû passer par ici et je vois que l’on peut couper directement vers le clan des Sadida. Nous gagnerons un jour de marche. Une fois au clan des Sadida, il nous restera une petite heure pour aller chez les Chevaliers de la Terre. Nous serons même en avance. Par contre au retour il sera plus difficile de chasser pour se nourrir car nous serons normalement plus nombreux, il faudra emmener des provisions. Au retour nous passerons au village des Tofus Perdus pour se restaurer. Ensuite on repassera sur cette plage, puis à Sufokia et enfin au berceau.

 

Loulou compta :

- Demain nous serons au berceau des Chevaliers de la Terre, après-demain au village des Tofus Perdus, dans trois jours sur cette plage. Dans quatre jours, retour à Sufokia, et dans cinq jours arrivée au berceau. Il nous reste cinq jours de marche, cela fait déjà deux jours que nous marchons. Donc, une semaine en tout.

- Exactement, nous aurions pu marcher beaucoup plus longtemps. Au retour, il faudra être discrets et prudents pour alerter le moins possible les démons… mais nous serons nombreux, ce sera difficile…

- Oui, ce sera difficile. Il faudra sûrement se battre… Nous allons contourner le labyrinthe. Même s’il n’y a généralement personne plus loin que l’entrée, en ce moment il doit y avoir des gardes tout autour, avança Djahil.

- Oui, bien entendu. De toute façon, avec les Chevaliers de la Terre, nous serons forts. Bon, mes amis, nous avons la chance d’avoir une nuit magnifique et une température très agréable. Après ce bon repas, je vous souhaite donc bonne nuit. Je monterai la garde une partie de la nuit avant de venir réveiller l’un de vous.

- On devrait monter la garde deux par deux, ce serait plus prudent.

- OK, qui reste avec moi ?

DrouVirus vint s’asseoir près de lui.

- Bonne nuit tout le monde.

Le début de la nuit se passa sans incidents. Au bout de quelques heures, DrouVirus réveilla Dark et War. Kea et DrouVirus allèrent se coucher.

 

 

•••

 

 

 

Pendant cette même soirée, au fond d’un bateau, dans une petite cabine éclairée par la lumière rougeoyante d’un bracelet de métal, trois amis discutaient.

Lay, ShadowTony et Amara venaient de terminer leur repas et discutaient à propos de ce qu’ils feraient une fois sortis du bateau.

A vrai dire, il n’y avait que ShadowTony qui le savait précisément, mais il n’était pas bavard à ce sujet. Lay n’avait qu’une conviction : il allait suivre ShadowTony, son ami de toujours. Il se sentirait moins seul. Et puis, tout au long de leur amitié, Lay avait vu ShadowTony gagner en puissance, il se sentait en sécurité près de lui. En effet, le frère d’Amara avait profité de l’enseignement des démons basé sur un seul but : la puissance, et en avait tiré profit dans l’optique de réussir finalement à combattre ces démons.

Amara quant à elle, verrait bien ce qu’on lui dirait de faire et où on lui dirait d’aller. Elle resterait avec les gens du berceau. Elle se demandait d’ailleurs où ils pourraient bien aller, ce qu’ils pourraient bien faire.

Les trois amis se quittèrent tard dans la nuit après une longue discussion à ce sujet.

 

 

•••

 

 

Keazou dormait depuis une bonne heure quand il fut réveillé en sursaut par War qui le secouait sans ménagement. Le jeune homme se dit qu'il devait dormir très profondément pour ne pas avoir entendu ce bruit assourdissant. Les sept autres étaient tous debout, essayant de rassembler leurs affaires. Une tempête s’était levée brusquement et le vent soufflant avec fracas sur la plage. La mer, si calme la veille était secouée par le vent, des rouleaux de plus d’un mètre de hauteur venaient s’écraser bruyamment sur la plage. Keazou et les autres se mirent à courir, luttant contre le vent, et s’enfoncèrent dans la forêt. Ils devaient crier pour s’entendre, la tempête se déchaînait et devenait de plus en plus forte. La pluie ne tarda pas à s’ajouter au vent furieux. Les huit compagnons s’immobilisèrent au milieu de ce petit bosquet, serrés les uns contre les autres. La pluie les fouettait cruellement. Keazou leur cria :

- On peut pas rester là !

Les arbres bougeaient dangereusement, ils ne voyaient pas le sol, dans la nuit noire.

Keazou dit quelque chose mais sa voix fut couverte par une bourrasque de vent et de pluie glacée.

Quelques secondes plus tard, un roulement de tonnerre les fit sursauter, Loulou cria.

