CHAPITRE 12 : Prisonnière des démons
Quand Amara se réveilla, elle était allongée sur un vieux matelas. Elle avait la tête lourde et douloureuse. Elle ouvrit les yeux et regarda autour d'elle, il faisait sombre mais Amara estima qu'il devait faire jour. La pièce était petite, la jeune fille tandis la main hors du matelas et toucha le sol, le parquet de bois était humide et froid. Il émanait du matelas et d'ailleurs de la pièce toute entière une forte odeur de moisi et d'humidité.
Amara essaya de s'asseoir mais fut prise de vertiges et fut forcée de se rallonger. Elle ferma les yeux et se força a réfléchir. Pendant plusieurs minutes, rien ne lui vint à l'esprit mis à part la douleur lancinante qui lui vrillait la tête. Puis peu à peu, les souvenirs affluèrent dans son esprit. Elle revit le caveau sombre et les démons avançant vers son ami. La dernière image qui apparut devant ses yeux était le démon, annonçant d'une voix froide que Misugi était mort. Amara gémit à cette pensée, la douleur lui serrait le cur, des larmes coulaient sur ses joues. Elle porta la main à son visage et ne put réprimer un cri en la voyant : sa main était toujours recouverte du sang de Misugi ses jambes et le bas de sa robe étaient elles aussi tachées de sang. Amara en eut l'estomac noué et du se concentrer pour ne pas vomir.
Elle rouvrit les yeux et tenta de se concentrer sur ce qu'elle avait autour d'elle. Elle s'assit au milieu du matelas au prix d'un effort considérable et d'une violente douleur qui sembla exploser dans sa tête. Elle se sentait fiévreuse, et tremblait de tout son corps.
La jeune fille sursauta en sentant le sol bouger au dessous d'elle. Elle voulut mettre cette impression sur le compte de son état de santé, mais un coup plus violent la fit tomber en arrière. Amara se sentait faible et lasse, elle avait peur. Elle s'allongea sur le dos, les mains croisées sur son ventre et ferma les yeux. Le sol, qui bougeait réellement de droite à gauche, la calmait. Elle perçut un bruit sourd et irrégulier qui raisonnait contre les murs comme de l'eau ! Amara venait de comprendre qu'elle devait se trouver dans la cale d'un bateau ce qui n'eut aucun effet rassurant sur elle, bien au contraire.Elle résuma la situation : elle était seule dans une petite pièce sombre et moisie, dans le fond d'un bateau plein de démon qui naviguait vers une destination qui lui était inconnue. Par-dessous tout ça, elle n'était pas en mesure de faire quoi que ce soit, rien que le fait de marcher lui aurait été extrêmement difficile.
La jeune fille avait la gorge sèche, elle avait besoin de boire. Toute son attention fixée sur cette idée, Amara se rendormit.
oooLes heures passaient au berceau, l'endroit était comme transformé par les récents évènements. Chacun ne parlait qu'à voix basse, les salles d'entraînement et jardins étaient déserts.
L'atmosphère, pesante, était insoutenable. La plupart des membres de l'ordre n'avaient qu'une idée en tête, se réveiller le lendemain matin pour s'apercevoir que tout cela n'ait été qu'un affreux cauchemar.Keazou et Loulou furent convoqués au Temple. Maître Tsongor et la Prêtresse Samilia les y attendaient.
Le maître prit la parole :
- Je ne vais pas passer par quatre chemins et vous expliquer ce que j'attends de vous. Inutile de vous dire que la situation est très grave. Je suis allé au village ce matin pour prévenir les parents d'Amara, et des marchands m'ont affirmé avoir vu un navire prendre la mer, cette nuit. Il y a toutes les chances pour qu'Amara soit séquestrée à bord de cette embarcation.
- Il faut aller la chercher ! Je
- Du calme Keazou, cette mission est très délicate. Les démons ne doivent en aucun cas se douter de ce que nous préparons. Nous savons qu'une île au large d'Amakna abrite un nombre important de démons, c'est en quelque sorte une base pour leurs marins qui leur permet de se ravitailler s'ils viennent de loin. La ville principale des démons se trouve au Sud-Ouest d'ici, on peut y accéder par la terre, mais il faut traverser d'immenses landes hostiles et dangereuses. Les démons préfèreront probablement s'y rendre par voie maritime. En effet, ils y parviendront plus rapidement que par la terre, et il sera plus difficile pour nous de les localiser. C'est sûrement là qu'ils emmènent votre amie.