Keazou essayait de garder son sang froid mais se sentait un peu perdu, il ne savait plus que faire. Le tonnerre gronda à nouveau, la foudre s’abattit non loin d’eux. Les éclairs éclairaient un paysage chaotique et sombre, le vent et la pluie continuait de souffler et de fouetter le visage des compagnons.

Dark se mit à courir :

- Venez !

Ils se mirent tous à courir à sa suite, les animaux suivant tant bien que mal. Ils coururent ainsi un long moment, pataugeant à travers champs. Ils avaient l’impression que tout tremblait, que la tempête n’allait jamais s’arrêter.

DrouVirus s’écria :

- Il y a de la lumière ! Là-bas !

Une détonation du tonnerre les fit accélérer encore, la tempête semblait les poursuivre. Ils continuèrent leur course vers la lumière. Ils arrivèrent bientôt à une grande ferme aux fenêtres illuminées.

Dark prit la tête et répéta :

- Venez !

Il se jeta littéralement à genoux devant la ferme et tambourina à la porte.

- S’il vous plait !

Dark se releva difficilement quand la porte s’ouvrit. Il répéta :

- S’il vous plait…

Une vieille femme aux cheveux verts s’écria :

- Oh mes pauvres enfants ! Entrez, entrez vite !

Les huit compagnons entrèrent, suivis par leurs animaux, par chance aucun n’avait été blessé. La ferme toute entière tremblait, les vitres vibraient.

La femme répéta :

- Oh mes pauvres enfants… Que faisiez vous dehors en pleine nuit ? Et par un temps pareil ?

Tous les huit étaient au milieu de la pièce, trempés. Certains s’étaient laissé tomber à terre, encore secoués par ces émotions.

- Oh la la la la !

La vieille dame tira un grand banc de la table jusqu’au devant de la cheminée.

- Installez vous je vais aller chercher des couvertures.

Ils s’assirent en silence sur le banc, la tempête faisait rage au dehors, l’orage tonnait, la pluie tombait à grand bruit. Les jeunes gens, tremblants, regardaient la vieille dame revenir. Elle leur posa des couvertures sur les épaules. Dark prit la parole :

- Merci madame.

- Mais de rien mon petit. Pourquoi étiez vous donc dehors ?

Keazou raconta leur histoire pendant que la dame leur préparait du thé. Elle leur apporta des tasses fumantes. Keazou la remercia et continua.

- Il faisait un temps magnifique quand nous avons dressé notre campement… Comment le temps peut-il changer si brusquement ?

- Eh bien… ce n’est pas un orage naturel, ça c’est certain. D’après votre histoire, vous devez connaître l’existence du Maître du mal ?

- Oui, en effet.

- Eh bien, je vais vous raconter une histoire. Le « Maître » a un jour entendu parler d’une légende. Voulez vous l’entendre ?

- Oui, s’il vous plait.

La vieille dame s’installa dans un fauteuil à bascule et se couvrit les jambes d’une fine couverture. Pendant que les huit compagnons buvaient leur thé en se réchauffant près du feu, la vieille dame se mit à raconter :

 

Il était une fois, il y a très longtemps dans le château d’Amakna, vivait une jeune gouvernante. Elle s’appelait Aki et était une très jolie Sadida. Elle menait une existence simple et effectuait avec soin le travail qui lui était confié au château. La jeune Sadida ne se doutait pas du pouvoir qui l’habitait, elle ne savait même pas qu’il y avait de la magie en elle jusqu’au jour ou le prince de ce château était entré dans sa petite maisonnette, blessé. En le soignant, elle avait senti une force magique s’infiltrer dans son corps. Elle s’était rappelé avoir déjà rencontré pareil évènement quand elle était petite, près de sa mère. Elle ne chercha jamais à utiliser la magie, car après tout elle ne l’avait jamais utilisée et ne savait pas comment faire.

Cette jeune fille continua sa vie au château sans le moindre souci.

Un jour qu’elle allait faire son marché, Aki fut attirée par un magnifique livre, dans la vitrine d’une boutique d’antiquité. Sur un coup de tête, elle l’acheta et le ramena chez elle.

Quand elle l’ouvrit, un formidable orage éclata. Dans le livre elle lut ces quelques phrases :

 

Toi qui lis cet ouvrage

Viens de créer un nouvel élément

Qui perdurera au fil des âges

Quand il choisira son descendant.

 

Deux êtres de lumière sont nés

Pour assurer notre destinée.

Ils seront Maîtres des orages

Qui frappent ton pays avec rage.

 

Leur pouvoir sera immense

L’un d’eux sauvera l’humanité

S’il use avec sagesse, avec clémence

Du pouvoir dont il a hérité.