Ce que nous savons aussi, c'est qu'ils ne lui feront aucun mal, ils doivent l'amener jusqu'à leur ville, saine et sauve, et en pleine santé.Les démons sont nombreux et possèdent la force maléfique avec eux. Les créatures de la nuit sont leurs alliées. Nous aurons besoin de courage, mais aussi de beaucoup de volontaires. Nous devons mettre toutes les chances de notre côté. J'ai prévenu ce matin, une vieille femme du village. Elle avertira l'ordre de la Tortue des Eaux. Nous aurons besoin de toutes les formes d'énergie magique.
Toi, Keazou, il faudra que tu alertes l'ordre des Chevaliers de la Terre.
Loulou, je te charge simplement de le dire à ton ami, je sais que le passage vers le berceau des Serpents des Airs et près d'ici, il n'aura aucun mal à les informer de ce qui se passe. Nous déciderons dans les jours qui suivent de la manière dont nous nous organiserons.
Le prêtre les congédia. Loulou et Keazou sortirent dans le jardin.Loulou semblait gênée, personne n'avait pensé à prévenir son petit ami, Guitou, et il ne savait sûrement pas ce qu'il s'était passé. Keazou sembla contrarié, ça faisait longtemps qu'il n'avait pas vu Guitou. En d'autres circonstances il aurait été heureux de revoir son ami, mais lui annoncer la terrible nouvelle de la mort de Misugi allait être dure. Guitou et Misugi étaient de très bons amis ; Guitou aurait beaucoup de peine.
Keazou savait que Loulou n'aurait pas la force de raconter l'évènement à son ami, et il savait que cette tâche lui revenait.
Des larmes avaient recommencé à couler sur les joues de la jeune fée. Keazou la serra tendrement contre lui :
- Tu veux aller voir Guitou ? Tu devrais passer la soirée avec lui.
- D'accord, allons-y, répondit Loulou d'une voix faible.
Mais elle ne bougea pas et resta serrée contre Keazou. Des larmes perlaient aux yeux du grand jeune homme dont le cur se serrait en voyant la détresse de son amie. Il caressait doucement les cheveux de Loulou, ravalant ses propres larmes.Il connaissait Misugi et son décès lui avait fait de la peine, mais plus encore, il ne supportait pas de voir souffrir ceux qu'il aimait.
Il comprenait la douleur de Loulou, Misugi était son meilleur ami et ils passaient beaucoup de temps ensemble. Elle appréciait aussi beaucoup Amara et son absence accentuait encore plus l'absence de Misugi.Keazou eut une pensée pour Amara. Elle venait de perdre son petit ami qui était sûrement mort sous ses yeux alors qu'il essayait de la protéger. Et elle était emprisonnée dans un bateau avec une bande de brutes. Keazou, révolté, se jura d'aller la sauver coûte que coûte.
Il ne trouvait pas les mots pour consoler son amie, il passa la main sur la joue de celle-ci, essuyant quelques larmes, et y déposa un baiser.
Loulou lui sourit tristement et se leva.
Keazou la regarda, il la trouvait très jolie malgré ses cheveux en désordre, du à son réveil un peu brutal et les larmes qui continuaient à couler sur son doux visage.
- Viens.
Il lui rendit son sourire et la prit par la main.La jeune fille le suivit à l'intérieur, le long du couloir jusqu'à sa chambre. Ils entrèrent et elle s'assit sur le lit d'Amara. Elle regarda les affaires de son amie d'un air malheureux.
Keazou alla chercher un peigne dans la salle de bain et vint s'asseoir derrière Loulou. Il entreprit de démêler les longs cheveux bouclés qui tombaient sur les épaules de son amie. Il y passa un long moment, ces gestes doux et appliqués semblaient calmer la jeune fille qui avait cessé de pleurer.
Quand il eut fini, il entraîna Loulou dans la salle de bain afin qu'elle puisse passer un peu d'eau sur son visage.
- On y va ?
Loulou acquiesça d'un léger signe de tête puis ils ressortirent. Ils marchèrent en silence, côte à côte, jusqu'au passage. Loulou l'activa, ils le traversèrent. Ils marchèrent ainsi jusqu'à arriver devant la maison de Guitou. Loulou frappa. Ils entendirent du bruit à l'intérieur et le jeune homme leur ouvrit. Il les invita à entrer, l'air heureux de les voir. Il allait leur demander s'ils allaient bien mais se ravisa en voyant le visage triste de Loulou. Ils s'assirent tous les trois autour de la table. Loulou lança un regard suppliant à Keazou. Comme personne ne parlait, celui-ci prit la parole :
- Guitou
L'intéressé leva la tête vers Keazou qui continua :
- J'ai une très mauvaise nouvelle à t'annoncer
Keazou, gêné, ne savait comment dire à l'homme qui le regardait d'un air inquiet que son ami était parti
- Tu as entendu parler des démons qui rodaient aux alentours du cimetière ?