 

Celui qui nous sauvera

Pourra réduire à néant

Celui qui porte l’aura

De son élément.

 

C’est ainsi qu’apparut l’être de lumière

Et que deux êtres naquirent sur notre Terre.

 

Cet orage que tu vois

Se reproduira quand l’un des êtres

Trouvera son héritier et lui apprendra

A en devenir le Maître.

 

Si ces paroles sont oubliées

Le monde connaîtra un grand tourment

Car la lumière reste la clé

Qui unira les quatre éléments.

 

Le totem sacré

Permettra à l’élu de s’envoler

Vers le ciel illuminé

Qui vaincra l’obscurité.

 

Toutes les autres pages du beau livre étaient vierges, de minces reflets lumineux les parcouraient.

Depuis, des orages tels que celui-ci éclatèrent au fil des générations.

 

- Le maître s’est mis à la recherche du livre pour découvrir ce qu’il cache, continua-t-elle, mais il ne l’a jamais trouvé. Le bruit court qu’il possède déjà l’élément de lumière et qu’il cherche à l’utiliser contre ses ennemis. On raconte aussi qu’il cherche à le transmettre à l’un de ses serviteurs, c’est peut-être ce que le livre appelait son « descendant ».

 

Keazou regarda la vieille dame, il trouvait impressionnant qu’elle se souvint de tant de choses et puisse les raconter avec autant d’exactitude. Il demanda :

- Madame… L’avez-vous noté quelque part ? Je suis sûr que cela pourrait nous être d’une aide précieuse. Je ne sais pas si notre prêtre connaît cette légende.

- Je vous donnerai le parchemin. Vous allez passer la nuit ici, et dès demain je vous conduirai chez les Chevaliers de la Terre.

- Merci madame… répondit Globox à la vieille femme.

 

Les animaux s’étaient rapprochés timidement de la cheminée et se tenaient près du banc.

- Je vais vous installer au grenier si ça ne vous dérange pas de dormir sur la paille.

Elle regarda la mince échelle qui se trouvait contre le mur, puis le craqueleur.

- Hum… Je ne pense pas que votre ami puisse monter au grenier. Les animaux peuvent dormir dans la grange avec mes Tabis.

Globox se leva et suivit la vieille dame jusqu’à une vieille porte au fond de la grande pièce. Elles entrèrent dans la granges, suivies des deux Sangliers, du Bouftou, des quatre Tofus et de leur mère le Bwork et du Craqueleur.

Elles revinrent quelques minutes plus tard.

- Voilà, vous pouvez monter, je vous apporte d’autres couvertures.

Les huit compagnons montèrent par la petite échelle et arrivèrent dans un sombre grenier plein de ballots de paille et d’herbe sèche, ils étendirent leurs couvertures sur la paille et attendirent la vieille dame. Elle arriva quelques instants après et leur donna d’épaisses couettes. Un coup de tonnerre les fit sursauter.

- Ne vous inquiétez pas, cette vieille ferme en a vu d’autres. Dormez en paix mes enfants, je viendrai vous réveiller pour le petit déjeuner.

- Merci pour tout madame.

- Au village, on m’appelle Tante Lucette. Bonne nuit.

 

Tante Lucette descendit la petite échelle et laissa les compagnons dans le noir. Ils se couchèrent tous ensemble sur leur lit de paille et se couvrirent des chaudes couettes. La pluie battait furieusement la petite lucarne, les éclairs éclairaient par moment le grenier. Keazou sursautait légèrement à chaque coup de tonnerre, le cœur battant, il se tourna vers Loulou et la prit dans ses bras, autant pour la rassurer que pour se rassurer lui-même. Il détestait l’orage et se sentait mal à l’aise en entendant les roulements menaçants du tonnerre. Il ferma les yeux et finit finalement par s’endormir. Tous les huit sombrèrent peut à peu dans le sommeil. Il était environ trois heures du matin.

 

 

•••

 

 

Deux heures à peine après que Lay, ShadowTony et Amara se soient séparés, la jeune fille se réveilla en sursaut, projetée à l’autre bout du matelas, contre la coque du bateau. Elle se rétablit tant bien que mal au milieu du matelas et regarda autour d’elle, sortant peu à peu du lourd sommeil duquel elle avait été arrachée. Elle se frotta les yeux et fut à nouveau projetée contre la paroi de sa cabine. Le bateau semblait secoué par une force invisible, une grande agitation régnait au dessus d’elle, sur le pont du bateau. Elle se leva, manqua de tomber. Le bateau bougeait vraiment beaucoup. Amara entrouvrit la porte et regretta immédiatement son geste : le vent glacé et la pluie s’engouffrèrent par la porte entrebâillée et l’ouvrirent, la faisant claquer violemment. Un grand frisson parcourut le corps de la jeune fille, elle essaya de sortir dans la salle d’à côté mais fut bousculée par Lay qui se précipitait vers le pont. Il lui cria :

- Ama ! Rentre dans la cabine ! Ferme la porte, vite !

Amara, docile, rentra dans sa cabine et lutta contre le vent pour refermer la porte. Elle fut aidée par un mouvement du bateau qui la plaqua contre la porte qui se claqua. Amara était gelée, le vent et la pluie glaciale qui l’avaient fouettée avaient rougi sa peau et elle tremblait de froid. Elle alla tant bien que mal sur le matelas et se blottis sous sa cape. Le bateau, à chaque moment menaçait de la propulser contre les murs. Elle s’accrocha au matelas, toute tremblante.

Soudain, un coup de tonnerre retentit, si fort qu’Amara eut l’impression que le bateau explosait. Elle apercevait parfois la lumière des éclairs, sous la porte.

 

 

○○○

 

 

Sur le pont, les démons luttaient contre la tempête, tiraient su des cordes pour rabaisser les voiles qui claquaient contre le mât. Les cordes s’emmêlaient. La foudre tomba, une voile s’enflamma. Après beaucoup d’efforts, les démons parvinrent à faire tomber le morceau de tissus en feu dans la mer, pour sauver les autres parties de la voile. Une fois toutes les voiles hors d’atteinte de la tempête, le chef cria :

- Retournez tous dans vos cabines ! Je veux deux hommes avec moi ! On va jeter l’encre, on peut plus bouger cette nuit.

Tous les démons entrèrent dans le bateau et se dispersèrent dans leurs cabines. ShadowTony qui partageait sa cabine avec Lay dit à celui-ci.

- Je vais voir Amara, si le chef revient, dis-lui que je vais juste vérifier qu’elle va bien. Le bateau bouge beaucoup et elle n’a rien à quoi s’accrocher.

- OK.

ShadowTony arracha la couverture du dessus de son lit et se précipita au dehors, il se dirigea vers la cabine de la prisonnière.

 

 

○○○

 

 

Amara, gelée, se recroquevilla sur elle-même ; le froid brûlait ses bras et ses jambes nues. Son bracelet se mit à briller, enfin ShadowTony venait la voir ! Elle gémit quand le vent entra dans la cabine par la porte que ShadowTony venait d’ouvrir, elle tremblait encore, blottie sous sa cape. ShadowTony ferma rapidement la porte et regarda sa petite sœur dans la pénombre. Il la recouvrit de sa couverture, Amara lui sourit faiblement.

- Merci…

ShadowTony, peu couvert lui aussi et venait du dehors ou la tempête se déchaînait, grelottait, debout devant la porte. Il s’assit sur le matelas en frissonnant. Elle le couvrit d’un côté de la couverture, mais, découverte, elle frissonna à son tour. Il se glissa doucement près d’elle et remonta la couverture sur leurs épaules. La jeune fille se blottit instinctivement contre lui. Il se tourna vers elle :

- Ca va, Amara ?

Elle claquait des dents.
- J’ai froid…

Il la prit dans ses bras et la serra contre lui.

- Qu’est-ce qu’il se passe ?

Tous deux chuchotaient, le bateau bougeait toujours autant mais ils étaient serrés l’un contre l’autre, au milieu du matelas, ce qui atténuait les secousses du bateau. La cabine isolée les protégeait de tous les bruits de la tempête, même les vagues frappaient plus haut sur le bateau, provoquant un léger bruit sourd. Seul le tonnerre persistait et grondait avec force.

Le bracelet d’Amara brillait plus fort que jamais.

- Hier soir le temps était stable, la mer calme. Peu après qu’on soit allés nous coucher, le bateau s’est mis à bouger. On a quasiment été jetés du lit par la tempête. Puis juste après, par le chef qui avait besoin de nous… On est sortis, il fallait rentrer les voiles à cause de la tempête. Il y a beaucoup de vent et de pluie glacés, puis l’orage s’est levé. Une voile a brûlé, ce qui est un bon point pour nous car le bateau avancera moins vite. Avec ce vent, plusieurs hommes ont failli passer par-dessus bord… Le chef a donné l’ordre de rentrer les voiles et de jeter l’encre, encore un bon point pour nous.

Amara rouvrit les yeux et se serra contre lui.

- Ca va mieux toi ?

- Oui, merci beaucoup ShadowTony.

Amara sentait ses yeux se fermer, elle posa la tête sur son épaule et ferma les yeux. Elle sourit en l’entendant murmurer.

- Bonne nuit, petite sœur.

 

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