Le jeune homme répondit par un signe de tête affirmatif.
- Misugi et Amara étaient au cimetière hier soir Malheureusement, il est apparu que les démons cherchaient Amara. Et Misugi voulait protéger Amara mais ils y avait quatre démons ils ont Misugi est il est
Keazou, la gorge serrée, n'arrivait pas à finir sa phrase. Loulou se leva et alla se blottir contre Guitou.
- Il est mort ? demanda-t-il. Keazou, Misugi est mort ?
- Oui Je suis désolé.
Keazou baissa la tête/ Loulou avait recommencé à pleurer. Guitou ne réagissait pas, il semblait encore sous le choc de la révélation.
- Je vais vous laisser, tous les deux, avança Keazou. Vous devez avoir des choses à vous dire.
- Merci Keazou. C'est gentil de t'être occupé de Loulou et d'être venu jusqu'ici, répondit Guitou d'une voix blanche.
Le jeune homme s'avança vers la porte avec regret. La perspective de se retrouver seul ne l'enchantait guère. Il sortit. La nuit était belle, aucun nuage, le ciel étoilé. La lune éclairait les pavés de la rue. Keazou se promena un moment sur la plage puis rentra au berceau et se coucha immédiatement. Il n'avait pas faim.
oooIl faisait chaud, Amara était entourée de flammes, elle transpirait. Au milieu du cercle de feu, elle discutait avec Misugi. Soudain, les griffes jaunâtres qu'elle avait déjà vues sur la poitrine de Keazou apparurent sur celle de Misugi. Quand elle voulut s'approcher pour le soigner, il recula d'un pas et tomba dans les flammes. Quand la jeune fille voulut le suivre et traversa le mur de feu, le monde bascula autour d'elle, elle se retrouva dans un caveau sombre, éclairé par la lune. Misugi tombait en arrière et heurtait le mur, la scène se déroulait indéfiniment devant les yeux d'Amara. Elle cria.
La jeune fille se réveilla, elle criait. Elle regarda autour d'elle et éclata en sanglots. La soif lui brûlait la gorge et elle revoyait sans cesse les images de son rêve.
Quand elle entendit des bruits de pas derrière la porte, elle se tut et se recroquevilla au bord du matelas sur lequel elle était allongée. Elle ferma les eux et attendit, tremblante et effrayée comme un petit animal pris au piège.
La porte s'ouvrit dans un grincement, quelqu'un entra. Amara n'osa pas ouvrir les yeux. Elle resta immobile et attendit encore. Elle sentait le regard du démon braqué sur elle. La jeune fille l'entendit poser quelque chose. Une nouvelle fois, la porte s'ouvrit et se referma.Amara resta ainsi de longues minutes, guettant le moindre bruit, le moindre mouvement anormal. Quand elle fut certaine que le démon était parti, elle se risqua à ouvrir un il.
Se voyant en sécurité, elle se rassit. Son mal de tête persistait mais il s'était atténué. Au début, elle ne remarqua rien de différent autour d'elle, jusqu'à ce que son regard soit attiré vers le coin de la pièce. Elle y aperçut un grand récipient de bois. La jeune fille avança vers l'objet, marchant à quatre pattes sur le sol froid. Quand elle s'en approcha, Amara ressentit un élan de reconnaissance pour le démon ; le récipient était plein d'eau douce. A côté, un morceau de pain frais était posé à même le sol.
La jeune fille étancha sa soif, buvant avidement. Mais, l'estomac noué, elle ne toucha pas à la nourriture. Avec le reste de l'eau, Amara nettoya le sang sur ses mains et ses jambes.
Elle retourna ensuite sur le matelas. Elle se sentait un peu mieux mais la fièvre persistait. Amara tremblait de froid.Elle tenta de se mettre debout mais sans succès, elle se sentait encore trop faible. Elle s'interrogea sur son état de santé. Pourquoi était elle malade ?
Elle se souvint avoir déjà ressenti des symptômes similaires lorsqu'elle avait aidé Loulou à sauver Keazou. C'était dû à l'énergie qu'elle avait dû fournir. Mais elle ne se souvenait pas avoir utilisé le feu récemment et se demanda ce qu'il lui arrivait.
Amara se demanda ce qui allait lui arriver à présent et si quelqu'un viendrait la délivrer.
oooKeazou dormit mal cette nuit là, les griffes sur sa poitrine étaient encore douloureuses, rouges et brûlantes. Mais il savait qu'après les prochains soins des fées il n'y paraîtrait rien. Il se leva de bonne heure, ne supportant plus de rester inactif, il alla jusqu'au temple. Le grand prêtre ne dormait pas non plus, il l'invita à entrer. Le jeune homme s'avança, dans la pénombre. La flamme vacillante des bougies rendait l'endroit étrange et mystérieux. Keazou ressentit un certain respect pour ce lieu, ne possédant pas l'énergie du feu en lui, il s'y sentait étranger. On distinguait le ciel étoilé entre deux colonnes, le silence était total. Intimidé, Keazou n'osait parler, de peur de déranger le prêtre Tsongor. Celui-ci semblait épuisé, il était assis sur un siège de pierre, au milieu du temple.
Il baissa les yeux sur Keazou.
- Pourquoi es-tu venu jusqu'ici Keazou ?
- J'ai été envoyé par mon maître pour vous prévenir de ce qu'il se passait. Mais vous semblez être déjà au courant depuis plus longtemps que lui Sûrement parce qu'A l'enfant de la prophétie était parmi vous.
- Oui, en effet. Misugi est venu m'avertir qu'Amara avait un pouvoir particulièrement puissant. C'est lorsqu'il m'a raconté son histoire que je leur ai parlé de la prophétie. Je n'ai jamais autant souhaité me tromper Nous devons agir, pas seulement pour Amara mais aussi pour le monde entier. Si le maître des forces maléfiques la retrouve, le monde sera transformé en un véritable enfer.
- La solution la plus facile serait de d'empêcher à jamais que le mal s'empare de l'enfant. Voyant l'air alarmé de Keazou, le grand prêtre s'empressa de continuer : Méthode que je refuse d'appliquer tant que nous pourrons faire autrement. Le plus urgent est de récupérer Amara. Pour ce faire, nous réunirons les meilleurs éléments de chaque ordre afin qu'ils partent la secourir. Les démons sont très forts et il faudra être prudent. Ils se trouvent actuellement à l'est d'Amakna, ils voguent assez loin des rivages et des îles pour ne pas être aperçus. Si nous sommes rapides et efficaces, nous les rattraperons avant qu'ils n'aient contourné le port de Sufokia. Pendant ce temps, nous commencerons à constituer une " armée ", ici, à Amakna. Il faudra se battre, et si nous devrons aller jusqu'à détruire le maître du mal, nous le ferons. Les démons, en enlevant Amara, ont déclaré la guerre, il nous faudra contre-attaquer. Des éclaireurs seront envoyés près des villes et des îles regroupant une majorité de démons. Ici les meilleurs recevront une formation adaptée à l'épreuve qui se prépare. Nous feront venir la milice de la ville de Bonta afin de donner un entraînement intensif à tous ceux qui le souhaitent. J'ai prévenu quelques personnes, tu partiras avec eux dès le levé du jour. Tu les guideras jusqu'à ton maître. Revenez immédiatement jusqu'ici avec les meilleurs des Chevaliers de la Terre. Explique en détail la situation à ton maître et dit lui de se mettre en route avec un maximum de volontaires.
- Bien, qui partira avec moi ?
- Les fées Loulou, et DrouVirus. Djahil et Beothien qui ont spécialisé leur apprentissage vers la création d'armures et de boucliers extrêmement puissants, et Globox qui a réussi à former ses animaux au combat. Vous devrez sûrement vous battre, faites attention à chaque animal que vous croiserez, restez tout le temps ensemble, ne faites confiance à personne. Vous promettre que la mission est sans danger serait vous mentir, je ne puis qu'espérer que vous ne rencontriez pas trop de difficultés. Reviens ici dans une heure environ, je vais prévenir tes compagnons, vous devrez être partis quand apparaîtront les premiers rayons du soleil. Tient-toi prêt.Le jeune homme acquiesça d'un air sérieux et se dirigea vers le réfectoire, il devait manger et prendre quelques provisions pour avoir l'énergie d'entreprendre cette expédition. Il sortit ensuit dans les jardins des alchimistes et cueillit quelques plantes utiles pour ses potions et médicaments, il jugea utile d'emporter sa sacoche d'alchimiste, il l'accrocha à sa ceinture à côté de son épée puis se rendit devant le temple. Quelques personnes y étaient rassemblées, le berceau commençait à s'éveiller, on entendant de toute part bruits de pas et chuchotements.